Lors de la journée d’études « Serious Escape Games » 2017, à la Serre Numérique de Valenciennes, le 7 décembre dernier, il était clair que les escape rooms purement ludiques ont fait l’objet de nombreux transferts vers l’univers professionnel et pédagogique.
Les escape rooms sont à l’origine des jeux vidéo dont le principe consiste à s’échapper d’une pièce dans laquelle le joueur est enfermé. Les escape rooms actuelles en sont la déclinaison physique. Il existe 256 lieux en France proposant 985 salles. Il faut ajouter à ce chiffre les escape rooms dédiées à un usage sérieux.
Escape game, l’exercice
Les escape rooms devenues serious escape games (SEG) permettent de sensibiliser leurs joueurs à des connaissances et savoir-faire dans de multiples thématiques : en histoire, littérature, science de l’information, tourisme, etc. Les univers des SEG voyagent de l’aventure du Titanic à celle de la légende de l’El Dorado en passant par des concepts scientifiques issus de la pharmacie. Les SEG s’adressent, ainsi, à des lycéens, touristes, enseignants, demandeurs d’emploi, usagers des bibliothèques, etc.
Les SEG comptent deux objectifs principaux :
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permettre l’acquisition de connaissances de manière ludique, comme du vocabulaire dans une langue étrangère ; il est d’ailleurs reconnu que l’émotion permet un ancrage mémoriel plus fort.
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faire acquérir des comportements précis tels que les us et coutumes de la recherche scientifique en bibliothèques ou les gestes nécessaires à la fabrication de chimiothérapies (L’esclean room par Faustine Berthod).
Si les SEG connaissent un tel succès, c’est parce qu’ils permettent en un minimum de temps de faire émerger un maximum de comportements et de compétences. Les conditions même du jeu – un univers clos duquel s’extraire, à plusieurs, à force de résolution d’énigmes, dans un temps donné – défient les participants, leur donnent envie de réussir et de s’organiser à cette fin. Des premières aptitudes apparaissent rapidement entre les participants tels que la collaboration, l’esprit d’initiative, la curiosité, l’interaction et la communication.
Lors des retours d’expériences et des réponses au questionnaire que nous avons diffusé, il est apparu que les joueurs s’organisent naturellement en fonction de leurs préférences et aptitudes propres afin de réussir non plus en collection d’individus mais en équipe ; passant ainsi d’un travail de coopération à un travail de collaboration. Les comportements des différents joueurs s’apparentent alors à ceux des membres d’une équipe projet.
Les profils de joueurs principaux
Ces comportements, préférences et aptitudes peuvent être répartis en différents profils. Nous avons pu vérifier ce premier modèle en comparant nos résultats avec la matrice formalisée par Richard Bartle professeur chercheur et auteur de Designing Virtual Worlds. Il est l’un des pionniers de l’industrie du jeu vidéo en ligne. La Bartle taxonomy of player types recense quatre types de joueurs de multiplayer online games, comme World of Warcraft par exemple.
Nous avons ainsi déterminé quatre profils de joueurs en escape room qui sont définis en fonction de leurs actions et des interactions qu’ils ont entre eux et avec l’environnement du jeu.
Le joker sait garder son sang-froid, rassurer les autres membres de l’équipe. Il fait preuve d’humour pour détendre l’atmosphère quand la situation devient ardue. Il participe ainsi grandement à la cohésion au groupe. Polyvalent, il apporte son aide aux sous-groupes de recherche et de résolution d’énigmes. Le comparer avec le profil socializer identifié par Bartle fait sens : l’interaction est un élément fondamental du jeu, qui est un terrain d’expérimentation sociale et de rencontres.
L’archéologue analyse la salle et sait repérer les espaces à fouiller : ceux qui recèlent les énigmes à résoudre. Il se montre efficace en adoptant les bonnes techniques de recherche. Il ne s’investit pas dans la résolution des énigmes avant d’avoir passé toute la pièce au crible. Il transmet aux autres joueurs les énigmes qu’il a découvertes. L’Explorer est un profil joueur du même type, en ce qu’il est attiré par la profondeur du scénario et la recherche d’éléments cachés dans l’univers proposé, qu’il souhaite toujours plus étendu.
Le détective est celui qui se penche sur la résolution des énigmes. Grandement aidé par le travail réalisé par l’(es) archéologue(s), il combine tout ce qu’il trouve en face de lui et se focalise sur ce qui peut en résulter. Il sait se montrer plus analytique que les autres. Ainsi, il considère les choses les unes après les autres, et prend le temps d’approfondir une énigme. Il se rapproche du profil achiever de par sa propension à débloquer des situations.
Le capitaine désire avoir une vision globale des événements. C’est celui qui prend la direction des opérations et garde un œil attentif sur le temps qui défile. Il centralise les indices récoltés. Il séquence les
avancées du groupe en donnant les informations acquises et manquantes aux autres joueurs. Nous pouvons assimiler ce type de joueurs au profil killer : outre leur propension à chercher les victoires individuelles, ces joueurs sont très actifs dans les sphères économiques et sociales des jeux en ligne. Ils font d’excellents chefs de clans.
Serious escape game et recrutement
Travailler sur la qualification de ces profils de joueurs et leur comparaison avec les profils professionnels, c’est apporter une réponse ludique aux questionnements des trois parties prenantes d’un SEG pour le recrutement.
Du point de vue du créateur d’escape game, il s’agira de pouvoir calibrer une escape room « idéale » qui, par son gameplay, sa durée, le nombre de joueurs, le choix des énigmes (le choix de tels mécanismes de jeu afin de révéler tels comportements), permettra de mettre en évidence ces différents profils.
Le recruteur aura ainsi accès à un outil de recrutement fiable. Celui-ci lui permettra de reconnaître un profil particulier en adéquation avec ses attentes et ses besoins. Il sera ainsi en mesure d’équilibrer une équipe projet en y incluant des profils différents et complémentaires.
Enfin, cette étude pourrait avoir également un effet de réflexivité sur les joueurs eux-mêmes. Cela les amènerait à prendre conscience de leurs compétences et de leur profil-type. Dans cet ordre d’idée Pôle emploi a d’ailleurs commencé à réaliser des serious escape games à Lille et à Méru, qui accompagnent les personnes en recherche d’emploi à la réalisation de leur CV. Ceux qui prennent part à l’escape game l’Agence se voient ensuite attribuer des badges en fonction des qualités démontrées lors du jeu.
Reste à savoir si le SEG pour le recrutement est toujours un jeu en ce que, selon Caillois, il est caractérisé par son improductivité, « ne créant ni biens, ni richesse, ni élément nouveau d’aucune sorte […] aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie » (Les jeux et les hommes, 1958).
Et s’il en est un, ce jeu, tel que défini également par Huizinga comme « une action libre, sentie comme « fictive » et située en dehors de la vie courante » est-il encore capable « d’absorber totalement le joueur » (Homo ludens, 1951) ?
Cet article ainsi que l’étude en cours sont réalisés avec Alexia Audemar, game designer.
Isabelle Patroix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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