Depuis le début du mois de février, les témoignages affluent au sujet de la « ligue du LOL » – un groupe Facebook réunissant de jeunes professionnels des médias, accusés d’avoir harcelé entre 2009 et 2012 sur les réseaux sociaux, en particulier Twitter, d’autres journalistes et membres de la blogosphère. Ces révélations interrogent la responsabilité des rédactions, mais également celle des écoles de journalisme. Elles montrent également la difficile introspection d’une profession qui se voit « naturellement » éduquée et humaniste.
Car les médias qui ont employé ou emploient les journalistes mis en cause se situent dans le camp des médias dits progressistes, plutôt de gauche, et qui se sont particulièrement investis ces dernières années sur des sujets comme le sexisme, le racisme, l’homophobie ou encore l’antisémitisme.
De nombreux articles ont pointé un phénomène de « boys club », qui, sous couvert d’humour, en écartant certaines personnes minorisées ou minoritaires, comme les femmes, les personnes racisé·e·s ou les hommes ne correspondant pas à un schéma viriliste, permettait à ces membres de s’assurer une carrière et l’accès à des postes de responsabilité.
Dans un deuxième temps s’est posée la question de la responsabilité des écoles de journalisme, lieu où certaines des personnes incriminées aujourd’hui s’étaient rencontrées. Peut-on imaginer qu’elles fabriquent, même inconsciemment, de la violence, dans la mesure où elles accueillent des jeunes futurs journalistes après un parcours souvent exigeant, pour les préparer à un métier dont l’accès se restreint ?
Voilà qui reviendrait à penser qu’en intériorisant ce qui les attend après leur diplôme, des étudiant·e·s, consciemment ou inconsciemment, préparent le terrain pour s’assurer les plus grandes chances de réussir. Quels moyens les écoles mettent-elles alors en place pour garantir l’égalité et le respect des personnes dans leur organisation ?
Une éthique considérée comme « naturelle »
Les écoles de journalisme, comme les journalistes, sont extrêmement vigilantes quant à leur indépendance et à leur liberté pédagogique pour les premières, éditoriales pour les seconds. Pour de bonnes raisons : l’indépendance de la presse est la garantie de la démocratie. Dans le débat actuel, il a été ainsi reproché aux écoles de s’être opposées à l’introduction, dans le projet de loi de 2014 sur l’égalité entre les hommes et les femmes, de l’article 16 bis, faisant obligation à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur du journalisme de modifier leurs programmes pour dispenser un enseignement sur l’égalité entre les sexes et la lutte contre les stéréotypes sexistes.
Cette réaction a été en partie due au fait que les responsables pédagogiques des écoles de journalisme reçoivent en permanence des sollicitations de groupes, associations ou autres, demandant à intervenir au sein des écoles pour sensibiliser les étudiants à la façon dont il faudrait traiter tel ou tel sujet. On comprend qu’elles soient extrêmement vigilantes. Un autre argument a été avancé : pourquoi cette obligation relèverait-elle des seules formations au journalisme, et non celles de la publicité, des ressources humaines ou encore du marketing ?
Pour autant, les écoles de journalisme ne doivent pas s’abstenir de s’interroger sur les questions de respect entre les personnes ou encore le traitement médiatique de certaines catégories de population. La littérature académique abonde d’ailleurs, en ce qui concerne les traitements médiatiques biaisés et stéréotypés, comme le montrent les travaux de Marlène Coulomb-Gully sur le traitement médiatique des femmes ou Éric Macé, sur la diversité à la télévision.
S’il est si difficile aux entreprises de presse comme aux écoles de journalisme – où les postes à responsabilité sont souvent occupés par d’anciens journalistes – de s’interroger sur leur pratique, c’est parce qu’elles sont souvent dans un mythe, celui de l’éthique et de la déontologie qui sous-tend la formation au journalisme que la pratique de ce métier. Éthique née des principes fondateurs de la charte de 1918 du SNJ (Syndicat national des journalistes), remaniée en 1938 et réactualisée en mars 2011. Mais, comme le fait remarquer Éric Neveu dans son ouvrage Sociologie des médias :
« Ce sentiment d’appartenance à une déontologie partagée se heurte aux limites de l’absence de mécanismes corporatifs de sanction lorsqu’il y a atteinte aux principes ce cette déontologie. »
Une prise de conscience dans les écoles
Si toutes les écoles de journalisme ont pris conscience de ces questions, on peut considérer qu’une véritable réflexion collective a émergé des travaux et tables rondes de la CNMJ (Conférence nationale des métiers du journalisme), en janvier 2018. Baptisé « Hommes-femmes mode d’emploi dans les médias », l’événement s’est penché aussi bien sur l’organisation des rédactions que le traitement médiatique des sujets. Une enquête sur la base d’entretiens a été menée auprès des 14 écoles reconnues par la profession (composant la Conférence des écoles de journalisme), ainsi que l’ESJ Pro de Montpellier a permis de soulever deux points en particulier :
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Tout d’abord, les écoles pensaient que « naturellement » les étudiant·e·s savaient qu’ils ou elles pouvaient les solliciter en cas de problème. Or la parole ne se libère pas facilement sur ces sujets, en particulier si une personnalité de l’école est concernée, dans la mesure où une personne référente n’est pas clairement désignée et une procédure d’alerte communiquée.
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Par ailleurs, les responsables d’école évoquaient aussi l’inutilité de sensibiliser leurs intervenant·e·s extérieur·e·s, bien souvent des journalistes, au regard qu’ils et elles « partageaient les valeurs de l’école ». Ce qui nous renvoie à la question évoquée plus haut concernant l’éthique et la déontologie, vécues comme une évidence par la profession.
Suite à ces résultats, la Conférence des écoles de journalisme a engagé une réflexion sur ces sujets. Sandy Montanola, responsable de formation à l’IUT de Lannion, et moi-même avons été missionnées pour accompagner les écoles sur la mise en place de référent·e·s, de cellules d’écoutes et autres actions garantissant l’égalité pour toutes et tous, et la lutte contre toutes formes de discrimination.
Vers un management de la diversité
L’approche proposée est celle qui a été adoptée au sein de l’Institut Pratique du Journalisme de Paris-Dauphine, à savoir celle d’un management de la diversité, ayant conduit à un audit de l’Afnor et à une labellisation « Egalité et diversité ». Une approche qui, au-delà de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, vise à l’inclusion de tous dans une organisation. Jusqu’à présent, les travaux de recherche sur la mise en place et le management d’une politique de diversité se sont le plus souvent intéressés aux entreprises.
Peu d’études en sciences de gestion se sont intéressées à la mise en œuvre d’un management de la diversité dans un domaine aussi spécifique que celui de l’enseignement supérieur. C’est la raison pour laquelle, Sabrina Pérugien a mené, à partir de 2010, dans le cadre de sa thèse, un travail de recherche-action au sein d’une école de management, l’EM Strasbourg, qui a obtenu le label « Diversité ».
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C’est la même démarche qui a été adoptée à IPJ Dauphine | PSL, afin de repenser l’ensemble de l’organisation au regard de l’égalité, tant dans le recrutement des enseignants que dans la formation. Un comité de pilotage « Diversité », représentatif des corps professionnels de l’école, a été constitué. La première démarche a été consacrée à dresser un état des lieux sur les risques de discrimination, à partir d’un questionnaire envoyé aux étudiants, aux salariés permanents et aux enseignants vacataires.
Agir sur tous les risques de discrimination
Sous l’égide du comité de pilotage Diversité, d’une chargée de mission Egalité des chances et d’une chargée de mission Handicap, un plan d’action sur deux ans a été mené. En voici les principaux axes :
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Dans le cadre du concours d’entrée, et en particulier pour les jurys d’admission, des grilles d’évaluation par compétences ont été élaborées et les membres des jurys ont été sensibilisés aux questions d’égalité et de discrimination.
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Le cursus pédagogique intègre des cours sur les stéréotypes, leur impact dans les médias et les étudiants sont régulièrement mis en situation de reportages au regard de ces questions. Par ailleurs, des grilles d’évaluation pour les enseignements ont été élaborées, afin de ne tenir compte que des compétences (savoir-faire et savoir-être) des étudiant·e·s sans qu’aucune considération discriminatoire puisse interférer dans la notation, comme dans tout choix pédagogique (stage, sélection pour les prix et les bourses…).
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Une sensibilisation aux questions de discrimination est dispensée dès la rentrée pour les étudiant·e·s et les enseignant·e·s. Elle est présentée oralement et accompagnée d’un document qui la décrit précisément et rappelle l’existence d’une cellule d’écoute indépendante pouvant être saisie par toute personne s’estimant victime de discrimination.
Instaurer une culture de l’égalité relève d’un engagement permanent. Tous les ans, les étudiant·e·s sont amenés à répondre de façon anonyme à un questionnaire sur les risques de discrimination dans le cadre de l’école et ont la possibilité de décrire les situations vécues ou observées. L’équipe pédagogique peut ainsi identifier des problématiques particulières et agir en connaissance de cause. Ces procédures ne garantissent pas d’éviter tous les comportements et paroles inappropriés, mais elles posent un cadre clair et envoient un signal fort.
Pascale Colisson does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
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