Un articlede Marc Trestini et Richard Cabassut publié en juin 2019 dans la revue Distances et Médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa
Introduction
Pour accompagner les réformes actuelles et à venir de l’enseignement et de la formation des enseignants (Filâtre, 2016 ; Ministère, 2015 ; Villani et Torossian, 2018), on assiste au développement de ressources en ligne (Cabassut et Trestini, 2015) et de dispositifs de formations à distance (Aldon, 2015). Pour Rodet (2009) consultant en e-formation « les orientations pédagogiques d’une formation, d’un formateur, d’un centre de formation, sans être toujours explicites, sont à la base des choix de structuration du contenu et des activités d’apprentissage présentés aux apprenants. L’identification de ces options est la démarche préalable pour en repérer les éléments et les liens qui existent entre eux, pour interpréter les résultats de ces interactions, pour déterminer le modèle pédagogique qui les sous-tend ».
L’objectif de notre recherche est précisément d’explorer la manière dont sont conçus et mis en œuvre ces dispositifs de formation des enseignants à distance (EAD, FOAD, MOOC, OER [1]) à travers les représentions (beliefs) qu’ont les formateurs de l’enseignement à distance, sachant que ces représentations sont aussi dépendantes des contextes de formation. Rappelons que « les objectifs pédagogiques (apprendre à collaborer, objectif disciplinaire…), le type de public visé (primaire, secondaire, supérieur) et les modalités spatiales et temporelles de réalisation de la formation (présence, distance, hybride) font partie du contexte de formation » (David, George, Godinet et Villiot-Leclercq, 2007, p. 73). Utiliser les environnements numériques d’apprentissage (ENA) dans la formation des enseignants oblige donc les formateurs à porter un regard nouveau sur l’ensemble du système, c’est-à-dire sur l’ensemble des facteurs en interaction réciproque : environnementaux, comportementaux et personnels (Bandura, 1997). Nous savons déjà que les représentations des formateurs sur l’enseignement en général exercent une influence non négligeable sur la manière dont ils scénarisent la formation des enseignants en présentiel, quelle que soit d’ailleurs la discipline enseignée (Philipp 2007 ; Kaiser 2006 ; Piot 1997). Notre objectif est ici d’observer chez des formateurs d’enseignants leurs représentations de la formation à distance et d’analyser la manière dont ces dernières influencent leur façon de concevoir ou de mettre en œuvre leurs scénarios pédagogiques à distance.
Cadre théorique et concepts liés
Le cadre théorique de notre étude nous renvoie aux concepts liés d’ENA, d’ingénierie de formation, d’ingénierie pédagogique appliquées à la formation des enseignants à distance, puis à celui de représentations des acteurs de la formation à distance. Précisons ici ces concepts.
Dans l’acronyme ENA, il est fait référence au concept d’environnement numérique ainsi qu’à sa finalité : l’apprentissage. À tous les niveaux du système éducatif, que ce soit dans le primaire, dans le secondaire ou dans l’enseignement supérieur, il est fréquent d’utiliser le terme d’environnement pour définir l’ensemble des éléments (humains et non humains) qui entourent l’apprenant et contribuent à son développement cognitif. Et si nous avons retenu le terme d’Environnement Numérique d’Apprentissage (ENA), c’est précisément parce que les principaux artefacts qui participent à ce développement sont de nature numérique. Oubahssi et Grandbastien (2007) précisent d’ailleurs que « le concept d’environnement dans lequel se déroule l’activité permet de regrouper un ensemble de ressources de tous types qui peuvent aussi bien être des sources de connaissances physiques ou numériques que les outils nécessaires à l’accomplissement de l’activité ».
L’ingénierie de formation appliquée aux ENA réfère aux démarches et méthodes de conception de dispositifs de formation, lesquels sont censés répondre de manière rationnelle et efficace aux objectifs visés par les concepteurs. Elle englobe les fonctions pédagogiques et non pédagogiques d’un ENA. « La plupart des propositions d’ingénierie sont prioritairement centrées sur l’activité de l’apprenant qui ne représente qu’une vue partielle de l’activité globale ou ne se concentrent que sur une catégorie donnée d’acteurs et non sur la globalité d’un dispositif d’activités instrumentées » (ibid.). L’ingénierie de formation se distingue donc de l’ingénierie pédagogique en ce qu’elle prend en compte de nouvelles activités (administratives, techniques, de gestion de la formation) qui font en outre apparaître de nouveaux acteurs. L’ingénierie de formation appliquée à la formation à distance se déroule traditionnellement en cinq étapes. La première consiste à analyser les besoins en formation, la seconde à sélectionner les dispositifs appropriés et à créer les actions de formation. Pour cela, les concepteurs s’appuient sur des outils spécifiques et élaborent différentes modélisations du dispositif de formation. La troisième étape consiste à penser l’animation et le pilotage du plan de formation, à identifier les enseignants, les tuteurs qui auront en charge le suivi des actions de formation. Ce n’est qu’après cette étape que l’ingénierie pédagogique intervient, donnant cette fois à chaque enseignant (ou formateur) une liberté plus ou moins importante (qui sera à observer) de créer son « scénario pédagogique », lequel est perçu comme un composant essentiel des systèmes de formation à distance. L’ingénierie pédagogique appliquée aux ENA a pour but « d’explorer comment améliorer la qualité pédagogique des cours en ligne […] avec des outils d’usage facile » (Hotte, Godinet et Pernin, 2007, p. 7). Elle vise également à faciliter l’engagement des inscrits dans la formation. Les acteurs de l’ingénierie pédagogique sont généralement les enseignants eux-mêmes, mais ce n’est pas toujours le cas. Cela dépend des dispositifs ; certains sont très contraints, d’autres offrent toute liberté à l’enseignant. Pour Henri, Compte et Charlier (2007, p. 19) « les enseignements ne peuvent être pensés et conçus par d’autres que les enseignants. Ces derniers doivent être les concepteurs de l’environnement d’apprentissage qu’ils utiliseront pour accomplir leur tâche d’enseignant. Ils auront à faire la scénarisation pédagogique de cet environnement ». Après une phase d’évaluation nécessaire (quatrième étape), la cinquième étape de l’ingénierie de formation est dédiée à la régulation qui consiste à mettre en place des actions correctives ou de rattrapages.
Quant au débat sur l’acception du concept de représentations, différents termes tels que les croyances, les conceptions, les significations sont utilisés par de nombreux chercheurs pour évoquer cette même idée. « Le concept de représentation est un concept-carrefour, complexe, mais incontournable. Son intérêt principal est qu’il permet d’inférer des informations denses, porteuses de sens, dans la mesure où les représentations se construisent via le schéma ternaire sujet individuel/sujet social/objet, dans l’interaction entre l’univers symbolique et l’univers pratique » (Piot, 1997, p. 115). Charlier (1989) citée par Piot (ibid.) propose une synthèse cohérente et unifiée du concept de représentation dans l’enseignement que nous faisons nôtre. Elle définit les représentations comme « des entités hypothétiques, chargées affectivement, qui cristallisent des significations particulières, classificatoires ou structurales chez un individu ou chez un groupe à un moment donné, dans un projet. Multidimensionnelles,... elles sont à la fois processus et produit,... et ont un pôle cognitif et un pôle affectif... ». Parmi ces représentations on distingue généralement les représentations sociales et professionnelles (Jodelet 1994 ; Piot 1997 ; Abric 1994 ; Piaser, 1999 ; Bataille 2000 ; Piaser et Bataille 2008). Les représentations sociales sont issues du « sens commun », les représentations professionnelles « sont élaborées dans l’action et l’interaction professionnelle » (Bataille, Blin, Jacquet-Mias et Piaser, 1997, p. 63). Dès lors, ces représentations sont composées d’éléments de natures scientifique, technique, pratique, relationnelle, organisationnelle et institutionnelle, dont l’organisation interne est « intimement liée aux différents problèmes qui ont à être résolus ou évités dans le cadre d’un exercice professionnel » (Gonin, 2008, p. 36).
Méthodologie
Notre recherche est principalement exploratoire dans le sens où elle vise à formuler des questions et conjectures pour des recherches (confirmatoires) futures.
Différents acteurs (formateurs principalement, concepteurs) de la formation à distance des enseignants ont été interrogés. Nous avons volontairement privilégié la diversité en nous adressant à 9 professionnels de l’éducation intervenant dans des dispositifs très différents, mais ayant le même objectif : former des enseignants en mathématiques.
- M@gistère [2], dispositif de formation continue des enseignants français (accès contrôlé institutionnellement),
- Formations universitaires avec certification (Gelis et Kermorvant, 2012),
- MOOC (Aldon, 2015 ; Trestini et Cabassut, 2017), par exemple avec eFan Maths avec France Université Numérique (accès libre, sans certification nécessaire),
- Dispositif de ressources en ligne ouvertes à tous. Regroupe des OER comme Mathscope [3], TFM [4], … qui constituent des exemples de ressources en libre accès (Artigue et Gueudet, 2008).
L’étude de ces dispositifs nous a permis d’observer les similarités et les différences au niveau des institutions, de la scénarisation pédagogique et des objectifs fixés.
Objectifs visés et outils d’observation
Analyse descriptive de nos données brutes issues du questionnaire
1Un questionnaire préalable adressé (en ligne) aux formateurs interrogés nous a permis de proposer une première analyse descriptive des données récoltées. Ce questionnaire était composé de deux parties, l’une portant sur des données de contexte (description de la formation et profils des acteurs) et l’autre sur la caractérisation du dispositif mis en œuvre (présentiel/distanciel, scénarisation, accompagnement, médiation, ouverture).
Observer et saisir les représentations des acteurs de la formation
« La complexité et le flou relatif qui caractérisent les représentations impliquent de préciser les choix méthodologiques qui permettent de les inférer puisqu’elles ne se donnent pas à voir spontanément » (Charlier, 1989 citée Piot, 1997, p. 115.). Parmi les différentes manières d’analyser les représentations des formateurs, nous avons choisi d’exploiter les données du questionnaire relatives aux représentations des acteurs et d’entendre ces derniers au cours d’entretiens clarifiants et semi-structurés (Bernard, 2006, p. 212). Au cours de chaque entretien d’une heure environ, nous avons posé des questions ouvertes sans directive de contenu afin de couvrir entièrement le sujet et permettre à la personne interrogée d’exprimer librement sa pensée. À ce jour, nous avons obtenu 9 réponses au questionnaire et 7 personnes interrogées en entretien d’environ une heure [5].
Mieux connaître les dispositifs et scénarios pédagogiques mis en œuvre
Pour éclairer le questionnement relatif à l’ingénierie de formation et l’ingénierie pédagogique, nous avons intégré dans le questionnaire précédent des questions permettant de caractériser les dispositifs de formation et les scénarios pédagogiques mis en œuvre par les concepteurs et formateurs interrogés. Ces questions étaient très largement inspirées des travaux consacrés à « l’élaboration d’un cadre de référence permettant de caractériser les dispositifs hybrides [6] de formation » (Burton, Borruat, Charlier, Coltice, Deschryver, Docq, et Villiot-Leclercq (2011). Nous avons en cela interrogé les sondés sur les cinq dimensions principales qui caractérisent tout dispositif de formation hybride [7] en lien avec ce cadre de référence, à savoir :
- la mise à distance et les modalités d’articulation des phases présentielles et distantes,
- l’accompagnement humain,
- les formes particulières de médiatisation,
- et de médiations, liées à l’utilisation d’un environnement technopédagogique
- et le degré d’ouverture du dispositif (Burton et al., 2015).
Les entretiens qui ont suivi nous ont en outre permis de préciser quelles tâches de formation ont été envisagées et quels objectifs ont été visés ; comment ces tâches et ces objectifs sont justifiés du point de vue du formateur et de l’ingénierie pédagogique (David et al., 2007 ; Paquette, 2000 ; Tchounikine, 2002 ; Henri, Compte et Charlier, 2007 ; etc.).
Étudier les spécificités de la formation des enseignants à distance
Le dernier objectif était d’interroger en suivant notre guide d’entretien les représentations des acteurs sur les spécificités de la formation à distance par rapport à la formation en général, par rapport aux mathématiques, et par rapport aux techniques pour réaliser une tâche.
Des questions précises visant à nous éclairer sur ces spécificités ont également été posées dans le questionnaire et soumises aux sondés avant l’entretien semi-directif.
Autres aspects d’ordre méthodologique
Précisons aussi que nous avons volontairement limité notre étude aux dispositifs impliquant l’enseignement des mathématiques. En effet, nous faisons l’hypothèse que la nature du savoir en jeu dans un dispositif de formation peut influer sur les représentations de la formation à distance. Par exemple, dans une étude récente sur trois MOOC dont l’un impliquant l’enseignement des mathématiques, Trestini et Cabassut (2017) montrent la singularité du MOOC impliquant les mathématiques quant aux représentations sur les difficultés du MOOC. En neutralisant la variable liée à la nature du savoir en jeu, nous pouvons mieux mettre en évidence les autres variables.
Par ailleurs, nous avons également observé le rôle que joue l’institution au niveau national : institution type ministère (magister), université (eFan maths), association (Mathscope). Cela nous a conduits à choisir des dispositifs de formation représentatifs de ces différentes institutions.
Nous avons aussi observé que les différents formateurs interrogés n’avaient pas toujours les mêmes perceptions des dispositifs ; ceci étant certainement lié à des vécus différents. Nous avons donc choisi de faire l’analyse de deux témoignages particuliers : celui d’un même formateur impliqué dans deux dispositifs différents (un contrôlé institutionnellement et l’autre libre) et celui de deux formateurs différents impliqués dans un même dispositif.
Résultats et analyse
Analyse descriptive
Nous observerons en particulier dans cette analyse descriptive s’il existe des singularités (des « grands blocs » dans les diagrammes) qui génèrent des caractéristiques différentes ou des profils d’acteurs différents.
Quel type de formation
À la question « Choisissez le type de formation », les réponses ont été les suivantes :
Figure1 : Répartition par type de formation
Nombre d’inscrits aux formations
Parmi les dispositifs étudiés, 3 ont un effectif faible (inférieur à 20), les autres ont des effectifs supérieurs à 300 jusqu’à atteindre un maximum de 3 250. On identifie donc deux blocs dont un avec beaucoup de formés et l’autre avec peu de formés. La question posée était de savoir « Quel est approximativement le nombre de formés inscrits à la formation (indiquer un nombre entier) ? ». On remarque qu’un répondant a été concepteur d’une formation à distance sans être formateur impliqué dans cette formation. Cette dissociation est étonnante : c’est l’expertise du concepteur qui est visée sans qu’il ait un retour réflexif sur sa conception comme cela aurait été le cas s’il avait participé à la formation qu’il a conçue.
Figure 2 : Répartition par effectif de formés
Le dispositif comportant un effectif de 10 inscrits correspond à un dispositif de téléenseignement MEEF et parmi les deux dispositifs de 20 inscrits on trouve (i) un dispositif de type M@gistere et (ii) une formation universitaire avec certification.
Nombre d’heures de formation par dispositif
Concernant le nombre total d’heures de formation dispensées dans chacun de ces dispositifs, on en compte 5 qui ont moins de 20 heures et 3 qui en ont plus de 100.
Figure 3 : Effectif par nombre d’heures de formation
Genre des personnes interrogées
À la question du questionnaire « Quel est votre genre ? », on s’aperçoit que la parité est à peu près respectée.
Figure 4 : Répartition par genre
Âges des personnes interrogées
Concernant l’âge des personnes interrogées, ils ont entre 41 et 61 ans. Le diagramme correspondant à la question du questionnaire « Quel est votre âge ? » est donné ci-dessous.
Figure 5 : Effectif par âge
Statut professionnel des personnes interrogées
Le camembert ci-dessous illustre les réponses à la question (du questionnaire) « quel est votre statut professionnel ? ».
Figure 6 : Répartition des statuts des personnes interrogées
Représentation des sondés sur la formation des enseignants en général
À la question (au cours de l’entretien) « Quel serait pour vous un bon modèle de formation des enseignants en général ? », les réponses sont variées et semblent dépendre étroitement du parcours et du vécu des répondants. Pour GG impliqué dans un MOOC, « une bonne formation d’enseignants doit permettre de faire évoluer les pratiques des enseignants et qu’en cela, il faut les impliquer dans la formation ». Pour AS qui intervient dans le télé-enseignement MEEF, ce serait une formation « qui ne débuterait pas sur le tard, […] qui ferait confiance aux personnes qui voudraient s’engager dans cette perspective professionnelle, […] pour un temps plus long de formation, […] ayant à cœur de lier théorie et pratique assez tôt (stage d’observation, de pratique accompagnée et de responsabilité sur 5 ans), un peu comme en médecine qui intègre sur du long terme théorie et pratique, […] avec beaucoup plus de retour et d’expérience style Lesson Studies [8] depuis très tôt, en favorisant la critique de ses pairs, … ». L’idée qu’un bon modèle de formation d’enseignants repose sur une alternance entre activités pratiques et théorie est également proposée par HZ. Elle met en outre l’accent sur « l’importance de la pratique accompagnée et la nécessité de laisser du temps aux étudiants [à rapprocher du témoignage de AS] pour s’approprier à la fois les disciplines, leur didactique, la mise en œuvre dans la classe et non faire du forcing à toute vitesse, comme on peut le voir actuellement ». Avant d’ajouter : « Nous en maths [analyse de la pratique] on les a que 12h dans l’année nos M2 profs des écoles. On n’a jamais le temps de faire quoi que ce soit (rire) … ».
Comprendre l’ingénierie des dispositifs et les scénarios pédagogiques mis en œuvre
Sur la mise à distance et les modalités d’articulation des phases présentielles et distantes
À la question du questionnaire « Le modèle de formation à distance dans lequel vous vous êtes impliqué était-il tout à distance ou hybride (combinaison des deux) ? » nous obtenons la réponse suivante :
Figure 7 : Répartition tout à distance-hybride
Parmi les dispositifs étudiés, environ la moitié d’entre eux sont des dispositifs hybrides et l’autre moitié sont tout à distance. Le taux d’hybridation en distanciel dans la totalité de la formation (ex. 100 si la formation est complètement à distance) est donné dans figure suivante :
Figure 8 : Taux d’hybridation par type de dispositif
(a) Dispositif de formation continue des enseignants français type M@gistere (accès contrôlé institutionnellement)
(b) Dispositif de formation continue des enseignants français type M@gistere (accès contrôlé institutionnellement)
(c) Dispositif de formation continue des enseignants français type M@gistere (accès contrôlé institutionnellement)
(d) Formations universitaires avec certification (par exemple la plate-forme ACOLAD à l’Université de Cergy-Pontoise ou Digital Uni à l’Unistra)
(e) Dispositif de formation initiale des enseignants de l’école primaire
(f) Formations universitaires avec certification (par exemple la plate-forme ACOLAD à l’Université de Cergy-Pontoise ou Digital Uni à l’Unistra)
(g) Télé-enseignement MEEF
(h) MOOC, par exemple avec France Université Numérique (accès libre, sans certification nécessaire)
(i) MOOC, par exemple avec France Université Numérique (accès libre, sans certification nécessaire)
Parmi les dispositifs étudiés, il semblerait (au cours des entretiens) que certains d’entre eux se soient vus imposer à l’avance un taux de présentiel et de distanciel par les institutions porteuses des projets de formation. Et lorsque c’était le cas, la répartition des activités entre le présentiel et le distanciel restait à la discrétion des acteurs de la formation.
Ainsi, lorsque le choix était donné aux sondés de déterminer pour quelles activités, le présentiel ou le distanciel devait prévaloir, ils ont prioritairement choisi d’utiliser le présentiel pour les activités d’ordre pédagogique et didactique laissant à la formation à distance les autres activités (organisation, gestion des tâches administratives, activités d’ordre méthodologiques, …). Le présentiel est donc perçu comme une « denrée rare » qui doit être utilisée pour des activités que le distanciel ne permet pas.
À la question « Comment ont été réparties les phases en présentiel et à distance ? Indiquez votre degré d’accord avec chacune des affirmations suivantes », nous obtenons les résultats suivants :
Figure 9 : Effectif du degré d’accord sur la répartition des phases présentiel/distanciel par type d’activité
On observe sur ce graphique un déséquilibre dans la manière dont se répartissent les phases en présentiel et celles à distance pour chacune de ces activités. La distance semble, par exemple, bien convenir à la gestion des tâches administratives ainsi qu’aux activités d’ordre méthodologique, quel que soit le dispositif. D’autre part, on observe parmi les dispositifs étudiés que les modalités plutôt à distance et uniquement à distance sont dominantes pour tous les types d’activités envisagés, ce qui semble montrer que le « à distance » est une modalité essentielle pour la plupart des dispositifs.
L’accompagnement des formés
Trois dimensions de l’accompagnement des enseignants en formation à distance sont fréquemment observées :
- la dimension cognitive, accompagnement destiné à soutenir la construction de connaissances (soutien au et à la réalisation des activités/méthodologique),
-* la dimension affective qui intègre les modalités de soutien à l’engagement de l’apprenant.
- la dimension métacognitive qui vise la construction de connaissances par une démarche réflexive sur ses propres processus cognitifs.
Parmi ces trois dimensions de l’accompagnement des enseignants, nous avons voulu connaître, en référence à notre cadre théorique, celles qui ont été privilégiées dans les formations étudiées. Pour cela, nous avons demandé aux formateurs de choisir, parmi ces trois dimensions, quelles sont celles qui ont été privilégiées dans leur formation ? Les réponses sont données dans le diagramme suivant :
Figure 10 : Effectif du degré d’accompagnement des formés par type de soutien
On observe que le soutien à l’acquisition des connaissances est dominant (« beaucoup » et « presque exclusivement »). Il peut exister cependant des dispositifs où un type de soutien n’est pas présent. Si l’accompagnement des formés doit être considéré comme un élément important alors il faut dès la conception du dispositif prévoir les modalités de cet accompagnement.
Les formes particulières de médiatisation
L’analyse de la médiatisation des différents dispositifs étudiés à travers les outils et médias mis à dispositions des acteurs de la formation ne révèle pas de signe particulier hormis peut-être l’absence étrange d’outils d’awareness de groupe [9] comme dans toutes les formations et un usage quasi généralisé de ressources sous forme multimédia. Concernant l’absence d’outil d’awareness, cela nous semble davantage relever d’une méconnaissance de la signification de ce terme que d’une réalité dont il faut tenir compte sachant que parmi les plateformes étudiées (notamment Moodle) ce type d’outils existe bel et bien sans qu’il n’ait été pour autant cité (interview AS). Hormis ces deux cas, le diagramme ci-dessous ne permet pas de mettre en évidence un média qui se distinguerait des autres par une adaptation particulière à un dispositif donné.
Plus précisément, à la question « Était-il prévu de mettre à disposition des formés en formation […] », les réponses ont été les suivantes :
Figure 11 : Effectif par type d’outils mis à disposition des formés
On observe que les outils d’aide à l’apprentissage, de gestion, de communication asynchrone ou de collaboration, et les ressources multimédias sont présents dans la grande majorité des dispositifs tandis que les outils de communication synchrone, d’awareness sont absents la plupart du temps.
Formes de médiation liées à l’utilisation d’un environnement techno-pédagogique
La médiation se définit comme le processus de transformation que produit sur les comportements humains (par exemple cognitifs ou relationnels) le dispositif technique, « l’instrument » (autrement dit un artefact technique et ses schèmes sociaux d’utilisation), à travers lequel le sujet interagit avec le monde, avec des « objets », d’autres sujets ou encore avec lui-même (Rabardel et Samurçay, 2001). L’analyse des différentes formes de médiation relève donc de l’analyse des effets de cette médiation. Nous avons donc demandé aux formateurs interrogés de nous préciser, parmi les trois familles d’interaction suivantes (lesquelles mettent en jeu des outils techniques) quelles sont celles qui ont le plus transformé les formés.
Les réponses sont consignées dans le diagramme suivant :
Figure 12 : Effectif du degré potentiel de transformation des formés par type d’interactions
Au regard des résultats ci-dessus, on observe une relative régularité entre les différents dispositifs qui témoigne d’un processus de transformation réel et mesurable (un peu, beaucoup), équitablement répartis sur les trois formes d’interaction citées, avec une légère dominante sur les deux premières à savoir entre le formé et l’objet et entre le formé et les autres.
Degré d’ouverture du dispositif
Pour évaluer le degré d’ouverture du dispositif de formation, nous avons d’abord demandé aux formateurs interrogés (dans le questionnaire) de déterminer parmi les trois catégories d’ouverture citées ci-dessous celles qui se rapprochent le plus de leur formation.
Figure 13 : Effectif du degré d’ouverture par type de dispositif
Il va de soi que la nature même du dispositif (MOOC par exemple) en est le principal déterminant. Le troisième bloc à droite par exemple montre bien la présence de deux MOOC par nature « ouverts » (représentés par la colonne verte d’une hauteur de 2) et que les autres dispositifs soient caractérisés « pas du tout » ouverts (bleu) ou « un peu » ouverts (rouge).
Nous nous sommes ensuite intéressés à « l’ouverture » des méthodes pédagogiques ainsi qu’à liberté donnée aux étudiants de planifier eux-mêmes leurs apprentissages. À la question : « Indiquez votre degré d’accord avec chacune des affirmations suivantes […], nous obtenons les résultats suivants :
Figure 14 : Effectif du degré d’accord selon le degré de liberté laissé aux acteurs de la formation
On remarque en observant les réponses données concernant la deuxième affirmation « Le formateur était complètement libre de déterminer les méthodes pédagogiques » que les deux formateurs MOOC (2/9) ne sont plutôt pas d’accord et pas du tout d’accord, alors que les autres (6/9) sont tout à fait d’accord (x3) ou plutôt d’accord (x3).
On observe, avec ce qui a déjà été dit précédemment, qu’il existe une ligne de partage entre les dispositifs contrôlés, de faibles effectifs, qui semblent vouloir conserver une même liberté pédagogique que celle acquise en présentiel et de l’autre côté, des dispositifs moins contrôlés institutionnellement, à gros effectifs, qui cherchent à innover en termes d’organisation et de scénarisation pédagogique (pour rompre avec les habitudes du présentiel pour s’adapter à la distance) et dont les méthodes pédagogiques sont certes plus innovantes, mais aussi davantage prescrites. Nous posons en outre comme hypothèse que l’effectif semble à l’origine de scission.
Spécificités de la formation à distance des enseignants en comparaison de la formation des enseignants en présentiel
Spécificités liées à la discipline enseignée (mathématiques)
Ici la question (au cours de l’entretien) semble mal posée, car il ne s’agit pas forcément d’enseigner à distance les mathématiques en tant que discipline, mais bien de former des enseignants à l’enseignement des mathématiques (didactique des mathématiques). Donc les spécificités sont davantage de l’ordre des spécificités de l’enseignement à distance des didactiques disciplinaires que de l’enseignement à distance des disciplines ; ce qui permet d’ailleurs d’explorer un champ plus large. Nous savons par exemple que dans une formation d’enseignants en général, les stagiaires sont en demande d’exemples de « bonnes pratiques » et de leçons spécifiques de la matière enseignée. Et un des formateurs nous dit que cela ne pose pas de problème d’en proposer à distance. « Des vidéos de classe par exemple peuvent être facilement diffusées pour répondre à ce besoin. Par contre, ce qui ne marche pas à distance, c’est que les stagiaires ne peuvent pas s’observer de manière croisée » (GG). Autrement dit, les Lesson Studies par exemple qui visent à ramener « l’ordinaire de la classe » au cœur de la formation sont difficiles à mettre en œuvre à distance » (GG).
Spécificités liées aux pratiques pédagogiques
Nous entendons (au cours des entretiens) que certains formateurs ne sont pas tout à fait à l’aise à distance comparé au présentiel et que cela est dû au fait qu’à distance un certain nombre de signes ne passent pas (communication non verbale notamment) et que la vidéo ne remplace pas le présentiel.
Spécificités liées aux caractéristiques des dispositifs mis en œuvre (libre ou contrôlé)
Les dispositifs que nous avons étudiés à partir des témoignages des personnes interrogées et des réponses au questionnaire peuvent être grossièrement scindés en deux grandes catégories : les dispositifs contrôlés institutionnellement (M@gistère, EAD, Télé-enseignement MEEF, FOAD) et les dispositifs libres (MOOC, Ressources en ligne, etc.). On appelle dispositif contrôlé institutionnellement des dispositifs dont la participation d’un formé est contrôlé par une institution : par exemple des EAD certifié par une Université qui en contrôle l’accès, des formations continues auprès d’enseignants (type M@gistère) contrôlé par l’employeur (ici le Ministère de l’Éducation) qui donne les moyens de développement de telles formations, désignant parfois le public autorisé à s’y inscrire. Les MOOC ne sont pas contrôlés institutionnellement, l’accès y est libre. Les ressources en ligne peuvent être également d’accès libre ou d’accès marchand [10].
En comparant ces deux catégories, on observe d’abord une forme de progressivité dans l’intensité du contrôle exercé par les institutions allant d’un contrôle relativement important dans les dispositifs de type M@gistère vers un contrôle beaucoup plus léger dans les MOOC, en passant par un contrôle médian pour les dispositifs de type EAD, FOAD. On observe ensuite que plus l’effectif est important moins le dispositif semble contrôlé institutionnellement. Les dispositifs de type MOOC, que nous avons étudiés dans notre enquête, affichent en effet de gros effectifs en comparaison des autres dispositifs, de l’ordre de plusieurs milliers pour les premiers contre quelques centaines pour les seconds. Et l’on constate que plus l’effectif augmente, moins le contrôle pèse sur la formation. La question qui se pose alors est de savoir si c’est parce qu’il y a un effectif important qu’il est difficile d’imposer des règles précises (on ne peut pas suivre de la même manière 20 étudiants et 5 000 étudiants) ou est-ce plus directement à cause du statut du dispositif, lequel déterminerait à lui seul l’intensité de ce contrôle. Si nous avions par exemple affaire à des M@gistères de plus de 1000 personnes pourrions-nous observer le même phénomène ? Autrement dit, est-ce bien le statut du dispositif qui est la cause d’un contrôle renforcé de la part de l’institution ou est-ce simplement à l’effectif qu’il faut l’attribuer ? Quand un enseignant intervient dans un groupe dont l’effectif est important, il va de soi qu’il contrôle moins les activités qui s’y déroulent. Dans un M@gistère par exemple, où l’effectif est plus faible que dans un MOOC, les échanges entre les enseignants et les formés sont plus faciles et donc plus nombreux que dans un MOOC. Cette différence est aussi observée dans le contrôle des situations d’apprentissage : celui-ci semble plus important dans les dispositifs à faible effectif de type M@gistère et EAD que dans les dispositifs à fort effectif (AR). Si l’effectif est faible, cela facilite donc le contrôle de l’enseignant et du coup cela facilite aussi le contrôle institutionnel, dans le sens où l’on peut imposer plus facilement aux formateurs et aux formés des schémas, lesquels deviennent plus faciles à établir lorsque l’on travaille sur de plus petits effectifs. Lorsqu’au contraire les effectifs sont importants, il devient plus difficile de vérifier que la formation se déroule selon des règles précises, car précisément ces règles sont plus difficiles à établir et à vérifier institutionnellement : observer qui décroche, qui ne suit pas telle ou telle règle… La question qui se pose alors ici, dans cette recherche exploratoire, est donc de savoir si la vraie variable explicative du caractère institutionnellement contrôlé du dispositif n’est pas en définitive l’effectif plutôt que le statut de la formation. Y a-t-il coïncidence ou non ? L’effectif est-il en soi une variable cachée ?
Il ressort également des réponses issues du questionnaire et des entretiens semi-directifs que dans les dispositifs contrôlés, les contraintes institutionnelles (choix de la technologie, effectifs imposés, équipes pédagogiques constituées, modalités de formation souvent prescrites…) semblent peser plus fort sur l’ingénierie pédagogique que dans les dispositifs libres. Nous constatons par exemple que lorsque les formations à distance sont contrôlées institutionnellement, la volonté de reproduire à distance le cours en présentiel semble dominante contrairement aux dispositifs libres où le modèle de formation s’écarte davantage du modèle en présentiel (plus « créatif-innovant » où l’idée dominante est plutôt de reconstruire des modèles adaptés à la distance). Les cours dispensés dans les dispositifs contrôlés sont « calqués sur un MEEF [11] présentiel » dit l’un des interrogés (AS), « nous avons reconstitué la séance d’exercices en classe dans le monde virtuel avec la vidéo qui remplace le maître et qui corrige au tableau. Le forum de discussion remplace l’élève qui pose une question… » dit un autre (MD du télé-enseignement MEEF). Un autre exemple du poids des contraintes institutionnelles sur l’ingénierie pédagogique est donné par un formateur impliqué dans un dispositif de 450 personnes (contrôlé institutionnellement). Il explique « que le principal problème réside dans l’impossibilité pour des raisons budgétaires de mettre les étudiants en petits groupes ; il faudrait pour cela engager plusieurs personnes en parallèle » (MD). L’équipe pédagogique a alors imaginé un dispositif qui utilise le présentiel pour transmettre le cours sous la forme de vidéo et les forums de discussion pour les exercices.
Enfin, le type de dispositif mis en œuvre semble aussi avoir une influence sur l’une des trois dimensions de l’accompagnement des enseignants à distance décrites plus haut. On constate en effet que la dimension affective, qui intègre les modalités de soutien à l’engagement de l’apprenant, est la plus présente dans les dispositifs libres de type MOOC alors qu’elle ne l’est beaucoup moins dans les dispositifs classiques d’EAD certifiants et encore moins dans les dispositifs de type M@gistère (SR).
Spécificités liées à la valeur ajoutée, par les technologies, à la formation des enseignants
Seul un formateur de dispositif « contrôlé » a cité un intérêt de la formation à distance. Pour reprendre ses mots, il l’a appelé « la gestion de l’agenda ». Il explique que « comme les étudiants sont partiellement en stage, et qu’ils n’habitent pas forcément proche du centre de formation, la formation à distance permet d’optimiser le temps de formation en donnant à tout un chacun la possibilité de s’y connecter quand bon lui semble quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit (MD) ». Mis à part ce témoignage, la plus-value qu’apportent le numérique et la distance à la formation des enseignants n’est curieusement évoquée et mise en valeur que par les formateurs intervenant dans des dispositifs « libres » de type MOOC. Mais l’on remarque aussi que les formateurs des MOOC (SR et GG) ont dans ce cas précis (qui ne peut être considéré comme une généralité) une réflexion plus évoluée et plus aboutie que les autres sur ces questions d’usages des technologies en formation et en particulier sur ce qu’elles peuvent apporter de plus à la formation. Cela nous amène à nous poser la question de savoir si la personnalité et la sensibilité des personnes interrogées ne jouent pas aussi un rôle déterminant dans la manière d’analyser la formation des enseignants à distance, d’autant qu’au-delà de leurs personnalité et sensibilité, leurs connaissances de la didactique et des usages du numérique en éducation semblent aussi influencer la manière de percevoir l’intérêt d’une formation à distance et celle de concevoir des scénarios pédagogiques adaptés à la formation à distance et ce, quel que soit le type de dispositif. À la suite de ce constat, nous avons décidé de travailler sur des profils particuliers de formateurs interrogés.
Témoignages particuliers : un même formateur impliqué dans deux dispositifs différents
Pour comparer un dispositif de type MOOC à un dispositif de type M@gistère/P@iformance en neutralisant la variable liée à la sensibilité du formateur et à sa connaissance des dispositifs de formation à distance, le témoignage de SR est intéressant, car SR a participé d’une part, trois années de suite à la formation du MOOC eFan Math, et d’autre part à une formation à distance hybride organisée par le Ministère. Remarquons d’autres similarités, indépendamment de celles de profil et de discipline enseignée déjà évoquées. C’est aussi le point de vue d’un même formateur sur des formations qui ont été fréquentées de manière massive puisque SR estime respectivement le nombre de formés à 3000 pour le MOOC et 1000 pour la formation hybride. Ce sont par ailleurs des formations continues, sans certification, et soutenues par le Ministère de l’Éducation.
Une première différence concerne l’hybridation : tout est à distance dans le MOOC alors que l’hybridation est estimée à 50 % dans l’autre formation, que nous désignerons par formation hybride. Repérons dans quelles phases le présentiel y est privilégié : les activités d’ordre pédagogique (gestion et organisation d’un groupe, travail individuel, coopération…), les activités d’ordre didactique (sur les contenus enseignés et leur présentation…). Les autres activités (présentation de la formation, gestion des tâches administratives de la formation, activités d’ordre méthodologique, activités d’évaluation, activités liées aux institutions, à l’éthique ou à la responsabilité du formé) sont uniquement à distance comme pour le MOOC. Ce constat rejoignant parfaitement celui formulé un plus haut, nous formulons la conjecture suivante : ces dispositifs ayant été conçus par des didacticiens : le présentiel est considéré comme lieu de valorisation du pédagogique et du didactique dans la représentation de la formation, et de la formation à distance, qu’ils ont. Nous verrons plus loin si l’entretien confirme cette conjecture.
Une seconde différence apparait pour la scénarisation du dispositif de formation. Dans la formation hybride, des outils de communication synchrone (chat, visioconférence, classe virtuelle,…) apparaissent alors qu’ils ne sont pas présents. Pour nous c’est un paradoxe, puisque la présence du présentiel en hybride pourrait se dispenser de ces outils. Une explication relative au caractère massif du dispositif MOOC ne semble pas à retenir puisque le dispositif hybride était également massif. Nous ne savons pas expliquer cette différence.
Concernant les autres croyances, des polarités opposées dans les réponses apparaissent dans les cas suivants.
Le caractère ouvert à tous, sans condition d’inscription relève seulement du MOOC puisque la formation hybride est, à l’opposé, organisée et contrôlée par le Ministère, dans le cadre de la formation continue institutionnelle.
Concernant la liberté du formateur, le formateur était plutôt complètement libre de définir les méthodes pédagogiques et dans la formation hybride alors qu’il était moins libre dans le MOOC où le dispositif déterminait plutôt entièrement les situations d’apprentissage par rapport à la formation hybride.
Ces variations sont peut-être liées à des variations de conception (et peut-être de perception par ce formateur) entre ces formations.
Témoignages particuliers : un même dispositif investi par deux formateurs différents
Deux répondants, SR et GG, ont participé au MOOC eFan Math et il est intéressant de comparer les réponses lorsqu’elles sont de polarités différentes. On notera que SR est enseignant du secondaire alors que GG est enseignant-chercheur, avec de plus un domaine de recherche lié aux outils numériques. Nous avons relevé seulement quelques éléments de différence :
- concernant la scénarisation, SR ne répond pas à la question « Pourriez-vous dire en quelques mots sur la manière dont a été scénarisée la formation ? » tandis que GG indique qu’elle est scénarisée par du travail par projets.
- À la question « était-il prévu de mettre à disposition des formés en formation des outils d’interactions ? », SR répond oui alors que GG répond non. Est-ce parce que GG n’a participé qu’à la saison 1, où la plateforme Moodle était utilisée à la place de Viaeduc, et que cette plateforme est nettement moins interactive ?
- Les autres différences entre GG et SR concernent la question sur les trois catégories d’ouverture de la formation. SR et GG s’accordent pour déclarer le MOOC eFan Math ouvert à tous, sans condition d’inscription : âge, diplôme, prérequis, droits d’inscription, (Type MOOC)].
Sur les autres éléments d’ouverture, GG déclare que le dispositif ne se rapproche pas du tout d’un dispositif ouvert à un public de formés identifiés, avec un cadrage précis du nombre d’heures de travail à effectuer, des productions à rendre, des objectifs à atteindre (type EAD), alors que SR déclare qu’il s’en rapproche beaucoup, ce qui semble contredire sa réponse à la question précédente. Est-ce le fait que le changement de plateforme (Moodle ouvert à tous pour la version de GG et Viaeduc réservé aux membres de l’Éducation Nationale pour la version de SR) induit un filtrage indirect des participants ?
Pour compléter la comparaison entre SR et GG sur les croyances, relevons quelques éléments de l’entretien avec GG.
- D’abord GG a conçu et participé à des formations hybrides type P@irformance (Soury-Lavergne et al. 2013), et au MOOC eFan Math. Elle a conçu un M@gistère pour la formation dans lequel elle n’a pas participé.
- Pour GG, la différence est moins liée au degré d’ouverture qu’au degré d’hybridation.
- Elle n’a jamais pratiqué de travail synchrone à distance. On pourrait s’interroger sur le pourquoi de cette absence.
Pour GG l’observation en présentiel et la discussion en présentiel qui suit est plus riche que le asynchrone et que l’écrit parce que cela permet de mieux expliciter et de mieux prendre en compte la dimension affective des échanges. Extrait :
GG : Entre l’hybride et le complètement distant […], le fait de constituer des équipes de stagiaires [stagiaire pris au sens de participant à la formation], nous permet de rencontrer ces équipes et permet aux stagiaires de se rencontrer entre eux et aller s’observer […]. Je sais que l’une des formatrices allait dans les classes les filmer, à la demande des stagiaires, comme c’était pour le premier degré et qu’ils n’arrivaient pas à faire des observations croisées puisqu’ils sont tout le temps pris dans leur classe, la formatrice qui a mis en place et qui est une conseillère pédagogique est allée carrément dans les classes pour les filmer. Donc toutes ces dynamiques d’observation en classe, que ce soit par les stagiaires entre eux, ou par le formateur qui vient en classe, ça n’est possible que par des formations de type Magistère.
Et puis le travail aussi collectif, en présentiel, sur l’analyse d’extraits vidéos par exemple (Robert et al. 2012), ou l’analyse de scénarios. Nous, ce qu’on faisait dans P@irformance, une des fois où j’étais formatrice P@irformance, donc les équipes de stagiaires concevaient des séances, et les déposaient sur la plateforme, et les équipes étaient par binôme donc chaque équipe devait prendre connaissance, commenter, critiquer la séance produite par une autre équipe. Alors ça, ça pouvait se faire un peu à distance, mais le faire en présence c’était beaucoup plus riche parce que c’était plus facile d’expliciter ce qu’on avait comme remarque sur la séance des autres.
RC : On ne pouvait pas expliciter en étant en séance Skype par exemple ?
GG : Je n’ai jamais eu l’expérience dans ce que j’ai fait d’un travail distant synchrone. [...]
On travaille sur des choses qui sont complexes où il peut y avoir des incompréhensions entre des gens qui sont de cultures différentes, avec des pratiques différentes, et quand les gens se retrouvent ensemble, ils ont besoin de temps pour parler et expliciter les choses […] Tout ce qui ne passe que par l’écrit est quand même plus sujet à des mauvaises interprétations […] Par exemple une critique sur une séance, si elle est écrite, à mon avis elle sera moins bien prise en compte que si elle est formulée en direct. Et formuler en direct c’est peut-être, plus diplomatique, la manière de le dire. « Moi j’aurais pas tout à fait comme ça ». Alors que des fois, à l’écrit, les gens font pas tout à fait attention, comme par le mail, et se retrouvent à blesser. L’acception de séances de classe c’est que beaucoup de gens y mettent des choses personnelles. En même temps s’ils ne mettaient pas de choses personnelles ça ne ferait pas évoluer leur pratique. Donc ils mettent des choses personnelles et le moment de critique de ce qu’ils ont conçu est un moment délicat du point de vue affectif des personnes. Et si ce moment n’a lieu qu’à l’écrit, et bien ça ne se passe pas toujours bien.
Conclusion
Notre recherche exploratoire, fondée sur des réponses à un questionnaire et sur des entretiens semi-directifs, nous a permis de nous saisir de quelques représentations de formateurs impliqués dans la formation à distance d’enseignants et de mettre en évidence quelques généricités et spécificités liées à ce type de formation, en comparaison de celles qui sont conduites en présentiel. Elle a aussi permis d’établir des liens entre la perception des formateurs de ce que pourrait être « une bonne » formation d’enseignants et la scénarisation d’un dispositif de formation à distance répondant à cette perception. L’objectif de ce travail n’a jamais été de confirmer des hypothèses, ni même de confirmer des résultats, mais plutôt de dégager des pistes de réflexion, des questions et des conjectures que nous pourrons traiter ultérieurement dans une recherche expérimentale confirmatoire.
Parmi ces hypothèses, nous remarquons qu’il semble exister une ligne de partage entre d’une part, les dispositifs contrôlés institutionnellement (M@gistère, P@irformance, EAD, …) qui affichent des effectifs relativement faibles (quelques centaines), caractérisés par une volonté de reproduire à distance ce qui se fait traditionnellement en présentiel, conservant la liberté pédagogique acquise en présentiel et d’autre part, des dispositifs moins contrôlés institutionnellement (type MOOC), à gros effectifs (plusieurs milliers), qui cherchent à innover en termes d’organisation et de scénarisation pédagogique (rompre avec les habitudes organisationnelles du présentiel pour s’adapter à la massification de la formation), mais dont les méthodes pédagogiques sont certes plus innovantes, mais aussi davantage prescrites. Nous posons aussi comme hypothèse que l’effectif (nombre d’inscrits à ces formations) est à l’origine de cette ligne de partage et qu’il détermine les caractéristiques que nous venons de décrire. Enfin nous observons intuitivement une ligne de partage entre des croyances sensibles essentiellement au contenu à enseigner, qu’il soit mathématique (FP, AS, BC) ou didactique des mathématiques (MD, FT), et des croyances sensibles à une pédagogie de l’enseignement à distance, intégrant des spécificités de l’enseignement à distance (GD, SR, HZ). L’illustration prototypique de cette ligne de partage étant celle du concepteur d’un enseignement à distance, choisi pour son expertise sur le contenu et n’ayant pas d’expérience d’enseignement à distance. Il paraît donc intéressant d’orienter la recherche sur le lien entre la formation, à l’enseignement à distance et à sa pédagogie, qu’ont reçue les concepteurs de formation à distance et les formateurs de ces formations, et les caractéristiques des formations à distance qu’ils conçoivent ou qu’ils mettent en œuvre. Ce serait un enjeu de la formation de formateurs que d’y développer la pédagogie de la formation à distance.
La difficulté de ce type de travail n’est pas seulement d’arriver à formuler des hypothèses crédibles, mais plutôt de ne pas perdre de vue que les représentations des formateurs, que nous avons su saisir, ne sont que des croyances qui ne reflètent pas forcément la réalité. Les analyses que nous en faisons ne reposent que sur du « déclaratif ». Et ce que nous entendons de ces formateurs et que nous analysons ne correspond qu’à ce qu’ils ressentent en fonction de leurs connaissances des dispositifs et de leur vécu dans ces formations. Ces ressentis ne correspondent pas à la réalité et celle-ci n’est d’ailleurs pas l’objet de notre enquête. Son objet est de nous emparer de ces représentations pour nourrir et formuler notre questionnement, nos conjectures. Il nous appartiendra par la suite de les valider ou les invalider en les testant ou en les comparant à une description objective des formations étudiées. On pourra alors peut-être remarquer des coïncidences entre ces représentations et ces descriptions objectives, que nous pourrons croiser avec les résultats qu’une future analyse confirmatoire nous fournira.
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Pour citer cet article
Marc Trestini et Richard Cabassut, « Les représentations sur la formation à distance », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 26 | 2019, mis en ligne le 17 juin 2019, consulté le 29 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/dms/3721 ; DOI : 10.4000/dms.3721
Auteurs
Marc Trestini
Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l’éducation et de la communication (LISEC-EA 2310), Université de Strasbourg
marc.trestini@espe.unistra.fr
Richard Cabassut
Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l’éducation et de la communication (LISEC-EA 2310), Université de Strasbourg
richard.cabassut@unistra.fr
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