Les infrastructures de l’Internet ont fourni un support à un rêve déjà ancien, celui de diffuser la connaissance au plus grand nombre. Mais l’ambition des sciences ouvertes ne se limite pas aux questions d’accès que de nouveaux moyens techniques et juridiques facilitent un peu plus chaque jour. Si elles visent à faire circuler les résultats de recherche de manière bien plus fluide, il s’agit aussi d’agir en amont, en rendant la recherche plus participative.
L’idée est de ne pas envisager les citoyens comme de simples sujets de recherche mais également comme des partenaires des chercheurs. D’ailleurs, les initiatives de science citoyenne se propagent rapidement à travers le monde, que cela soit pour collecter des données ou pour les analyser, parfois à travers des dispositifs ludiques.
Ce mouvement invite à s’interroger sur la bipartition entre l’enseignement et la recherche. Les étudiants n’ont-ils pas aussi un rôle à jouer dans la construction de « communs » pédagogiques ? Dans le prolongement des sciences ouvertes et citoyennes se dessinerait aussi une « éducation ouverte ».
C’est l’une des hypothèses centrales de la note Vers une éducation ouverte : Faire, réflexivité et culture pour une éducation-recherche, qui vient d’être publiée par le think tank Research Group Collaborative Spaces (RGCS), à partir de huit expériences innovantes menées dans l’enseignement supérieur, dans des contextes assez différents – universités, écoles de management, écoles d’ingénieurs.
Décloisonner les cours
Promouvoir une éducation ouverte suppose d’abord de décloisonner les systèmes, en rendant les lieux traditionnels de connaissances – universités, laboratoires, bibliothèques – plus ouverts, plus transparents et plus mobiles dans la ville. La question de l’accès sans discrimination ni barrière d’âge ou de statut est centrale.
Dans le cours « Transformations du travail et numérique » donné à l’Université Paris-Dauphine, par exemple, il n’y a plus ni début ni fin de cours. L’enseignement est ouvert aux anciens et aux personnes tout simplement intéressées par le thème abordé. Il met en œuvre de nombreuses parties prenantes, étudiants, chercheurs, entrepreneurs, mais aussi makers, activistes, slashers, artistes.
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La production de connaissance dépasse les frontières temporelles et spatiales habituelles, avec notamment la diffusion du cours via des outils numériques (blogs, Twitter, articles en ligne). Le cas « Open walked event-based experimentations » (OWEE) montre qu’on peut s’appuyer également sur des démarches qui pourraient paraître anciennes. Pourquoi ne pas monter des « learning expeditions » dans la rue et sur les places publiques pour créer des narrations pédagogiques plus incertaines, et donc plus ouvertes à de véritables rencontres ?
S’emparer de questions de société
Le deuxième enjeu pour l’enseignement est de rester fortement connecté à la société et à ses réalités contemporaines. La co-création de connaissances et l’implication dans la cité permettent de retrouver du sens et de participer à la résolution de défis environnementaux et sociétaux.
Les approches par projets ou par défis doivent permettre de réintroduire l’engagement citoyen au cœur des raisons pour lesquelles on étudie.
Le cours « Public factory » de l’IEP de Lyon illustre cette approche. Les projets qui structurent le cours sont tous des défis réels d’innovation publique, pour lesquels les résultats du travail des enseignants, des étudiants et des professionnels vont venir contribuer au bien public. La coopération étroite avec de grands professionnels du Design des politiques publiques, notamment la 27ᵉ région, est exemplaire d’une nouvelle manière de penser la pédagogie.
Démarches exploratoires
Enfin, il faut renforcer la capacité de l’éducation à aller au-delà des murs. Il faut pouvoir sortir, s’impliquer dans un tissu urbain, marcher pour penser, sentir et comprendre. Cela demande aussi de repenser les espaces et la forme scolaire et universitaire, de remettre une articulation entre extérieur et intérieur, de s’approprier les nouveaux espaces et de coopérer avec les tiers lieux et de repenser la proximité.
Par exemple le cours « Innovation and cooperative projects » de Yncréa Hauts-de-France se déroule au cœur d’un site en reconversion où les étudiants sont amenés à se nourrir des espaces urbains pour alimenter leurs réflexions. Le groupe passe autant de temps à l’extérieur qu’à l’intérieur, dans une démarche exploratoire, en prenant des photos, en interviewant des passants, en allant dans des start-up et des entreprises.
Cette philosophie de réappropriation des lieux, dans une démarche d’ouverture, de mise en commun des ressources et des connaissances est aussi celle qui nourrit le vaste mouvement des tiers lieux qui se développe en France, avec des projets comme la Compagnie des tiers lieux.
Réintroduire du commun
À partir de ces expérimentations, on peut dégager quelques propositions à destination des chercheurs et décideurs politiques afin d’évoluer vers une « éducation ouverte ».
La première piste serait de réintroduire du commun dans le service public d’enseignement supérieur. Chaque enseignant pourrait par exemple mettre 25 % de son forfait au service de communs de connaissances sur son territoire – ce qui reviendrait à enseigner, expérimenter, faciliter, médiatiser au sein de tiers lieux et d’espaces collaboratifs proches de son université.
Cela pourrait se faire sur une base volontaire et à partir d’une liste de lieux constituée de façon émergente et non validée a priori par une commission ou un acteur public. D’aucuns objecteront que dans une situation de sous-effectifs et de moyens de plus en plus limités, une telle proposition est peu réaliste. C’est que selon nous, la vision actuelle oppose trop un « dedans » à former à un « dehors » auquel s’adapter alors que ces deux parties se recouvrent.
Il faut former de façon permanente et discontinue, au-delà d’une logique définitive de diplomation. Une partie importante de l’enseignement supérieur s’est construite soit dans la logique de la formation initiale, soit dans celle de la formation exécutive ou encore dans la perspective de l’apprentissage. Avec l’augmentation de la durée de vie, le développement de la pluriactivité, l’engagement associatif, la multiplication des discontinuités de vie, ces délimitations sont devenues largement caduques.
Publier avec les étudiants
Enfin, il faudrait revenir sur la dichotomie entre enseignement et recherche, qui a des effets particulièrement néfastes. Les sciences ouvertes et citoyennes pourraient favoriser une véritable éducation-recherche où la mise en commun des connaissances serait plus que jamais le fait de nos étudiants, bien accompagnés par des enseignants-chercheurs qui co-publieraient parfois à leur côté et développeraient des interfaces de traduction et d’impact sur leurs recherches.
L’éducation ouverte n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, les sciences ouvertes et citoyennes, leurs infrastructures, leurs pratiques et leurs valeurs constituent des vecteurs d’opportunités nouvelles. Les nouveaux collectifs de recherche, les coopératives, les espaces collaboratifs, les tiers lieux, les plates-formes ouvertes sont autant d’acteurs qui peuvent jouer un rôle dans la création de processus et d’entre-mondes nouveaux.
Dans des contextes de crise du sens au travail, de chômage structurel encore important, de grave crise écologique, de menaces démocratiques, de perte de créativité dans les pratiques et les formes managériales, il devient urgent de saisir cette opportunité.
François-Xavier de Vaujany est président du réseau académique RGCS (http://rgcs-owee.org/)
Amélie Bohas est membre du réseau académique RGCS (http://rgcs-owee.org/).
Olivier Irrmann est membre du réseau académique RGCS (http://rgcs-owee.org/).
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