Il fut un temps où l’on disait des jeunes inscrits dans des formations littéraires qu’ils « faisaient leurs humanités ». L’expression a perdu peu à peu de son rayonnement à mesure que la place du latin et du grec diminuait dans l’enseignement. Mais voilà que depuis années, les humanités reviennent sur le devant de la scène, avec l’ouverture de cursus dédiés, ou encore le lancement de projets de recherche spécifiques.
Qu’entend-on alors par humanités numériques ? S’agit-il d’un simple croisement entre textes anciens et nouvelles technologies ? Pour y voir plus clair, on peut consulter le Manifeste des Digital Humanities, issu du THATCamp des 18 et 19 mai 2010 qui avait réuni à Paris des acteurs majeurs de ce champ.
Selon ce manifeste, les digital humanities désigneraient « une transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des Sciences humaines et sociales ». « Elles ne font pas table rase du passé, mais s’appuient, au contraire, sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connaissances propres à ces disciplines, tout en mobilisant les outils et les perspectives singulières du champ du numérique. »
Champ de recherche
À travers ces humanités numériques, il s’agit de concevoir le numérique comme « instrument de recherche », comme « outil de communication » ou comme « objet de recherche » (Dacos et Mounier, 2014).
Si on s’intéresse au discours politique contemporain, force est de constater que l’afflux de messages, la multiplication des canaux, et la complexité des contenus, rendent difficile l’appréhension fiable de ces informations.
Par exemple, on peut se trouver en face d’un tel message :
On est là en présence d’un contenu textuel, auquel j’ajoute une vidéo, des éléments propres à la plate-forme Twitter, et toute une série de fonctionnalités sociales ou de partage. Ce message n’est qu’un message parmi un nombre important, et ces processus se multiplient pour toutes les personnalités politiques, et sur une multitude de réseaux.
Outil de communication pour les politiques, le numérique, peut alors devenir un objet de recherche, afin d’aider les citoyens à appréhender la diversité des contenus, et à objectiver leur appréciation des messages transmis. Voilà qui peut compléter la consultation des médias aux lignes éditoriales bien définies.
Une première tentative avait été réalisée en 2017 dans le cadre du projet #Idéo2017, dont voici une présentation rapide :
Outil d’analyse
Ici le numérique est aussi un instrument de recherche, puisque des fonctionnalités issues de logiciels informatiques d’analyse de données textuelles avaient été utilisés. Celles-ci permettaient de détecter des similitudes de discours, d’opérer des classifications thématiques ou de calculer des fréquences.
Un travail de recherche et d’ingénierie avait été mené afin de construire une plate-forme fonctionnelle utilisant ces technologies, en créant une navigation intuitive qui fournirait des résultats compréhensibles pour les citoyens non spécialistes de ces domaines.
Le développement scientifique en humanités numériques intervient ici pour perfectionner ces instruments de recherche. En appréhendant globalement les corpus étudiés, on constatait une perte d’information importante puisque la plate-forme ne pouvait traiter les contenus visuels ou vidéos intégrés dans les tweets.
Aussi, le projet Doxavisu soutenu par le Domaine d’intérêt majeur STCN, ambitionne d’améliorer la prise en compte des différentes ressources signifiantes dans les messages diffusés sur les réseaux sociaux, afin de prendre en compte de manière plus précise les informations qui sont transmises.
Application citoyenne
Un premier prototype a été réalisé dans le cadre du projet #Cicero, qui répond à cette exigence générale d’outiller les citoyens pour les aider à décrypter les discours politiques, mais aussi répondre aux défis posés par les humanités numériques en termes d’acquisition, de traitement, et d’analyse de contenus complexes (mêlant texte, images et vidéos par exemple).
Ce projet avait été présenté au salon Innovatives SHS du CNRS en 2019 et avait notamment permis de développer un moteur de recherche vidéo capable de traiter les prises de parole des candidat·e·s aux élections européennes dans les vidéos partagées en ligne :
L’idée était de procéder à des requêtes dans cet ensemble, et de produire, grâce à des outils numériques, des résultats sur ce corpus (fréquences de termes, réseaux de mots, usages spécifiques selon les personnalités, etc.) :
Ainsi, par le recours aux humanités numériques, selon les trois acceptions du numérique, on peut offrir aux citoyens le moyen de prendre du recul par rapport aux flux de communication politique, de l’appréhender, et de rendre l’information intelligible, malgré sa profusion et sa diversité.
Si les humanités numériques ont donc un rôle croissant à jouer, dans le domaine académique notamment, pour la recherche ou l’éducation, elle a aussi un potentiel important en lien avec la demande sociale, et des perspectives de valorisations prometteuses.
Julien Longhi a reçu des financements de la Fondation UCP, ANR, DIM STCN
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