Bonjour Yann, est-ce que tu peux te présenter ainsi que les enseignements que tu réalises ?
Je suis attaché de recherche à l’Institut de Formation en Pédicurie Podologie, Ergothérapie et Masso-kinésithérapie (IFPEK) à Rennes. Je termine une thèse en sciences de l’éducation au CREAD (Université de Rennes 2) sur l’autonomisation des professionnels de santé par la formation à et par la recherche. Mes fonctions au sein de l’IFPEK sont multiples : j’accompagne le développement de la recherche en réadaptation, j’accompagne les formateurs de l’IFPEK dans la transformation des pratiques pédagogiques et institutionnelles, j’anime aussi le Conseil Scientifique, nouvelle instance au sein de l’établissement. Au titre de ces missions, nous avons créé plusieurs cellules d’appui pour accompagner le personnels (personnels administratifs et formateurs) dans la transformation de l’établissement. Par ailleurs, j’enseigne les méthodes de recherche et la gestion de projet.
Comment vous êtes vous venue l’idée de développer la coopération avec les étudiants au-delà de la transmission de savoirs ?
Dans le monde de la santé, la coopération entre les professionnels de santé est une obligation pour concourir à la meilleure prise en charge des patients. Le système se tourne de plus en plus vers la prévention et vers l’exercice pluriprofessionnel coordonné. Nous avons une philosophie à l’IFPEK : si la collaboration dans les pratiques de santé est une obligation, il faut obligatoirement formé les étudiants, jeunes professionnels, à la collaboration. Autrement dit, la collaboration ne peut pas se décréter à la sortie du diplôme si elle n’a pas été préparé pendant la formation. En plus de l’enseignement des méthodes du travail collaboratif (outils pour collaborer, dynamique de collaboration en groupe...), nous avons eu l’idée de concevoir des dispositifs de formation communs aux trois filières de rééducation. Ces dispositifs permettent de vivre une collaboration entre filières et entre étudiants à toutes les étapes de la formation. Ces croisements entre étudiant et ces travaux de groupe sont de plus en plus nombreux, ce qui permet d’augmenter les environnements collaboratifs au delà des activités sociales des étudiants. Dans certains enseignements (comme la recherche), le cours magistral tend à disparaitre au profil de séminaires de travail, de travaux de groupe, de travaux réflexifs individuels. La période de confinement a accéléré cette transformation pédagogique (le CM classique de 2h n’étant plus adapté à la distance). Cette transformation vers plus de collaboration entre étudiants, engage aussi de faite les formateurs à travailler ensemble pour piloter ces dispositifs nouveaux (le formateur n’est plus seul à enseigner, on parle de co-enseignement). Ces dispositifs de formation collaboratifs sont piloter par une équipe de formateur.rice.s, très sensibilisés à l’approche collective et aux méthodes pédagogiques dites actives.
Est-ce qu’il y a une cellule d’ingénierie pédagogique ?
Un groupe de formateur (sensibilisés aux problématiques pédagogiques) et d’ingénieur pédagogique s’est structuré et institué en Cellule d’Innovation et d’Appui Pédagogique (CIAP). Cette cellule d’appui a été officialisé par la Direction Générale comme interface pour la transformation pédagogique. Cette cellule permet aux formateurs d’échanger sur les différents projets pédagogiques et créer de la transversalité et de la collaboration entre les équipes pédagogiques. Un espace de formation / réflexion a aussi été crée : les jeudi de la pédagogie, 4 fois dans l’année, les formateurs de toutes les équipes pédagogiques se retrouvent pour un 2h autour d’un invité et d’un thème. Un des thèmes centrales est celui de la collaboration aussi bien entre formateurs qu’entre étudiant. Ces activités de développement collectif permettent aux formateurs de prendre un peu de distance sur leurs quotidiens : c’est un peu une "fenêtre sur cours" sur d’autres dispositifs, d’autres initiatives pédagogiques.
Est-ce que tu pourrais expliquer ce que vous avez mis en place ?
Je vous présente en exemple, un séminaire récent qui a été mis en place avant et après le confinement. Nous avons pu comparer et évaluer deux séminaires, avec les mêmes étudiants, avec les mêmes objectifs pédagogiques, mais avec deux modalités différentes : un séminaire en présentiel et un séminaire en distanciel.
Tout d’abord, la présentation générale du dispositif des séminaires de recherche pour les étudiants de deuxièmes années en masso-kinésithérapie, en ergothérapie et en pédicurie-podologie.
Les objectifs des ses séminaires sont de développer les compétences de conception d’enquête par entretien et par questionnaire, de favoriser la collaboration entre les filières de l’IFPEK (3 filières) et entre les étudiants, d’expérimenter des enquêtes (conception, administration, analyse critique), de mettre les étudiants en pédagogie active par le projet et enfin le plus important dans ce dispositif de vivre le rôle d’interviewés (développer la posture de l’enquêteur par le vécu de l’enquêté). L’organisation générale repose sur travail de groupe (4 étudiants). Des ressources pédagogiques ont été données aux étudiants avant les séminaires (pas de cours magistraux sur les méthodes de recherche). Accès à ces ressources via le Moodle institutionnel. Le temps de travail est estimé à 3 ou 4h pour les étudiants. Le scénario de chaque séminaire a été pensé en 4 temps : lectures préparatoires, conception d’un outil d’enquête en groupe de 4, expérimentation et administration de l’enquête (entre étudiant de groupes différents) et un dernier temps de retour et d’analyse réflexive avec synthèse finale en grand groupe.
Le premier séminaire « méthodologie de l’entretien ». Séminaire en présentiel (la semaine d’avant le confinement) sur une demi-journée : 110 étudiants pour 11 formateurs (formateurs et patients enseignants), une autre demi-journée à été organisé à la suite pour 110 autres étudiants des filières.
Le deuxième séminaire « méthodologie du questionnaire ». Séminaire en distanciel sur 3 jours (la première semaine du confinement), en plus de l’espace de cours de Moodle, nous avons mis en place un espace de régulation (Framapad, synchrone et asynchrone) avec une permanence des formateurs 2h par demi-journée le temps du séminaire. Trois formateurs étaient présents pour la gestion du séminaire dans lequel étaient inscrits 220 étudiants. Pour s’assurer de la participation active des étudiants, nous avons programmé deux phases de dépôt de document (un lien avec un questionnaire web et une synthèse réflexive. Au vu de l’urgence sanitaire et de la distance, la consigne avait été donné de faire le travail en individuel, tout en laissant libre de se regrouper s’ils le souhaitaient. Finalement et au vu de l’évaluation des séminaires, les étudiants ont préféré à 90% travailler en groupe, malgré la distance.
Est-ce que ce mode de travail coopératif n’est pas être trop difficile à appréhender par les étudiants et est-ce que l’ambiance d’apprentissage est apprécié des étudiants ?
A la suite de ces séminaires, nous avons fait une évaluation qualitative et quantitative (30% de retour des questionnaires d’évaluation). Nous trouvions l’ocassion excellente de comparer deux modalités et deux organisations, avec le même groupe d’étudiant. Nous étions quasiement dans des conditions expérimentales idéales.
Pour le ressenti global des séminaires, à 93%, les étudiants ont été convaincus de l’intérêt du travail collaboratif en interfilière.
Bilan à la suite du premier séminaire
Les étudiants se disaient peu confiants au début du premier séminaire, mais à la fin, ils se sont sentis capables de remplir la commande.
Si le dispositif génère de l’inquiétude en début de dispositif sur la capacité à répondre à la commande, à la fin du dispositif, ils se sont sentis capables de remplir la commande. Le niveau de difficulté ressentie semble adapté aux intentions pédagogiques (ni trop facile, ni trop difficile).
Il ne semble pas y avoir d’effet de filière (répartition assez uniforme des avis négatifs et positifs entre les filières).
Les étudiants sont satisfaits à 92% et ils sont 67% à avoir le sentiment d’avoir appris quelque chose (prise en compte des résultats au-dessus de la valeur médiane de l’échelle). Ce dernier chiffre est très largement au-dessus des résultats pour un cours magistral (selon les études, classiquement entre 30 et 40%).
Quelques Verbatim des étudiants :
· "Même si les journées étaient dynamiques de par les différentes activités proposées, elles restaient tout de même très longues et une fatigue était présente à la fin de ces deux jours" – Interprétation : apprendre c’est fatiguant !
· "Au départ le travail à distance (ndlr : les lectures préparatoires) me paraissait compliqué mais au fur et à mesure je me suis rendu compte que c’était bien organisé donc plutôt simple et intéressant à réaliser."
Bilan à la suite du deuxième séminaire
L’espace collectif de régulation (avec permanence des formateurs) a été utilisé pour 52% des étudiants, et ils ont trouvé cela utile à 43%.
30% des répondants n’ont pas eu besoin de venir poser des questions, les consignes leur semblant suffisamment claires.
Au niveau satisfaction, moins de la moitié des répondants étaient confiants au début du séminaire (42%, contre 10% sur le premier séminaire, ce qui montre une progression de la confiance dans l’organisation et la méthode entre le 1er et le 2e séminaire). A la fin du séminaire, 96% se sont sentis capable à de remplir la commande (nous interprétons cela comme le développement d’un sentiment de compétence).Le niveau de difficultés ressenties semble adapté à nos intentions pédagogiques (ni trop facile, ni trop difficile). Il ne semble pas y avoir d’effet de filière (répartition assez uniforme des avis négatifs et positifs entre les filières).
Les étudiants sont satisfaits du séminaire distanciel à 81%. Ils sont 73% à avoir le sentiment d’avoir appris quelque chose (prise en compte des répondants au-dessus de la valeur médiane de l’échelle de Lickert).
Globalement, la lecture des synthèses des étudiants montre que les étudiants ont bien atteint les objectifs pédagogiques que nous avions fixés pour ces séminaires : ce qui a été trouvé par l’expérience des étudiants aurait été délivré classiquement lors un CM. Nous pourrons vérifier la portée de ces premières expérimentations aux outils de recherche au cours des prochains travaux (dont le mémoire) que nous demanderons aux étudiants.
Quelques Verbatim des étudiants :
· "Le plus gros problème c’était la distance, mais ça vous n’y pouviez rien, donc mis à part ça, les consignes étaient plutôt compréhensives"
· "Je vous remercie pour l’organisation du séminaire en ligne malgré le confinement et le temps de préparation très court pour vous organisez"
· "Cela a été compliqué de le faire à distance, quand certains étaient disponibles, d’autres ne l’étaient pas (travail ou autre travail à faire pour l’école) mais grâce à la cohésion de groupe nous avons réussi à nous organiser"
Globalement, ce que nous pouvons retenir de ces séminaires :
- les étudiants réussissent à collaborer/coopérer, même avec la distance et sans imposer d’outils institutionnels
- ils semblent apprécier cette collaboration (même si certains le dise, il existe des inconvénients, comme les "passagers clandestins"
- nous n’avons pas vérifié les apprentissages de façon formelles, mais la lecture des synthèses des étudiants montrent que les étudiants ont bien appris des méthodologies, ils ont eu une expérience individuelle réflexives de la mise en place de cette méthodologie. Ce que nous n’aurions pas pu faire à travers un cours magistral classique.
- les étudiants ont le sentiment d’avoir appris quelque chose, et ont développé un sentiment d’efficacité personnel par une expérience réussie et positive sur le temps du séminaire
- le développement d’une "innovation" a permis à l’équipe pédagogique d’entrevoir d’autres possibilités pour les années futures.
- seulement 4 étudiants n’ont pas participé au séminaire à distance, nous sommes été sur les mêmes bases d’absence pour le séminaire en présentiel.
- il se pose toujours la question du recueil des traces de cette collaboration dans les groupes : comment cette collaboration est opérationnalisée entre les étudiants (est ce une division des différentes tâches, ou y a t il une réelle collaboration pour la conception des synthèses).
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