Certains transformeront ce titre en utilisant « ne que » (n’étaient que de), pourtant il faut reconnaître une réalité dont on peut penser qu’elle n’évoluera pas rapidement. IL faut d’abord revenir à l’idée initiale largement répandue qui voudrait que le numérique induirait, permettrait, des transformations pédagogiques. Ainsi dans un écrit de la Direction du Numérique pour l’Education, on peut lire : « Transformer la pédagogie et l’éducation avec le numérique » (https://eduscol.education.fr/ecogest/reseaux/interlocuteurs/documents-reunion-ian-2018/dne). Ceux qui lisent les écrits de ce blog connaissent notre analyse : ce n’est pas le numérique qui transforme la pédagogie, mais la pédagogie qui se transforme en utilisant ou non le numérique. Or le discours public et politique évoque souvent la transformation pédagogique par le numérique sans quasiment jamais entrer dans le détail de ces hypothétiques pratiques nouvelles. Le modèle de Ruben Puentedura parle de transformations des tâches et non pas de pédagogie marquant là une limite qu’il convient de souligner.
Avant de revenir au titre de cet article et aux explications qu’il nécessite, rappelons ici ce qu’est une transformation pédagogique. Pour parler de transformation il faut essayer de repérer le ou les modèles en place, en analyser le fonctionnement, imaginer d’autres modèles et tenter de les mettre en œuvre. A cette première analyse, il faut tenter de repérer ce qui pèse comme contrainte dans l’institution qui impose tels modèles plutôt que tels autres. Car la transformation ne se fait pas facilement si le cadre de celle-ci est contraint de manière importante. Le simple exemple du découpage disciplinaire, l’organisation horaire, mais aussi l’insistance sur certaines priorités didactiques et pédagogiques de la part du pouvoir institutionnel suffit à calmer les ardeurs et freiner toute transformation qui ne serait pas dictée ou conforme à ce que le pouvoir souhaite. Ainsi les préconisations de la rentrée 2020 – 2021 qui figurent sur le site officiel du ministère (https://eduscol.education.fr/cid152895/rentree-2020-priorites-et-positionnement.html) insistent très fortement sur les apprentissages qui sont qualifiés de « prioritaires », ceux de français et de mathématiques. De cette manière l’institution tente d’encadrer à l’aide d’outils et de ressources l’activité enseignante et donc d’imposer un modèle. Dès lors quelles transformations, autres que voulues par le pouvoir institutionnel sont possibles ?
Dans la même ligne, la circulaire de rentrée, comme chaque année depuis 1998, est un texte important pour tous les enseignants (https://www.education.gouv.fr/la-circulaire-de-rentree-2020-au-bulletin-officiel-305132) et elle indique là encore le modèle, ou les modèles à suivre. Hormis cette proposition : « Développer et certifier les compétences numériques des élèves » il n’est pas (plus ?) question d’une transformation des pratiques pédagogiques par et avec le numérique. On ne peut que constater, au travers de la politique menée et des documents qui l’accompagnent, que les moyens numériques sont devenus des auxiliaires pédagogiques. Nous parlons ici d’auxiliaires et non d’outils pour éviter la confusion classique qui induit souvent l’idée selon laquelle les technologies sont neutres que c’est l’enseignant qui en fait ce qu’il en veut. Or les travaux menés aussi bien sur les TBI, les tablettes et autres instruments, ont montré combien ces appareils contraignaient les pratiques et n’étaient pas neutres. Ou uniquement en On Off, c’est à dire le droit de ne pas les utiliser comme moyen de ne pas les « subir ».
Les trois mois de confinement ont confirmé ce rôle d’auxiliaire. Non il n’y a pas eu de grande nouveauté pédagogique qui ait émergé de ces trois mois. Il faut dire que les moyens mis à disposition par le ministère, entre autres, n’ont guère permis d’autre chemin que ceux tracés par une forme scolaire ancrée dans les esprits. Il faut ajouter que la plupart des enseignants ne souhaitaient guère autre chose que de revenir à l’état antérieur et que sur cette base, ils ont essayé la « transposition » (Ruben Puentedura) avec les moyens disponibles, moyens qui eux-mêmes cadraient bien (cf. la classe à la maison du CNED dont le classicisme pédagogique est aisément identifiable). Cependant, nombre d’entre eux ont pris des chemins de traverse mais sans pour autant inventer de nouvelles formes : le pouvaient-ils ? Probablement pas, tout au moins pour la très grande majorité. Car face à une situation d’urgence entre la fuite et le repli sur ce qui est connu rares sont ceux qui ont tenté des nouveautés (Eloge de la fuite, H. Laborit, A. Resnais).
Quelles transformations pédagogiques, si l’on fait abstraction des contraintes, on peut imaginer avec l’aide du numérique ? La plus ancienne est celle de l’Enseignement programmé, et assisté par ordinateur (EAO). Il s’agit purement et simplement de remplacer l’enseignant par la machine programmée. La plus récente est probablement la classe inversée, même si celle-ci ne doit pas vraiment grand-chose aux moyens numériques sur le plan pédagogique. Entre les deux, il y a des pratiques de différents types : collaboration, simulation, Mooc (CLOM), hybridation. Mais dans tous ces cas, à y regarder de plus près, les vraies transformations portent d’abord sur la place de l’enseignant et sur l’activité de l’élève au sein de l’espace d’apprentissage. Parce qu’il permet d’assouplir le recours au numérique ne transforme pas réellement l’enseignement, mais autorise des activités, des tâches qui sont difficiles à mettre en œuvre : ainsi en langue en est-il de l’écoute, du visionnage et de l’enregistrement. Aussi en mathématique avec la géométrie dynamique ou en physique ou en SVT avec la simulation. Dans toutes ces pratiques, on observe que la machine (et ses logiciels) est mise à contribution pour permettre à l’enseignant de tenir une autre place dans la relation avec l’élève, avec les élèves et pour amener les élèves à effectuer des activités qu’ils ne pouvaient faire que très occasionnellement voire pas du tout auparavant. Ces mêmes élèves sont aussi amenés à reconsidérer leurs relations aussi bien avec les autres élèves, les enseignants et plus généralement les adultes (pouvant devenir des partenaires et non rester de simples adversaires) et à repenser leur manière de considérer ce que c’est qu’apprendre.
Acceptons donc ici l’idée de l’auxiliaire pédagogique, mais un auxiliaire qui soutient, favorise, incite et permet des transformations. Le terme auxiliaire ne doit pas être considéré comme péjoratif. Bien au contraire, comme un pilier, un additif, un adjuvant, un catalyseur etc… Attention, on ne parle plus ici du « numérique » en général, formule bien trop vague, mais bien de tous ces moyens techniques, matériels, logiciels qui embarquent de l’intention humaine pour accompagner la pédagogie. Pour le dire autrement nous refusons l’idée d’un numérique éducatif en soi, mais bien d’une prise en compte progressive d’un environnement nouveau et en évolution qui permet d’envisager autrement certaines pratiques pédagogiques. L’exemple du TBI est suffisamment illustratif aussi bien dans les limites que dans les possibles. Certes il faut constater que ce sont les limites de cet auxiliariat qui sont les plus nombreuses et les plus visibles, mais de nombreuses évolutions sont possibles non seulement dans le dispositif technique (il serait intéressant de s’y attarder…) mais surtout dans la manière de « l’instrumentaliser » au service de son enseignement et non de se laisser instrumentaliser par une technologie dont l’intention pédagogique réelle est loin de celle annoncée par les vendeurs….
Mais alors d’où vient donc cette vieille idée de la transformation pédagogique par le numérique ? Il faut remonter aux tous débuts de l’informatique dans le monde scolaire (G.L. Baron 1987) et s’apercevoir que dès les origines de ces projets en 1970 cette idée de transformation était présente. On pourra relire à dessein les ouvrages de Seymour Papert et en particulier « le jaillissement de l’esprit », ce chercheur dont les travaux ont fortement impacté les modes de pensée de l’informatique scolaire aux environ de l’année 1985 et du lancement du Plan Informatique Pour Tous (IPT). En 1997, les cinq rapports qui tournent autour de l’informatique, du numérique et de l’éducation (Tregouët, Gérard, etc…) alimentent cette idée en s’appuyant désormais sur l’émergence d’Internet. Depuis, politiques, experts, chercheurs, commentateurs, ils sont nombreux à avoir voulu faire passer cette idée. C’est elle aussi qui a alimenté le discours des opposants à l’informatique et au numérique en milieu scolaire, souvent porteurs aussi d’un message d’une école d’antan qui aurait été idéale et surtout sans technologies.
L’illusion de la transformation de la pédagogie par le numérique doit laisser la place désormais à la recherche conjointe des évolutions pédagogiques d’une part et d’une approche critique des technologies du numérique et de leurs évolutions. Pour ce qui est de la technologie, le problème posé est celui de son appropriation quasi générale à l’échelle de la planète. Certes les critiques ne doivent pas manquer, mais les faits sont pour l’instant là et malheureusement aussi leurs conséquences parfois négatives (J. Ellul). Pour ce qui est de la pédagogie, il faut reconnaître une évolution constante dans le développement des enfants dans nos sociétés. De Platon à M. Gauchet, on peut retrouver les traces et les analyses de ces évolutions et de ce qu’elles interrogent l’enseignement, la transmission, l’éducation. L’exemple de Condorcet, des pédagogues du début du 20è siècle (pédagogies actives), des ordres religieux enseignants au 18è et 19è siècle, nombreux sont ceux et celles qui se sont essayé à faire évoluer les pédagogies en regard des évolutions de la société et des formes éducatives. Le colloque d’Amiens en 1968 avait marqué le terrain de ces évolutions plus récentes qui vont amener au collège unique et plus récemment à la scolarité obligatoire allongée. Impossible dès lors pour les enseignants et les éducateurs de ne pas prendre en compte ces changements qui concernent de manière très inégale de nombreux milieux sociaux. C’est l’émergence de l’individu comme priorité sociale qui amène une école qui se veut égalitaire à s’interroger actuellement. Les moyens numériques accompagnent bien sûr cet individualisme rampant et parfois le renforcent. Laissons de côté les illusions, choisissons peut-être les utopies, mais soyons aussi suffisamment critique pour ne pas se laisser « instrumentaliser » par les idéologies que certains tentent d’imposer.
A suivre et à débattre
BD
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