Le travail en groupe ou « apprentissage coopératif » est souvent utilisé en éducation, que ce soit à l’école, au collège, au lycée ou à l’université. En 2018, une enquête de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur les pratiques éducatives a mis en évidence que près d’un enseignant français sur deux, sur 1400 personnes interrogées, s’appuyait sur des travaux en petits groupes au sein de leur classe.
S’ils considèrent généralement la coopération comme utile, notamment pour promouvoir l’empathie, l’esprit critique ou encore la motivation des élèves, enseignants et enseignantes ne vivent pas toujours positivement la mise en place de ces expériences.
La psychologie sociale a depuis longtemps identifié les difficultés liées au travail en groupe, comme les phénomènes de paresse sociale, de pensée de groupe, ou encore de conformisme.
Dans le cadre de groupes où la coopération n’est pas structurée efficacement, certains élèves peuvent profiter de la situation et ne pas contribuer au travail collectif : c’est le phénomène de paresse sociale. La pensée de groupe émerge quant à elle lorsque les membres du groupe doivent aboutir à un consensus, alors que les contraintes temporelles et de ressources sont importantes. Dans ce cas, les individus ont tendance à se conformer à la majorité, et la qualité du produit de groupe peut se retrouver impactée.
Fixer des objectifs communs
Ainsi, un travail de groupe peu structuré peut entraîner une diminution des efforts individuels. La recherche en éducation indique qu’il existe différentes manières de structurer l’apprentissage coopératif afin d’optimiser son efficacité et de remédier aux difficultés évoquées précédemment. Les frères David et Robert Johnson (2009) ont identifié plusieurs éléments qui déterminent l’efficacité de la coopération.
Tout d’abord, il faut mettre en place un but commun et une situation où chacun des membres du groupe soit incité à s’impliquer s’il veut augmenter à la fois la réussite individuelle et collective. Cette « interdépendance positive » génère des opportunités pour les étudiants de s’engager dans une gestion de groupe et des comportements d’aide qui, à leur tour, améliorent l’apprentissage.
Dans un contexte éducatif, le but commun peut consister en un exposé, un rapport écrit ou bien en des évaluations, collectives ou individuelles. Afin de réduire les effets de paresse sociale, des chercheurs et chercheuses conseillent de responsabiliser les participants en les contraignant à rendre compte de leur travail. Le groupe ainsi que les membres qui le constituent doivent alors être évalués sur leur capacité à remplir les objectifs pédagogiques fixés par l’enseignant ou l’enseignante.
Dans cet article, nous avons choisi de nous concentrer sur l’une de ces méthodes d’apprentissage coopératif : « la classe puzzle ». Cette dernière a été créée par Aronson et ses collègues dans les années 1970, afin de favoriser l’intégration des minorités ethniques suite à la déségrégation des écoles américaines. Depuis sa création, plus d’une centaine d’articles empiriques ont été publiés sur la « classe puzzle », qui jouit d’une popularité importante auprès de nombreux enseignants.
Apprendre à expliquer
La « classe puzzle » est structurée de manière à suivre trois étapes principales, décrite ci-dessous.
Phase « individuelle » : Dans un premier temps, chaque membre des groupes (constitués de 4 à 6 élèves) travaille individuellement une partie du matériel à apprendre préalablement divisé par l’enseignant‧ ou enseignante (ici 3 contenus représenté par une couleur différente). Dans notre exemple, il pourra s’agir d’une synthèse d’informations sur des thèmes complémentaires caractérisant la période comme : les grandes découvertes (Bleu), la monarchie absolue en France (Jaune) ou encore la Révolution française (Vert).
Phase « expert » : Dans un second temps, chacun des élèves quitte son groupe pour rencontrer, dans le cadre d’un nouveau groupe de travail, les élèves disposant du même corpus d’informations qu’eux. Ils forment ainsi un groupe d’experts pour échanger, synthétiser ces informations. Par exemple, le groupe 1 sera composé d’élèves ayant travaillé sur la sous-partie « les grandes découvertes ».
Cette étape du processus est particulièrement importante car elle fournit aux élèves les moins chevronnés l’occasion de prendre appui sur leurs camarades plus expérimentés afin de maîtriser au mieux le corpus d’informations qui leur a été attribué. Les groupes « experts » donnent à tous les élèves l’occasion de se faire une idée précise de la façon de présenter le matériel à leurs camarades et ce, sans tenir compte des inégalités antérieures en matière de compétences ou de préparation.
Phase « puzzle » : Enfin, les élèves retournent dans leurs groupes d’origine et vont exposer le matériel sur lequel ils sont devenus « experts » à leurs camarades. Ainsi, chaque groupe accède à la totalité du contenu du cours en mettant en commun les connaissances des différents membres, à la manière d’un puzzle.
Pour structurer l’interdépendance positive, l’enseignant peut préparer une évaluation portant sur l’intégralité des contenus ou bien des exposés de groupe qui nécessitent l’articulation des différentes sous-parties entre elles, par les élèves. En effet, il est important que les élèves intègrent les informations et développent un point de vue global sur la leçon.
Pour résumer, la « classe puzzle » est une approche qui nécessite de la rigueur dans le bon déroulé des étapes. Ainsi il est préférable d’anticiper la création des groupes, l’agencement de la classe et la préparation du matériel en amont pour ne pas perdre de temps lors du cours.
La principale difficulté réside dans la capacité des étudiants à résumer et transmettre les idées principales des contenus qu’ils doivent étudier. Expliquer et enseigner n’est pas simple. D’ailleurs, des travaux en psychologie de l’éducation proposent d’entraîner les étudiants et étudiantes avant de mettre en place de telles pratiques afin de maximiser leurs effets.
Ritualiser les cours ?
Outre l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences, « la classe puzzle » permet bien souvent de créer un tissu relationnel précieux pour les étudiants et étudiantes, dont on connaît les effets bénéfiques pour la qualité de vie et la réussite universitaire. C’est un élément important à l’université car certains sont en situation d’isolement social, notamment lors des premières années de la Licence.
Néanmoins, il est à noter qu’avec cette méthode, les étudiants sont experts d’une partie du puzzle seulement. Cette limite implique donc de s’assurer que chacun et chacune a eu l’opportunité de prendre connaissance de manière approfondie des autres parties du puzzle. À l’université, ce travail personnel d’approfondissement peut être réalisé à la maison.
De la même façon, la « classe puzzle » peut se pratiquer dans le secondaire. Lors d’entretiens avec des professeurs de collège ayant expérimenté cette méthode pendant un trimestre, une implication et une participation accrue des élèves dans leurs classes ont été relevées : la majorité des élèves ont joué le jeu, aidé leurs pairs, et assumé la mission du travail commun, certains ayant même adapté la répartition des ressources et des rôles dans leur propre travail à la suite de l’expérimentation.
Les personnes interrogées ont néanmoins soulevé quelques limites concernant l’utilisation de la méthode de la « classe puzzle ». Selon eux, elle nécessite une adaptation de la pratique enseignante et une préparation importante pour mettre en place différentes activités et répartir les élèves dans les groupes. De la même manière, tous les élèves n’ont pas participé avec le même degré d’engagement et d’enthousiasme, et la communication dans les groupes n’a pas été aisée lors des premières séances de travail en coopération.
À ce titre, les enseignants et enseignantes ont soulevé l’importance de la « ritualisation » de leur cours, étape importante pour que les objectifs de la leçon et le fonctionnement de la classe puzzle se déroule efficacement. Malgré tout, pour ces enseignantes et enseignants, les apports de la « classe puzzle » sur le développement de leurs élèves ont été substantiels, et leur satisfaction envers le dispositif les a amenés à réfléchir à d’autres manières d’implémenter le travail de groupe dans leurs classes. Alors, prêt à « oser les pédagogies coopératives » ?
Arnaud Stanczak a reçu des financements du Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse - ProFAN, des compétences pour les emplois du futur.
Anaïs Robert a reçu des financements du Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse - ProFAN, des compétences pour les emplois du futur.
Dans le cadre de la recherche et de la création d’innovations, Michael Dambrun a reçu des financements des organismes suivants : Cancéropole Lyon Auvergne Rhone-Alpes (CLARA), la Mildeca, ANR, PIREF, chèque Recherche-Innovation (CAP 20-25), SATT Grand centre.
Michael Dambrun est membre de l’association RPsyGem.
Vos commentaires
# Le 4 décembre 2023 à 11:59, par Herve DESPREZ En réponse à : Avec les « classes puzzles », favoriser la coopération entre élèves
Bonjour , j’ai compris le contenu des classes puzzles
# Le 4 février à 18:31, par sandrine R En réponse à : Avec les « classes puzzles », favoriser la coopération entre élèves
Bonjour , j’ai compris le contenu des classes puzzles
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