Un article repris du blog "Veille et analyse TICE" de Bruno Devauchelle, une publication sous licence CC by sa nc
Mettre en place un environnement qui permet d’apprendre et de se développer est la mission première des éducateurs. Nous rejoignons ici le travail mené par Pierre Falzon sur cette notion liée à « l’ergonomie constructive » (PUF 2013 et conférence https://www.youtube.com/watch?v=Aizc4etchUc). Bien que cette approche soit liée au monde du travail et de l’organisation, nous proposons d’en faire une transposition dans le monde éducatif et en particulier celui de l’enseignement. Voici pour commencer deux passages de l’introduction du livre de ce chercheur professeur au CNAM :
« L’objectif de l’ergonomie doit être le développement. Développement des individus, grâce à la mise en place de situations d’action qui favorisent la réussite et l’acquisition ou la construction de savoir-faire, de connaissances, de compétences. Développement des organisations, grâce à l’intégration dans les organisations elles-mêmes de processus réflexifs, ouverts aux capacités d’innovation des opérateurs eux-mêmes. Développement des individus et développement des organisations ne sont possibles que si les individus disposent de marges de manoeuvre, de libertés d’action, ces dernières incluant la possibilité de construire de façon continue les règles du travail. »(p.2)
« L’être humain a un appétit naturel pour l’acquisition de compétences. Pour tout ergonome, c’est une observation constante : les opérateurs développent des savoir-faire, des procédures, des techniques au cours et du fait du travail. Cette tendance spontanée à apprendre et découvrir doit être encouragée : elle contribue à la fois à la qualité du travail pour l’opérateur et au progrès des organisations. »(p.10)
Les éducateurs sont tous concernés par ces analyses. Parmi ceux-ci les parents et les enseignants sont ceux qui sont le plus souvent considérés comme en capacité de mettre en place de tels types d’environnements. Si les parents le font par contrainte de situation, les enseignants le font par choix professionnel. Tous les deux ont en charge de « faire passer », de transmettre. Même s’ils ne sont pas les seuls, ils sont ceux qui ont une responsabilité de premier rang. On devrait désormais parler de concevoir et mettre en oeuvre un environnement capacitant plutôt que de parler d’enseigner. C’est aussi ce que chaque parent tente de faire lorsque arrive un enfant et que dès les premières années il va faire évoluer cet environnement. Ainsi pourrait-on imaginer une ergonomie constructive dans le système scolaire.
Pour aider à comprendre cela et surtout le mettre en oeuvre, je propose quatre possibilités de réflexion et d’action à approfondir :
1 – Les quatre fondamentaux de l’apprentissage complètent l’analyse proposée par Falzon en partant ici de ce qui se passe dès la naissance de l’enfant puis dans son développement.
– Observer, imiter, reproduire, percevoir : appropriation
– Expérimenter, essayer, tenter, oser :
– Interagir, échanger, partager : communication réciproque
– Réfléchir, repenser, reformuler : réflexivité
2 Des activités qui aident à apprendre sont autant de moyens d’enrichir un environnement capacitant
2.1 Plutôt individuelles
– Consultation de documents (textes, audio, vidéo)
– Lire, regarder, écouter, avec ou sans prise de notes
– Consultation/recherche de documents en vue de réaliser une tâche dirigée
– Répondre à des questions fermées (QCM…) présentées sous forme d’exercices répétitifs
– Extraire, sélectionner des éléments des documents en réponse à une question
– Faire une analyse comparative de documents en vue d’évaluer les convergences et divergences
– Faire une analyse avancée de documents en vue d’en rassembler les éléments essentiels
– Poser une problématique à partir d’une situation observée et analysée
– Rassembler des documents, choisis, cherchés, pour en faire un dossier documentaire
– Construire une grille d’analyse, d’observation en vue de mener un traitement de données
– Étudier les documents à partir de cette grille
– Réaliser une synthèse et la présenter
2.2 Plutôt en groupe à partir d’un problème
– Mener une enquête sur un terrain
– Mettre en oeuvre un recueil de données méthodique
– Observation du terrain
– Élaboration d’un questionnaire
– Conduites d’entretiens
– Proposer une synthèse individuelle puis collective
– Présenter la synthèse au groupe puis à l’enseignant
– Mener un débat collectif en ligne, en direct ou en différé (appelé aussi activité collaborative médiatisée
– Dans le groupe, on attribue un texte ou une vidéo à deux ou trois étudiants
– Chaque groupe propose sur un forum : la présentation du document et une ou deux questions que l’on peut mettre en débat à partir du document
– Pendant une ou deux semaines, il est demandé à chacun des participants de prendre part au débat
– Les étudiants qui proposent le débat animent et régulent les échanges
– En fin de période, le groupe propose une synthèse des échanges
– Travailler des ressources
– Construire une bibliographie commentée
– Rédiger des fiches de lectures
– Assembler et scénariser des contenus de sources diverses en vue d’en faire une présentation utilisable par d’autres
– Mener un projet collaboratif de production pour un « client »
2.3 En groupe ou en individuel
– Analyser la demande du client
– Elaborer un cahier des charges de la réponse à une demande d’un client
– Construire les livrables
– Faire une autoévaluation
– Présenter le travail au commanditaire
– Élaboration d’une production à partir de ressources données ou recherchées par l’étudiant
– Construction d’un dossier écrit et illustré
Réalisation d’une production multimédia (webdocumentaire etc…)
- – audio
- – vidéo
Réalisation d’un exposé oral à proposer à distance
3 – Des compétences pour être acteur de son apprentissage et ainsi associer le sujet à son environnement avec lequel il interagit et dans lequel il vit.
– Autodirection : Construire une trajectoire de manière progressive pour progresser
– Autoévaluation : Mesurer son évolution
– Autorégulation : Prendre en compte les évènements pour orienter sa trajectoire
– Autoformation : Être capable d’apprendre de manière informelle
– Apprentissage expérientiel : Tirer profit des situations personnelles et professionnelles pour construire ses compétences
– Autonomie : Se construire des règles, les mettre en oeuvre et les respecter
4 – Des modèles d’intervention auprès d’une ou plusieurs personnes : la variété des modes de transmission s’incarne dans des choix d’organisation pédagogique, dans une perspective ergonomique
– Diffusionniste : faire passer une information en la transmettant en flux
– Déductif : faire appliquer des savoirs appris dans des situations spécifiques de mise en oeuvre
– Inductif : faire construire des connaissances à partir de situations vécues
– Immersif : faire vivre des situations réelles ou simulées et apprendre de l’expérience
– Interactif : Organiser la mise en relation de personnes autour d’une élaboration de connaissances en commun, apprendre avec les pairs
Conclusion
La notion de capabilité développée dans les travaux d’Amartya Sen parfois traduite par « empowerment », mérite d’être utilisée en éducation si l’on veut actualiser les finalités de la scolarité. Si le concept d’émancipation est utilisé comme fondamental de l’éducation, il s’est avéré incomplet, car il ne prend pas suffisamment en compte la dimension propre au sujet qui apprend, et sa capacité à gagner par lui-même cette émancipation. Si en cette période de crise le terme de résilience semble refaire surface, il n’est pas non plus porteur de la dimension propre à la dynamique du sujet que porte la notion de capabilité. On comprend alors pourquoi l’expression « environnement capacitant » est désormais pertinente pour fournir le cadre de l’action enseignante.
A suivre et à débattre
BD
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |