Innovation Pédagogique et transition
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Apprendre en jouant

17 janvier 2021 Veille 492 visites 0 commentaire

Un article repris de http://www.cahiers-pedagogiques.com...

Cet ouvrage, écrit par des chercheurs responsables de laboratoires d’innovation pédagogique, va confronter le lecteur à diverses problématiques : le jeu est-il une idée nouvelle ? Une ruse pédagogique ? Est-il surtout destiné aux enfants ? Permet-il d’améliorer les apprentissages ? Est-ce une activité solitaire qui privilégie la compétition ? Ne permet-il de développer que des compétences procédurales ? Peut-on évaluer par le jeu ? L’intelligence artificielle va-t-elle remplacer les enseignants par des jeux ? Et enfin, apprend-on (mieux) en jouant ?

Mais d’abord, qu’est-ce qu’un jeu ? La question n’est pas tranchée, et renvoie pour certains à l’artefact, pour d’autres à l’activité elle-même. L’emballage d’un cadeau peut constituer un support de jeu, en devient-il jeu lui-même ? Le jeu n’est-il pas dépendant de l’usage de celui qui s’en empare ? Dès l’introduction, les auteurs explicitent un des fils rouges de l’ouvrage : il y a subjectivité dans la problématique elle-même, et il va falloir en tenir compte.

Quel est le lien, ensuite, entre jeu et apprentissage ? Là aussi, les auteurs font un choix : ils ne retiendront pas l’expression serious game, et prennent ainsi position dans un débat vif ces temps-ci. Reconnaitre les serious games induirait une focalisation sur l’objet jeu. Or, un jeu ne possède pas des vertus d’apprentissage en lui-même, la plupart du temps. Ces vertus dépendent du contexte, de l’analyse à postériori avec les usagers, de la façon dont l’enseignant a choisi de jouer son rôle de médiateur. Une partie du propos du livre est ainsi livrée dans l’introduction, mais c’est toute sa lecture qui permettra de vraiment le comprendre.

Les chapitres peuvent être lus de façon indépendante. Il en résulte un naturel entrelacs des thématiques étudiées, qui parfois donnent un sentiment de répétition lors d’une lecture linéaire. Mais la forme dynamique et régulière de la structure de l’ouvrage le pallie. Les très nombreux exemples présentés sont variés à tous égards et donnent envie de découvrir des jeux non encore connus. La part belle est faite aux jeux vidéos et aux usages numériques.

Je ne vais citer ici qu’un des points qui m’ont intéressée dans cet ouvrage : la question des objectifs du jeu pour apprendre. Il existe une multitude de types de jeux, qui peuvent viser à faire acquérir des connaissances, des compétences, des attitudes. Certains jeux constituent bien des situations didactiques qui permettent à l’usager de s’engager de façon autonome, de parvenir à résoudre la tâche par le biais de rétroactions, en s’appuyant sur ses erreurs positivement, et permettent en effet des apprentissages disciplinaires. Mais une qualité reconnue du jeu (dès Érasme) est de favoriser l’engagement de l’enfant. Cela suffit-il à valider l’usage du jeu ? Ou est-ce l’effet nommé « chocolat sur brocolis », qui attirera de façon temporaire, mais ne transformera pas le brocoli en guimauve ?

Une certaine culpabilité pèse alors sur l’usage du jeu à l’école : au final, n’est-ce pas un stratagème pour compenser une impossibilité des enseignants à intéresser, ou une impossibilité des élèves à gouter aux savoirs de leur propre volonté ? Les auteurs vont lever les implicites et répondre aux questions auxquelles il est possible de répondre, tout en nuances. Et (spoiler !) écrire un beau plaidoyer pour le métier d’enseignant.
Car en fin de compte, ce sont les gestes professionnels de l’enseignant qui sont interrogés tout au long de cette lecture. La question n’est plus de savoir si on peut apprendre en jouant. La question est de savoir comment s’emparer du jeu pour enrichir les dispositifs d’apprentissage, comme un outil supplémentaire qui ne se substitue aucunement à la réflexion et à la créativité des enseignants.

Claire Lommé

Questions à Margarida Romero et Éric Sanchez


Ce livre, sur quoi s’appuie-t-il ?

L’idée est née d’une conférence conjointe que nous avons donnée en 2019 à Québec. La conférence portait sur les idées fausses, les mythes sur l’apprentissage par le jeu et en particulier avec les jeux numériques. Nous avons souhaité contribuer à déconstruire ces mythes et poursuivre l’aventure en écrivant cet ouvrage. L’ouvrage vise à déconstruire neuf mythes en nous appuyant sur les résultats de la recherche, en particulier nos propres travaux, conduit en France, au ­Québec, en Espagne ou en Suisse.

Le jeu est-il plus utilisé pédagogiquement ces dernières années ?

On observe de nombreuses initiatives institutionnelles ou émanant de collectifs d’enseignants sur cette question. On observe aussi un certain dynamisme de la recherche dans ce domaine par le biais de communautés de recherche comme la Games and Learning Alliance (GALA). L’éducation n’échappe pas à une tendance de fond, qui se traduit par un intérêt croissant pour le jeu. C’est vrai pour les jeux récréatifs, mais aussi pour des secteurs pour lesquels l’usage du jeu est moins conventionnel. Rappelons par exemple que le jeu Can’t Stenchon the Mélenchon (Fiscal Kombat) a été utilisé lors de la dernière campagne présidentielle, et que la marque Balenciaga vient d’organiser son dernier défilé sous forme de jeu vidéo pour cause de crise sanitaire.

Vouloir favoriser l’engagement de l’enfant est-il suffisant pour avoir recours au jeu en classe ?

C’est souvent l’argument avancé. Le jeu serait alors une ruse pédagogique destinée à tromper l’élève et l’amener à s’engager dans des activités d’apprentissage supposées peu motivantes. La recherche montre que le jeu présente bien d’autres qualités intéressantes pour l’apprentissage. C’est par exemple une manière de laisser une certaine autonomie aux élèves et de développer leur motivation intrinsèque, mais aussi de leur permettre de s’appuyer sur leurs erreurs pour progresser et disposer de rétroactions rapidement, ce qui est un élément favorisant les apprentissages. On peut aussi évaluer avec des jeux. Le jeu est bien plus qu’une simple ruse pédagogique, mais il est important que les enseignants s’engagent sur le choix et une intégration pédagogique des jeux appropriée.

En quoi le jeu permet-il plus de différencier, de faire de l’erreur un matériau pédagogique et didactique, et de créer des situations qui favorisent l’engagement ?

Nous utilisons de préférence l’expression « situation ludicisée » pour souligner le changement de sens que le jeu permet par rapport à une situation ordinaire. Ainsi, avec le jeu Classcraft, la salle de classe est un « champ de bataille » où il faut respecter les règles pour « survivre ». Avec Geome, la visite au musée permet aux élèves d’endosser le rôle d’un professionnel de l’environnement et de s’interroger sur leur rapport à la nature. Le jeu permet surtout de vivre une expérience signifiante au cours de laquelle l’élève accepte la responsabilité de résoudre un problème. Dans ce cadre, il peut être amené à réviser sa manière de penser et d’agir et donc à apprendre. Mais c’est surtout en portant un regard réflexif sur cette expérience qu’il pourra développer des savoirs transférables.

Finalement, enseigner par le jeu, est-ce plus difficile ou délicat pour l’enseignant ?

Le rôle de l’enseignant est crucial tout au long du processus, dans la conception de l’activité d’apprentissage basé sur le jeu, son orchestration, la rétroaction et le débriefing à la fin de l’activité de jeu. Il est souvent coconcepteur des jeux qu’il utilise, il a en charge la conception du scénario d’usage du jeu. L’enseignant peut également endosser le rôle de maitre du jeu qui crée l’atmosphère ludique et la maintient pendant le jeu, orchestre le jeu et s’assure du respect des règles. En tant qu’expert de sa discipline, c’est lui qui valide les apprentissages, nomme les concepts mobilisés pendant le jeu, etc. C’est là tout un travail d’ingénierie didactique et d’orchestration pédagogique que l’enseignant doit assurer. Mais ceci est finalement assez proche des tâches qu’il doit habituellement prendre en charge. À Fribourg, en Suisse, la formation des enseignants comprend un cours de didactique qui s’apparente à un cours de game design, car les modèles et concepts sont finalement très proches.

Est-ce que l’épisode du confinement apporte des éléments nouveaux sur le rapport jeu-apprentissages ?

Le domaine du jeu vidéo en particulier mais pas uniquement (pensons par exemple au Scrabble ou aux échecs), qui s’est largement converti au jeu en ligne bien avant le confinement, pourrait inspirer les pédagogues. S’appuyer sur la collaboration au sein d’équipes, proposer des défis motivants ou permettre le travail asynchrone, c’est un peu devenir un concepteur de jeu ou game designer. L’épisode de confinement nous a permis de nous rendre compte à quel point nous sommes des mammifères ayant besoin de socialisation et d’engagement sur des activités conjointes.

Propos recueillis par Claire Lommé

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L’image d’Épinal veut que l’enseignant soit seul dans sa classe face aux élèves. Or, de nombreuses pratiques de co-intervention, régulières ou ponctuelles, existent au sein des classes. Ce dossier s’intéressera donc à la co-intervention et au coenseignement, à ces espaces-temps où on est deux en classe avec les élèves.

Licence : CC by-nc-nd

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