À la rencontre de figures inspirantes (d’hier et d’aujourd’hui) pour la socialisation démocratique dans et par l’éducation

Un dossierde la revue Education et socilaisation

Pour toute perspective de socialisation éducative et/ou scolaire en général (Durkheim, 1992/1999 ; Simmel ; 1908/2013), si l’on souhaite envisager cette dernière à l’aune de l’idéal démocratique en particulier (Dubar, 1997/2015 ; Paturet, 1998 ; Vincent, 2019), nul élève ne doit être vu comme une cire vierge. Qu’en est-il de ceux qui cherchent, guident, accompagnent, enseignent et managent ? Les maîtres ont eu des maîtres (Steiner, 2003). Chacun, un jour ou l’autre, n’a-t-il pas été pris par la main ? Il convient alors de jeter un regard rétrospectif et projectif, empreint de gratitude comme de critiques, sur ceux qui furent les maîtres à penser, bref de réfléchir à nos origines idéologiques, pragmatiques et académiques. Plus que de chercher nos pères, très souvent parmi nos pairs, de rechercher nos grands-pères, ceux qui ont construit les paradigmes dans lesquels se déploient nos pensées, nos axes et nos actes.

Le présent dossier a donc souhaité contribuer de manière originale à ce complexe champ de réflexion sur la conversion du projet démocratique en pratiques éducatives (Blais et al., 2002/2013 ; Dubet et Duru-Bellat, 2020 ; Dupeyron, 2021 ; Meirieu, 2020, Merle, 2002/2017 ; Prost, 1992/1997 ; Statius, 2009) en s’emparant plus spécifiquement des théoricien.ne.s et de praticien.ne.s que l’on peut à bon droit identifier comme des « figures inspirantes pour une socialisation démocratique dans et par l’éducation ».

Il s’agissait ainsi en premier lieu de comprendre en quoi chaque figure étudiée, sa personne, son œuvre, ses positions, ses concepts et ses écrits étaient aujourd’hui encore inspirants ou en quoi ils ont été inspirants de pensées et pratiques visant à une socialisation démocratique dans et par l’éducation. En quoi cette personne, en tant qu’homme ou femme de théorie et/ou de pratique, marque notre époque, directement ou indirectement, dans les différents champs qu’elle a abordés ? En quoi cette figure a-t-elle fait école ? Dans quels domaines, selon quelles modalités et dans quelles institutions trouve-t-on des traces, des marqueurs de sa pensée ? Peut-on parler à leur endroit de figures d’autorité (Pain et Vulbeau, 2001 ; Prairat, 2010) ? Mais, avec et au-delà de la personne, il s’agissait également de penser les concepts, les idées, les épistémologies, les méthodologies que ces mêmes figures ont développées. Un défi clé était ainsi de reconnaître et d’interroger les filiations, les généalogies, les cultures et, à travers elles, la construction identitaire de chacun en tant que sujet, acteur social et institutionnel, chercheur et enseignant. Le geste de l’inspiration en éducation questionne également celui de la critique comme de l’utopie, de la peur comme de l’espoir (Cornu, Pompougnac et Roman, 1990 ; Pereira, 2018 ; Rancière, 2005).

L’ombre d’une appréhension partielle voire partiale desdites figures, et peut-être même d’une instrumentalisation de ce qui est inspirant, ne pouvait que planer sur un tel projet intellectuel. S’il semblait nécessaire de l’accepter et de l’assumer, jusqu’à un certain point, la rigueur scientifique exigeait également de pouvoir justifier cette prise de risque dans sa singularité chaque fois qu’elle survenait, de l’analyser et de la mettre en perspective avec les données historiques et les connaissances contemporaines. Chacune et chacune des contributrices et contributeurs de ce dossier y a sacrifier à sa manière.

Ledit dossier se conçoit donc également comme un espace potentiel de dispute intellectuelle et de recontextualisation plus que de revisite et/ou d’affirmation d’une orthodoxie ou d’une orthopraxie. Conséquemment, les autrices et les auteurs ont cherché à penser la figure inspirante autant qu’à partir de la figure inspirante. Quels que soient leurs terrains d’exercices et leurs coordonnées d’énonciation - université, institution, cabinet, association -, leurs statuts ou leurs fonctions, elles et ils ont cherché à dévoiler, penser, révéler, analyser, critiquer, mettre en perspective les figures inspirantes à travers leur vie, leurs écrits, leurs idées, du point de vue du développement des liens sociaux pour lesquels elles et ils ont œuvré ou contribué.

De Comenius (1592-1670), auquel est consacré le texte de Magdalena Kohout-Diaz et Martin Strouhal, à Greta Thunberg (2003-…), qu’abordent Ludovic Aubin, Cécile Redondo, Renaud Hétier et Nathanael Wallenhorst, c’est ainsi un voyage historique et pédagogoque à la découverte de figures inspirantes d’ici et d’ailleurs, et sur près de cinq siècles, que ce dossier invite le lectorat à entreprendre. En chemin, il croisera ainsi les destins et œuvres de Joseph Jacotot (1770-1840) (texte de Philippe Glâtre), Francisco Ferrer (1859-1909) (texte de Cécile Morzadec), John Dewey (1859-1952) (texte de Michel Fabre), Gandhi (1869-1948) (texte de Sandrine Breithaupt, Nicole Goeteschi-Danesi, Nadia Lausselet et Jessy Piguet), Giuseppina Pizzigoni (1870-1947) (texte de Sandra Chistolini), Raymond Aron (1905-1983) (texte de Camille Roelens), Paulo Freire (1921-1997) (texte de Yohan Dubigeon et Irène Pereira), Fernand Oury (1920-1998) (texte de Frédéric Canac, Arnaud Dubois et Patrick Geffard), André Gorz (1923-2007) (texte de Céline Chauvigné et Axel Honneth (1949-…) (texte de Charles-Antoine Bachand). Un bel aréopage, qui, espérons-le, inspirera aussi l’envie de le compléter.