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Intelligence collective et pas de côté, transcription de l’interview de Jean Michel Cornu par Radio U

23 septembre 2024 par Michel Briand Veille 191 visites 0 commentaire

Un article repris de http://www.cooperations.infini.fr/s...

Durant le 11 ème Forum des usages coopératifs qui s’est déroulé à Brest du 2 au 4 juillet 2024, Radio U a réalisé une dizaine d’interviews aujourd’hui mises en ligne . Pour faciliter la diffusion de ces contributions au Forum sur les "pas de côté", j’ai entrepris de les retranscrire (avec les limites du passage d’un oral à l’écrit).

Voici la transcription de l’interview de Jean Michel Cornu par Radio U autour de l’Intelligence collective et des pas de côté.

Intelligence collective et pas de côté, transcription de l’interview de Jean Michel Cornu par Radio U

Voici la transcription légèrement revue, réalisée avec l’aide du logiciel libre Scribe et en cours de validation par la personne interviewée

Introduction par Radio U

Du 2 au 4 juillet 2024, s ’est déroulé le Forum des Usages Coopératifs à Brest. Pour cette 11e édition, organisée par le service médiations et usages numériques de la ville de Brest, c’est sous le thème des pas de côté que les participants et participantes ont abordé différentes manières de coopérer sur des sujets d’actualité et de société.

Rencontres, échanges, forums ouverts, conférences ou encore ateliers, Radio U a suivi plusieurs acteurs et actrices qui ont fait vivre ces journées.

Radio U : Bonjour Pouvez vous présenter ?

Je suis Jean-michel Cornu et suis un spécialiste de la coopération, l’intelligence collective. J’aide beaucoup des facilitateurs à monter des communautés qui sont durables pendant deux, dix, ou vingt ans pour arriver à travailler ensemble et mettre les gens ensemble.

Radio U Et alors, jean-michel, quel est votre rapport avec le forum ouvert des usages coopératifs ?

C’est une très longue histoire, parce que je crois que c’est le onzième et depuis plus de vingt ans ! En 2000, j’avais fait un premier livre : La coopération de nouvelles approches, qui essayait de rassembler toutes les bonnes idées qu’on avait eu un peu partout autour du logiciel libre, de ce que j’avais réussi, ce que j’avais raté, etc. Pour la première fois, on a commencé à trouver un angle, c’est-à-dire une façon de réfléchir les choses. Et, du coup, il y a eu avec des associations comme Tela-botanica sur les botanistes, Michel aussi, etc. un petit groupe qui a commencé à se former autour de la coopération d’où est né le forum pour élargir autour de la coopération. Je me rappelle le tout premier forum, et c’est un truc intéressant, je travaillais sur la coopération à la fois dans des milieux un peu industriels, avec la fondation internet nouvelle génération (FING) et sur des télévisions participatives dans les squats. Et mon plus gros problème lors du premier forum, une fois que Michel a lancé cela, c’est comment je m’habille parce que ce n’était pas le même dress-code dans les deux cas.

Je ne pense pas en avoir raté un. Au départ, j’ai fait beaucoup de présentations, puis maintenant, je suis heureux de voir qu’il y a pas mal de gens qui ont vraiment monté en compétences. Pour moi, ça a été le démarrage de ce que j’appelle l’approche francophone de la coopération parce qu’il y a plein d’approches dans le monde. Les anglo-saxons pensent qu’ils sont très fort pour mesurer la coopération ; ils vont voir dans wikipedia ce qui marche et ce qui ne marche pas, de façon incroyable, mais ils ne sont pas très fort pour monter des choses. Les hispanophones, eux, sont très forts pour monter les choses avec des gens très militants du genre Podemos on prend deux cents personnes à la sortie du métro et là, on fait un forum avec tous ces gens-là, c’est super structuré, c’est incroyable, c’est magnifique. Et là, avec le forum des usages coopératifs, et après tout ce qui a continué, Moustic, Co-construire, c’est toute une approche où on touche les gens qui ne sont pas forcément militants, c’est à dire qu’ils ne vont pas forcément sacrifier leur vie de famille, leur boulot, etc. mais qui sont prêts à coopérer. On a développé beaucoup "comment on va mettre en réseau des personnes qui font plein de choses à côté et qui n’ont pas forcément de temps", et donc on va dire, pour simplifier, comment on anime des gens qui n’ont pas le temps, avec des gens qui n’ont pas le temps.

Radio U : Donc, c’est vraiment ça l’utilité de ce forum, c’est ce que les gens viennent chercher. En tout cas, c’est ce que vous ressentez.

Oui, c’est vraiment ce que je ressens. La très grande force du forum, ce n’est pas simplement qu’on est dans un entre-soi, mais qu’il y a des gens très différents, de collectivités territoriales, des alternatifs, des écolos, des industriels.. Je rencontre toujours plein de gens ; non seulement ce sont des gens qui ont envie de coopérer entre eux, mais en plus, ce que je trouve très intéressant, c’est qu’on a un système de connecteurs. Il y a un livre qui est très intéressant, qui s’appelle le « tipping point », le point de bascule, qui montre comment quelque chose passe à l’échelle. Pour que quelque chose passe à l’échelle, il y a un gars qui a une idée, au départ par exemple Michel arrive, il veut réunir les gens qu’il connaît autour de la coopération. Et à un moment donné, on va avoir besoin de connecteurspour commencer à le présenter, parce que le vocabulaire dans le monde industriel, dans une collectivité territoriale, dans le monde alternatif, dans le monde écologique, dans le monde associatif … n’est pas le même. Ces connecteurs vont permettre de rassembler tout ça et ce qui est intéressant, c’est qu’ici, il y a un ramassis de connecteurs absolument incroyable.

Radio U : Alors la thématique cette année, c’est les pas de côté.Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur les pas de côté ?

On dit souvent, « j’étais au bord du ravin et j’ai fait un grand pas en avant ».. et ça pose des petits problèmes et on a tous fait ça, et moi le premier. On a du mal à faire des pas de côté, mais des fois, la vie nous force à faire un pas de côté. Je vais vous donner un petit exemple assez rigolo cette année. J’ai toujours travaillé sur l’innovation, et ces dernières années sur l’intelligence collective, et cela ça a pris une très grande partie de mon boulot. Et puis, pour une raison que je ne m’explique pas, on a est venu me cherches sur un domaine que je connaissais dans l’innovation ; c’est l’intelligence artificielle. Je me suis dit : ils ont confondu intelligence collective et intelligence artificielle ; c’est bien, ça m’a apporté du boulot. Mais je me dis : mais quel est le sens pour moi ? je suis en train de travailler sur plein de choses, sur le côté psychologique, humain, etc. En fait, avec ce pas de côté qui était un peu involontaire, parce qu’on est venu me chercher ;cela m’a pris un temps complètement dingue cette année, parce que c’est une peu à la mode ; e n’ai jamais autant appris sur l’humain qu’à travers l’intelligence artificielle

Donc, ce qui est vachement intéressant dans le pas de côté, c’est qu’on se rend compte, a posteriori, qu’on a appris des tas de choses parce qu’on a vu, justement, on a vu ça avec un autre angle, quand on regarde les choses, et puis, finalement, on change de point de vue, et ça, c’est super intéressant. Donc, des fois, le pas de côté, on veut le faire, des fois on ne veut pas le faire, on le fait quand même parce qu’on est obligé ; et là ça devient intéressant, parce qu’à postériori on se dit : mais qu’est-ce que j’ai appris dans cette histoire ? et c’est vraiment intéressant de voir ce thème là cette année.

Radio U Là, c’est un peu le pas de côté involontaire que vous décrivez. Voilà quelque chose qui nous tombe dessus. Comment lorsqu’on travaille dans une entreprise, dans une collectivité, dans une association, on peut mettre en place un pas de côté volontaire. Est ce qu’il y a une, une recette magique ?

Alors, le truc, c’est que le pas de côté volontaire, quand on est tout seul, c’est un pas de côté qui n’est pas vraiment à côté, parce que c’est les trucs auxquels on pense. Ce qui est très intéressant dans une grande organisation ou dans une collectivité, c’est de commencer à discuter un peu moins en silo et de commencer à discuter avec les autres. Et là, à ce moment-là, on se dit : tiens, finalement, c’est ce truc-là aussi que fait le bureau d’à-côté et que je n’avais jamais fait. Et là, on peut se dire : ah, ouais, mais ça pourrait être intéressant que je le mette en oeuvre. Donc, la difficulté du pas de côté, c’est que les pas de côté qu’on imagine au départ, ne sont pas beaucoup à côté.

Et donc, en discutant un moment donné, on peut faire un grand écart de côté ; je ne sais pas si c’est le bon terme, mais quelque chose où on va avoir, on va découvrir quelque chose de nouveau. Et donc, le truc le plus important dans une collectivité, c’est de commencer à mettre en place de la transversalité, de manière à pouvoir discuter en collectivité, grands groupes, etc. tt même pour des associations parce que les associations parfois travaillent un petit peu en silo et font la même chose, mais de façon différente. Boire une bière ou faire de bonne bouffe avec une autre association, c’est pas idiot, parce que ça va nous permettre de choisir nos pas de côté. Et ça, l’inspiration est incroyable que elle est absolument gigantesque. Tout le monde a inventé des trucs fantastiques et on ne sait pas quoi.

Radio U Et justement pour mettre en place cette transversalité- mis à part le fait d’aller boire une bière, se faire un resto - Est ce qu’il y a d’autres usages, d’autres techniques qu’on peut expliquer ?

Je travaille sur la mise en place de communautés en général ; une communauté, c’est quoi ? c’est juste l’entraide et la montée en compétences collective entre un groupe de personnes. Donc, il y a des communautés locales, territoriales, qui permettent de rassembler sur un territoire, des communautés thématiques comme les fablab. Et qu’est-ce qu’on fait dans une grande entreprise ; en fait, on fait une communauté entre les gens qui font des boulots comme moi là, je pense ax CNFPT qui est présent aujourd’hui, donc, eux, ils ont des formations, et puis, à un moment donné, ils vont travailler avec le territoire. Ou alors on va avoir des personnes qui font la même chose, mais sur différents territoires, dans un grand groupe, et on va commencer à dire : mais comment tu fais sur ton territoire ? Pour aller au-delà de boire une bière ponctuelle, l’idée, c’est de monter une communauté qui, elle, a vocation à rester tout le temps et donc, même si on peut faire des groupes de travail, des tas de choses, des ateliers et des choses ponctuelles, l’idée de la communauté, c’est qu’elle soit encore là dans deux ans, dans trois ans et donc, qu’il y ait une sorte de porosité naturelle, qui se mette en gros, dans la tranche, dans la verticalité. On va avoir un transfert, une transversalité, une horizontalité et sa matrice, et du coup, ça va inspirer tout le monde et c’est un facteur d’innovation absolument gigantesque. C’est en fait, d’une certaine manière, on pourrait dire, dans les grands groupes, la partie verticale gère magnifiquement bien les contraintes et la transversalité, gère magnifiquement les opportunités. Et au vingt-et-unième siècle, si on ne gère que des contraintes, on a un petit problème ; cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les gérer, mais il faut aussi gérer les opportunités. Et pour ça ils ont besoin, pas simplement de boire une bière, ponctuellement, c’est vrai, mais de pouvoir vivre ensemble, même si c’est une fois par mois parce qu’on fait des visios, etc mais surtout dans le durée, et c’est sur la durée que la porosité se fait.

Radio U : Et après, à chacun de trouver la meilleure organisation, la meilleure forme, etc. il n’y pas de recette magique.

Quand on fait des débats en intelligence collective, on se dit à la fin, qu’est ce qu’on va choisir ? et ce n’est pas la bonne question. La question, c’est qu’est-ce que j’ai envie de faire ? et les choses qu’on a envie de faire, sont les bonnes choses parce qu’en fait, choisir, il n’y a qu’à, faut qu’on, on peut faire des grands débats, tout le monde connaît, ça va changer le monde, on va faire ceci, on va faire cela, mais à la fin, il y a plein, d’idées, on a juste échangé plein, plein d’idées. Ah, mais tiens cela, j’ai envie de le mettre en œuvre. si j’ai envie de mettre en œuvre parce que je pense que c’est une bonne idée, et de l’énergie pour le faire.

Radio U : Est-ce que, pour conclure, jean-michel, vous avez un message à faire passer aux auditeurs et auditrices de radio u, qui concernerait les usages coopératifs, les pas de côté.

Alors oui, je pense qu’ on pourrait dire « tout seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin « Ce qui est intéressant justement, c’est de savoir que, dans un monde très complexe, on nous a appris à avoir des problèmes et trouver des solutions. Gatien Bataille, ce matin, dans la conférence gesticulée, disais bon voilà, en plus, maintenant, on nous nous laisse quarante sept secondes d’attention à peu près pour trouver la solution au monde entier. Même si j’avais des heures et des jours, je n’arriverais pas à trouver les solutions du monde entier. Et donc, à un moment donné, il faut se laisser inspirer par plein de choses ; le vrai secret c ’est au lieu d’avoir des personnes individuelles très intelligentes, l’intelligence collective commence quand on échange entre les personnes et donc s’inspirer des autres, discuter tous les jours avec ses voisins, c’est vraiment génial .

Radio U : Finalement c’est être ouvert ?

Être ouvert à tous. Savoir que finalement, on sait pas tout. J’aime bien définir la bêtise, alors il faut être un peu bête. Mais c’est quoi la bêtise ? Si jamais on pose une question, je veux faire la réponse la plus intelligente du monde. C’est génial. Je suis même la personne la plus intelligente du monde. J’ai trouvé la solution la plus intelligente du monde, mais elle ne suffit pas, alors je vais devoir en trouver une deuxième. Mais je ne peux pas être plus intelligent que moi-même, donc je vais être un peu plus bête. Je prends une solution un peu plus bête, peut-être que c’est pa cela qui va marcher alors une troisième, etc. Donc, pour moi, la bêtise, c’est l’épaisseur de l’intelligence, c’est savoir que je n’ai pas la solution et que je vais m’inspirer de plein, plein de trucs, et puis après, on verra pas ce qui marche.

L’intelligence collective, c’est cette stratégies qui un peu comme le vivant est a posteriori. On essaye plein de choses, on est plein, on est nombreux, on est sur cette planète. Il n’y a pas que des élus, il y a des citoyens, huit milliards, et donc huit milliards de personnes potentielles, qui arrivent à trouver des trucs et s’ils échangent en plus, et trouvent des trucs, des trucs encore plus intéressant et a postériori, y a ça, ça a marché et là on peut mettre l’énergie.


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