Le coenseignement implique un changement de paradigme qu’il faut accompagner. Être à deux en classe induit un questionnement sur ses pratiques. Un exemple de formation au lycée français de Bilbao.
La chef d’établissement nous a sollicités en tant qu’EEMCP2 (enseignant expatrié à mission de conseil pédagogique pour l’enseignement secondaire, formateur de l’agence pour l’enseignement français à l’étranger pour l’enseignement secondaire) pour animer une formation sur site auprès des dix-huit collègues expérimentant le dispositif depuis un mois. Elle s’est déroulée sur une journée que nous avons construite autour de trois axes : poser une problématique contextualisée, donner des outils d’analyse adaptés, développer une pratique réflexive.
Construire une problématique contextualisée
Pour commencer, nous sommes partis du ressenti des stagiaires à l’aide d’un photolangage envoyé quelques jours auparavant. Les images représentaient des couples célèbres caractérisant une relation duale (Chapeau melon et Bottes de cuir [ce ne sont pas ici les noms des personnages mais le titre de la série], Astérix et Obélix, etc.), avec une consigne : « Lequel de ces couples vous ressemble le plus dans votre pratique du coenseignement ? » À l’issue des premiers échanges a émergé une première problématique de formation : « Est-ce vraiment plus efficace d’enseigner à deux ? »
Nous avons ensuite proposé de courtes vidéos montrant les élèves du lycée en activité en classe avec un seul professeur, puis en entretien à l’issue de l’activité. Ils devaient répondre à quatre questions : « Qu’est-ce que tu fais actuellement ? Pourquoi l’enseignant a-t-il proposé cette activité ? À quoi ça sert ? Quels sont d’après toi les critères de réussite ? » Le fait de prendre le temps d’écouter des élèves que les collègues connaissent très bien et d’analyser leurs représentations des tâches scolaires ainsi que leur rapport au savoir a permis de révéler un jeu de postures [1] que nous avons ensuite explicité. Il est apparu que des élèves considérés comme « bons » étaient enfermés dans une « posture scolaire » ou une « posture première » et ne donnaient que peu de sens aux tâches proposées. Un nouveau questionnement est apparu : « Le coenseignement permettrait-il d’aller vers un enseignement plus explicite ? Pourrait-il permettre aux élèves d’accéder à d’autres postures pour modifier leur rapport au savoir ? »
Après ce temps, les collègues stagiaires interrogés sur leur vécu récent du coenseignement reconnaissaient une plus grande attention des élèves en classe et un meilleur enrôlement dans la tâche. À quoi cela était-il dû ? Au cadrage plus serré des élèves par deux enseignants ? Pas seulement. À une meilleure explicitation des apprentissages donnant plus de sens aux activités ? Peut-être ! Petit à petit, l’objectif de la formation apparaissait plus nettement aux stagiaires : il ne s’agit pas seulement d’être à deux en classe, mais de s’interroger sur ses pratiques pour pouvoir agir en situation.
des outils pour comprendre et agir
Le problème étant posé, le réel de la classe étant convoqué, nous pouvions présenter des outils pour identifier des modalités organisationnelles et réfléchir aux finalités du dispositif. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur la distinction des modalités de co-intervention, coprésence et coenseignement (voir schéma), [C’est le schéma qui est dans l’article 7 configurations à deux en classe. Mettre un renvoi.] et sur le programme « Apprenance » de l’académie de Grenoble. Celui-ci distingue quatre formes de co-intervention à deux en classe : cumulative (1 + 1), collaborative (réorganiser l’espace de la classe), réflexive (observation croisée), transformative (une opportunité pour faire évoluer ses pratiques).
La seconde partie de la journée était consacrée à de l’analyse de pratique. À partir d’une séance filmée, les collègues ont d’abord été invités à repérer les enjeux du coenseignement en observant la répartition des rôles entre les deux enseignants, leur communication, le climat de classe, la gestion des groupes, à identifier les types de coenseignement à l’œuvre, à envisager les plus-values et limites du dispositif. Il s’est ensuite agi d’observer puis d’analyser une séance où un professeur surnuméraire venait épauler son collègue titulaire de la classe. Il nous a semblé essentiel ici de sensibiliser les collègues au fait que l’observation n’est pas un geste anodin, qu’elle n’est pas aisée pour l’enseignant observé, habituellement seul en classe. Pour cela, des vidéos extraites de la plateforme NéoPass@ction [2] nous ont servi à poser à la fois le cadre de l’observation parce qu’« analyser, ce n’est pas juger » [3], et la méthodologie à suivre pour expliciter une démarche ; l’activité d’un enseignant ne se résume pas à ce qui est visible. Nous avons ensuite demandé aux stagiaires d’identifier ce qu’il leur semblait important d’observer dans l’objectif d’une coformation entre pairs. Après les avoir définis, les stagiaires se sont réparti les éléments jugés pertinents à observer : l’enrôlement des élèves dans la tâche, le climat de classe, les interactions entre les enseignants, le jeu des postures, etc.
Un débriefing a été organisé entre les stagiaires et les deux professeurs. Il s’agissait ici d’analyser le déroulement de la séance à la lumière des apports théoriques de la matinée et de tenter d’accéder à la partie invisible de l’activité. Ce n’est donc qu’après avoir pris le temps de décrire l’observable que nous sommes passés à l’analyse, pour finalement, en fin de démarche, envisager des alternatives.
Et après ?
La formation était déjà terminée que se posait l’inévitable question : « Et après ? » Cette première journée avait déjà permis de nous accorder sur un point : le « comment faire » est subordonné au « pourquoi le faire ». Travailler à deux dans une classe invite en effet à mieux s’interroger sur les difficultés rencontrées par les élèves et sur les moyens d’y répondre. Travailler à deux dans la classe permet de s’interroger sur ses choix pédagogiques et ses croyances professionnelles dans l’objectif de mieux agir.
Florence Trouillet
EEMCP2 physique-chimie, zone Europe ibérique
Philippe Merleau
EEMCP2 histoire-géographie, zone Europe ibérique
[1] Dominique Bucheton et Yves Soulé, « Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multiagenda de préoccupations enchâssées », Éducation didactique vol. 3, n° 3, 2009.
[3] Michel Ramos , « Analyser n’est pas juger », http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/nouvelles-professionnalites/formateurs/michel-ramos-analyser-nest-pas-juger
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Lire, comprendre
L’image d’Épinal veut que l’enseignant soit seul dans sa classe face aux élèves. Or, de nombreuses pratiques de co-intervention, régulières ou ponctuelles, existent au sein des classes. Ce dossier s’intéressera donc à la co-intervention et au coenseignement, à ces espaces-temps où on est deux en classe avec les élèves.
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