Cet article est publié dans le cadre du Forum national « Activons les sciences en classe ! » organisé en ligne par la Fondation La main à la pâte le 27 mars 2021, dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez toutes les informations sur cet événement sur le site activons-les-sciences.fr.
Faire découvrir, comprendre, apprendre l’immensité de la science, quelle ambition pour l’école, le collège et le lycée ! La curiosité de l’enfant, puis de l’adolescent, pour le monde qui l’entoure et l’étonne, leurs émerveillements et leurs « pourquoi ? » sont les piliers sur lesquels construire un apprentissage, fondé sur une pédagogie qui s’appuie sur l’observation et bâtisse au fil des ans la difficile capacité de raisonner juste.
Nous savons depuis longtemps qu’une telle pédagogie ne peut être qu’active, mettant le jeune en situation de recherche et de projet, de formulation langagière. Il entre alors, très progressivement, dans cette abstraction sur laquelle se construit la science.
Comment installer cette ambition au cours de la douzaine d’années de la scolarité obligatoire ? Les programmes scolaires s’attachent à construire une progression en spirale : ainsi le bambin connaît déjà le mot énergie, présent dans les conversations familiales, mais l’ampleur des savoirs que recouvre ce terme ne se dévoilera que progressivement, au fil des années d’études.
Mais, au-delà des manuels scolaires, ce partage de connaissances repose surtout sur la pédagogie mise en œuvre, donc sur le talent de l’enseignant, sa préparation, les soutiens qui lui ont été apportés au fil de sa carrière, enfin son goût pour la saveur d’une science vivante.
Des enjeux de formation
Régulièrement, le ministère de l’Éducation nationale (enquête CEDRE) ainsi que des enquêtes comparatives internationales (Talis, TIMMS, PISA) nous informent, avec des critères variables et parfois discutables, sur les pratiques des professeurs et sur les acquis de nos élèves en science : mathématiques, sciences d’observation et d’expérimentation, technologies.
Récemment, nous avons ainsi appris que parvenus en classe de 4e, nos élèves ont constamment vu diminuer depuis 1995 leurs capacités en mathématiques comme en sciences. Seules deux bonnes nouvelles ressortent de cette étude internationale TIMSS publiée fin décembre 2020 : l’écart de résultats entre filles et garçons a disparu, les élèves savent plutôt mieux raisonner et aiment expérimenter. Les comparaisons avec des pays de même niveau de développement que la France ne sont pas flatteuses.
Peut-on comprendre cette évolution ? Déjà en 1995, le lauréat Nobel Georges Charpak avait sonné l’alarme, en soulignant l’importance critique des premières années de contact avec la science. En ce temps-là, si l’enseignement des mathématiques à l’école primaire se portait plutôt bien, celui des sciences expérimentales était quasi abandonné. Depuis un quart de siècle, l’Académie des sciences ne cesse d’en rappeler le rôle et de proposer la mise en œuvre d’un enseignement actif, débutant dès l’école primaire, d’une pédagogie d’investigation, d’une formation adéquate et d’un accompagnement des professeurs.
C’est indiscutablement sur ce dernier point que les évolutions de notre pays sont préoccupantes. Elles sont abordées de façon générale, pour toutes les disciplines donc, par Nathalie Mons, dans un riche rapport, comparatif, du Centre national d’étude des systèmes scolaires. Il diagnostique ainsi que « plus que la quantité, c’est la qualité de la formation continue des personnels scolaires qui interroge », tandis que « l’effet de la formation sur les pratiques pédagogiques demeure limité ». Ces thèmes sont repris dans le rapport du Grenelle de l’éducation Quels professeurs au XXIe siècle ?
S’agissant spécifiquement de la science, la plus mal en point sans doute, un rapport récent de deux Académies (sciences, technologies) fait une analyse détaillée des graves insuffisances de la formation initiale comme du développement professionnel au fil de la carrière, et multiplie les propositions.
Une quinzaine de sociétés savantes « conjure (le ministre de l’Éducation nationale) de ne pas laisser les INSPE renoncer à la formation scientifique des futurs enseignants et enseignantes du primaire ».
Une science vivante et partagée
Au-delà de l’indispensable prise de conscience de la situation par le politique et des actions d’ensemble qui devront en résulter rapidement, nous voudrions souligner ici, à nouveau, combien nous, communauté scientifique des chercheurs et des ingénieurs, pouvons continuer d’œuvrer sur le terrain local, en rapprochant d’une science vivante et partagée les professeurs de primaire et de collège, et en donner un exemple, celui du réseau de douze Maisons pour la science au service des professeurs, né en 2012 sous l’impulsion de l’Académie des sciences grâce aux fonds des Investissements d’avenir et dont la Fondation La main à la pâte assure une coordination nationale.
Implantées dans des universités, associant en permanence des scientifiques à des professionnels de l’éducation, ces Maisons offrent chaque année des moments de science à plus d’une dizaine de milliers d’enseignants (primaire et collège). La Maison pour la science en Lorraine, associée à celles d’Alsace et de Champagne-Ardenne, ouvre ainsi les portes des laboratoires et des entreprises de la région, afin que les professeurs connaissent mieux la pluralité de leurs acteurs, leur travail d’équipe et leurs confrontations d’idées, leurs échanges et leurs régulations, leurs renoncements et leurs réussites.
Les professeurs de SVT de collège réalisent toutes les étapes expérimentales qui permettent d’amplifier in vitro une séquence d’ADN et de l’interpréter comme le fait la police scientifique. Ils bénéficient des conditions techniques du laboratoire de génétique de la Faculté des sciences et de technologie de Vandœuvre-lès-Nancy, ciblant une séquence d’ADN d’un génome puis réfléchissant avec une généticienne, Nathalie Leblond-Bourget, à un protocole permettant d’amplifier cette séquence d’ADN choisie. Ils utilisent la technique de PCR (Polymerase Chain Reaction) que les tests de la Covid ont fait connaître à tous.
Des professeurs des écoles rencontrent la question : « la chimie est-elle verte ? » auprès de la société industrielle Biolie. Devant trouver le protocole le plus efficace pour extraire un colorant de betteraves, de poivrons, carottes, choux rouges, feuilles de blette… Ils découpent, écrasent, mélangent à l’eau, l’huile, l’alcool, filtrent, chauffent, testent, puis communiquent leurs résultats à l’ensemble du groupe. Un éclairage scientifique, alors donné, leur permet d’entrevoir une chimie plus écoresponsable et de concevoir des activités expérimentales simples avec leurs élèves.
La France, pour satisfaire aux orientations préconisées par les Nations unies dans les objectifs du développement durable, s’engage aujourd’hui dans une évolution de ses programmes scolaires de primaire et de collège. Applaudissant, que souhaiter sinon que ces immenses questions sociétales, qui entrecroisent tous les aspects de l’activité humaine, ne fassent pas disparaître, par un traitement aussi sympathique que superficiel dans les classes, les acquis indispensables de savoirs scientifiques et de rigueur de raisonnement, dont nos élèves auront besoin demain.
Espérons la prise des mesures politiques qui s’imposent pour améliorer le cadre et la pratique des professeurs ! Elles permettront mieux qu’hier l’entrée de nos professeurs et de nos élèves dans le Grand Récit que raconte aujourd’hui la science, ce grand et passionnant Récit dont Michel Serres souhaitait la narration à tous, du bambin au savant spécialisé.
Pierre Léna. J’ai des liens constants avec la Fondation La main à la pâte et avec l’Office for Climate Education, deux fondations que j’ai contribué à créer et dont je soutiens l’action, notamment en tant que membre de l’Académie des sciences. L’une et l’autre sont financées sur fonds publics et privés.
Je travaille à l’Université de Lorraine à l’INSPE de Lorraine et pour la Fondation La main à la pâte, qui propose une offre de formation continue pour les professeurs du 1er et 2nd degré en science, technologie et mathématiques. La Maison pour la science en Lorraine est soutenue par des fonds publics (Université de Lorraine, Fondation La main à la pâte, collectivités et rectorat de Nancy-Metz).
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |