Un article repris du site Pédagogie universitaire, du réseau de l’université du Québec, une publication sous licence CC by sa nc
Mise en situation
Le cœur battant, Léopold, professeur en sciences de l’éducation depuis plus de sept ans, prend connaissance des commentaires des étudiantes et des étudiants reçus dans l’évaluation des enseignements : « J’apprécie vraiment les rétroactions… L’enseignant a su créer des liens de confiance avec nous… Disponible… À notre écoute… Soucieux de notre réussite, il donne d’excellents conseils... Sa générosité dans la façon de répondre sur le forum m’a permis de suivre la discussion et d’approfondir ma compréhension de la matière. Ce cours n’aurait pas été aussi dynamique et intéressant sans son apport aux questionnements du groupe. J’aimerais souligner sa rapidité à répondre aux questions. »
Heureux, Léopold se remémore l’ampleur du défi à relever : transformer un cours dispensé en présentiel en formation à distance en ayant en tête de maintenir une relation significative avec les personnes apprenantes dans un environnement numérique d’apprentissage. Il prend la pleine mesure du potentiel didactique de ces espaces numériques en vue de la réussite.
Léopold réfléchit à la richesse des interactions vécues avec son groupe en classe numérique. Il constate la diversité et la personnalisation de son encadrement qui s’effectue autant de manière proactive, réactive que rétroactive, contribuant à la transformation de son rôle d’enseignant.
Pourquoi ?
CINQ RAISONS DE S’INTÉRESSER À LA PRÉSENCE EN FORMATION À DISTANCE (FAD)
– 1 L’usage pédagogique du numérique transforme les relations interpersonnelles (Lameul, 2017).
– 2 Certaines raisons de l’abandon en FAD sont notamment liées au manque de soutien perçu et vécu par les apprenants et les apprenantes de la part des enseignants et enseignantes (Dussarps, 2015).
– 3 La présence à distance, espace de partage et de co-construction, est une condition d’efficience des dispositifs de formation (Paquelin, 2011).
– 4 Le couplage « distance-absence » tend à céder la place à celui de « proximité-présence » (Jézégou, 2014).
– 5 Le maintien d’une relation significative avec les personnes apprenantes est une activité clé du processus didactique, associée au savoir-enseigner (Alexandre, 2013).
Quoi ?
DES TYPES DE PRÉSENCE AU MAINTIEN D’UNE RELATION SIGNIFICATIVE
La présence en contexte éducatif apparaît comme une constituante de la relation didactique, définie comme : « L’ensemble des interactions qu’entretiennent entre eux des étudiants et un enseignant dans la réalisation d’une action finalisée à propos d’un contenu d’enseignement et d’apprentissage dans un cadre spatio-temporel déterminé » (Jonnaert et Vander Borght, 1999, p.97). Une « présence à distance » au service de l’apprentissage peut correspondre au maintien d’une relation significative avec les personnes apprenantes. Le maintien d’une relation significative comprend l’établissement d’un rapport de confiance, la connaissance des caractéristiques étudiantes et de leurs besoins ainsi que la prise en compte de leurs réactions (Alexandre, 2013 ; Alexandre, Bernatchez, Amyot, 2020).
La présence au sein d‘un environnement numérique d’apprentissage traduit « certaines formes d’interactions sociales de collaboration entre les apprenants, ainsi qu’entre le formateur et les apprenants » (Jézégou, 2014, p.112).
- La présence enseignante réfère au design, à l’organisation du cours, à la facilitation des échanges et à l’enseignement.
- La présence cognitive se reconnaît à l’évocation d’éléments déclencheurs, à l’exploration de solutions, à l’intégration et à la résolution de problèmes.
- La présence sociale se traduit par l’expression de l’affectivité, de la communication et de la cohésion du groupe (Garrison, Anderson et Archer, 2000, dans Petit, Deaudelin, et Brouillette, 2015).
Ce que nous dit la recherche
INTERDÉPENDANCE DES TYPES DE PRÉSENCE EN SOUTIEN À L’APPRENTISSAGE
L’enjeu relationnel de la présence dans un environnement numérique d’apprentissage requiert la configuration d’espaces d’interactions fondés sur l’interdépendance des types de présence en soutien à l’apprentissage. Les types de présence enseignante, cognitive et sociale contribuent à préciser le rôle de la personne formatrice en contexte de formation à distance (Deaudelin, Petit et Brouillette, 2016) et donnent lieu à une expérience éducative à la fois riche et significative (Kozan et Richardson (2014 dans Petit et al., 2015).
Comment ?
STRATÉGIES D’ENSEIGNEMENT ET OUTILS NUMÉRIQUES SUSCEPTIBLES DE FAVORISER LA PRÉSENCE À DISTANCE
La mise en place de forums d’équipe centrés sur une problématique commune permet un apprentissage collaboratif pourvu que la personne enseignante structure, oriente et même anime les échanges au besoin (Lafleur, 2017). Que ce soit dans le cadre de formations en présentiel, à distance en mode synchrone ou asynchrone, les interactions asynchrones révèlent des effets positifs sur les apprentissages. Elles offrent du temps pour préparer les commentaires et mener une réflexion critique sur les remarques émises par les autres membres du groupe (McGinley, Osgood et Kenney, 2012).
Le déploiement de stratégies d’enseignement à distance implique la sélection d’outils numériques qui, tout en configurant la relation didactique, actualisent les types de présence. L’utilisation des outils « devoir, forum, suivi des progrès, etc. » d’une plateforme numérique d’apprentissage (ex. : Moodle) contribue au design et à l’organisation du cours, à la facilitation des échanges et à l’enseignement. Les diverses utilisations de l’outil « forum », entre autres, permettent de déceler la présence cognitive. Par exemple, dans un forum, l’exploration de solutions par les personnes apprenantes se traduit par la présentation d’analogies, la rédaction d’un court texte sur le contenu, le suivi à une demande de réponse. L’intégration et la résolution de problèmes posés prennent la forme de réponses aux questions, de corrections rédigées par des étudiantes et des étudiants, et elles incluent leurs représentations ainsi que les éléments essentiels du problème posé.
L’encadrement
La pratique enseignante en formation à distance a un impact sur tous les aspects de la tâche (conception, production, diffusion, encadrement, évaluation et retour réflexif) (CSE, 2015). On associe généralement la question de la présence à l’aspect « encadrement » qui correspond au soutien des personnes en formation et à la régulation. Le tableau ci-dessous présente des exemples en lien avec les caractéristiques de l’aspect « encadrement » de la tâche enseignante en formation à distance. (Alexandre, et al., 2020)
Caractéristiques de l’aspect Encadrement | Exemples |
Manière proactive | Ajout aux réponses rédigées par les étudiants ; réalisations et présentations d’exemples, de questions, de textes et de vidéos ; modélisation. |
Manière réactive | Questionnements sur la compréhension des activités à réaliser, réponses explicatives et clarification sur le contenu. |
Manière rétroactive | Observations, vérifications et tests en aide à l’apprentissage. |
L’établissement d’un rapport de confiance
L’établissement d’un rapport de confiance requiert la reconnaissance des caractéristiques étudiantes, des besoins et des réactions, exprimées autant sous la forme de commentaires et de comportements, que d’attitudes et d’émotions. L’adoption d’attitudes favorables à la communication favorise l’engagement étudiant. Établir la confiance nécessite un contact personnalisé avec chacune des personnes apprenantes. L’expression de l’affectivité, la communication ouverte et la cohésion du groupe peuvent se traduire dans des messages ponctuels à toute la classe sur la plateforme numérique d’apprentissage, dans des courriels, dans des rencontres synchrones par conférence Web (Zoom, Teams ou autres) ainsi que lors des contacts téléphoniques. Au-delà de l’écoute et du respect du rythme d’apprentissage individuel, la connaissance du groupe avant les premières rencontres peut être déterminante. Pour ce faire, la personne qui enseigne peut prévoir au plan de cours des contacts téléphoniques ou planifier et rendre accessible un espace dédié à la prise de rendez-vous. L’envoi de courriels personnels avant le début de la session peut également favoriser la prise de contact avant le début du cours.
Exemples de communication
- Messages par courriel
Premier message de la semaine
"Bonjour et bienvenue dans votre classe virtuelle
Je vous souhaite une belle et bonne session
C’est avec enthousiasme que je vous accompagnerai dans vos apprentissages tout au long de la session. À ce jour, vous êtes plus de 60 étudiants provenant de tout le territoire québécois inscrits à cette activité. Pour cette première semaine et en attendant les inscriptions tardives, vos deux premières tâches sont expliquées sous Semaine 1 : introduction.
En terminant, les messages de la semaine sont ma façon d’entrer en contact avec vous et surtout de maintenir le cap sur vos apprentissages. Au cours de la session, il y en aura plusieurs. Alors, venez souvent dans votre classe virtuelle. Au plaisir de vous parler."
Au cours de la session
"Voici le sujet de cette semaine : La correction du module 1
La correction de vos travaux est débutée. Nous faisons aussi vite que possible. Comme vous le constaterez, vos travaux seront abondamment commentés. Je vous avertirai dès qu’ils seront déposés (10 jours ouvrables, même si nous corrigeons la fin de semaine, ne la comptez pas dans le délai)."
-* Conversation sur le forum
— * Question étudiante : Je dois vous avouer que je trouve cette tâche très complexe. Il n’est donc pas évident pour moi de connaître toutes les étapes de ce processus.
— * Réponse professeur : Je vous rassure, dans ce premier travail, nous sommes en train de nous familiariser avec de nouveaux termes et un nouveau contenu. Il est normal que pour l’instant cela vous semble étrange et même difficile. Aussi, vous êtes en apprentissage, soyez indulgente et laissez-vous le temps d’apprendre et d’apprivoiser ce contenu (complexe, je le rappelle).
— * Question étudiante : Y a-t-il un moyen pour moi d’être sûr d’écrire la bonne chose ?
— * Réponse professeur : Ma proposition : Commencez et faites un copier /coller sur le forum, nous regarderons cela ensemble.
Finalement, le soutien aux personnes apprenantes et la régulation des apprentissages s’avèrent essentiels autant en présentiel qu’en formation à distance.
Et si la présence avait peu à voir avec la distance…
Références
Alexandre, M. (2013). La description du savoir didactique d’enseignantes expérimentées en Techniques d’éducation à l’enfance en situation de planification, d’intervention et de réflexion : trois études de cas [thèse de doctorat, Université de Sherbrooke, Canada]. Savoir. https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/6378
Alexandre, M., Bernatchez, J. et Amyot, D. (2020). Le processus didactique en formation à distance à l’université : une pratique multimodale axée sur le relationnel. Dans F. Lafleur et G. Samson (dir.). État de situation sur l’hybridité de la formation à distance en contexte postsecondaire : ce qu’en disent les recherches, (p.47-58). Québec : Presses de l’Université du Québec.
CSE [Conseil supérieur de l’éducation] (2015). La formation à distance dans les universités québécoises : un potentiel à optimiser. Conseil supérieur de l’éducation. http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs2471568
Deaudelin, C., Petit, M. et Brouillette, L. (2016). Assurer la présence enseignante en formation à distance : des résultats de recherche pour guider la pratique en enseignement supérieur. Tréma, 44, 1-20.
Dussarps, C.(2015). L’abandon en formation à distance. Distances et médiations des savoirs. 10, 1-54. http://journals.openedition.org/dms/1039
Jézégou, A. (2014). Le modèle de la présence en elearning. Une modélisation théorique au service de la pratique, notamment en contexte universitaire. Dans
Geneviève Lameul et Catherien Loisy (dir.), La pédagogie universitaire à l’heure du numérique. Questionnement et éclairage de la recherche, (p. 112-120). Bruxelles : de boeck Supérieur.
Jonnaert, Ph. et Vander Borght, C. (1999). Créer des conditions d’apprentissage. Un cadre de référence socioconstructiviste pour une formation didactique des savoirs. Paris/Bruxelles : DeBoeck et Larcier.
Lafleur, F. (2017). Les conditions qui favorisent l’efficacité de la formation à distance : état de situation en enseignement supérieur. Dans F. Lafleur et G. Samson (dir.), Formation à distance et enseignement supérieur, (p. 7-16). Québec : Presses de l’Université du Québec.
Lameul, G. (2017). Usage pédagogique du numérique : Quelles transformations de l’activité de l’enseignant-chercheur. Dans L. Massou et N. Lavielle-Gutnik (dir.), Enseigner à l’université avec le numérique, (p. 226-250). Bruxelles : De Boeck Supérieur.
McGinley, V., J. Osgood et Kenney, J. (2012). Exploring Graduate Students’ Perceptual Differences of Face-to-Face and Online Learning. The Quarterly Review of Distance Education, 13(3), 177-182.
Paquelin, D. (2011). La distance : question de proximités. Dans Guillemet P., Fichez E., Barna J. et Vidal M., (dir.), Distances et savoirs, Où va la distance ? (p. 565-589). 9(4). http://www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs.htm
Petit, M., Deaudelin, C. et Brouillette, L. (2015). La présence en formation à distance : orienter la pratique en enseignement supérieur grâce à des résultats de recherches qualitatives. Adjectif.net. http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article338
Pour en savoir plus
Alexandre, M., Bernatchez, J. et Amyot, D. (2019). Planifier en formation à distance à l’université : reconfiguration temporelle et usage didactique des outils numériques. Dans F. Lafleur et G. Samson (dir.). Pratiques et innovations à l’ère du numérique en formation à distance : technologie, pédagogie et formation (p. 103-116). Québec : Presses de l’Université du Québec.
Androwkha, S. (2020). La présence à distance en e-Formation : Entretien avec Annie Jézégou. Méditations et médiatisations, (3) 59-67. https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/116
Dell’ascenza, C. et al., (2020). Présence et distance dans la formation à l’échange. https://www.france-education-international.fr/sites/default/files/migration/publications/docs/Livre_Connect_fr.pdf
Parr, M. (2019). Pour apprivoiser la distance. Guide de formation et de soutien aux acteurs de la formation à distance. Montréal : http://www.refad.ca/wp-content/uploads/2019/05/Pour_apprivoiser_la_distance__-_Guide_de_formation_et_de_soutien_aux_acteurs_de_la_FAD.pdf
D’autres questions à explorer
- Quels sont les enjeux didactiques et politiques liés au processus de la transition « formation en présence – formation à distance » à l’université ?
- Comment se conçoivent le savoir-enseigner et le savoir-apprendre en formation à distance ?
- Comment mieux circonscrire la présence institutionnelle afin de mobiliser et de fédérer les acteurs autour d’objectifs communs en formation à distance ?
- Quel est le rôle des personnes apprenantes dans ces nouveaux contextes de formation ?
Notice biographique
Marie Alexandre détient un doctorat en éducation de l’Université de Sherbrooke. Membre du comité de direction de la CIRTA et du groupe de recherche sur l’entretien d’explicitation (GREX2), elle est chercheuse associée au Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ). Cofondatrice du laboratoire MuSE & FADU (Modélisation du Savoir-Enseigner en Formation À Distance à l’Université) dont les axes de recherche (gouvernance de la FAD et savoir-enseigner en FAD) s’inscrivent parmi ceux de l’Observatoire du numérique en éducation (ONE). Elle s’intéresse à la formation de formateurs, le savoir-enseigner en numérique et l’exercice du processus de travail enseignant en formation à distance.
Mentions de responsabilité
Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
- Comité éditorial : Claude Boucher, François Guillemette, Alain Huot, Céline Leblanc et Chantal Roussel
- Coordination : Marie-Michèle Lemieux
- Rédaction : Marie Alexandre
- Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin
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