Un article repris du site Pédagogie universitaire, du réseau de l’université du Québec, une publication sous licence CC by sa nc
Mise en situation
Martine est superviseure de stage en enseignement. Ce trimestre, ses stagiaires sont répartis dans plusieurs localités éloignées les unes des autres. Ce contexte lui permet difficilement de visiter les stagiaires les plus isolés le nombre de fois souhaité, mais elle désire tout de même offrir une supervision de qualité et équivalente pour tous. Pour y arriver, elle fait appel à un dispositif de supervision à distance.
Durant le trimestre, Martine et ses stagiaires utilisent un environnement numérique comportant un espace de discussion. Elle y propose entre autres des activités collaboratives permettant aux stagiaires de se réunir à distance. En plus de ses visites en présentiel à l’école, Martine planifie stratégiquement des séances d’observation par webconférence et des rencontres de rétroaction en dyade et en triade à distance. Parfois, les stagiaires sont invités à se filmer en classe à l’aide d’une caméra afin qu’ils puissent analyser leur vidéo, en amont de ces rencontres.
Sans les grandes distances à parcourir, Martine a l’impression d’avoir plus de flexibilité afin d’accompagner et d’accommoder ses stagiaires. Elle considère qu’elle communique mieux et plus souvent avec ceux-ci en misant davantage sur le numérique pour superviser. De plus, ses stagiaires savent qu’elle peut intervenir rapidement au besoin.
Pourquoi ?
CINQ RAISONS DE SUPERVISER DES STAGES À DISTANCE À L’AIDE DU NUMÉRIQUE
– 1 Offrir une supervision de qualité pour des stagiaires placés dans un milieu de stage éloigné de l’université (retour dans la région natale, stages internationaux, etc.) (Gronn et al., 2013).
– 2 Il existe plusieurs outils numériques pouvant être utilisés efficacement afin d’accompagner les stagiaires (Joseph et Brennan, 2013).
– 3 Les communications facilitées par le numérique peuvent générer plus d’interactions et diminuer l’isolement (Hamel, 2012).
– 4La supervision à distance engendre des économies monétaires et de temps, et elle permet des observations fréquentes (Berkey et Conklin, 2016) tout en limitant l’empreinte carbone.
– 5 La personne superviseure n’étant pas visible, l’observation à distance à l’aide d’une caméra serait moins stressante et plus authentique qu’en présentiel, car moins intrusive (Hartshorne et al., 2011).
Quoi ?
SOUTENIR L’APPRENTISSAGE DES STAGIAIRES À DISTANCE
Selon Burns, Jacobs et Yendol-Hoppey (2016), la supervision de stage est un processus ou un ensemble de fonctions exercées par une personne visant à soutenir l’apprentissage des stagiaires dans un contexte de formation pratique. La supervision à distance, aussi nommée e-supervision, cybersupervision ou télésupervision, vise les mêmes objectifs qu’en présentiel (Chipchase et al., 2014). La personne superviseure utilise alors le numérique pour accompagner, évaluer et encadrer les stagiaires, exercer une médiation théorie/pratique et collaborer avec les milieux à distance (Dionne, Gagnon et Petit, 2019). La supervision à distance peut rassembler des activités d’apprentissage et d’enseignement synchrones et asynchrones.
Ce que nous dit la recherche
LES ENJEUX DE LA SUPERVISION DE STAGE À DISTANCE
Plusieurs recherches confirment la faisabilité de la supervision de stage à distance pour encadrer, accompagner et évaluer des stagiaires, en plus d’identifier de nombreux avantages d’une telle utilisation du numérique, et ce dans différents domaines de formation universitaire. Toutefois, la littérature scientifique identifie des enjeux devant être considérés lorsqu’il est question d’implanter un dispositif de supervision à distance à l’aide du numérique. Par exemple, les enjeux éthiques liés à la supervision de stage à distance sont souvent soulevés, que ce soit dans les domaines de la santé, du travail social ou de l’éducation, tout particulièrement lorsqu’il est question de personnes mineures qui sont observées et filmées.
Les enjeux de la supervision à distance
Comment ?
SUPERVISER DES STAGIAIRES MALGRÉ LA DISTANCE : PISTES DE MISE EN ŒUVRE
Dans la plupart des dispositifs de formation pratique, une visite de supervision se décline en trois étapes : on planifie celle-ci, on effectue une observation en contexte de travail et on anime ensuite un entretien de rétroaction. À distance, on peut reprendre chacune de ces étapes, mais en tirant profit du numérique.
Les quatre points suivants offrent des pistes de réflexion pour la mise en œuvre d’un dispositif de supervision de stage à distance :
1. Maîtriser les technologies numériques et connaître leurs limites
Un manque de maîtrise des outils peut résulter en une expérience négative autant pour la personne superviseure que pour les stagiaires. D’ailleurs, l’expérience à distance est considérée comme positive et équivalente à la supervision en présence lorsque le son et l’image permettent une communication efficace (Hamel, 2012). La personne superviseure doit connaître les logiciels ou les applications qu’elle utilise et être en mesure d’assister les stagiaires qui ont moins d’expérience avant de procéder aux rencontres et aux observations. Elle doit s’assurer de donner des consignes claires et de prévoir la marche à suivre en cas de problèmes techniques.
2. Observer les performances à distance tout en tirant profit de voir sans être vu
La supervision à distance a, entre autres, pour avantage de diminuer l’impact de la présence de la personne superviseure et les stagiaires peuvent « oublier » qu’ils sont observés ou filmés. En synchrone, la personne superviseure a le loisir d’éteindre sa caméra et d’observer très discrètement les événements dans un contexte plus authentique. Cela lui permet en outre de prendre des notes et d’utiliser ses grilles d’observation sans crainte de déranger. En asynchrone, il est possible de prendre son temps lors du visionnement pour rédiger la rétroaction ou d’accélérer ce dernier à certains moments.
3. Rétroagir rapidement grâce au numérique : un atout de taille
Sachant l’importance de la rétroaction pour les stagiaires, la rencontre post observation se déroule idéalement dans les heures suivant l’observation. L’échange facilité des documents et l’instantanéité des communications font en sorte que la personne superviseure entre en contact facilement avec ses stagiaires, ce qui favorise les discussions. Le stagiaire reçoit les commentaires sur ses performances rapidement, ce qui lui permet d’ajuster ses pratiques au fur et à mesure.
4. Exploiter le numérique sans négliger la relation
Les travaux de Petit (2016, 2018) ont montré l’importance d’établir une relation de confiance entre la personne superviseure et ses stagiaires et de développer des liens significatifs et chaleureux lors d’une supervision se déroulant à distance. Cette relation génère un fort sentiment de présence permettant de créer des expériences d’apprentissage à distance enrichissantes. Montrer de l’engagement, c’est-à-dire être disponible pour ses stagiaires et assurer des suivis réguliers durant le stage, prendre en compte les contextes de pratique et personnaliser l’accompagnement sont autant de moyens identifiés par des personnes superviseures à distance pour créer des liens de confiance avec leurs stagiaires. Cette relation doit également se développer avec le formateur terrain (s’il y a lieu) qui accompagne le stagiaire au quotidien, parfois habitué à recevoir des personnes superviseures en présentiel.
Finalement, superviser à distance grâce au numérique n’exige pas que toutes les activités se déroulent à distance. Il est parfois souhaitable d’adjoindre à la formation des rencontres en face à face selon un modèle de formation hybride combinant des visites et des activités en présentiel et à distance.
Références
Berkey, D. S. et Conklin, B. D. (2016). Cyber supervision - Remote site observation - Technology strategies for physical educators. Journal of Physical Education, Recreation & Dance, 87(7), 58-60. https://doi.org/10.1080/07303084.2016.1203687
Burns, R. W., Jacobs, J. et Yendol-Hoppey, D. (2016). The changing nature of the role of the university supervisor and function of preservice teacher supervision in an era of clinically-rich practice. Action in Teacher Education, 38(4), 410-425. https://doi.org/10.1080/01626620.2016.1226203
Chipchase, L., Hill, A., Dunwoodie, R., Allen, S., Kane, Y., Piper, K. et Russell, T. (2014). Evaluating telesupervision as a support for clinical learning : An action research project. International Journal of Practice-based Learning in Health and Social Care, 2(2), 40-53. https://doi:10.11120/pblh.2014.00033
Dionne, L., Gagnon, C. et Petit, M. (2019, 30 mai). Cadre d’analyse de pratiques de supervision en enseignement professionnel dans un dispositif de formation hybride. Communication présentée à l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), Gatineau.
Gronn, D., Romeo, G., McNamara, S. et Teo, Y. H. (2013). Web conferencing of pre-service teachers’ practicum in remote schools. Journal of Technology and Teacher Education, 21(2), 247-271.
Hamel, C. (2012). Supervision of pre-service teacher : Using Internet collaborative tools to support their return to their region of origin. Canadian Journal of Education, 35(2), 141-154.
Hartshorne, R., Heafner, T. et Petty, T. (2011). Examining the effectiveness of the remote observation of graduate interns. Journal of Technology and Teacher Education, 19(4), 395-422.
Joseph, G. E. et Brennan, C. (2013). Framing Quality : Annotated Video-Based Portfolios of Classroom Practice by Pre-Service Teachers. Early Childhood Education Journal, 41(6), 423-430. https://doi.org/10.1007/s10643-013-0576-7
Petit, M. (2016). Caractéristiques d’une supervision à distance de stagiaires en enseignement en ce qui concerne la création d’un sentiment de présence. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 32(1). Repéré à http://ripes.revues.org/1041
Petit, M. (2018). Supervision de stage à distance à l’aide du numérique. Collaboration entre superviseurs et acteurs du milieu scolaire pour l’accompagnement de stagiaires avec un lien d’emploi en enseignement au secondaire. Médiations et médiatisations, 1(1), 19-33. Repéré à https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/54
Pour en savoir plus
Ces deux précédentes éditions du Tableau présentent des thèmes liés à la supervision à distance. On les consulte pour se rappeler les étapes de la conception d’un cours à distance et pour voir les potentialités du numérique en pédagogie universitaire :
Basque, J. et Baillargeon, M. (2013). La conception de cours à distance. Le Tableau, 2(1). Repéré à http://pedagogie.uquebec.ca/le-tableau/la-conception-de-cours-distance
Collin, S. et Saffari, H. (2017). Le numérique en pédagogie universitaire : du constat d’efficacité à l’adoption. Le Tableau, 6(2). Repéré à http://pedagogie.uquebec.ca/le-tableau/le-numerique-en-pedagogie-universitaire-du-constat-defficacite-ladoption
Un guide qui offre des pistes de mise en œuvre de la supervision à distance pour l’enseignement supérieur, mais aussi pour d’autres ordres d’enseignement :
Richard, S. (2017). Guide sur la supervision de stage à distance. Rimouski : Formation à distance interordres [FADIO]. Repéré à https://www.fadio.net/wp-content/uploads/2018/04/FADIO-Guide-supervision-distance.logo_.pdf
Des outils numériques existent pour faciliter l’accompagnement d’une cohorte de stagiaires à distance. En voici deux :
– Un outil d’annotation vidéo collaboratif développé par l’Université du Minnesota : https://ant.umn.edu/
– Une plateforme en français soutenant le travail collaboratif à distance : https://slack.com/intl/fr-ca/
D’autres questions à explorer
Comment :
- exploiter efficacement la vidéo au service du développement professionnel et de la réflexivité des stagiaires ?
- hybrider un dispositif de supervision de stage à distance en conjuguant des activités en présence et d’autres à distance ?
- former une communauté d’apprentissage en ligne réunissant une cohorte de stagiaires répartis sur un vaste territoire ?
- s’opérationnalisent les fonctions d’une personne superviseure de stage dans un tel contexte ?
Notices biographiques
Lucie Dionne est professeure de psychopédagogie de la formation pratique en enseignement professionnel à l’Université du Québec à Rimouski. Elle est responsable des stages pour le programme de baccalauréat en enseignement professionnel. Elle est aussi doctorante en éducation à l’Université de Sherbrooke. Ses travaux de recherche portent sur les pratiques de supervision universitaire de stage selon un dispositif de formation hybride. Elle s’intéresse particulièrement à la formation pratique en enseignement professionnel, à la supervision à distance, aux dispositifs de formation hybride et à la formation des enseignantes et des enseignants de la formation professionnelle.
Matthieu Petit est professeur agrégé en développement de la formation pratique et responsable des stages pour les programmes du baccalauréat en enseignement au secondaire (BES) et du baccalauréat en enseignement de l’anglais langue seconde (BEALS) pour la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Ses travaux de recherche portent tout particulièrement sur l’utilisation du numérique en formation pratique : supervision de stage à distance, portfolio numérique, téléprésence…
Mentions de responsabilité
Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
– Comité éditorial : Claude Boucher, François Guillemette, Alain Huot, Céline Leblanc et Chantal Roussel
– Coordination : Karine Vieux-Fort
– Rédaction : Lucie Dionne et Matthieu Petit
– Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin
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