Christine CAILLE
Doctorante Laboratoire EXPERICE.
Vincennes-Saint Denis.
Mise en contexte
La correspondance fait partie de ce que nous nommons les écritures impliquées et qui laissent une grande part à la subjectivité. Elles demandent l’effort de pouvoir signifier la réalité en place mais avec l’utilisation de cette subjectivité. Celui qui observe participe pleinement à cette observation. Il est impliqué et ne peux être neutre. La correspondance vit une autre forme de scientificité c’est-à-dire qu’elle doit rendre compte réellement en prenant une distance avec ce qui est vécu tout en acceptant et en utilisant sa subjectivité.
L’écriture impliquée rend compte du chaos, des contradictions, des « étonnantes contrariétés » de l’être humain. Elle n’est pas en relation géométrique mais de biais (Merleau-Ponty) et là, on ne regarde pas l’autre en face-à-face, on peut voir aussi son horizon, sa famille, ses déceptions, ses abîmes. Cette écriture voit le travail de l’ombre, la mise en place de l’échafaudage et amène à mettre en valeur les savoirs de nuit de la personne ou les centres d’intérêt autres.
Il existe plusieurs façons d’entrer dans cette pratique d’écriture et différentes formes : la monographie, l’histoire de vie, le journal, la correspondance
La monographie :
C’est l’outil qui sera utilisé abondamment par les institutionnalistes de la tendance Oury. Pour Gabriele WEIGAND et Remi HESS [1], elle aurait pour objet la description d’un moment de la vie personnelle ou institutionnelle par des praticiens observateurs. Cet écrit descriptif, clinique et réflexif, centré sur un thème ou une expérience, va être présenté à un groupe pour le décortiquer et le commenter. L’intérêt des monographies, c’est qu’elles permettent de refonder le projet du groupe d’une manière collective en situant les problèmes au niveau du groupe, de l’organisation et de l’institution ainsi qu’en les analysant d’une manière critique en faisant surgir des propositions.
L’histoire de vie :
« C’est le récit qui assigne des rôles aux personnages de nos vies, qui définit entre eux des positions et des valeurs ; c’est le récit qui construit entre les circonstances, les événements, les actions, des relations de cause, de moyen, de but ; qui polarise les lignes de nos intrigues entre un commencement et une fin, les tire vers leur conclusion ; qui transforme la relation de succession des événements en des enchaînements finalisés ; qui compose une totalité signifiante où chaque événement trouve sa place selon sa contribution à l’accomplissement de l’histoire racontée » [2]
Le récit permet l’écriture de la vie et la construction identitaire. La construction de l’histoire est toujours provisoire. Le matériau du récit est le vécu humain. Les modèles narratifs sont des patrons biographiques aux constructions individuelles.
Le journal :
Diaristique renvoie à diaire, c’est-à-dire journalier. Ce mot vient du français du Moyen Age que l’on retrouve en italien ou en espagnol « Diaro ». Le journal représente un outil qui permet de collecter au quotidien les observations et les réflexions en vue d’une capitalisation pour construire un questionnement. Un journal rigoureux va demander de mettre en mots et de poser sur le papier ses observations, la description des situations vécues, ses rencontres, ses lectures, ses réflexions, des analyses, des impressions. C’est une écriture qui s’accepte comme fragmentaire, se constituant au fil du temps.
Recherche sur la correspondance en formation
Nous terminons une thèse en Sciences de l’Education sur Les pédagogies actives et la construction de la personne ou penser la correspondance pédagogique en formation du travail social. Educatrice de jeunes enfants à la base, formatrice et chercheuse tout à la fois, voilà le triangle qui nous constitue aujourd’hui.
Nous enquêtons sur la correspondance et son efficience dans le domaine de la formation. C’est un outil qui peut permettre une réflexivité régulière par la mise en mots de son propre chemin de formation qui sera adressé à l’autre. Il s’agit ici d’engager une investigation sur les enjeux de la correspondance dans un cadre de formation et de construction de la personne. Nous allons réfléchir à sa mise en route, le contenu d’une lettre dans la forme et dans le fond, la construction d’une pensée et aussi les résistances qui peuvent se créer autour de malentendus possibles dans le processus de mise en acte du pacte épistolaire. Voici quelques questions qui se posent :
• Quelle peut être l’efficience de l’utilisation de la correspondance dans le domaine de la formation des adultes ?
• Quelles sont les pédagogies qui émergent de la pratique de la correspondance, dans quels dispositifs et avec qui ?
• Comment peut se mettre en place, se développer et s’interroger un processus de formation, la relation à l’autre via les écritures impliquées ?
• Comment mettre en place un procédé qui permettrait à l’étudiant de devenir auteur de sa traversée formative ? Il existe une certaine dynamique dans la pratique de la correspondance qui engage toujours la relation à l’autre. Il s’agit de sa découverte en lien avec celle que l’on fait de soi-même, de l’audace d’une prise de parole à la construction d’une pensée et enfin de la notion de pacte épistolaire.
Ainsi, en l’état actuel de nos recherches, l’outil épistolaire s’est révélé de différentes manières en lien aux moments de sa découverte, de son appropriation et de son utilisation ultérieure.
De la correspondance en formation
Serge TISSERON [3] pense que l’on transmet moins ce qu’on sait que ce que l’on est. Et ce sont les écritures de l’expérience qui vont permettre une réflexion de manière impliquée, singulière dans la forme du journal (sensations, réactions, interprétation de ce qui se passe, mises en lien), de la monographie (observation de ce qui se passe et capacité d’en rendre compte), de l’histoire de vie (comment mon histoire se répercute par rapport à ce qui se passe), de la correspondance (se mettre en lien et dire à l’autre).
Ainsi, être en lien avec l’autre nous permet de construire ensemble, de co-construire et de nous engager. Dans la correspondance, on peut repenser notre rapport à l’autre et donc à nous-mêmes. Comme nous le rappelle Alain CAILLE, il s’agit de penser les relations en termes d’attention à soi et de souci de l’autre. Ce qui va permettre « L’enchevêtrement du donner–recevoir pour nouer un lien qui libère le pouvoir d’agir relationnel des personnes » [4]. Toute pédagogie s’inscrit dans un espace du relationnel où l’autre est un passage obligé pour se comprendre tout au long de la vie [5] et développer la construction de la personne.
Correspondre, c’est se reconnaître [6] réciproquement en entrant dans une fécondité. Faire vivre un espace commun est un véritable engagement. La relation se fonde par l’altérité qui demande de sortir de la (con) fusion, faire la différence entre le dedans et dehors, entre soi et l’autre. Une réelle intention, posée sur elle, peut permettre à la personne de se sentir compétente pour accéder à l’autre, pour oser. L’altérité oblige certaines altérations vécues comme processus de construction. Oser une rencontre développe et redéfinit la relation à soi-même et à l’autre.
« La correspondance indirecte existe dans le partage des journaux. La correspondance directe se joue dans l’écriture épistolaire et ce qu’on a entendu de ce que l’autre a dit. C’est un dispositif d’écoute qui est à créer à travers cet outil. On ne naît pas épistolier, on le devient. Instituer une correspondance, c’est créé un type de relation faisant appel à la notion de tact ». [7]
Par la correspondance, on développe aussi sa manière de lire. Pour René Diatkine [8], devenir lecteur suppose la capacité de supporter l’intrusion de la voix d’un autre et de lui redonner vie. Et c’est bien avec la voix des lecteurs que le jeune enfant peut entrer dans l’écrit. Il ne pourra ni écrire ni lire avant :
• De former, au fil de ses expériences, des représentations adéquates de l’écrit ou discours chargé de sens.
• De prendre l’ampleur de son expérience du monde
• D’avoir un langage suffisamment élaboré
Ainsi, la pratique de la correspondance engage une certaine dynamique et toujours la relation à l’autre. Il s’agit de sa découverte en lien avec celle que l’on fait de soi-même, de l’audace d’une prise de parole à la construction d’une pensée et enfin de la notion de pacte épistolaire. Cet outil connaît plusieurs moments : sa découverte, son appropriation, son utilisation ultérieure. En formation, il s’agit d’utiliser les ressources des moments qui existent dans un nouveau moment que l’on crée.
En écoutant ce que l’autre partage avec nous, nous avons un éclairage de son moment de formation. Toute pédagogie s’inscrit dans un espace du relationnel. Les expériences des autres vont résonner plus ou moins en nous pour nous permettre de développer des éléments nouveaux qui n’auraient pas émergé sans ce lien et cette attention à cet autre qui vous fait entrer dans l’universel de la culture même. L’autre est un passage obligé pour nous comprendre et c’est dans cette expérience de soi que peut avoir lieu la formation. « L’écriture épistolaire est ce qu’on a entendu de ce que l’autre a dit. C’est un dispositif d’écoute …On ne nait pas épistolier, on le devient » [9]
Nous pensons qu’un pacte épistolaire se constitue avec une adresse initiale. La lettre va mettre l’autre en arrêt, le convoquer dans un impératif plus ou moins fort de la réponse et de la poursuite de cette rencontre. On ne peut plus progresser sans répondre. Il s’agit là d’un dialogue et pas d’un enseignement frontal. C’est une pensée qui arrête et qui questionne l’autre avec un impératif de la réponse. On est figé avant de déployer notre mouvement dans la réponse à l’autre. Voici les différents moments repérés :
– La mise en arrêt : La lettre engage une réponse sur une thématique qui nous a mis en mouvement
– Le mouvement avec impératif de la réponse : La lettre de l’un prolonge la lettre de l’autre et la stimule dans une intérité [10]. Il existe une proximité de langage mais la lettre devient une œuvre qui nous dépasse et qui demande un détachement lors de son envoi
– Les formes, fréquence, tact : La correspondance se met en mouvement jusqu’à la création d’un pacte épistolaire qui va cheminer avec tous les risques que cela peut comporter avec respect, écoute, tact, prise en compte de l’autre.
Présentation d’un dispositif.
Une correspondance à deux à l’intérieur d’un groupe participant, impliqué.Nous observons, depuis quelques années, un dispositif mis en place dans un cours d’Enseignement à distance à l’université de Paris 8. L’intitulé du cours est : La relation pédagogique et le rapport au savoir avec, comme enseignant, Augustin MUTUALE qui crée ce cours en cogestion avec les étudiants en licence de sciences de l’éducation. Il met en place différents espaces qu’ils peuvent investir : la pratique du journal, le récit de vie et la correspondance pédagogique. Dans l’animation de son cours, il veille à se rendre disponible tout en leur donnant des responsabilités d’animation et en invitant des collègues pour animer des forums qu’il nomme des espaces et qui ressemblent à un carrefour de rencontres. Il veille, dans un discours adressé au collectif, à nommer individuellement certains étudiants et à créer ainsi une mini correspondance ou adresse à l’intérieur même d’une lettre circulaire pour tous.
Nous remarquons que ce dispositif contient un aspect technique mais aussi une notion d’atmosphère, avec une énergie qui circule dans le groupe ou même qui le ralentit à certains moments. Cette notion va se révéler fondamentale et constituer un préalable à l’acte éducatif. C’est un dispositif de dialogue qui est créé, via le forum, où l’enseignant se rend disponible, à l’écoute des mouvements en cours. Il peut également mettre à disposition des textes selon les sujets abordés, ce qui lui permet ainsi de rebondir dans une prise en compte et un réel intérêt pour les personnes en présence et pour ce qui se met en place et qui est unique sur cette scène.
C’est la convivialité qui est posée là dans un espace de vie et de rencontre qui fait pleinement partie du processus formatif. Ce sont les allées et venues qui vont permettre à l’écheveau du dispositif de tisser sa toile d’intérité et de garder des traces en visualisant ce qui devient commun entre moi, l’autre et les autres. Le sujet est pris en compte avec sa subjectivité, ses ruptures, ses interrogations dans la fécondité de la conversation, de la rencontre. Dans le forum Correspondance pédagogique, Augustin MUTUALE invite un enseignant à discuter sur un thème particulier avec les étudiants, sous forme épistolaire, par exemple la relation pédagogique.
Après avoir observé une année Remi HESS, nous avons mis en place, depuis trois ans, un dispositif avec les étudiants. Voici un exemple d’ouverture de cette expérience :
« Chers tous
Voici venu le temps du Forum Correspondance pédagogique et je suis ravie de partager ce moment avec vous. Nous allons faire en sorte que ce soit un temps d’ouverture, de convivialité, de construction, d’étonnement, de mise en commun qui va nous permettre de tisser les fils favorables à l’avancée de tous.
Je suis Educatrice de jeunes enfants à la base, formatrice et chercheuse tout à la fois. Mais nous aurons le temps de nous découvrir. Laissez-moi plutôt vous présenter le mouvement épistolaire que nous allons utiliser pour aller toujours plus loin et toujours en lien avec l’autre, les autres et surtout avec nous-même.
Dans une lettre, je viens avec ce que je suis, en dehors des codes établis, avec mon style et il existe cette liberté que l’autre puisse me recevoir tel que je suis. Il y a :
– Mon style
– Une communication par le fait que l’autre existe.
La lettre a cette attente d’être accueillie et elle est vulnérable et fragile car il existe une attente. La vie est une attente et elle dépend de la réponse de l’autre mais c’est au risque d’une non réponse. C’est une implication, un désir, un besoin qui se jouent là.
Dans son essence, la lettre constitue le lieu où l’on donne le pouvoir à l’autre. Elle promeut et médiatise l’humanité en permettant la découverte de soi via l’autre. On s’exprime autrement en fonction de qui on s’adresse. C’est une fécondité qui se crée dans ce matériau.
La forme est aussi importante que le fond. La lettre doit être authentique pour une fécondité. Un lâcher va être nécessaire afin de laisser émerger la relation et la forme qu’elle va se donner et qui n’a rien à voir avec un formatage. Le piège de la correspondance peut exister dans le fait que l’autre se met dans la toute puissance et la domination.
La correspondance de maître à disciple est autre chose. En effet, c’est la confrontation de l’expert avec quelqu’un qui chemine. La correspondance dont nous parlons ici met en lien des personnes en chemin. La lettre n’est pas définitive et reste un mouvement provisoire. Je soumets ma pensée et j’attends que l’autre réagisse.
Je peux m’adresser à quelqu’un dans une adresse particulière et cela via une médiation qui est la lettre et qui nous amène à une implication. « Je m’adresse à ». La lettre me nomme comme personne et cette écriture n’a rien à voir avec de l’anonymat. Il y a implication tout au long de l’écriture qui se veut proche de l’autre. La lettre est toujours dans une proximité car elle vient chez l’autre pour pouvoir parler, converser. Dans un processus d’oralité, c’est une conversation, ce qui n’a rien à voir avec une déclamation. J’attends de l’autre quelque chose, qu’il m’écoute et qu’il me réponde.
Notre dispositif va tourner autour :
– De l’adresse comme lieu
– Du verbe adresser comme faire signe à l’autre, le lien.
Notre endroit est le forum. Et c’est à l’intérieur de cette adresse que nous allons nous adresser aux autres. Une adresse c’est :
– Un lieu bien spécifié, ciblé, une adresse particulière. Il s’agit d’un espace nommé, repéré, reconnu et qui sort de l’anonymat. C’est de ce lieu, celui où je suis, que je vais m’adresser.
– S’adresser à l’autre par une parole.
L’adresse met en place :
– La dimension de l’espace
– La dimension du temps
Je propose un texte ou deux que vous allez lire et sur lesquels vous allez pouvoir rebondir via la correspondance à une personne en particulier ou au collectif. C’est à partir de ces échanges que je pourrai parler du dispositif de la correspondance. Nous allons prendre la parole dans l’écriture d’une lettre et partager nos réflexions, nos résonnances, nos ressentis, nos idées, nos propositions.
Des mots sont utilisés en fonction de l’autre. La correspondance est un accouchement de soi. Je prends ma parole dans ce que tu me dis et notre échange ne peut exister que si chacun prend sa parole. C’est une invitation à cette prise de parole qui permet d’exister. « Vous avez permis que je puisse prendre la parole ». C’est ce qu’écrit Moussa, un de mes étudiants de licence en présentiel, qui ajoute : « Maintenant, je peux écrire ». Il a été confronté à cette invitation de s’adresser à l’autre. Maintenant, il est capable d’écrire et il a pu vaincre sa timidité. Et c’est ce que la lettre permet en effet : que ma parole existe.
Nous allons nous situer dans un accueil et non dans un jugement. Ayant lu toutes vos présentations faisant nettement apparaitre votre implication en lien au souci de l’autre, je ne doute pas un instant de la qualité de vos débats à venir.
Je vous souhaite la bienvenue et un agréable voyage.
Je vous dis à très bientôt.
Christine »
Nous joignons à cette première lettre deux extraits de textes qui traitent de la relation éducative et qui sont prétexte à entrer dans le mouvement épistolaire. (Jean Jacques Rousseau et Michel Lemay). Les étudiants ont le choix de prendre la parole aussi bien sur notre texte que sur les deux extraits proposés. Très vite, les étudiants réagissent en partageant leur réflexion sous une forme épistolaire. S’engage ainsi un échange soutenu, circulaire ou individuel, avec des étudiants qui s’écrivent en s’adressant les uns aux autres.
Voici comment nous leur explicitons aux étudiants la forme de notre participation à ces échanges :
Samedi 9 mai 2020, 11:26
« ….Certain(e)s d’entre vous m’adressent des lettres et j’en suis très touchée. Je vous en remercie mais j’ai décidé de rester sur ma ligne de lettre circulaire, celle qui s’adresse à toi en particulier et à tous à la fois. Dans tous les cas, je pars toujours de vos mots, de vos pensées et, c’est sûr, je n’écrirais pas la même chose si je n’avais pas à faire avec votre groupe en particulier et les individus qui le composent. Encore et encore, je vous remercie chaleureusement. Vous allez au-delà de toutes mes attentes si tant est que j’aie pu avoir des attentes »
Se faire chemin faisant
Voici quelques retours de cette aventure au fil de nos 3 ans d’expérimentation et une classification telle qu’elle se présente à ce jour :
De quoi est constitué le mouvement épistolaire ? :
Dispositif :
Coralyn : « La richesse de l’épistolaire est, selon moi, que nous pouvons nous livrer, exposer un peu de nous-même en étant sûr d’être lu !... L’avantage de cette conversation hors temps c’est que nous pouvons d’une part réfléchir à ce que nous disons, mais également entraîner l’autre dans notre réflexion, le faire suivre notre fil conducteur. ….Je guette les réponses, je vérifie si l’on mentionne mon prénom… c’est avec une sorte d’angoisse mêlée à de l’excitation….Excitation car je sais que quelqu’un m’a lue, et même si je n’ai pas suscité de réaction écrite chez cette personne, je sais que mes mots ont été lus même en diagonale. Et quand quelqu’un me répond je suis contente car je sais qu’il va y avoir un échange intéressant et plein de bienveillance »
Marion : « Aussi à l’écrit, nous pouvons nous relire avant de continuer le fil de notre pensée. Nous pouvons aussi reprendre un sujet abordé plus en avant dans la lettre : ce qui à l’oral pourrait paraitre de l’insistance (le fait de revenir sur un sujet alors que le flot de paroles l’a déjà dépassé) peut se révéler dans une lettre comme de la précision. Il est vrai que par écrit je me surprends à choisir mes mots, à peser leur poids, alors que dans une conversation, les mots sortent sans trop y prêter attention.
L’autre me fait exister, me prête attention, cherche à me faire interagir. L’autre m’apporte des éléments nouveaux qui me font réfléchir à nouveau sur ce que je pensais et peut m’amener à modifier mon point de vue au fil des courriers, et c’est en cela que c’est formateur. Formateur sur un sujet donné mais aussi pour soi-même »
Jonathan : « On est loin et il n’y a aucune rencontre physique et pourtant je vous sens plus proche de moi que certains amis ou certaines connaissances que je croise chaque jour »
Ana-maria : « Personnellement j’ai tout archivé sur mon ordinateur ; ainsi je pourrai relire même à 60 ans, ce qu’à 30 ans j’ai construit avec les autres, lors d’une année d’études époustouflante ».
Corinne à Flore : « C’est l’assurance d’une permanence. La lettre peut être lue et relue. Elle peut être un refuge pour ré-entendre (relire) des paroles réconfortantes. Resituer dans le temps un propos, une émotion, éviter un malentendu car ré-écoutable (relu) »
– Pacte/Oser :
Hélène : « Je me lance dans ce nouvel exercice, intimidant … enfin, j’ose ».
Jonathan à Flore : « Je n’ai donc pas eu le temps de répondre à ta première lettre que ta deuxième était arrivée à destination. »
Corinne : « je me rends compte que je ne peux écrire tous les jours… Cela me demande de l’énergie. ».
Julien à Marion : « je n’ai pas osé me lancer dans d’autres correspondances car oui il y a le manque de temps… »
– Accroche :
Julien à Marion : « Ton courrier m’a le plus intéressé car tu parlais de "l’Emile" de Rousseau ».
Assia à Flore : « La diversité par la culture, les lieux et les relations humaines : tu touches un point très important pour moi. »
Cédric à Marion : « Alors, tout d’abord, je te remercie pour cette lettre ayant comme sujet tes réflexions sur Rousseau et son Émile ou de l’éducation. Je me suis décidé de te répondre »
– Attente de la réponse :
Ana-maria : « Je reviens vers toi, après avoir lu ta lettre à plusieurs reprises Excuse-moi pour le retard dans ma réponse ».
Cédric à Marion : « Premièrement, je voulais te dire que je me suis surpris à attendre une réponse »
Adèle : « la lettre est toujours une prise de risque, on s’adresse à quelqu’un et généralement on attend une réponse…. on se met volontairement dans une situation d’attente »
Julien : « J’ai toujours cette impatience de voir si j’ai eu du courrier ! »
Flore à Assia : « Ta lettre m’a touchée, j’ai ressenti beaucoup de douceur à la lire. Alors merci, merci de m’avoir répondu, d’avoir ouvert le dialogue, de ne pas avoir laissé ma lettre sans réponse »
Agitations provoquées :
Capucine :« Je te rejoins Alexandra. Lorsque j’ai entendu parler de correspondance épistolaire, je me suis tout d’abord découragée : une correspondance épistolaire évoquant pour moi un dialogue écrit, long, utilisant un langage complexe, que je ne pense pas maitriser en tout point. Je trouve cet exercice plus intimidant que les autres pour ma part. Il se différencie des autres conversations via les forums de la plateforme. Je n’ai pas encore bien distingué pourquoi, mais je sens une pression que je ne ressentais pas au sein des autres espaces de paroles. Malgré tout, je trouve que c’est un exercice intéressant. Il m’oblige à réfléchir, sortir de ma zone de confort. Je passe beaucoup plus de temps à préparer mes contributions à ce forum »
Cécile : « Ecrire une lettre, c’est aussi une prise de risque. Une fois que c’est envoyé, on ne peut plus revenir en arrière. Qu’est-ce que l’autre va en penser ? Ai-je bien formulé ce que je voulais dire ? C’est aussi une façon de se montrer, de s’impliquer personnellement »
Julie : « … j’étais au départ beaucoup plus réservée et craintive quant à la correspondance…Peur d’attendre une réponse qui ne viendrait pas, peur d’avoir une réponse qui ne serait pas bienveillante…Entrer dans une correspondance à deux, tout en étant lue par toute une communauté a été donc pour moi au départ un exercice difficile »
Ana-maria : « Je ne connais personne dans cette licence, je ne vous ai jamais vus ; c’est étrange donc de s’adresser à l’autre sans l’avoir vu. Mais justement, cet espace nous permet de nous rencontrer dans le monde des idées et de partager cette tasse de mots….Moi-même, j’ai modifié cette lettre à plusieurs reprises car oui, dans un coin de l’esprit il y a cette petite peur que l’autre accueille mal notre écriture, nos pensées, nos idées. Il y a cette peur, peut-être je me trompe, que l’autre se fasse une mauvaise image de la personne qu’on est. Comment l’autre construit cette image virtuelle de celui qui a écrit ? »
– Plaisir de la lettre :
Coralyn : « J’apprécie énormément la teneur de nos échanges que je trouve très « beaux ». Est-ce bizarre de définir ainsi une correspondance ? En tous cas je me sens apaisée en écrivant ces lignes, comme si les choses étaient à leur place ».
Cédric à Jonathan : « La correspondance, c’est le partage. C’est vrai qu’il me manquait un truc avec la rédaction du journal… il manquait certainement le plaisir de la lettre »
Flore : « …Je découvre le plaisir d’échanger sur des idées, pas oralement mais à l’écrit »
– Confiance. :
Ana-maria : « Ici c’est notre espace à tous, qu’on tisse ensemble vers le savoir de ce que l’autre signifie pour nous, dans une relation épistolaire……. nous tissons un joli moment….. Habiter ces espaces d’échange sans avoir peur d’être jugé »
Flore : « Je crois que la considération des autres étudiants m’a fait beaucoup de bien et m’a redonné confiance en mes capacités »
Corinne à Flore : « la correspondance est facilitante pour moi. C’est un moyen de se libérer sans ressentir le regard de l’autre sur soi….je pense que la correspondance me laisse libre choix d’aborder toutes sortes de sujets, mais pour cela j’ai besoin de trouver des repères chez l’autre ».
Flore : « On ne se connait pas, on ne sait, pour ainsi dire, rien sur l’autre et pour autant je t’écris en confiance. C’est l’avantage de la correspondance, on n’impose pas sa parole comme lorsque l’on est en face de quelqu’un. Si je le souhaite, je peux remettre à plus tard cette lecture, la lire en plusieurs fois, ou même ne pas la lire (ce que je ne ferais pas, beaucoup trop curieuse de découvrir tes lettres !). Donc, si je peux me permettre, ne te soucie plus de la longueur de tes lettres, en tout cas pour moi ... »
- Attention à soi et prise en compte de l’autre :
Sylvia : « En effet la correspondance n’est pas si simple que cela. On croit parfois avoir réussi à exprimer une idée et puis on se rend compte qu’à la lecture de l’autre ce n’est pas le cas ».
Adèle : « La lettre se présente comme ce pont entre moi et l’autre. Quand j’écris à quelqu’un cela signifie que je pense à l’autre, que je fais l’effort, quelque part par ma lettre, de lui plaire dans le sens d’écrire de façon à susciter son intérêt »
Corinne à Flore : « J’apprends à parler de moi, à laisser des ouvertures pour que l’autre puisse continuer à nourrir nos échanges ».
Marion : « l’autre me fait exister, me prête attention, cherche à me faire interagir. L’autre m’apporte des éléments nouveaux qui me font réfléchir à nouveau sur ce que je pensais et peut m’amener à modifier mon point de vue au fil des courriers, et c’est en cela que c’est formateur. »
Adèle : « La lettre, il me semble, est aussi une manière de me présenter à l’autre. Elle me renvoie l’image que je veux donner de moi-même ».
Maissane : « Dans l’isolement, cette relation que nous entretenons, ces échanges sont une fenêtre ouverte au monde et à l’autre. Cela permet un instant d’ouverture sur autre chose que notre quotidien »
– Chercher ensemble :
Cécile à Flore : « ta lettre est très belle… Même si elle ne m’est pas adressée, elle m’a touchée »
Cédric à Flore : « J’ai lu ta lettre à Jonathan mais comme elle m’a également parlé, je me permets de t’écrire »
Nadia à Christine : « J’ai lu votre présentation et je la trouve très intéressante. Elle éveille ma curiosité »
Emeline à Christine : « C’est avec bonheur que je prends part à ce forum de correspondance »
Ana-maria : « Cet espace nous offre un moyen de communiquer avec l’autre en étant nous-mêmes,… Grâce à ce forum, j’ai compris pourquoi j’avais arrêté d’écrire : parce qu’il n’y avait plus l’autre. …. Je n’écris pas pour écrire, j’écris pour comprendre, pour communiquer avec l’autre et avec moi-même ».
– Se faire en mouvement :
Julie : « Je suis convaincue que la correspondance est un merveilleux outil au service de la pédagogie qui permet d’entrer en relation avec l’autre. Je ressens la correspondance comme un procédé qui met en mouvement, qui permet de construire la pensée ».
Auranne : « Plus j’avance dans la lecture de l’extrait et plus il me semble trouver des parallèle avec la manière que j’ai de fonctionner avec ma fille de bientôt 4 ans »
Ana-maria : « Ce forum m’a permis, et j’essaie de comprendre encore le phénomène, m’a permis de retrouver l’écriture. Je la cherchais, mais je n’y arrivais plus….et là, elle est revenue. Pourquoi ? Comment ? Elle est revenue sous une autre forme peut-être, mais elle est là, et ça fait du bien de retrouver ma vieille amie, l’écriture ».
Sylvia : « Puis, au fil des échanges je me suis sentie plus à l’aise… Cette confiance, qui s’est développée tout au long de notre correspondance, nous a permis de nous livrer sans inquiétude, sans crainte et au contraire de partager et de s’entraider »
Apports :
Alice : « La correspondance permet de donner à l’écriture une dimension intime, authentique et créatrice. Elle permet d’entrer en relation avec l’autre même dans une distance qui n’empêche pas la proximité et la réciprocité, chacun faisant l’expérience de la parole de l’autre. Les mots de l’autre peuvent résonner en moi, me déplacer, me mettre en mouvement, me questionner ou tout simplement m’émouvoir… »
Julien à Marion : « Est-ce que la distance physique que donne le courrier nous permet d’en dire un peu plus sur nous ? La possibilité de nous corriger par écrit, de reformuler, l’absence du regard et de la présence de l’autre rend le contenu plus sincère tu penses ? Je me demande à quel moment nous sommes le plus sincère. En face à face ou dans un courrier ? En face à face, je dis ce que je pense avec plein de filtres et, dans un courrier, j’ai le temps de m’auto corriger. Les sujets abordés ne sont pas les mêmes (par exemple là dans cette parenthèse je peux sortir de ce que j’écris et te dire que je trouve étrange mais à la fois sympa de parler de la différence de sincérité du courrier et du face à face).
En face à face je ne dis pas tout, comme par écrit aussi. Je choisis à chaque fois mais je pense être plus précis par écrit que par parole. J’ai le temps de choisir mes mots. Bon, j’arrête là, mais qu’en penses-tu toi ? »
Sarra : « Cela m’a apporté une facilité au niveau de la rédaction et du plaisir de pouvoir rédiger à nouveau des lettres de façon aisée et beaucoup plus fluide…La correspondance est un moyen très fort de pouvoir échanger et amener des ressentis très prononcés au lecteur qui nous lit, cela créé un lien de proximité très fort avec autrui »
Affirmation de soi :
Flore : « Je dois t’avouer que je découvre le plaisir d’échanger sur des idées, pas oralement mais à l’écrit. Je laisse le clavier m’emmener et, c’est étrange, mais je trouve plus facilement mes mots à l’écrit qu’à l’oral. Je crois que la considération des autres étudiants m’a fait beaucoup de bien et m’a redonné confiance en mes capacités.
Corinne : « Je t’avoue que la correspondance est facilitante pour moi. C’est un moyen de se libérer sans ressentir le regard de l’autre sur soi. Je fais un lien avec le lieu confessionnel, le canapé du psy qui évite "les yeux dans les yeux". Les écrits restent et les mots s’envolent »
Paloma : « Je vois que beaucoup de personnes expriment leur difficulté à écrire. Pourtant il n’y a pas besoin d’être poète et poétesse pour écrire. Je suppose que simplement poser des mots prouvent que nous savons le faire ».
Pour terminer la mise en exergue de ces échanges épistolaires en formation, voici un extrait de fin de lettre que nous avons adressé à la communauté épistolaire :
« …….Avant de nous quitter, je voudrais vous présenter l’idée que je porte aujourd’hui autour de cet outil de la correspondance en formation. Mon projet est de mettre en discussion un dispositif de pédagogie active ou contemporaine qui ouvrirait à la mutualisation des savoirs, des idées et où chacun pourrait trouver sa place dans un processus de respect, de reconnaissance et la mise en place d’une communauté de référence.
L’appropriation du savoir est en jeu dans une notion de partage et d’interrogation avec le souci et la prise en compte du rythme de chacun. Il n’y a pas de correspondance sans réponse. Une interaction est demandée d’emblée. Nous nous situons là dans une pédagogie verticale.
Chacun doit avoir sa place en formation mais aussi oser la prendre dans un chemin d’autorisation et d’auteurisation par l’intermédiaire de la médiation épistolaire se situant dans une adresse à l’autre. L’espace peut être donné à un dialogue qui va se développer et permettre à chacun de participer à son rythme. Processus émancipatoire et de construction de la personne, cette pratique va déplacer la personne d’objet à sujet car chacun est dans l’attente d’une réponse qui va le déplacer, le provoquer toujours en lien avec les visées institutionnelles, les référentiels de formation pensés à l’intérieur de différents dispositifs.
Il s’agit de la construction d’un échange dans un principe d’intérité qui demande d’accepter de se faire altérer mais aussi d’altérer l’autre pour entrer dans une création commune et la construction de possibles avec une ouverture vers l’inattendu.
Chacun peut mettre sa touche à l’édifice du commun groupal car la correspondance construit la communauté de référence. L’échange épistolaire devient moment de la recherche d’une communauté qui peut vouloir et rechercher ce qu’elle est en train de devenir.
Bien à vous
Christine CAILLE »
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