Utiliser WhatsApp comme environnement d’apprentissage formel
megpare
mer 19/10/2022 - 14:16
Dans ce numéro, Valéry Psyché, professeure à l’Université TÉLUQ et Valérie Payen Jean-Baptiste, chargée de cours à l’Université de Genève, traitent de l’intérêt pédagogique de WhatsApp comme environnement d’apprentissage à distance en enseignement universitaire, pour faciliter l’accès équitable au savoir, constituer des communautés d’apprentissage, co-construire des connaissances et développer des compétences numériques transversales.
Mise en situation
Depuis peu, Marie enseigne à distance à des étudiantes et étudiants vivant en régions éloignées qui n’ont pas toujours accès à une bonne connexion Internet. Elle souhaite leur offrir la même qualité de service qu’avec des technologies plus exigeantes sur la bande passante telles que Zoom ou Teams, mais sans le besoin d’un haut débit. De plus, comme ses étudiantes et étudiants n’ont jamais l’occasion de se rencontrer en présentiel, Marie cherche un moyen de maintenir leur intérêt pour ses cours en créant une communauté virtuelle d’apprentissage. Celle-ci leur permettrait aussi de développer leurs compétences numériques en communication et en collaboration, sur des sujets traités dans son cours. Elle entend parler de l’utilisation des réseaux sociaux comme possible environnement d’apprentissage et plus particulièrement, de la plateforme de messagerie instantanée WhatsApp, qui pourrait répondre à ce besoin. Elle décide de démarrer un projet pilote avec un de ses groupes tout en se demandant si les étudiantes et étudiants pourront tirer avantage d’une telle plateforme dans un contexte d’apprentissage formel alors qu’elle est habituellement utilisée dans un contexte social et informel.
Pourquoi ?
Cinq raisons d’utiliser WhatsApp pour l’apprentissage formel
- Accès facilité aux ressources pédagogiques et communications instantanées entre les personnes enseignantes et étudiantes ; ouverture à l’apprentissage collaboratif en raison de son affordance sociale (Adjanohoun et Agbanglanon, 2022).
- Possibilité de créer des communautés virtuelles d’apprentissage, de partage et de co-construction de connaissances (Huitt et Monetti, 2017).
- Facilité de partage de liens vers des contenus disciplinaires et des possibilités de rétroaction immédiate de la part du personnel enseignant (Bouhnik et Deshen, 2014).
- Opportunités de tutorat et d’accompagnement des étudiantes et étudiants en ligne (Dounla, 2022).
- Ouverture à l’apprentissage hybride intégrant des pratiques formelles et informelles (Messaoui, 2020).
Quoi ?
Choix d’une plateforme de réseaux sociaux comme environnement d’apprentissage
WhatsApp suscite de plus en plus l’intérêt du corps enseignant comme plateforme facilitant la mise en place de situations d’enseignement-apprentissage à distance et la continuité pédagogique (Bouhnik et Deshen, 2014 ; Dounla, 2022). Une étude conduite à l’Université virtuelle du Sénégal révèle que sur l’ensemble des réseaux sociaux utilisés par la population étudiante, WhatsApp (30 %) est le plus utilisé pour les activités d’apprentissage (Adjanohoun et Agbanglanon, 2022). Sa gratuité, sa faible consommation de bande passante et sa facilité d’accès sur les dispositifs mobiles favorisent son usage croissant à des fins éducatives, particulièrement dans les régions éloignées et défavorisées (Dounla, 2022).
Ce que nous dit la recherche
Potentiel de WhatsApp comme environnement d’apprentissage pour développer des compétences numériques
Comme le montre la figure 1, WhatsApp est un outil qui favorise l’émergence de communautés virtuelles d’apprentissage et peut être utilisé pour développer des compétences telles que la collaboration, la résolution de problèmes et la communication (Asino et al., 2021. ; Nuuyoma et al., 2020). L’usage de WhatsApp pour les discussions de groupe augmente la motivation des étudiantes et étudiants, accroît leur connaissance de la matière et améliore leurs compétences en résolution de problèmes (Kapoor et coll., 2019). Enfin, l’application a un potentiel pour la gestion personnelle d’informations et l’autonomisation de l’apprentissage (Forkosh-Baruch et Alon, 2019), ainsi que pour la réalisation d’activités et la continuité pédagogique (Dounla, 2022).
Figure par les autrices, 2022
Comment ?
Intégrer WhatsApp en enseignement universitaire à distance
Sur la base des recherches précitées, voici quelques pistes pour l’utilisation de WhatsApp en enseignement supérieur :
- Créer une communauté d’apprentissage : l’utilisation de WhatsApp comme plateforme numérique d’apprentissage implique la création d’un groupe. Pour cela, les numéros de téléphone mobile des étudiantes et étudiants sont recueillis avec leur consentement et éventuellement, l’appui de l’administration. Une fois le groupe créé, les objectifs du cours sont présentés ainsi que les règles d’usage pédagogiques, de communication et de participation. Les modes d’envoi des ressources éducatives, de suivi et d’évaluation des activités sont aussi déterminés.
- Partager des contenus : les ressources pédagogiques doivent être partagées avant chaque rencontre. Il peut s’agir de vidéos, de diapositives, de captures d’écrans, de fichiers Word ou PDF, de liens URL vers des contenus disciplinaires. Pour des raisons d’accessibilité pédagogique, il est recommandé de toujours associer une note (vocale ou texte) décrivant le contenu de chaque ressource et ce qui est attendu comme activité d’apprentissage. Les ressources doivent être disponibles sur la page du groupe en taille réduite, par exemple, en les convertissant en format GIF. Les étudiantes et étudiants peuvent aussi partager des ressources complémentaires et leurs travaux modèles.
- Participer aux activités : pour les rencontres synchrones, il est suggéré de convenir d’un créneau avec les étudiantes et étudiants et de l’afficher dans la description du groupe, de sorte qu’elle soit visible pour toutes et tous. L’enseignante ou l’enseignant planifiera un rythme régulier pour l’envoi de questions ou de sujets pour démarrer une discussion, puis interviendra seulement à la fin, sauf en cas de relance de la discussion. Les réponses par les pairs sont à encourager pour cultiver l’esprit de communauté. L’enseignante ou l’enseignant encouragera ces derniers à commenter les textes des autres et à s’entraider pour réaliser les activités demandées. Des mots-clés peuvent être utilisés pour faciliter la recherche des ressources partagées. Une bonne pratique est également de prévoir des moments d’échanges sociaux virtuels pour renforcer l’appartenance au groupe.
- Apprentissages collaboratifs avec suivi : l’enseignante ou l’enseignant peut créer des sous-groupes de travail pour la réalisation d’activités d’apprentissage, qui pourront se démanteler ou se poursuivre en communauté après l’activité, selon leur désir. Dans un souci de confidentialité, l’enseignante ou l’enseignant privilégiera les rétroactions écrites ou vocales en privé via WhatsApp. Pour le renforcement des apprentissages, elle ou il effectuera des rétroactions instantanées sur les erreurs incluant le partage immédiat de ressources. Les apprenantes et apprenants rencontrant des difficultés peuvent alors être rapidement ciblés et ajoutés à un sous-groupe pour un accompagnement particulier.
- Développer des stratégies de communication et de gestion des informations : utiliser WhatsApp pour ses apprentissages implique de savoir gérer ses informations personnelles. Pour cela, l’enseignante ou l’enseignant accompagne les étudiantes et étudiants dans la création de comptes WhatsApp « privés » pour récupérer et sauvegarder les ressources, préserver et hiérarchiser les listes de tâches. Pour les publications personnelles, il sera possible de mettre sous silence les contacts de leurs groupes afin que les messages publiés sur leur statut ne soient pas accessibles.
En somme, WhatsApp peut être introduite auprès des étudiantes et étudiants comme environnement d’apprentissage à distance pour faciliter l’accès équitable au savoir, constituer des communautés d’apprentissage, co-construire des connaissances et développer des compétences numériques dans le cadre d’un cours en mode synchrone et asynchrone. Ces pistes sont à enrichir en fonction des besoins et du contexte d’enseignement.
Références
Adjanohoun, J. et Agbanglanon, S. L. (2022). Déterminants de l’acceptation des réseaux sociaux pour apprendre à l’université virtuelle du Sénégal. Revue Internationale Des Technologies En Pédagogie Universitaire, 19(2), 7-24. https://doi.org/10.18162/ritpu-2022-v19n2-02
Asino, T. I., Gurjar, N. et Boer, P. (2021). Bridging the Informal and Formal Learning Spaces with WhatsApp. The Journal of Applied Instructional Design 10(3). https://doi.org/10.51869/103/tangpb
Bouhnik, D. et Deshen, M. (2014). WhatsApp Goes to School : Mobile Instant Messaging between Teachers and Students. Journal of Information Technology Education : Research, 13, 217-231 https://doi.org/10.28945/2051
Dounla, M. F. (2022). WhatsApp et continuité pédagogique à l’ère de la COVID 19 : l’exemple de l’Université internationale Jean-Paul II et de l’Institut universitaire royal de Baboutcha-Nintcheu (Cameroun). Revue Internationale Des Technologies En Pédagogie Universitaire, 19(2), 61-73. https://doi.org/10.18162/ritpu-2022-v19n2-05
Forkosh-Baruch, A. et Alon, L. (2019). “I opened a group for myself, to keep my data…” : Personal Information Management and Usage Patterns on WhatsApp. In J. Theo Bastiaens (Ed.), Proceedings of EdMedia + Innovate Learning (pp. 268-276). Amsterdam, Netherlands : Association for the Advancement of Computing in Education (AACE)
Huitt, W. G. et Monetti, D. M. (2017). Openness and the Transformation of Education and Schooling. Open : The Philosophy and Practices that are Revolutionizing Education and Science (Ubiquity P, pp. 43–65). Ubiquity Press. https://doi.org/10.5334/bbc.d
Messaoui, A. (2020). Instrumentalisation d’un réseau social en plateforme d’enseignement pendant le confinement : recréer de la présence à distance avec Discord : HAL Id : hal-03028285. 0-14. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03028285
Nuuyoma, V., Mhlope, N. J. et Chihururu, L. (2020). The use of whatsapp as an educational communication tool in higher education : Experiences of nursing students in kavango east, namibia. International, Journal of Higher Education, 9(5), 105–114. https://doi.org/10.5430/ijhe.v9n5p105
Pour en savoir plus
Albers, R., Davison, C. J., et Johnson, B. (2017). Inquiry-based learning : Emirati university students choose WhatsApp for collaboration. Learning and Teaching in Higher Education : Gulf Perspectives, 14(2), 37-53. http://doi.org/10.18538/lthe.v14.n2.275
Bakshi, S. G., et Bhawalkar, P. (2017). Role of WhatsApp-based discussions in improving residents’ knowledge of post-operative pain management : a pilot study. Korean journal of anesthesiology, 70(5), 542. https://doi.org/10.4097/kjae.2017.70.5.542
Gachago, D., Strydom, S., Hanekom, P., Simons, S., et Walters, S. (2015). Crossing boundaries : lectures’ perspectives on the use of WhatsApp to support teaching and learning in higher education. Progressio, 37(1), 172–187. https://hdl.handle.net/10520/EJC180393
Krutka, D. G., et Carpenter, J. P. (2016). Participatory learning through social media : How and why social studies educators use Twitter. Contemporary Issues in Technology and Teacher Education, 16(1), 38–59
Sha, P., Sariyska, R., Riedl, R., Lachmann, B., et Montag, C. (2019). Linking internet communication and smartphone use disorder by taking a closer look at the Facebook and WhatsApp applications. Addictive behaviors reports, 9, 100148. https://doi.org/10.1016/j.abrep.2018.100148
D’autres questions à explorer
- Comment le personnel professionnel de l’enseignement supérieur utilise-t-il WhatsApp dans le cadre universitaire pour combler le fossé entre l’apprentissage formel et informel ?
- Quel est l’impact du contexte socioculturel sur les usages pédagogiques de WhatsApp ?
- Quelles sont les différences et les similitudes dans l’utilisation de WhatsApp entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement ?
- Quels facteurs conduisent au choix de WhatsApp comme technologie de soutien à l’apprentissage et comment ces communautés virtuelles d’apprentissage gèrent-elles les aspects liés à la question éthique dans l’usage des données ?
Notice biographique
Valéry Psyché est professeure au département d’Éducation de l’Université à distance TÉLUQ. Elle est chercheuse dans plusieurs observatoires, instituts et centres de recherche (ONE, OBVIA, LICEF, ISC, CRREF). Elle siège au conseil scientifique de : International Conference on Computers in Education et Intelligent Tutoring Systems. Elle est membre de l’Artificial Intelligence in EDucation Society (AIED), la Society for Learning Analytics Research (SoLAR) et du Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique. Elle a un doctorat en informatique cognitive et est spécialisée en technologie éducative et formation à distance. Ses travaux portent sur les systèmes de tutoriels intelligents, l’intelligence artificielle appliquée à l’éducation, l’ingénierie cognitive, l’ingénierie ontologique, le design pédagogique, la scénarisation pédagogique contextualisée et collaborative.
Valérie Payen Jean-Baptiste, est membre du corps de l’enseignement et de la recherche à l’Université de Genève. Dans le cadre de la formation continue des CAS e-learning et CAS-DLE de l’Université de Genève, elle assiste dans l’ingénierie et l’encadrement des formations, elle assure le tutorat, le suivi et l’évaluation des travaux d’étudiantes et d’étudiants. Elle est aussi doctorante en science de l’éducation à l’Université de Genève et représentante des doctorant.es au sein du comité scientifique des Études Doctorales en Sciences de l’Éducation (EDSE). Elle est membre du comité éditorial du journal Open Éducation : Éducation Ouverte et Libre.
Mentions de responsabilité
Cette capsule est une production de la Direction du soutien aux études et des bibliothèques (DSEB) en collaboration avec le Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique (GRIIP)
Comité éditorial : Claude Boucher, Marie-Christine Dion, Marie-Ève Gonthier, François Guillemette, Alain Huot et Céline Leblanc
Coordination : Marie-Ève Gagnon-Paré
Rédaction : Valéry Psyché et Valérie Payen Jean Baptiste
Correction : Isabelle Brochu et Dominique Papin
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