Connaissez-vous Manu Prakash ?
Le « Foldscope », ou microscope optique en papier à 50 cents, et la centrifugeuse médicale en papier (« paperfuge ») à 20 cents, voilà ce que l’on trouve rapidement en cherchant qui est Manu Prakash sur Google News.
Chercheur à l’Université de Stanford, il propose des solutions inattendues, simples et pratiques pour se confronter sans moyens particuliers à des enjeux de santé comme l’observation des parasites dans l’eau ou la centrifugation du sang. On peut mettre facilement en œuvre ces idées, n’importe où et pour des budgets dérisoires. Toute l’information est disponible en ligne. Sans surprise, c’est un carton sur le net ! Manu Prakash nous bluffe avec chacune de ses créations par leur évidence. Une fois qu’on a vu ce qu’il fait, on a aussi envie de le faire… et on peut.
Et pourtant je serais très (heureusement) surpris que ces propositions fassent l’objet d’une réelle diffusion de masse, qu’elles aient l’immense impact que l’on pourrait souhaiter. Le Foldscope ne me semble pas depuis sa naissance (en 2012) avoir pris cette direction.
L’intelligence et la créativité au service du « faire »
Même si la diffusion planétaire n’est pas là aujourd’hui, elle est réellement possible. Cette simple possibilité change la donne, notamment dans notre réflexion sur l’éducation dans un monde réel où l’information, en création permanente, circule vite, massivement et gratuitement. Manu Prakash est l’une des personnes qui dessinent les contours d’un monde en émergence : une vie fortement ancrée dans le réel, et, grâce au numérique, toujours plus basée sur la créativité partagée et l’intelligence collective.
Partout, pour tous
Dans le monde de l’intelligence collective, la création d’information et sa circulation cherchent à tirer le maximum des matériaux et de l’énergie, dans une quête de frugalité. Utopique ? Faites le test, et fabriquez un Foldscope ou une centrifugeuse en papier ; mesurez le temps, les moyens et l’argent nécessaires avant d’avoir ces outils en main.
Vous commencerez par rassembler l’information grâce à votre ordinateur, votre tablette ou votre smartphone, puis entrerez en contact, par les réseaux sociaux, avec quelqu’un sur la planète qui l’a déjà fait.
Vous fabriquerez l’objet chez vous, ou mieux encore, dans un ces lieux ouverts toujours plus nombreux, où on cultive le « Do It Yourself », FabLab ou MakerSpace, près de chez vous. Auriez-vous pu faire tout cela il y a seulement 10 ans ?
Tirer le maximum des technologies de l’information
Au prix d’une énorme quantité de matériaux, d’énergie, d’intelligence et de travail, nous avons déjà fait une partie essentielle de l’investissement nécessaire à cette présence immédiate et ubiquitaire de l’information et à sa circulation.
Depuis que l’humanité existe et produit des objets, on n’a jamais vu une croissance équivalente. Une surcouche globale d’intelligence artificielle toujours plus complexe, toujours plus présente, toujours plus rapide, toujours plus efficace se met en place, qui peut changer radicalement notre relation au réel et aux objets.
Comme Manu Prakash nous y invite, il s’agit de l’utiliser pour créer, produire et réparer nous même nos objets en générant le maximum d’information, en la faisant circuler et en utilisant le minimum d’énergie et de matériaux.
Il y a là un paradoxe : d’une part, notre monde va irrémédiablement vers la ressource rare, la frugalité. D’autre part, nous investissons en permanence dans cet équipement mondial, coûteux et massif, qui permet de produire et de mettre en circulation l’information.
Ce que propose Manu Prakashn c’est de penser avec toujours plus d’exigence une meilleure utilisation de ces ressources limitées et localisées que sont les énergies et les matériaux en mobilisant l’intelligence collective, soit toutes les connaissances et la créativité possibles.
Au delà du « DIY » : penser et faire ensemble !
Manu Prakash nous surprend aussi quand il montre comment il suffit de revenir au microscope originel pour faire un microscope nouveau, simple et économique, mais performant. Son microscope, c’est en fait celui créé au XVIIᵉ siècle par Antoni Van Leeuwenhoek.
En partant de l’optique géométrique, de la réfraction des rayons lumineux, il a ajouté une LED blanche, une pile et s’est appuyé sur des technologies issues du numérique de plus en plus répandues pour le concevoir.
Il fait ainsi émerger des objets élémentaires, solutions à des questions bien réelles. Il s’agit, lors de la création, de la fabrication ou de la réparation de nouveaux objets, de (ré)utiliser le minimum de matériaux et d’énergie en mobilisant le maximum d’information. On y parvient en pensant et en faisant soi-même, ici et maintenant, tout en collaborant avec d’autres qui peuvent être n’importe où.
Contrairement aux matériaux et à l’énergie, l’information peut être disséminée à grande vitesse et gratuitement tout en se multipliant, en s’enrichissant comme en témoignent les innombrables tutoriels sur YouTube et ailleurs.
En résumé : on produit avec le minimum, on apprend les uns des autres et on fait mieux au prochain coup en profitant de la bonne idée qui a émergé de ces échanges. Pour un enseignant-chercheur en physique, il y a pire programme…
Joel Chevrier a reçu des financements de Agence Nationale de la Recherche pour le projet Sciences, Design et Société : la fabrique des mondes contemporains
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