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L’éducation ouverte, une tendance dans l’éducation (publique) ?

6 janvier 2025 par Michel Briand Communs 310 visites 0 commentaire

repris d’un articlede Simon Ross ipublié dans EdForGood dans la rubrique Point de vue d’expert·e

Quand c’est gratuit c’est toi le produit ?

Cet adage est probablement celui le plus répandu avec le numérique. Il trouve son origine dans l’expérience que nous avons avec les plateformes et réseaux sociaux dominants. Des entreprises plus riche que la majorité des États portent ces environnements en prospérant grâce ou à cause d’un modèle publicitaire, une publicité devenue ciblée par une exploitation massive de nos données personnelles.

Comme bien des choses ont un coût, la gratuité en ligne devient alors suspecte. On voit également cette forme de gratuité mercantile se décliner dans l’éducation par les nombreuses ressources et outils disponibles sur Internet. Un libre accès qui reste une forme de publicité pour une formation ou une organisation, comme ce premier webinaire gratuit dont l’objectif est de convertir vers une offre commerciale, ces guides téléchargeables qui évitent de trop en dévoiler pour créer le besoin ou collecter une adresse e-mail, cet outil freemium dont les fonctionnalités clé sont bien entendu bloquées ! Toutes ces logiques sont certainement le reflet d’un numérique dont la genèse s’est produite dans une société où domine l’idéologie libérale et son économie de marché, avec l’espace public qui se révèle être un bien privé, où l’on observe aussi une privatisation et une marchandisation de l’éducation.

Bien que populaire, cette expression n’en est pas moins une fausse croyance, une simplification d’une réalité bien plus complexe. Une idée reçue d’autant plus contestable quand on vit dans un pays comme la France où la gratuité est au cœur de notre système éducatif !

Il existe au moins une autre forme de « gratuité » basée sur un modèle plus collaboratif : le logiciel open source. Ces logiciels, dont le code source se retrouve à disposition de tout le monde offrant la possibilité d’être utilisé, modifié et partagé montrent d’autres modèles permettant un libre accès aux ressources. Et l’open source n’a rien d’un épiphénomène porté par quelques idéalistes ! La totalité des applications avec lesquels nous interagissons au quotidien contiennent ce type de logiciels, cette culture de partage et de collaboration autour de logiciels commence dès l’origine de l’informatique après la Seconde Guerre mondiale et se retrouve moteur dans de nombreuses évolutions du numérique à commencer par Internet et le World Wide Web, le « cloud » ou la blockchain, même la mode actuelle des IA est rendue possible par plusieurs générations d’outils open source.

En réalité, le numérique repose sur une forme de partage de ressources, la libre circulation de l’information est dans la nature même du numérique. Avec la maturation progressive du numérique, ces phénomènes de partage et de collaboration autour de ressources se développent dans d’autres domaines que le logiciel. Tout un ensemble de mouvements d’ouverture, de « modèles ouverts » émergent ; c’est l’univers des « communs numériques » !

Définition « commun numérique » : ressource numérique produite, gérée et gouvernée par une communauté d’utilisateur·rice·s selon des règles de gouvernance conjointement élaborées. (source : Wikipédia)

Dans l’éducation, on parle d’une « éducation ouverte », de l’anglais open education. Un démonstrateur historique de cette pratique : l’encyclopédie Wikipédia.

L’éducation ouverte, une tendance dans l’éducation (publique) ?

Éducation ouverte, késako ?

C’est ce que tu expérimentes en ce moment même. La newsletter Cap avec ses articles en est un exemple basique repérable par la licence Creative Commons en bas de page. L’éducation ouverte repose d’abord sur des ressources numériques que l’on va pouvoir plus ou moins librement utiliser, modifier et partager, on parle en anglais d’open educational ressources (OER), des ressources éducatives ouvertes qu’on nomme souvent en français ressources éducatives libres (REL).

Pour donner ces droits d’usage, on utilise donc des licences ouvertes type Creative Commons. Pour ensuite permettre la modification, il peut être nécessaire de partager les fichiers source des ressources (ex : pptx d’un pdf).

Tout type de contenu informatif à visée pédagogique peut devenir une REL : un simple article, une présentation PowerPoint, un MOOC, un manuel scolaire, une vidéo, un livre ou une base de connaissances plus complexe comme Wikipédia… Des ressources produites seul ou à plusieurs milliers de mains !

L’éducation ouverte, ce sont ensuite toutes les pratiques pédagogiques que l’on peut mettre en place autour de ces ressources ou dans la façon de les construire. Tout l’enjeu devient de savoir comment bénéficier de cette libre circulation de l’information et cette capacité d’interaction qu’offre le numérique.

L’éducation ouverte, c’est la complexité des communs numériques couplée à celle de la pédagogie !

Vers une normalisation de l’éducation ouverte ?

Sans parler des universités ouvertes initiées vers les années 70, ce que l’on associe aujourd’hui à l’éducation ouverte remonte au moins à 1998 lorsque l’enseignant David Wiley a suggéré le terme « open content » inspiré par le mouvement du logiciel open source.

L’UNESCO aborde le sujet depuis 2002, année où le terme d’« open educational resource » a été formalisé lors d’un de leurs forums, et a depuis émis en 2019 des recommandations sur les REL. Ces recommandations se trouvent être un instrument normatif pour influencer les législations nationales et inciter les États à rendre compte de leurs actions dans le domaine. L’UNESCO fonde ces choix en invoquant la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le droit à l’éducation, ces pratiques sont vues comme un moyen de répondre aux objectifs de développement durable (ODD).

Diverses politiques nationales émergent alors en faveur d’une éducation ouverte comme en France dans la récentestratégie du numérique pour l’éducation 2023-2027 qui soutient l’usage et le développement des communs numériques, que ce soit pour les logiciels ou les ressources éducatives. Cette année, l’Éducation Nationale a lancé laForge des Communs Numériques Éducatifs pour créer et partager des REL à l’échelle nationale.

En parallèle de leurs stratégies de science ouverte, les universités s’orientent progressivement vers l’éducation ouverte comme à l’université de Nantes où vient d’être inaugurée ce mois de décembre leur fabrique REL.

L’argent public dans l’éducation pourrait à l’avenir être dirigé vers des ressources ouvertes.

« En matière de numérique éducatif, nous pouvons désormais affirmer et assumer le fait que les communs numériques constituent l’horizon par défaut des projets soutenus et opérés par l’institution. » Audran le Baron, directeur du numérique pour l’Éducation Nationale, lors de la Journée du libre éducatif 2024

La normalisation de l’ouverture, déjà une tendance dans la science

Depuis 1665 avec la parution du Journal des sçavans, la connaissance scientifique se construit principalement par l’intermédiaire d’articles de recherche publiés dans des revues scientifiques. Libéralisme oblige, la science s’est aussi privatisée et marchandisée, cette connaissance s’est retrouvée sur Internet sous « paywalls » à cause des abonnements aux journaux détenus par des entreprises. Le libre accès au savoir pour tou·te·s n’est pas encore une évidence.

En réaction depuis plus de 20 ans s’est structuré le mouvement de la science ouverte pour prôner un accès ouvert à la recherche. Ce mouvement s’institutionalise à travers des politiques publiques, en France le ministère de l’enseignement a publié son deuxième plan national pour la science ouverte. La volonté est de normaliser la pratique pour que la science ouverte devienne simplement la science, la dynamique pourrait se résumer au slogan suivant : « public money, public research ».

La connaissance scientifique est ainsi en voie de former un patrimoine numérique commun ! Pour accéder à (une bonne partie de) ce patrimoine, il est possible d’utiliser le moteur de recherche d’OpenAlex.

Face aux crises de notre époque, l’ouverture de la recherche est plébiscitée pour favoriser les avancées scientifiques comme lors de la crise du covid avec l’appel commun de l’OMS, de l’UNESCO, du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et du CERN ou encore l’Open Climate Campaign qui promeut l’ouverture de la recherche sur le changement climatique. Plus qu’un simple accès aux travaux de recherche, on pourrait tendre vers de nouvelles manières de structurer le savoir avec une science ouverte qui reconfigure jusqu’à la façon de collaborer entre les scientifiques et la société dans ce travail de production de connaissances.

Une révolution scientifique se dessine sous nos yeux bouleversant en profondeur notre rapport à la connaissance.

Possibles et défis d’une éducation ouverte

Quels bénéfices à des pratiques éducatives plus ouvertes ?

En général, nous sommes utilisateur·rice·s avant d’être producteur·rice·s de ressources. L’éducation ouverte permet d’accéder à un ensemble d’éléments mobilisable dans de la formation, pour s’inspirer ou pour les intégrer dans un parcours. La frontière entre science et éducation est floue, il y a derrière l’enjeu de l’intégration de la science (ouverte) dans l’éducation (ouverte).

C’est une voie vers la mutualisation des moyens autour de besoins similaires à travers des briques de base, l’éducation ouverte peut amener à plus de collaboration entre spécialistes, chercheur·se·s, ingénieur·e·s pédagogiques, enseignant·e·s & formateur·rice·s pour la création de support pédagogiques plus robustes et éprouvés. L’ouverture devient de plus en plus un gage de qualité dans la recherche, bientôt aussi dans l’éducation ?

Les pratiques ouvertes sont indéniablement plus complexes, mais leur impact systémique est d’une tout autre magnitude.

Comment diffuser nos savoirs ?

En ce sens, les licences Creative Commons facilitent ce partage et la question de la propriété intellectuelle.

Le droit d’auteur·rice se matérialise à partir du moment où une œuvre de l’esprit se retrouve fixée sur un support. L’auteur·rice de manière automatique possède un droit exclusif sur l’utilisation et l’exploitation de son contenu. C’est un droit à vie, en France, une œuvre s’élève dans le domaine public seulement 70 ans après la mort de l’auteur·rice avec toujours une protection de son intégrité limitant sa modification.

Le droit d’auteur·rice ne fournit pas de mécanismes simples permettant une libre diffusion et modification des œuvres, on doit alors appliquer des licences pour octroyer ces droits et garantir un cadre juridique de confiance. Une pression croissante s’exerce en faveur d’une réforme du droit d’auteur·rice et du Copyright pour adapter ces droits à l’ère du numérique.

« Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous. » Victor Hugo, Discours d’ouverture du Congrès littéraire international en 1878

Des freins ?

Nombreux ! Et autant culturels que techniques. Notre culture concurrentielle limite le développement de ces pratiques et l’ouverture demande un autre rapport au travail en public où il y a une peur du jugement. Notre approche de consommateur·rice nous amène également à peu nous soucier ni contribuer à la pérennité de ces éléments sur lesquels on repose. On manque en plus d’outils accessibles pour l’écriture numérique collaborative, limités à nos éditeurs de textes classiques, des pads, des wikis… Dans des pratiques avancées, on se retrouve à détourner des outils de développement logiciel comme git créant d’importantes barrières à l’entrée.

Nous sommes à l’âge de bronze du numérique, aux prémices de la révolution numérique dans l’éducation où presque tout reste encore à explorer et construire !

Des modèles économiques ?

En fonction de notre poste en tant que pédagogue, la recherche de cet équilibre entre gratuité et payant est parfois complexe. Ainsi, même lorsqu’on partage une ressource avec un intérêt économique derrière (vente d’une formation ou de ses services…), il est essentiel de communiquer avec transparence sur nos réelles intentions pour (re)créer des relations de confiance, mais aussi que nos ressources gratuites apportent une réelle valeur et ne soient pas de simples supports marketing.

Un exemple qui montre que des modèles économiques aux modèles ouverts sont possibles : Red Hat, une entreprise dans le logiciel open source, a été rachetée en 2018 par IBM pour 34 milliards de dollars.

L’ouverture ne signifie pas absence de modèle économique, au contraire, ce sont de grands enjeux pour la pérennité des ressources. Un modèle de base applicable aussi avec l’éducation ouverte est l’économie de service autour de ressources ouvertes, l’expertise humaine reste souvent toujours utile.

Quelques exemples remarquables

On peut citer l’EduTech Wiki de l’université de Genève qui aborde les technologies éducatives, une REL de qualité universitaire utilisée dans les enseignements.

Dans la formation à la science ouverte on a par exemple The Turing Way qui est un guide pour la reproductibilité de la recherche avec déjà plus de 300 contributeur·rice·s ou la NASA qui a mis en place le curriculum Open Science 101 où d’autres organisations de recherche vont collaborer dans sa production.

L’association Sésamathproduit des manuels scolaires à travers une collaboration entre enseignant·e·s, ces manuels sous licence ouverte peuvent être achetés de manière classique ou téléchargés librement en ligne avec leurs versions modifiables.


Simon Rossi – Acteur de l’éducation aux modèles ouverts et aux communs numériques

Impliqué dans une forme d’éducation populaire et de recherche citoyenne autour des modèles ouverts pour aider à une meilleure compréhension du numérique comme outil de la connaissance face aux crises contemporaines. J’œuvre pour une meilleure intégration des modèles ouverts dans la littératie numérique en les considérant en tant que savoirs fondamentaux.

Licence : CC by-sa

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