En s’engageant dans un doctorat, on a trois ans pour autopsier une problématique, trois ans pour passer du rang d’étudiant à celui de chercheur. Cette métamorphose est parfois brutale. Certains vont même comparer l’écriture de la thèse à un accouchement. D’autres parleront de sacrifice, de bagne, pour un diplôme qui rapporte peu. Pourtant chaque année, près de 15 000 doctorats sont délivrés en France. Alors pourquoi se lance-t-on dans un tel parcours d’obstacles et comment l’expérience est-elle vécue ?
L’appel à témoignage national adressé aux doctorants et jeunes docteurs de 20 à 40 ans fin 2018 par Génération PhD visait justement à apporter un éclairage sur cette question. Une douzaine de chercheurs ont été mis à contribution pour élaborer une enquête composée de 40 questions sous un angle majoritairement sociétal, rarement évoqué dans le débat public.
Fin novembre 2018, à la clôture de ce sondage 100 % en ligne, 2574 doctorants et docteurs de toutes les disciplines et de toutes les régions s’étaient prêtés au jeu. Parmi eux, 44,4 % sont détenteurs du Saint Graal alors que les autres préparent leur doctorat.
Si les chiffres collectés sont bruts et non pondérés statistiquement, la répartition régionale des répondants au sondage de Génération PhD se rapproche néanmoins fortement de celle menée par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation lors de son enquête auprès des écoles doctorales en 2016/2017.
Les participants sont issus de nombreuses disciplines : 28,4 % sont en sciences exactes, 29 % en sciences du vivant, 22,4 % en sciences humaines et humanités, 13,6 % en sciences de la société et 6,6 % en interaction de deux familles disciplinaires. Notons que les sujets n’ont pas été sélectionnés mais ont répondu sur la base du volontariat.
Certes cette étude comporte des limites mais la mobilisation assez élevée témoigne d’une envie des jeunes chercheurs de faire entendre leur voix. De plus, cette approche exploratoire présente l’intérêt de dresser un portait de leurs aspirations. Portrait que nous avons souhaité exposer et commenter…
Des missions variées
69 % des interrogés n’ont songé à la recherche qu’à partir des études supérieures. Il faut dire que passer trois ans à chercher, lire et écrire, quand on peine à comprendre les Fleurs du mal de Baudelaire pour le cours de français, ça ne fait pas rêver… surtout qu’il faut bien l’avouer, il est compliqué de savoir précisément à quoi les chercheurs passent leurs journées ! Et il y a fort à parier qu’entre le paléoclimatologue et l’expert en psycholinguistique les emplois du temps varient beaucoup.
Il est donc difficile de se projeter dans la peau d’un chercheur avant d’en avoir côtoyé un de près. Ainsi parmi les jeunes chercheurs interrogés, près de la moitié ont été inspirés par un scientifique contemporain, un professeur ou un proche…
Contrairement à ce que l’on pense, un chercheur ne consacre pas l’intégralité de son temps à ses travaux. De l’écriture de projets de recherche à l’encadrement de personnes, de la présentation de ses travaux sous format écrit ou oral à l’enseignement, un chercheur endosse de multiples casquettes.
De plus, l’administration à la française n’épargne pas le monde de la recherche. Ainsi, 78 % des jeunes chercheurs déplorent la lourdeur des procédures. Et pour cause ! Rien que pour une réinscription en doctorat, près d’une dizaine de documents sont nécessaires, sans compter les rapports annuels, les ordres de mission, et les méandres nébuleux où les emporte le financement de la recherche.
Malgré tout, 76 % des chercheurs interrogés s’estiment privilégiés par rapport aux personnes de leur âge. On l’oublie souvent mais malgré sa charge de travail, le chercheur reste assez libre dans ses projets et la gestion de son quotidien. La focale est mise sur les résultats, soit les innovations produites par ces esprits créatifs. Or pour innover, il faut un minimum de latitude !
Dans les entreprises en particulier, les chercheurs bénéficient d’un positionnement relativement pratique. Extérieurs aux problématiques, ils sont en mesure de prendre du recul et au cœur de celles-ci, ils peuvent les décortiquer. Consacrés experts de leur discipline, on les sollicite souvent pour des missions-conseils, ou pour des formations. Certains l’ont bien compris et ont créé des passerelles entre ces hyper spécialistes aux multiples compétences et le monde économique (Okay Doc, l’Association Bernard Gregory, Adoc Talent Management ou encore Science me up).
Sentiment de solitude
Être chercheur devrait être avant tout un travail d’équipe. Malgré cela, 65 % des répondants, toutes disciplines confondues, trouvent qu’il y a trop d’isolement chez les chercheurs. Ce constat est d’autant plus prégnant en sciences humaines et sociales. De plus, ce sentiment semble augmenter à mesure que la fin du doctorat approche puisqu’on constate un écart de 22 points entre les premiers et les troisièmes années dans cette question ! Il y a plusieurs explications possibles pour ces résultats.
Premièrement, dans la pensée collective, le doctorat doit faire mal, sinon il a, semble-t-il, moins de valeur. Pas étonnant donc que beaucoup se tuent à la tâche, s’isolent pour se consacrer exclusivement à leurs travaux de recherche, considérant toutes activités « hors thèse » comme une distraction et une perte de temps. Résultat ? L’état d’anxiété augmente, la créativité diminue, sonnant bien souvent le début d’une longue descente aux enfers.
Ensuite, ne confondons pas solitude et isolement. L’une est subjective, alors que l’autre repose sur une réalité concrète. Des sociologues ont tenté de mettre à nu ce qu’ils nomment les « expériences de la solitude dans le doctorat ». Selon les auteurs, ce sentiment de solitude se fonde sur trois dimensions. En doctorat, on est « face à soi », on se révèle, on se surpasse dans une course contre la montre aux enjeux jamais égalés dans une vie d’étudiant.
Ensuite, il y a le « face aux autres », car soudain, on devient obsédé par un seul et même sujet : celui de sa recherche. D’ailleurs, la moitié des chercheurs interrogés estiment que leurs proches ne comprennent pas leur travail. Enfin, être chercheur, c’est remettre en question le monde dans lequel on vit et selon les auteurs, cette dimension peut nourrir un sentiment d’incertitude et de solitude.
Quoiqu’il en soi, solitude et isolement sont à éviter pour la santé mentale ainsi que pour le bien des recherches, et en particulier durant le doctorat. Cette course est un marathon, non un sprint.
La collaboration et un réseau étendu sont indissociables avec le métier de chercheur. La recherche se façonne autour de collaborations nationales et internationales dont les bases se construisent dès le doctorat. Pas étonnant que 10 % des chercheurs interrogés par Génération PhD soient étrangers et que 42 % déclarent avoir des amis chercheurs dans au moins trois autres pays en plus de la France.
Inégalités de revenus
Pourtant, 87 % des répondants à l’enquête constatent un manque flagrant de moyens consacré à la recherche en France. Près de 50 milliards, cela peut sembler beaucoup, mais cela reste moins que les dépenses de l’Autriche, de l’Allemagne ou des États-Unis pour la recherche. D’autant qu’en France, les dépenses au profit de la R&D n’ont pas augmentées depuis 1996 contrairement à la Chine qui a par exemple triplé ses investissement dans la recherche en 10 ans.
Pas si étonnant donc, que les jeunes chercheurs souffrent du syndrome de la poche trouée, d’autant qu’ils ne manquent pas d’ambition. Malheureusement, les salaires ne sont pas à la hauteur – 80 % estiment être sous-payés par rapport à leur qualification – et tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Ces inégalités, on les constate dès la thèse ! En effet si un doctorant en contrat Cifre gagne au minimum 1 957 euros brut par mois, ce nombre peut facilement grimper à plus de 2 700 notamment dans les grands groupes.
Du côté des contrats doctoraux, on est déjà moins bien loti avec un peu moins de 1 700 euros brut mensuel hors activités complémentaires. Enfin on ne peut pas oublier ces 16,9 % de doctorants non financés qui doivent exercer une activité salariée et les 10,7 % sans activité rémunérée en France en 2016.
Ce n’est donc ni un rêve de petit enfant, ni l’argent qui motivent les chercheurs à passer la porte des laboratoires. Partant du principe que tous ne sont pas masochistes ou utopistes, les motivations doivent être ailleurs !
Éclairer le débat public
Effectivement, faire de la recherche, c’est participer à quelque chose de plus grand que soi, que l’on contribue aux avancées sur le cancer ou à la compréhension de phénomènes sociaux comme la radicalisation des jeunes.
96 % des répondants se sentent soutenus par leurs parents. Au-delà de la précarité, de la paperasse et de la complexité des sujets d’étude, il y a l’espoir d’une découverte pouvant apporter de la connaissance, améliorer à terme le quotidien de centaines voire de milliers de personnes et apporter des réponses aux enjeux de demain.
D’ailleurs, on constate chez les chercheurs une envie de partager ses trouvailles avec le plus grand nombre. Ainsi, les initiatives pour « vulgariser » les recherches et les sortir des laboratoires se multiplient. On citera par exemple la Fête de la science ou le festival Pint of Science qui permettent de créer le lien entre les acteurs de la recherche et le grand public.
Lisa Jeanson est doctorante en Cifre au laboratoire PErsEUs de l’Université de Lorraine et au sein du Groupe PSA et trésorière de l’Association Nationale ADcifreSHS.
Anne Vicente et Laura Déléant ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
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