Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une piblications sous lience CC by sa
Romain Laurent, Philippe Dessus et Dominique Vaufreydaz, « Design spatial sociotechnique », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 30 | 2020, mis en ligne le 25 juin 2020, consulté le 30 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/dms/5228 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.5228
Notes de l’auteur : Pour faciliter la lecture de ce texte, le masculin générique est utilisé pour désigner les deux sexes. L’écriture de ce texte a été partiellement financée par l’action Idex Formation 2018 (ANR PIA 2) de l’Université Grenoble Alpes.
Introduction
À la question « Quelle ingénierie pédagogique à l’ère numérique ? », Peraya et Peltier (2020) nous rappellent que ni la question de l’autonomie de l’apprenant ni la maîtrise des compétences informationnelles ne sont des nécessités nouvelles posées à l’ingénierie pédagogique. Ils nous interrogent en retour sur les dynamiques politique, sociale, économique, technologique qui pourraient, ou impliqueraient de, renouveler les pratiques ingéniériales, en réponse aux demandes des niveaux macro-, méso et micro-sociaux décrits par Leclercq (2003). Or, il nous apparaît en effet quelques demandes et tendances à l’œuvre, impactant directement l’ingénierie pédagogique.
D’abord une demande macro-sociale récente, dont il est encore trop tôt pour affirmer qu’elle sera ponctuelle, de distanciation physique des individus compte tenu des incertitudes liées au COVID-19. Cette distanciation pourrait dès la prochaine rentrée universitaire tenir éloignée des salles de classe une proportion importante d’étudiants, appelés à suivre pour la première fois leurs enseignements par caméras et plateformes d’apprentissage distanciel interposées. Cette transposition urgente du présentiel vers le distanciel se heurte à une impréparation aussi épistémologique que technopédagogique, comme le soulignent Villiot-Leclercq (2020) et Caron (2020). C’est là un premier défi proposé à l’ingénierie pédagogique.
Ensuite une seconde demande lourde descendant des niveaux macro- et méso-sociaux, relative à l’économétrie des formations, particulièrement perceptible à travers l’évaluation des enseignements, souvent perméable avec celle des enseignants (Steinberg, 2016). Dans l’enseignement supérieur, ces évaluations sont principalement fondées sur des questionnaires aux étudiants annuels, et renseignent très peu l’ingénierie pédagogique sur la praxis d’enseignement (par exemple « l’échelle micro-sociale de la relation andragogique, pédagogique ou didactique » de Leclercq, 2003), alors même que la technologie autorise aujourd’hui une description plus précise de cette pratique, ce qui constitue un second défi pour l’ingénierie pédagogique.
Cependant, une autre tendance macro-sociale lourde suggère une nouvelle étape du déploiement d’une société de surveillance et de contrôle des individus, aux moyens du numérique, dite surveillance en rhizome (Wood et Monahan, 2019). L’éducation, y compris supérieure, n’est du reste pas à l’écart de ces plateformes de surveillance (Crooks, 2019).
Si ces trois tendances ne sont pas intrinsèquement liées, elles sont susceptibles de se télescoper et il ne peut dès lors plus être exclu que les potentialités offertes par les nouvelles technologies soient sciemment utilisées pour évaluer les comportements des participants aux activités d’enseignement et d’apprentissage, notamment lorsque celles-ci sont médiées par des artefacts numériques comme c’est le cas dans l’enseignement hybride.
Comment l’ingénierie pédagogique peut-elle répondre aux deux premiers défis sans buter sur l’écueil d’une surveillance, ou d’une présomption de surveillance, des enseignants et des étudiants ? Si, en reprenant Basque (2017), l’ingénierie est compétente « pour désigner l’ensemble de la démarche de conception et de développement d’un système d’apprentissage », nous souhaiterions proposer une démarche originale d’instrumentation du système d’apprentissage présentiel susceptible d’articuler hybridation (contrainte ou volontaire) des dispositifs de formation, rénovation de sa capacité descriptive et réflexive de la pédagogie universitaire et respect des protagonistes.
Des systèmes d’apprentissage dans l’enseignement supérieur
Les systèmes d’apprentissage sous-tendant l’enseignement supérieur demeurent majoritairement présentiels (Bower, 2001). Les universités et grands établissements, qui en constituent l’armature, cherchent certes à diversifier leur public (en distanciant leur enseignement présentiel), voire à en faire alterner les modalités (hybridation). Cette hybridation est avant tout fondée sur un socle présentiel et nous pouvons poser que l’enseignement supérieur constitue à ce titre un système d’apprentissage présentiel (SAP). Cependant, la récente irruption de la pandémie de COVID-19 pourrait durablement affecter cette situation. Les institutions d’enseignement supérieur ont en effet répondu à cette crise épidémique par la fermeture des campus (Crawford et al., 2020), conformément à l’impératif de distanciation physique, et par le basculement de leurs modalités d’enseignement du presque tout présentiel au presque tout distanciel. Alors que la rentrée 2020 s’annonce sous les mêmes auspices (Weeden et al., 2020), nous souhaiterions proposer une démarche originale d’ingénierie pédagogique afférente à une instrumentation de SAP susceptible d’articuler présence et distance. Cette démarche, dite « design spatial sociotechnique », vise à articuler un enrichissement des capacités descriptives des systèmes présentiels et régulatrices de la distance. Cette démarche est assujettie à un strict respect de l’intégrité des participants et de l’écologie de la situation d’enseignement-apprentissage.
Nous nommons cette démarche « design spatial sociotechnique » tant elle entremêle normes et habitus sociaux avec instrumentation technique de l’espace. Nous pensons ce design comme une extension du design pédagogique, et il peut être compris comme la conception d’espaces où les interactions entre personnes et artefacts technologiques sont entremêlées, pour en devenir ambiantes ou pervasives (Sawyer et Dunlosky, 2019). Les frontières de chacun deviennent floues : la réalité augmentée rend la frontière utilisateur-artefact floue, les avatars des mondes virtuels rendent floues les frontières entre personnes, les SAP instrumentés deviennent un « environnement collectif d’enseignement-apprentissage » dans lequel les traces d’activités peuvent être capturées, analysées et restituées (semi-)automatiquement. Caron (2020), dans ce volume, signale également la porosité des barrières dans les espaces de formation, en insistant sur la temporalité.
Un design centré sur l’environnement de la salle de classe inhérent au SAP
Le cœur du SAP est fondamentalement constitué d’espaces d’enseignement-apprentissage dans lequel un enseignant et des étudiants réalisent des activités pédagogiques. Puisque le SAP universitaire est encore majoritairement présentiel, il se matérialise dans la salle de cours. Certes, cet espace physique jouit désormais d’extensions virtuelles étayées par des artefacts technologiques (par exemple plateformes pédagogiques accessibles via internet), mais son cœur demeure la salle de cours, le matériel pédagogique (souvent dupliqué entre les deux espaces), et ses protagonistes, et il ne faut pas l’oublier, comme souvent dans la recherche dans l’enseignement à distance où l’espace réfère à un « espace virtuel » (Caron, 2020). Cet espace, s’il est authentique, est circonscrit et opaque. Il est d’abord opaque pour l’ingénierie pédagogique, qui, si elle peut participer à son design physique et pédagogique, est généralement exclue de l’activité in vivo, au demeurant volatile. Ses traces en sont dispersées et éphémères, et l’ingénierie pédagogique est donc rarement en mesure d’analyser ce qui se joue dans les salles de classe, au-delà d’une analyse qualitative du ressenti des participants (par exemple les questionnaires d’évaluation de l’enseignement) ou de l’analyse quantitative de la performance étudiante. L’espace de la salle de classe est également opaque pour l’étudiant distant, s’il ressort à une modalité majoritairement distancielle d’un cursus présentiel. Il n’en récupère là encore que des artefacts décontextualisés, susceptibles d’attiser son isolement (Campbell-Gibson, 2000). Enfin, et en dépit de l’effet « aquarium » décrit par Doyle (2011), ce qui se joue dans la salle de classe est souvent difficile à appréhender pour les protagonistes eux-mêmes, accaparés cognitivement par la multi-dimensionnalité, la simultanéité, l’immédiateté et l’imprévisibilité des scènes scolaires. L’enseignant est ainsi privé des sources de rétroaction différée (par exemple par ses pairs ou par les ingénieurs pédagogiques) autres que celles que le flux de l’enseignement et ses interactions avec les étudiants lui laissent entrevoir.
Nous pensons qu’un design original de cet espace physique de la salle de classe est susceptible d’articuler une réponse à cette opacité, qui constitue donc le premier défi. Ce design nous apparait comme une étape nouvelle dans le cheminement itératif de l’ingénierie pédagogique tel que balisé par Peraya et Peltier (2020) ou Henri (2019). Il repose sur une instrumentation numérique de l’espace de classe au moyen d’artefacts autrefois cantonnés aux laboratoires et aux expériences in vitro ainsi que leur articulation à un certain nombre de garde-fous protégeant tant les participants que l’écologie de la classe. Certes, l’instrumentation numérique dans les salles de classe n’est pas nouvelle et a débuté dans les années 1960 (Blaisdell, 1995) avec des interactions enseignant-machines-élèves. Mais l’arrivée à l’aube du XXIe siècle de salles ambiantes (ou « pervasives », « intelligentes »), recueillant directement des informations contextuelles à propos de l’élève et de l’enseignant, ouvre de nouvelles potentialités et leurs corollaires de dangers. Nous désignerons et expliciterons infra leur prise en charge dans un design spatial sociotechnique. Cette démarche systémique demande donc à l’ingénierie pédagogique de répondre aux questions suivantes : comment et pourquoi instrumenter le SAP ? À quelles conditions ?
Comment instrumenter le SAP ?
L’instrumentation des salles de cours universitaires par des capteurs sensibles susceptibles de croiser des données vivantes difficiles à déchiffrer en temps réel pour un enseignant observateur ou acteur se répand dans les institutions d’enseignement supérieur. Bien que dresser une liste exhaustive de ces capteurs soit difficile, les SAP instrumentés récents comprennent souvent des caméras, des microphones, des dispositifs RFID/Bluetooth (tels les smartphones) pour l’identification et/ou la localisation, des oculomètres pour le suivi des regards (c’est-à-dire permettant un traçage de l’attention et une évaluation de la charge mentale), etc. Désormais accessibles, ces capteurs sont, sinon plus acceptables, en tous cas de moins en moins invasifs.
Le spectre des signaux capturables est large (par exemple multimodal). Les possibilités offertes, sous-tendues par les progrès récents en traitement du signal et en apprentissage machine, notamment via l’apprentissage profond, se déclinent en multiples perceptions de haut niveau : prédiction de l’important sur l’accessoire (par exemple un capteur suit dynamiquement une action plutôt qu’un cadre statique), perception des postures et des attitudes des étudiants (Ahuja et al. 2019), de leur intérêt pour le cours (Gligoric et al., 2015), de leur état émotionnel (James et al., 2018), ou encore perception de l’ambiance de la salle de classe (Ramakrishnan et al., 2019). Toutefois, ces perceptions sont souvent uniquement concentrées sur les étudiants, à des fins de suivi ou de contrôle. Suivant la direction de Peraya et Luengo (2019), il nous semble au contraire possible « d’épaissir » encore les données recueillies afin d’être en mesure, d’une part, de restituer plus fidèlement l’activité en jeu (pour l’apprenant distant) et, d’autre part, de la décrire plus finement à des fins d’analyse, dans une approche plus diagnostique, partagée entre l’enseignant et les ingénieurs pédagogiques.
Pourquoi instrumenter le SAP ?
Multiplier les capteurs, démultiplier les captures et leur faire bénéficier des dernières avancées de l’apprentissage-machine n’est une fin en soi ni pour les enseignants ni pour les étudiants, les premiers concentrés sur l’acquisition des connaissances, compétences et habiletés propres à leur discipline, les seconds à la consolidation, voire la construction, de leur projet personnel et professionnel. L’enjeu principal de ce design spatial sociotechnique est d’ouvrir l’hypothèse d’une automation de feedback formatif et l’apport de données issues de teaching analytics, étayées par la recherche sur les données probantes (par exemple Hattie, 2008). Cet apport est nouveau, car inenvisageable avant la démocratisation des capteurs décrits ci-dessus, y compris par les verbalisations des participants.
L’instrumentation de ses espaces d’apprentissage nous semble en mesure d’apporter une première pierre à la remise en présence de l’étudiant distant. Bien avant le COVID-19, la situation de ce dernier était bien souvent un face à face avec son environnement personnel d’apprentissage (EPA), déclinaison appauvrie des salles de classe, lui proposant généralement un scénario pédagogique pour l’utilisation de ressources, un hub de communication et des activités sommaires d’autoévaluation. La recherche a régulièrement étayé les difficultés de ces apprenants vis-à-vis de cette modalité d’apprentissage, et notamment l’angoisse, l’isolement, la peur, l’anxiété voire la honte de penser être « le seul à ne pas y arriver » (O’Regan, 2003). Or, les captations multiples voire intelligentes (c’est-à-dire auto-centrées sur les zones d’intérêt), ouvertes par l’instrumentation multimodale des salles de classe, offrent l’opportunité d’y faire pénétrer (ou revenir dans le cas des étudiants empêchés en raison de l’application des règles de distanciation physique) les étudiants distants, bien au-delà de la simple captation statique. Ainsi, une salle de classe instrumentée telle que décrite dans la section précédente serait susceptible d’offrir à l’apprenant une position immersive dans une situation d’enseignement authentique. Une fois les multiples captures compilées et traitées par l’apprentissage machine, l’étudiant pourrait adopter le point de vue qu’il juge le plus pertinent sur l’activité qui se joue, ou bien laisser à l’apprentissage machine lui proposer un point de vue composite.
Le point de vue de l’enseignant s’avérerait particulièrement modélisant pour les apprentissages : non seulement le regard de l’enseignant auscultant le matériel pédagogique, mais son timbre, sa prosodie, sa verbalisation-explicitation, sa gestuelle (notamment sa déictique) sont en contexte authentique autant d’indices pédagogiques guidant les apprenants dans leurs apprentissages (Pasquinelli et Strauss, 2018). Cette multiplication des perspectives permettrait aux étudiants distants d’être les récipiendaires des matériaux d’enseignement dans leur contexte, mais aussi le témoin des dialogues, des interactions, des émotions et du climat de sa classe, variables qui leur faisaient défaut au sein de leur EPA, autrement dit, et pour paraphraser Jacquinot-Delaunay (1996), de déployer « une interactivité mentale, intentionnelle, intransitive », donc de rendre un « apprenant physiquement absent, mentalement présent » (Peraya et Peltier, 2020). De surcroît, les capacités visio-prédictives de l’apprentissage machine semblent pouvoir enrichir cette capsule de vie de classe d’une augmentation de la réalité filmée, en y insérant des données d’indexations et/ou contextuelles, facilitant ainsi la navigation autonome de l’apprenant empêché.
À ce stade de notre argumentation, il ne pourrait s’agir que d’introduire Big Brother dans les salles de classe, et d’être en mesure de surveiller, potentiellement pour punir, les protagonistes au bénéfice direct des apprenants distanciels et des évaluateurs tapis dans l’ombre. C’est pourquoi une dimension éthique des données collectées et calculées, et le respect de l’intégrité des protagonistes, doivent prévaloir dans l’instrumentalisation d’un SAP et le déroulement de la démarche de design spatial sociotechnique. Cet équilibre observation vs intrusion peut être atteint en évaluant finement le seuil entre l’intrusivité des salles de cours augmentées et la pertinence des informations recueillies nécessaires aux compréhension et retransmission de ce qui se joue dans ces salles.
Observation vs intrusion dans les SAP instrumentés
S’il ouvre des capacités inédites d’analyse et de restitution de l’activité d’enseignement, un tel appareillage soulève des questions légitimes sur les conditions de sa mise en œuvre. Cette instrumentation est-elle (ou doit-elle être) transparente, c’est-à-dire laisser voir aux participants les variables scrutées et les enjeux sous-jacents ? Affecte-t-elle l’authenticité de la situation d’enseignement-apprentissage ? Peut-elle être translucide, c’est-à-dire laisser passer les seules informations nécessaires à l’analyse du contexte d’enseignement, mais filtrer ce qui relève de l’intégrité physique, psychologique, privative des participants ? N’est-elle pas intrusive, tant corporellement que temporellement (par exemple en requérant une installation ad hominem et un calibrage rognant sur le temps d’enseignement) ? Il est encore trop tôt pour pouvoir répondre à toutes ces questions, mais c’est dès la conception d’une telle instrumentation que l’ingénierie pédagogique doit déployer un important nombre de garde-fous, discutés et négociés horizontalement et exhaustivement avec les protagonistes. Nous en voyons au moins trois, tous incidemment rempart de la pérennité d’une telle instrumentation.
Premièrement, les enseignants et leurs étudiants doivent d’abord être en mesure de voir, à travers le dispositif, les variables scrutées et leurs enjeux associés de manière transparente. Cette transparence des enjeux doit notamment permettre aux participants de se prémunir contre toute évaluation ou monitoring masqués, aussi abusifs pour le respect des droits des participants que susceptibles d’affecter l’écologie de la classe, en induisant notamment des stratégies de masquage. Ainsi, le design spatial sociotechnique devra irrévocablement bannir toute rétroaction informatisée en temps réel (par exemple l’enseignant alerté d’une inattention étudiante) et n’autorisera pour ces raisons que des interactions asynchrones à distance. Le recueil, traitement et exploitation des données doivent de même être inclus dans le design de cet espace, et faire en amont l’objet d’un consensus négocié.
Deuxièmement et s’agissant des données recueillies, le respect de l’intégrité des participants impose qu’elles ne permettent pas de distinguer les personnes qu’elles décrivent, lesquelles ne pourront en retour être réduites à ces traces (translucence). Cette obfuscation à la source des individus (par exemple le système instrumenté « avatarise » les participants sur le modèle du site this person does not exist : https://www.thispersondoesnotexist.com) et de leurs sphères privées (par exemple le système instrumenté masque toutes les données ressortissant à la vie privée de l’individu) est désormais autorisée par la mise en place de protocoles d’apprentissage-machine de protection de la circulation et du stockage des flux des données.
Troisièmement, les activités qui se jouent dans la salle ne doivent pas être entravées, dissipées ou retardées. Les participants doivent être libres de leur mouvement et de leur pensée. Bien que la miniaturisation des capteurs soit grande, le design spatial sociotechnique devra s’assurer de l’acceptation, toujours subjective, de leur installation, que ce soit dans l’espace ou même parfois sur le corps, dans le cas des oculomètres mobiles. Une telle instrumentation doit donc intégrer dans son design initial l’obtention de l’accord éclairé des participants pour se prêter à l’expérimentation, laquelle aura au préalable obtenu l’autorisation des comités d’éthique compétents (Laurent et al., 2020).
À ces seules conditions, la salle de classe numériquement instrumentée devient à la fois sensible au contexte et protectrice des droits (à l’enseignement, à l’apprentissage, à la vie privée), indispensable à la nécessaire écologie de la situation analysée comme au respect des participants.
Conclusion
Nous avons montré, dans cette contribution, qu’une centration sur l’instrumentation de l’espace de la classe, ce que nous avons nommé le design spatial sociotechnique, était en mesure de permettre à l’ingénierie pédagogique de relever les deux défis que lui proposaient l’ingénierie sociale et l’ingénierie de formation, respectivement une remédiation à la distanciation physique et andragogique, et le besoin d’accroissement de sa puissance descriptive, sans tomber dans l’ornière tendancielle de la surveillance rhizomique. Cette démarche est systémique : elle prend en compte l’espace physique, son instrumentation numérique, les recueils et traitements subséquents, sa réplication différée et les précautions indispensables à la préservation de l’intégrité des participants et de l’écologie de la classe.
Le respect intransigeant de la sécurité physique, psychologique, et pédagogique est la pierre angulaire du design spatial sociotechnique. Il laisse néanmoins ouvertes certaines questions. Les classes sensibles seront-elles des environnements socio-émotionnels suffisamment authentiques pour que les apprenants distants en tirent un bénéfice ? Comment pallier l’absence des interactions synchrones entre salles distantes, impossibles puisqu’un traitement obfusquant sera nécessaire ? Quel modèle de design élaborer, pouvant guider la conception, construction, et exploitation de telles salles ? Même si certaines avancées existent déjà (Ellis et Goodyear, 2019), ce modèle reste encore à construire, et il s’apparente certainement aux modèles de design ouverts que décrit Villiot-Leclercq (2020) dans ce volume.
Bibliographie
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