En janvier 2020, s’était tenu à l’Académie des sciences un colloque sur le changement climatique, au cours duquel était organisé une table ronde avec de jeunes participants, étudiants, doctorants, chercheurs, qui ont fait le choix de s’engager pour le climat, notamment en participant à des actions de médiation scientifique (le Train du climat). Nous avons interviewé trois d’entre eux, et vous livrons leurs réponses à l’occasion la Journée mondiale pour le climat, ce 8 décembre.
Vous souvenez vous de votre première sensibilisation aux questions climatiques ?
Aurélien Bigo : J’ai eu quelques cours sur le développement durable et en lien avec le climat durant mes études de géologie, étant donné la proximité de la thématique avec le thème de la formation. Néanmoins, ces enjeux n’étaient pas forcément intégrés à l’ensemble de la formation.
Camille Jonchères : Le problème du climat est intervenu dans ma vie par la formation que j’ai suivie. J’étais dans l’avant-dernière année universitaire en sociologie, où après avoir hésité avec le parcours recherche, j’ai choisi le parcours « études et diagnostiques sociologiques ». Professionnalisant, ce master se caractérisait par un stage de six mois. Au moment de la recherche de stage, j’ai été recrutée par l’Association climatologique de moyenne Garonne (ACMG) pour intégrer un programme européen (Adaptaclima). Ma connaissance était alors très générale, mais j’ai pu rapidement m’outiller sur l’actualité du front de la recherche et des enjeux associés au changement climatique et ses impacts. Ce bagage sur les essentiels m’a permis ensuite de construire mon identité professionnelle sur des bases solides. Cela a été une véritable immersion, teintée de passion et de créativité ; à la fin du stage, je voulais rejoindre ces troupes qui réfléchissent au problème et imaginent comment y répondre !
Florian Tirana : Je me souviens d’un moment en particulier qui a pour moi été le point de bascule de ma prise de conscience du problème climatique. Il s’agit de l’interview donnée par Nicolas Hulot sur France Inter, où il annonce sa démission [le 28 août 2018]. J’étais bien sûr parfaitement au courant de la situation avant, comme beaucoup d’entre nous, mais je ne réalisais pas, je crois, l’urgence et l’imminence du problème. Voir M. Hulot défait à cause de son incapacité à faire changer les choses, et s’interroger sur le soutien de la société civile, a été un vrai choc. En tant qu’ingénieur, formé dans une grande école publique, j’ai senti que j’avais la possibilité de faire quelque chose, pour faire bouger les lignes. Je me suis donc senti responsable de m’engager dans cette voie-là, depuis ce moment-là.
Lors de votre scolarité, cette question du climat a-t-elle été abordée ?
CJ : Je n’ai pas le souvenir que le climat ait été abordé. Je me souviens seulement d’une semaine régulière du « développement durable », mais que je n’associais pas à une problématique plus large ou même à des constats scientifiques. Je garde seulement le souvenir d’exercices pour apprendre à trier les déchets.
FT : Au lycée, le développement durable était au programme de géographie, d’une manière très peu percutante et sans aborder la question du climat. Rétrospectivement, je trouve ça extrêmement dommageable, les notions étaient présentées comme de vagues objectifs de long terme, pas si importants que ça. Évidemment, l’urgence de l’ampleur de la situation devrait, à mon sens, être au cœur de l’enseignement.
À Polytechnique, j’ai suivi plusieurs cours de climatologie donnés par des chercheurs de l’Institut Pierre-Simon-Laplace. Cette fois-ci, le contenu était convaincant, mais limité à la trentaine de personnes assistant au cours. D’ailleurs, dans notre école, de plus en plus de gens sont sensibilisés, mais, pour la grande majorité, cela ne change ni leur mode de vie, ni leur orientation politique. L’inertie du bon vieux statu quo demeure très persistante, et je pense que pour beaucoup, c’est difficile d’admettre que le climat nous concerne ici et maintenant, et que ça implique des modifications radicales de notre mode de vie personnel. Certaines personnes cependant sont engagées et très actives dans des associations internes à l’école ou dans des mouvements écologistes plus larges. Je suis moi-même militant à Extinction Rebellion.
Pouvez-vous citer des livres, dessins animés ou films qui vous ont touchés à ce sujet ?
AB : Un film qui m’a marqué était Une vérité qui dérange, d’Al Gore, pour la justesse de la démonstration scientifique sur les dangers que représente le changement climatique. Il y a eu également le film Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent, pour l’indispensable imaginaire d’un avenir meilleur que peut représenter la transition, afin de donner au public le plus large possible l’envie d’agir.
CJ : Rétrospectivement, je pense que le premier objet médiaculturel qui m’a touché est Princesse Mononoké, de Hayao Miyazaki, où la nature est un personnage à part entière. Ensuite ce sont des livres que j’ai lu pour mon métier, en premier lieu Écologie et Société, de Yanni Gunnell (Armand Colin, 2009).
FT : Perdre la Terre de Nathaniel Rich m’a beaucoup touché, dans la mesure où on réalise que ces questions sont anciennes, que tout le monde savait mais que cela n’a pas suffit à faire bouger les grandes puissances. Le petit manifeste Pour éviter le chaos climatique et financier de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou est aussi très percutant, à mettre en toutes les mains !
Comment interagir dans un monde numérique lorsque l’on connaît l’impact des serveurs sur le climat ?
AB : Il me paraît important avant tout de peser le pour et le contre de nos actions, et utiliser le numérique comme un outil qui peut être utile mais n’est pas une fin en soi, et doit ainsi être utilisé avec modération. Aussi, il ne peut pas complètement remplacer des échanges plus directs et une éducation en présentiel, interactive, qui suscite les interrogations et le débat, éducation qu’il faut pouvoir privilégier autant que possible, car le sujet peut parfois être anxiogène et nécessite des réponses pensées collectivement.
CJ : Cette question interroge à mon sens les contradictions que produisent le changement climatique et ses impacts. Pour moi, la question de l’impact de l’usage individuel du numérique en lien avec l’empreinte carbone d’un serveur, revient à ramener la gestion de l’eau potable aux écogestes du lavage de dents ou de la douche/baignoire. C’est important comme indicateur de changement social, mais cela ne dit rien du problème structurel sous-jacent. Donc, j’interagis dans un monde numérique où je développe des liens et participe à des communautés d’idées (j’utilise souvent les ressources du libre), où j’essaye de participer à l’effort collectif pour avancer vers une société désirable. Ainsi, je peux par exemple travailler avec des institutions publiques à interroger puis réduire leur empreinte numérique et trouver des manières de relocaliser des serveurs.
FT : Limiter sa consommation de « GAFA », je dirais. Cependant, statistiquement, il y a beaucoup d’autres choses à changer qui ont un impact bien plus fort : consommer moins de viande, changer ses pratiques de transport, isoler son logement... Le rapport de Carbone 4 intitulé Faire sa part permet de bien remettre les choses en place quant aux ordres de grandeur de l’impact carbone de chacune de ces mesures.
Quelle action vous semblerait (plus ou moins) facile à mettre en œuvre à l’école ou au collège et au lycée ?
CJ : Il me semble que le climat pourrait être une belle problématique transversale où puiserait chaque discipline pour incarner ses enseignements. C’est l’avantage de la complexité du sujet, il est possible de s’y rattacher de plein de manières, et donner ce panorama pluridisciplinaire préparerait les esprits aux futurs métiers qui devront casser les silos. Idéalement, je souhaiterais que des projets d’établissements soutiennent et valorisent (notamment pour l’obtention des diplômes, sur les temps de cours et avec un personnel rémunéré) des réalisations coconstruites entre jeunes, professionnels et scientifiques pour rendre tangibles les enjeux du climat et expérimenter des réponses.
FT : Chaque matière est concernée par la question du climat, qui est absolument systémique de notre mode de vie sur Terre. Les enseignants ont à mon sens une responsabilité, dans la mesure de leurs possibilités, sur ce que représente le changement climatique, et comment nous pouvons lutter. Si peu de gens remettent aujourd’hui en cause l’existence-même du changement climatique, beaucoup restent indifférents et ne remettent pas vraiment en question notre mode de vie et notre économie. Il est crucial pour moi d’insister sur l’ampleur du changement et des catastrophes à venir si l’on ne fait rien, pour rendre concret et tangible le climat.
D’après vous, les scientifiques peuvent-ils agir ? Ou bien est-on condamné au climato-pessimisme ?
CJ : En tant que scientifique, je m’interroge sur l’intérêt de mon métier pour la société et j’essaie de jouer mon rôle social. Je me préoccupe beaucoup de l’intelligibilité de ce que je participe à produire et j’essaie (mais c’est un essentiel de mon métier de sociologue) d’écouter et comprendre mes interlocuteurs pour trouver un pont de connaissance. Je considère qu’il n’y a que des mécanismes produisant des condamnés, je m’implique tous les jours, avec beaucoup d’alliés, pour en trouver d’autres.
FT : Sans remise en cause de notre économie et de nos modes de vies en société, il est absolument insensé d’espérer pouvoir sortir de ce problème. Les scientifiques ont une responsabilité d’informer sur les enjeux du climat partout où ils le peuvent, dans la mesure de leur temps. Je pense qu’on ne pourra enclencher de véritable transition sans prise de conscience collective de l’ampleur du problème - et cette prise de conscience, à la source, vient toujours des scientifiques, qui seuls sont capables de comprendre l’évolution du climat.
Aurélien Bigo, après avoir fait des études d’ingénieur en géologie et suivi un master d’économie de l’environnement, réalise désormais une thèse sur la transition énergétique dans les transports.
Camille Jonchères est doctorante Cifre (doctorat en entreprise) en sociologie et climatologie à la région Nouvelle-Aquitaine.
Florian Tirana est étudiant à Polytechnique, en quatrième année du cycle ingénieur, spécialisé en sciences de l’environnement.
Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
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Photo JF Dars/Académie des sciences
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