Il vous est certainement déjà arrivé de discuter avec quelqu’un dans une langue que vous maitrisiez mal. Dans ce genre de situation, l’un des réflexes pour mieux comprendre ce qui se dit est de se baser sur les gestes ou les mimiques de son interlocuteur. Peut-être même celui-ci aura-t-il fait l’effort de souligner ou d’illustrer son discours par des gestes pour vous faciliter la tâche.
La majorité des professeurs de langue ont l’habitude de ce type de communication. En effet, lorsqu’ils parlent à leurs élèves dans la langue enseignée, ils ajoutent fréquemment des gestes de pointage, des mimes ou des expressions faciales à leurs propos. Ces éléments kinésiques facilitent le décodage des informations et l’accès au sens en langue étrangère.
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Il n’est pas nécessaire de mimer chacun des mots que l’on prononce en langue étrangère, cela chargerait inutilement le discours et serait contre-productif. Il s’agit surtout d’illustrer les mots-clés, à partir desquels pour que les apprenants vont reconstituer le sens global de leurs énoncés.
Cela fonctionne aussi bien pour les adultes que pour les enfants à condition, pour ces derniers, que les gestes ne soient pas abstraits ou difficiles à décoder. Par exemple, un geste communément utilisé pour illustrer l’action de boire est de porter le pouce tendu vers sa bouche avec les autres doigts de la main repliés. Pour un adulte, cette configuration de la main représente une bouteille dont le pouce est le goulot. Or, pour des enfants de maternelle, ce geste peut être interprété comme signifiant « sucer son pouce » puisqu’imaginer une bouteille relève d’un niveau d’abstraction trop complexe.
Confiance et mémorisation
Outre un effet positif sur la compréhension des énoncés, le recours à des gestes en classe peut aider à la mémorisation. Celle-ci est renforcée lorsque l’enseignant produit des gestes avec de nouveaux mots de vocabulaire. Et lorsque les apprenants reproduisent ces gestes en répétant le lexique à apprendre, l’effet est encore plus important. Cela fonctionne également pour l’apprentissage de la grammaire et de la phonétique.
Pourquoi cet effet ? Tout simplement parce qu’une information est mieux mémorisée si elle est encodée plusieurs fois, et de différentes manières. Si on ajoute un geste à un élément verbal et qu’on le fait en plus reproduire par les élèves, on crée un triple codage – auditif, visuel et moteur – ce qui consolide considérablement la mémorisation à court terme et à long terme. De plus, impliquer le corps des apprenants apparait essentiel pour le maintien de l’attention et la mémorisation.
En effet, s’exprimer dans une langue étrangère devant d’autres personnes (ses camarades de classe ou des étrangers) est, pour beaucoup d’apprenants, une épreuve difficile à surmonter. Avoir peur de faire des erreurs, de prononcer mal, de bafouiller, de ne pas arriver à s’exprimer ou de ne pas être compris peut être un moment stressant, décourageant, voire paralysant. Savoir surmonter sa peur de parler devant les autres et oser s’exprimer dans une langue qu’on maitrise mal peut s’apprendre par des techniques qui impliquent le corps.
En effet, avant de poser des mots en langue étrangère, on apprendra à prendre confiance corporellement avant d’ajouter le verbal à son expressivité. De nombreuses initiatives pédagogiques et projets de recherche mettent en avant les bienfaits de ces techniques corporelles pour l’apprentissage des langues que ce soit par la danse ou par le théâtre, par exemple.
Un rôle de chef d’orchestre
Si l’implication du corps en général est bénéfique pour l’apprentissage, elle l’est aussi pour l’enseignement. Car la gestuelle est un véritable outil pédagogique pour l’enseignant et peut remplir différentes fonctions. La première fonction est celle d’information. Lorsque l’on enseigne une langue, on transmet des informations sur le lexique, la grammaire, la prononciation ou encore la façon de communiquer dans la langue. La gestuelle pédagogique utilisée par l’enseignant permet d’illustrer ces éléments : par exemple en mimant des verbes d’action pour les faire comprendre ou encore en montrant la position des lèvres pour prononcer un son ou en faisant des mouvements ascendants ou descendants pour indiquer une intonation.
La deuxième fonction est celle d’animation qui comprend à la fois les gestes utilisés pour donner des consignes (montrer trois avec ses doigts en disant « vous allez travailler par groupes de trois » par exemple) et les gestes pour réguler les prises de parole (pointer vers un apprenant pour l’interroger, faire un geste de la main paume vers le ciel pour lui demander de parler plus fort ou encore un chut avec l’index sur la bouche en direction d’élèves bavards).
Enfin, la dernière fonction est celle d’évaluation. Elle sert à donner un retour sur une intervention d’un apprenant en l’encourageant sans l’interrompre verbalement (par des sourires et des hochements de tête par exemple) ou en lui signalant une erreur pour qu’il s’autocorrige (par un froncement de sourcils ou encore un index levé). Dans ces différentes fonctions, le geste peut être redondant avec la parole mais peut aussi la compléter, voire s’y substituer (dans le cas où on ne veut pas interrompre l’apprenant par exemple).
Dernier aspect intéressant, l’enseignant utilise également son corps pour se démultiplier. Dans la classe, il doit gérer simultanément plusieurs actions. À la manière d’un chef d’orchestre, il peut réguler les prises de parole : pointer de la main droite vers une apprenante qu’il interroge, tout en indiquant de la main gauche à un autre apprenant qu’il doit attendre son tour, en scrutant le reste de la classe du regard pour s’assurer de son attention.
Des ressources à intégrer
On peut sans peine imaginer comment la crise sanitaire que nous traversons actuellement bouleverse la gestuelle pédagogique de l’enseignant de langue. Tout d’abord, le visage masqué rend la compréhension orale et la prononciation particulièrement complexes lorsqu’on ne voit pas les lèvres de l’enseignant. Il se doit donc de compenser avec le regard ou des indications manuelles. Les initiatives pédagogiques évoquées plus haut impliquant la danse ou le théâtre sont difficiles à mettre en œuvre au temps de la distanciation sociale et on incite plutôt les élèves à rester assis dans leur bulle sanitaire plutôt qu’à se déplacer dans la classe.
Quant à l’enseignement à distance en visioconférence, il complique également les choses : impossible de pointer vers un élève, difficile de jouer sur les regards et obligatoire de produire des gestes dans le cadrage restreint de la webcam.
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Pour conclure, la question de la formation des enseignants se pose. Comme pour leurs apprenants, prendre la parole devant un groupe, accepter les regards scrutateurs des élèves sur soi, oser mimer de manière ostensible et exagérer ses mimiques faciales pour théâtraliser son corps ne va pas toujours de soi pour les enseignants novices.
De la même façon que l’on forme les acteurs à exprimer avec leur corps, on doit former les enseignants (et pas seulement les enseignants de langue), en utilisant par exemple des pratiques théâtrales et de la vidéoscopie. Cela ne signifie pas formater les enseignants en leur imposant une gestuelle à adopter mais plutôt les aider à optimiser leurs ressources. Un professeur souriant, bien dans son corps, avec une gestuelle illustrative et visible et un regard englobant tous ses élèves sera plus efficace dans son métier et saura capter l’attention. « »
Marion Tellier does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
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