La médiation scientifique peut-elle contribuer à la promotion de la paix ? Telle a été la question posée le groupe Traces, en collaboration avec l’association Graines de paix lors d’une journée dédiée au thème de la science médiatrice de paix, en préambule à la Journée mondiale de la science au service de la paix qui se célèbre le 10 novembre.
En quoi la question de la paix est-elle légitime dans un musée de science ?
Des musées particuliers
« Les musées sont des institutions permanentes, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouvertes au public ; ils acquièrent, conservent, étudient, diffusent et exposent à des fins de recherche, d’éducation et de plaisir, les témoignages matériels et immatériels des peuples et de leur environnement ».
Ainsi le Conseil International des Musées (ICOM) définit-il depuis 2007 la nature et le rôle des musées.
Appliquons cette définition aux institutions muséales particulières que sont les musées de science, dont les principaux sont les muséums d’histoire naturelle (MHN) et les jardins botaniques, les musées archéologiques, anthropologiques et ethnographiques, les musées d’histoire des sciences et des techniques et, depuis les années 80, les centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) : présentent-ils toujours l’ensemble des caractéristiques déclinées dans cette définition et, réciproquement, ces dernières sont-elles suffisantes pour définir intégralement leurs missions contemporaines ?
Si les musées de science détenteurs d’un patrimoine (tels les muséums et l’ensemble des institutions dépositaires de collections d’objets naturels ou techniques) s’accordent relativement bien avec cette définition, les missions de la grande majorité des autres centres de science (au nombre desquels on compte tout de même la Cité des sciences et de l’Industrie) ne sont certes pas spécialement orientées vers la conservation et l’étude de collections. Ne serait-ce que parce qu’ils ne s’adossent que très rarement à des laboratoires de recherche, à l’inverse des muséums. Dès lors, puisque l’usage tend pourtant à confirmer leur statut de musées, que doit-on attendre de ces acteurs, récents mais non moins majeurs, de la culture scientifique et technique ? Cela nous amène-t-il en retour à reconsidérer les rôles des musées en général ?
Le rôle sociétal des musées de science
Non seulement la définition de l’ICOM ne reflète pas les activités d’une grande partie des musées et centres de science actuels, mais il apparaît en outre qu’aujourd’hui, et probablement encore davantage demain, ces institutions ne devraient probablement pas se limiter à ces quelques missions historiques. En passant sous silence la manière dont ces « témoignages matériels et immatériels » doivent être « diffusés » et « exposés », en réduisant de manière vague les finalités des musées à la recherche, à l’éducation et au plaisir, cette conception contourne en effet la question fondamentale de leur rôle sociétal spécifique, dont découle la manière dont ils peuvent répondre aux attentes et aux besoins de leurs publics.
Comment en effet exposer à des fins d’éducation ou d’information sans interférer avec les rôles respectifs de l’école et des médias, et donc sans collaborer avec eux ? Comment divertir sans réduire son identité à celle des parcs d’attractions ? Que les musées soient « au service de la société et de son développement » est une évidence ; mais cela nous oblige à nous demander de quoi cette société a besoin, et de quel type de développement. Or cette question, le monde de la culture scientifique se la pose depuis déjà de nombreuses années ; et s’il s’interroge aujourd’hui sur son rôle dans la promotion de la paix et la prévention de la radicalisation, c’est parce qu’il continue à se la poser.
Un peu d’histoire
Depuis la création des Muséums d’histoire naturelle à la fin du XVIIIe siècle, le rôle social de la culture scientifique et technique (CST) en général a beaucoup évolué : si cette culture particulière était initialement réservée à quelques élites, la révolution industrielle a soudain rendue nécessaire l’éducation de la classe ouvrière dans un mouvement aussi bénéfique que paternaliste. Si, à la création du Palais de la Découverte à la fin du XIXe siècle, il s’agissait d’accompagner la création du CNRS par le développement d’un « esprit scientifique » dans la population, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont également nécessité un véritable effort de réhabilitation de la part de la communauté scientifique, avant que l’industrie ne fasse à nouveau part de son côté d’un besoin accru d’ingénieurs et de techniciens.
Autant de tâches confiées à la « vulgarisation scientifique », prise entre deux feux dès les années 80 : la nécessité de promouvoir la science et les carrières scientifiques d’une part, et le besoin de répondre aux préoccupations de la société civile à l’égard des applications de la science d’autre part.
Naissance de la médiation scientifique
La « médiation scientifique », née sur le terreau des controverses sociotechniques, s’est ainsi rapprochée de deux mondes associatifs : celui de l’éducation populaire d’une part, et celui de la protection de la nature et de l’éducation relative à l’environnement d’autre part.
Dans les années 2000, elle s’est intéressée à « l’empowerment » des populations « éloignées de la science » et à la lutte contre l’autocensure vis-à-vis des études scientifiques, notamment pour les jeunes filles. Plus récemment, avec notamment l’apparition du mouvement des fablabs, on lui a demandé de promouvoir la créativité et l’innovation à des fins de vivification du tissu économique. Aujourd’hui, dans un perpétuel souci de réflexivité, la CST doit rester ouverte à toute nouvelle problématique sociétale dans laquelle elle pourrait avoir un rôle à jouer, que ce soit par le biais des connaissances produites par la recherche, de la promotion de la démarche scientifique ou des outils de dialogue développés par la médiation scientifique : menace populiste, théories du complot, radicalisation et résurgence du terrorisme international sur le sol français font très certainement partie de ces problématiques.
Redéfinir le rôle des musées
Pour revenir à la définition de l’ICOM, nous ne pensons pas que les musées en général, et les musées de science en particulier, quels qu’ils soient, devraient limiter leurs actions à des objectifs d’éducation et de plaisir ; et pas davantage à des fins d’information. Si cela a pu être le cas par le passé, aux origines de la « science pour tous », les enjeux auxquels la société et l’humanité sont confrontées aujourd’hui nécessitent le déploiement d’un autre type d’arsenal, orienté vers des buts autrement plus ambitieux.
À quels besoins de la société, à quels types de « développement » les musées de science devraient-ils donc, et surtout sont-ils en mesure de répondre ? Dans la perspective de définir une vision d’avenir pour la culture scientifique et technique, il nous semble opportun de commencer par réfléchir à cette question.
Aux définitions traditionnelles des musées, et dans la ligne des préconisations de la déclaration de Toronto des musées et centres de science (2008), il faudra alors sanas doute ajouter tout un ensemble de notions telles que la mise en perspective des savoirs, la mise en scène du processus de découverte, la discussion de la notion de « vérité » (d’où qu’elle vienne), la vision systémique et la pensée complexe, la réflexion critique, la confrontation des points de vue, la construction de l’opinion, le respect des valeurs et des croyances face aux connaissances scientifiques, la responsabilité citoyenne, l’empowerment sociotechnique, le renforcement du lien social et intergénérationnel… C’est d’ailleurs bien ce qui rend si exaltant l’avenir des musées lorsqu’ils traitent de la Science, de la Technique et de la Nature.
Richard-Emmanuel Eastes est membre-fondateur du groupe Traces, groupe de réflexion et d’action sur la science, sa communication et son rapport à la société.
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