Un article repris de la revue Education et socialisation, une publication sous licence CC by sa nd
Béatrice Chaudet, Sandrine Gelly-Guichoux et Arnold Magdelaine, « Observer et analyser les dynamiques inclusives à l’œuvre dans un établissement d’enseignement supérieur : l’expérience « ACCESS Tertre » à l’Université de Nantes », Éducation et socialisation [En ligne], 65 | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 02 octobre 2022. URL : http://journals.openedition.org/edso/20674
Introduction
En 2005, l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) définit la démarche d’éducation inclusive ainsi : « la démarche de l’éducation inclusive consiste à chercher comment transformer les systèmes éducatifs et les autres cadres d’apprentissage pour les adapter à la diversité des apprenants » [1]]. L’éducation inclusive repose alors sur une approche sociotechnique de la transformation des Environnements de Formation (Albero, 2010) et d’Apprentissage (EFA), pensés pour favoriser l’accès et la réussite de tous et toutes, sans distinction aucune. Depuis 2013, l’article L123-2 du code de l’éducation française précise que le service public de l’enseignement supérieur contribue « à la construction d’une société inclusive » en réduisant les inégalités, en luttant contre diverses formes de discriminations. Il « contribue à l’amélioration des conditions de vie étudiante, […] et au développement des initiatives collectives ou individuelles en faveur de la solidarité et de l’animation de la vie étudiante. […] Il veille à favoriser l’inclusion des individus, sans distinction d’origine, de milieu social et de condition de santé ». [2]
En ce sens, l’éducation inclusive invite les établissements de l’enseignement supérieur à favoriser l’accès aux études supérieures au plus grand nombre et à contribuer au bien-être et à la réussite universitaire (De Clerq et al., 2020) de chacun.e par une offre et un accès large aux EFA. Cette approche systémique renvoie au concept d’environnement capacitant permettant « aux personnes de développer de nouvelles compétences et connaissances, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche et sur la manière dont ils la réalisent, c’est-à-dire leur autonomie » (Fernagu-Oudet, 2012).
Alors que les travaux de recherche interrogent plutôt l’éducation inclusive des établissements du premier ou second degré (Lansade, 2015), ceux relatifs à l’enseignement supérieur sont plus rares (Milon, 2021 ; Nadeau et al., 2018 ; Ebersold, 2008, Segon et al., 2017). Les enjeux d’un enseignement supérieur inclusif portent sur la continuité des parcours scolaires, la poursuite d’études dans le supérieur et l’insertion professionnelle. Il s’agit également de considérer l’accueil, l’accompagnement, les conditions de formation, d’apprentissage et de socialisation. Ces aspects supposent une qualité de l’environnement des campus universitaires pensée selon les principes de l’éducation inclusive et de l’accessibilité universelle (Plaisance, 2013) qui concernent à la fois des modes d’organisation administratifs et pédagogiques des formations et des modes d’organisation de l’espace des campus (accessibilité, signalétique, continuité des cheminements...).
L’article propose de décrire les dynamiques inclusives impulsées par le contexte réglementaire français en direction des établissements d’enseignement supérieur et initiées au sein de l’Université de Nantes (UN) aujourd’hui Nantes Université (NantesU) [3]. Il s’intéresse à la création du programme inter-services ACCESS qui offre un espace privilégié d’observation des actions menées en son sein en faveur d’EFA inclusifs. L’approche réflexive, à l’œuvre ici, permet d’examiner les conditions de l’émergence des dynamiques inclusives inhérentes au dispositif ACCESS et à sa déclinaison à l’échelle d’un campus universitaire nantais : l’expérimentation ACCESS Tertre.
Des conditions institutionnelles favorables et suffisantes à l’émergence de dynamiques inclusives dans l’enseignement supérieur ?
L’article 20 de la loi n°2005-102 prévoit que « les établissements d’enseignement supérieur inscrivent les étudiants handicapés ou présentant un trouble de santé invalidant, dans le cadre des dispositions réglementant leur accès au même titre que les autres étudiants et assurent leur formation en mettant en œuvre les aménagements nécessaires à leur situation dans l’organisation, le déroulement et l’accompagnement de leurs études » [4].
Le nombre d’Etudiant.e.s en Situation de Handicap (ESH), inscrit.e.s dans les établissements d’enseignement supérieur depuis quinze ans, n’a cessé de progresser. Les étudiant.e.s inscrit.e.s à l’université en France étaient 1 421 700 en 2005 ; ils/elles atteignent 1 634 500 en 2019. Selon le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, près de 40 000 ESH sont accueilli.e.s dans l’enseignement supérieur avec une progression de 30% depuis 2017. L’UN n’échappe pas à cette tendance. Le Relai handicap de l’établissement dénombrait 832 ESH en 2019, avec une progression de 27% depuis 2017 [5]. Ajoutons que le nombre d’ESH déclaré.e.s ne reflète qu’en partie la réalité des situations vécues dans la mesure où la reconnaissance ne peut être faite que sur la déclaration des étudiant.e.s et la reconnaissance des services habilités.
L’accueil et l’accompagnement proposé par les missions handicap dans les universités françaises, depuis la charte Université-Handicap en 2007, participe au déploiement d’un enseignement supérieur de plus en plus inclusif. Lors de son renouvellement en 2012, la charte confirme la dynamique inclusive impulsée en 2007. Celle-ci est consolidée et amplifiée avec « la mise en place d’une politique inclusive en matière de handicap (qui) s’intègre dans les ambitions d’une université française qui souhaite offrir une égalité des chances à tou.te.s les étudiant.e.s ainsi qu’une égalité de traitement à tous ses personnels quel qu’en soit le statut » [6].
Pour l’établissement, en mars 2007, un référent handicap est nommé et intervient auprès des étudiant.e.s. D’emblée, l’articulation avec le Service Universitaire de Médecine Préventive et Promotion de la Santé (SUMMPS) de l’université s’opère afin de formaliser les accompagnements des ESH quelle que soit leur discipline. À sa création, la mission handicap devenue ensuite Relai handicap est composée d’une seule personne. Pour faire face aux besoins croissants d’accueil et d’accompagnement, deux personnes ont été recrutées depuis. Si on peut se réjouir que toutes les universités françaises soient dotées d’un référent handicap ou d’une mission handicap en 2021, les équipes en charge de l’accueil et de l’accompagnement des ESH restent encore amplement sous-dimensionnées, dans la mesure où leurs missions consistent à accueillir et accompagner les ESH, identifier les besoins en prenant en compte l’interaction entre les facteurs personnels et environnementaux rencontrer un ou plusieurs membres des équipes pédagogiques et administratives, dans les cas où c’est possible, afin d’identifier dans les situations d’apprentissage et d’évaluation, les obstacles et facilitateurs dans l’EFA.
9Ainsi, ces accompagnements relèvent de deux dimensions que nous percevons comme complémentaires dans une dynamique inclusive : une dimension intégrative (Castelein, 2018) en accompagnant l’ESH et l’ensemble des personnes qui interagiront avec lui/elle, (étudiant.e.s pair.e.s tuteur.trices, enseignant.e.s, personnels administratifs) et une dimension inclusive, en s’appuyant sur le modèle de développement humain et la prise en compte de l’environnement dans le processus de production du handicap (Fougeyrollas, 2010). Il s’agit alors d’arrimer l’environnement physique et numérique d’un campus universitaire avec l’ensemble des acteur.trice.s, dont l’ESH, afin que l’accès à un enseignement supérieur inclusif devienne une réalité.
Pour autant, alors que la Loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche prescrit la mise en place de Schéma Directeur du Handicap (SDH), en 2019, toutes les universités n’avaient pas encore produit ce document d’orientation stratégique de programmation pluriannuelle]]. Dans le contexte de l’UN, le premier SDH [7]. Des ressources disponibles, des livrables et un calendrier sont également définis. Cette note, co-rédigée avec le Relai handicap sert de point d’ancrage institutionnel pour que stratégiquement, le Centre de Développement Pédagogique (CDP) puisse être légitime pour déployer ce programme, en réponse aux actions programmées dans le SDH de l’établissement. Ces actions concernent « la formation autour du handicap, l’amélioration de l’accessibilité, l’accueil et l’inclusion des étudiant.e.s en situation de handicap, ou encore le recrutement des personnels en situation de handicap » [8].
ACCESS est animé méthodiquement via le cadre conceptuel du développement pédagogique (Frenay et al.,2011). Il amène ainsi les enseignant.e.s et personnels des services transverses à envisager la question de l’inclusion dans la « planification de dispositifs pédagogiques en soutien de l’apprentissage des étudiant.e.s » et le développement de programmes de cours. Il tend à maximiser les ressources de l’établissement pour agir en faveur de l’inclusion.
Le rôle du CDP, à travers le programme ACCESS, est d’accompagner le développement en prenant en compte les attentes formulées par les personnes volontaires, impliquées qu’il s’agisse de mieux comprendre certaines situations de handicap, partager des situations rencontrées entre pair.e.s, identifier des leviers facilitant la mise en œuvre d’environnements plus inclusifs. Ainsi, en mobilisant les réseaux d’experts, en garantissant une trace et une diffusion des productions réalisées pendant les ateliers, en accompagnant individuellement ou collectivement les enseignant.e.s qui souhaiteraient se lancer dans des expérimentations et/ou dans la création d’ateliers de sensibilisation, en organisant des temps d’échanges et de travail inter-services, en communiquant sur le programme et ses finalités [9] le CDP et le Relai handicap, à travers ce programme ACCESS, adoptent une démarche contributive.
L’enjeu du programme est d’en faire un objet approprié par un ensemble d’acteur.trice.s, qui participe de l’animation d’un territoire en tant qu’objet d’accompagnement à la transformation, au changement de normes par un collectif, à travers une méthode qui s’appuie également sur les travaux de Lewin (1951). Se concrétisent ainsi des actions de sensibilisation à l’approche environnementale des situations de handicap qui vont jusqu’au développement d’environnement d’apprentissage (Blandin, 2007) plus capacitants. A l’échelle meso, le programme articule un ensemble d’actions inter et intra-établissements, interprofessionnelles, inter-composantes et interdisciplinaires, diverses, parallélisées et coordonnées, qui viennent questionner des usages et pratiques socialement installés. Ces multiples actions qui impliquent des équipes pédagogiques, des étudiant.e.s, des membres et responsables de services sont autant de “petites touches” (Lemoine, 2020) pour lesquelles le CDP crée des espaces de traduction (Callon, 2006) qui facilitent la perception de la nécessité du changement, l’expression de besoins situés, l’identification d’opportunités liées au collectif réuni et la mise en programmation.
Sensibiliser, former et impliquer des acteur.trice.s de l’établissement aux EFA inclusifs
La création du programme ACCESS, concomitant à la mise en œuvre du premier SDH de l’établissement, réunit des enseignant.e.s, des personnels administratifs et des étudiant.e.s en situation de handicap ou non. Ce programme coordonne, à l’échelle de l’établissement, la mise en place d’espaces réflexifs et de co-construction de ressources au service de l’accessibilité des environnements d’enseignements apprentissages au sens inclusif.
Les ressources recensées et produites reflètent la diversité des actions d’accompagnement menées par le programme : la réalisation d’un guide d’appui et de ressources « situations de handicap et enseignement inclusif » [10] pour un enseignement supérieur inclusif, les actions de sensibilisation en proximité menées par des enseignants connecteurs inclusion, les temps d’informations, de formations entre pair.e.s comme l’atelier nantais sur les situations de troubles du spectre autistique animé par une enseignante-chercheure du Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, la conférence animée par Pierre Castelein, président du Réseau International du Processus de Production du Handicap (RIPPH) sur l’approche environnementale du handicap et la Conception Universelle des Apprentissages (CUA) [11], les temps d’échanges et retours d’expériences internationales comme ceux organisés avec la Haute Ecole Libre de Bruxelles, de l’Université Laval (Québec).
Le programme créé ainsi des conditions favorables au déploiement d’EFA plus inclusifs en accompagnant les membres du collectif ACCESS dans le développement d’actions ou d’ateliers thématiques tant à l’échelle d’une composante de l’établissement qu’à l’échelle d’un site universitaire ou plus largement à l’échelle de l’établissement. À partir des initiatives proposées, le programme accompagne la réalisation du projet, facilite les collaborations entre les acteur.trice.s de l’établissement, essaime les actions engagées auprès des différentes composantes de l’université et partage les réalisations de ce collectif en faveur d’une pédagogie inclusive via des pages internet dédiées, OPeN ACCESS.
Dans ce processus, le CDP soutient l’engagement et la prise d’initiatives en favorisant les collaborations au sein du groupe. Dans une logique combinatoire, il associe à l’approche psychosociale de la conduite du changement de normes collectives par le participatif, la méthode d’animation de communautés de pratique (Wenger et al., 2002) et son développement (Dameron et Josserand, 2007). La communauté élabore ainsi ses propres actions et dans une approche par « prototype » et le CDP ajuste les accompagnements et facilite les évolutions des objets expérimentés. Le rôle ici du CDP est d’animer la communauté en facilitant sa participation active, en créant des espaces de co-création d’éléments tangibles tout en prenant en compte des facteurs contextuels externes et internes. Le cycle de vie de la communauté, ses phases de transformation, la redéfinition des périmètres d’action et d’intervention est pris en compte et les ajustements sont réalisés, en concertation, avec les parties prenantes. La communauté soutient ainsi des processus d’engagement plus individuels, en permettant à chacun.e, sur la base de communs discutés et co-élaborés, d’entreprendre des actions à destination de l’ensemble de la communauté qu’elle soit experte ou nouvellement créée. La communauté entre ainsi dans une phase d’élargissement de son champ d’intervention (Wenger et al., 2002). Le processus d’acculturation généré par les actions en faveur d’EFA plus inclusifs s’opère à chaque étape : l’identification d’un objet frontière, la réalisation d’un atelier et la co-production d’une ressource. Le dispositif à l’œuvre à l’UN repose sur l’accompagnement et le développement par la pédagogie, d’une démarche contributive pour que chacun agisse “par petites touches” dans son domaine d’intervention en continuum, au profit d’actions inclusives.
Créer les conditions favorables à l’émergence d’actions inclusives : l’origine d’ACCESS Tertre
Dès sa création, le programme ACCESS invite les membres de l’UN à participer à des ateliers, conférences, rencontres autour du handicap et des situations de handicap. Les participant.e.s se saisissent de ces temps d’échanges et de ressources pour s’enrichir et partager leurs expériences de terrain : ils/elles sont des contributeurs.trices d’ACCESS. Ces dernier.e.s sont invité.e.s à réfléchir à une action en faveur de l’inclusion, au sein de leur composante. Toutes les actions qui s’inscrivent dans une dynamique inclusive au sein de l’établissement sont recevables.
Afin de favoriser l’émergence d’objet-frontière, support d’action de la communauté de pratique du programme, un atelier « cartographie des ressources en faveur d’un enseignement supérieur plus inclusif » est proposé. Il permet, à chaque participant.e, de (re)découvrir des actions et ressources existantes de l’établissement. Les propositions d’actions et les ressources partagées par les un.e.s stimulent les autres : par exemple, le fait de porter à connaissance l’existence d’un plan d’accessibilité du campus sciences de l’UN fait naître l’idée d’une transposition de ce plan à chaque campus de l’établissement.
L’engagement volontaire des membres du programme à mener « une action inclusive » se formalise par la signature de « lettres d’engagement » entre les membres du programme, les directeurs de services ou de composante. Les actions proposées concernent l’accompagnement pédagogique et le développement professionnel de la communauté de pratique du programme, l’acculturation des services d’une composante, la production de ressources partagées au sein d’une composante, d’un campus universitaire ou de l’établissement.
L’engagement d’enseignant.e.s chercheur.e.s de l’Institut de géographie et d’aménagement de l’UN, contributeur.trice.s du programme ACCESS, se traduit par la réalisation d’une étude de l’accessibilité du campus Tertre. Cette étude permet d’interroger les pratiques et usages du campus par les étudiant.e.s et personnels en situation de handicap ou non et de produire une ressource inédite : le plan d’accessibilité du campus Tertre (transposition du plan accessibilité du campus sciences au campus Lettres et sciences humaines de l’UN). L’expérimentation ACCESS Tertre est l’une des actions inclusives réalisées sur le campus Tertre de l’UN.
Le programme ACCESS lui-même, dans toutes ses composantes et particularités, apparaît comme l’une des conditions favorables au déploiement d’un enseignement supérieur plus inclusif. En effet, le programme favorise, par son fonctionnement intrinsèque, l’émergence de dynamiques à des échelles micro dont l’expérimentation ACCESS Tertre est une illustration.
ACCESS Tertre : la co-production d’une cartographie de l’accessibilité : une mise en œuvre complexe, interactive et dynamique
L’observation et l’analyse de ce qui s’est joué à chaque étape de la co-production et de la diffusion de la cartographie du campus Tertre, permettent de proposer une analyse réflexive d’éléments qui nous ont semblé limitants ou favorables à l’émergence de dynamiques inclusives situées.
Comme évoqué précédemment, l’expérimentation ACCESS Tertre, s’initie à partir d’un plan de l’accessibilité du campus sciences qui préexistait. Nous considérons ce plan comme un objet-frontière (Star et Griesemer, 1989) au sens où l’emploient Trompette et Vinck (2009), « les acteurs de ces mondes sociaux peuvent, grâce à l’objet-frontière, négocier leurs différences et créer une mise en accord de leurs points de vue respectifs. » (p. 9) Si le consensus initial autour de la nécessité de ce document est un facteur de réussite de l’engagement collectif dans le développement de nouveaux environnements inclusifs, il soulève de nombreuses questions : quelles données collecter ? Quels sont les indicateurs d’EFA inclusifs ? Comment mobiliser les savoirs expérientiels des étudiant.e.s et personnels en situation de handicap ? Quels services inclure dans la dynamique pour collecter les données permettant la production cartographique ? Comment diffuser les livrables du projet et essaimer ? Comment garantir des documents à destination de tous et toutes et non uniquement dédiés à des groupes de personnes identifiés comme ayant des besoins spécifiques ? L’adaptation du plan du campus sciences au campus Tertre, révèle une avancée à petits pas, par boucles successives.
Pour engager la phase de recueil, nous avons considéré, comme Milon (2021), l’université comme « un espace transitionnel, un passage vers le devenir adulte, un lieu d’apprentissage, mais également un lieu d’expérimentation et d’émancipation » (p. 3) et avons ainsi apporté une attention particulière aux retours d’expériences afin de recueillir les stratégies et usages du campus, selon une approche qualitative et exploratoire : les entretiens en marchant. La démarche est exploratoire, huit entretiens, au sein du campus Tertre, ont été menés en mars 2021 auprès d’ESH et personnels de l’université. Le contexte sanitaire n’a pas permis de déployer le dispositif. Toutefois, les usagers du campus ont évoqué des difficultés très variées, ils peuvent être sensibles aux conditions de l’environnement (bruit, lumière, foule, déplacements, communication, utilisation des équipements). Ces entrevues ont permis d’aborder les questions liées à l’environnement physique et celles liées à l’environnement académique ou pédagogique. Cette méthode a permis d’appréhender l’accessibilité des EFA dans toute sa diversité et de contextualiser les obstacles et facilitateurs rencontrés au quotidien par les enquêté.e.s. Se saisir des savoirs expérientiels et des expériences vécues nous semble être une piste à favoriser dans la perspective d’une culture de l’inclusion et d’évolution des EFA vers des dispositifs plus inclusifs (Chaudet et al., 2021). D’ailleurs, on ne peut dissocier la collecte et l’analyse des expériences des espaces du campus Tertre, de l’analyse réflexive issue de l’observation des interactions in situ entre les multiples acteur.trice.s sollicité.e.s, impliqué.e.s. dans cette expérimentation.
Le CDP réalise avec les porteur.se.s des boucles réflexives, courtes ou longues, en fonction des invariants opératoires qu’elles questionnaient, dans l’analyse de l’activité (Coulet, 2011) afin de détecter les indices de réussite, d’anticipation, dans le but de tendre vers une forme d’autonomie dans la continuité des actions à réaliser dans chacun des contextes à venir. Dans la concrétisation de ce projet, chaque entité, acteur.trice sollicité.e s’avère complémentaire : la diversité des personnes sollicitées à différents niveaux d’implication dans l’institution (macro, meso, micro et individuel) a permis de soulever par les échanges, croisements et confrontations de points de vue, un ensemble de questions autour de l’accessibilité, de la compréhension des perspectives inclusives et de la définition même de l’inclusion. À chacune des étapes de la co-production de cette cartographie, les conditions d’émergence de dynamiques inclusives apparaissent.
L’approche inclusive : une acculturation de tous les instants à tous les niveaux
Le défi de l’acculturation à l’approche environnementale du handicap et à l’inclusion, est observé tout au long du projet, auprès de chaque acteur.trice sollicité.e et impliqué.e. En neuf mois, 11 rencontres d’une durée totale de treize heures sont organisées par le CDP, garant des conditions favorables au déploiement. La méthode adoptée permet à chaque partie prenante d’être co-autrice de la démarche, de se sentir suffisamment en confiance pour agir dans son propre contexte d’intervention et assure ainsi une forme de continuum autant pragmatique que cognitif avant/pendant/après chaque rencontre ou action initiée.
Le CDP se positionne en accompagnement de l’action dans le cadre d’ACCESS, le Relai handicap vient en accompagnateur et personne ressource pour l’accès aux données, les étudiant.e.s en personnes ressources pour recueillir les savoirs expérientiels des utilisateur.trice.s du campus, l’Institut de Géographie en garant de la réalisation du plan avec la sollicitation des étudiant.e.s et du cartographe, l’enseignante de l’UFR Lettres en facilitatrice auprès la direction générale du pôle et des vices président.e.s (VP), la direction générale des services et les VP en soutien à la diffusion et l’essaimage, enfin la chargée de communication, en collaboratrice active, au regard de l’édition du plan de l’accessibilité du campus Sciences. A chaque étape de la production du plan du campus Tertre, les défis de l’inclusion se répètent, se renouvellent et nécessitent un temps de sensibilisation, d’information voire de formation afin de s’accorder, s’entendre au sujet de l’approche environnementale du handicap.
Pour ne citer qu’un exemple, au moment d’évoquer les modalités de diffusion du document. S’agit-il de diffuser un document à destination des seul.e.s étudiant.e.s et personnels en situation de handicap ou s’agit-il d’un plan dédié à l’ensemble des usagers du campus Tertre ? Qu’est-ce qu’une information spécifique, qu’est ce qui relève du commun ? » À travers les échanges que nous avons eus et les choix que nous avons dû opérer au regard de ce qui semblait acceptable ou non, nous avons perçu combien chacun.e était attaché.e à ce que des documents ou des conditions spécifiques soient produit.e.s et généré.e.s pour un public dédié. Or appliqué à la réalité du campus : dédier ce document aux seules personnes en situation de handicap conduit à produire de l’exclusion, à négliger une réalité, un principe, celui-ci même qui a guidé la commande de ces documents : accueillir les usagers du campus dans toute leur diversité.
Chaque acteur.trice impliqué.e dans l’expérimentation et la production de la cartographie de l’accessibilité est confronté aux questions de définition du handicap comme de l’inclusion. Les approches retenues et partagées s’appuient sur les travaux de Patrick Fougeyrollas (2010) pour souligner que le résultat de l’interaction entre la personne et son environnement peut conduire à une situation de handicap ou une pleine participation sociale. L’acception retenue pour définir un campus inclusif s’appuie sur les travaux de Charles Gardou (2011) précisant qu’il y a inclusion lorsqu’une organisation sociale se fait flexible et modifie son fonctionnement. Ce qui prime est l’action sur le contexte, afin de signifier, de manière concrète, à chacun : « Ce qui fait ton unicité (ton appartenance culturelle, ton identité sexuelle, tes potentialités, tes difficultés) ne peut te priver de ton droit d’accès au patrimoine commun, à tous les biens sociaux : éducation, travail, art et culture, sport et loisirs etc. Ils ne sont l’exclusivité de personne. » (Gardou, 2011).
S’accorder sur une vision commune et partagée est un défi sans cesse renouvelé auprès de chaque acteur.trice mobilisé.e au cours de l’élaboration du plan du campus Tertre. Les temps de concertation, régulation et décision permettent que les constats des effets des actions entreprises puissent venir alimenter l’organisation existante et faciliter la poursuite des actions entreprises dans une perspective inclusive. Le CDP intervient en tant que facilitateur et accélérateur dans les prises de décision, à toutes les étapes du projet, tant sur la phase de recueil de données, de collecte d’expériences que pour la production ou la diffusion de données. L’un des défis consiste par exemple à proposer des documents communs à l’ensemble des nouveaux usagers et de dépasser la production de documents spécifiques aux ESH.
Traduire le recueil d’expériences vécues du campus en une cartographie partagée
Le passage des entretiens vers la production cartographique soulève de nombreuses questions comme les choix de sémiologie graphique et les informations à faire apparaître. Pour exemple, la question des choix dans les déplacements à matérialiser sur la carte, les échanges que nous avons eus autour des modes de représentation des temps de trajets à indiquer reflètent la diversité des représentations des situations de handicap et de l’inclusion. L’étudiant en responsabilité sur ce projet a suggéré de faire lui-même ce chronométrage à une vitesse habituelle pour lui, considérant qu’ensuite, le temps de chacun pourrait être différent. La question était de savoir si on indiquait plutôt un temps de référence effectué par une personne en fauteuil roulant. Nous ne sommes pas en mesure de dire si l’un ou l’autre choix doit prévaloir. Toutefois, suite à la diffusion de la carte, plusieurs étudiants partagent aujourd’hui ces temps et les discutent autour d’un nouvel atelier du programme ACCESS dont l’objectif est de favoriser « l’agir ensemble ». Ce que nous proposons, dans la dynamique inclusive dans laquelle nous souhaitons nous inscrire, est de mettre, à l’épreuve des retours usagers, cette donnée.
Si le cloisonnement des informations à destination des ESH peut apparaître dans un premier temps comme un frein au déploiement d’EFA capacitants, le temps de l’appropriation, de l’acculturation, de la preuve du confort d’usage des espaces pour tou.te.s peuvent conduire à dépasser ce fonctionnement en silo. La construction d’une vision commune et partagée de ce qu’est une approche environnementale du handicap, de ce que sont des EFA qui tendent vers une conception universelle impose une attention à chaque étape de l’expérimentation auprès de chaque service, acteur.trice. En ce sens, l’expérimentation ACCESS Tertre est un révélateur des difficultés rencontrées pour mettre en œuvre les principes de l’inclusion (Chevallier–Rodrigues et al. 2019). Ces analyses réflexives sont autant de petits pas provoqués vers une acculturation à l’approche environnementale et inclusive du handicap.
Discussion/perspectives
Cette expérimentation ACCESS Tertre montre que l’impulsion donnée doit être suivie et accompagnée par une volonté politique, par des services universitaires transversaux afin de dépasser l’entrée par le handicap pour une action vie de campus afin d’étendre la démarche aux inclusivités. Le terme inclusivité choisi et adopté par les étudiant.e.s de master lors de l’étude de l’accessibilité du campus Tertre souligne l’ambition d’une approche systémique permettant de lutter contre les discriminations quelles qu’elles soient.
En définitive, la cartographie de l’accessibilité produite pour le campus Tertre est ici un support pour illustrer les défis et les enjeux de la mise en œuvre d’espaces d’enseignement supérieur inclusifs. Force est de constater que l’accompagnement au changement, l’évolution vers des EFA capacitants pour tou.te.s repose sur différentes formes d’actions allant de l’information à la sensibilisation, la formation afin d’acculturer progressivement les acteur.trice.s. Par notre expérience, nous confirmons que l’éducation inclusive à l’université passe certainement par la nécessité d’avancer par une multiplicité de temps d’échanges, d’actions au niveau micro, par petits pas, pour que chacun.e puisse s’approprier, ré-interpréter, questionner dans son champs d’intervention les modalités de l’accessibilité universelle, tant sur le plan architectural, spatial que pédagogique.
Cette expérience révèle l’efficacité d’une approche transversale qui va de l’individu à l’institution, du micro au macro via le meso pour penser et produire des EFA capacitants. La production cartographique de l’accessibilité du campus Tertre comme les principes de l’inclusion de manière générale ne peuvent être engagés et soutenus que lorsqu’ils contribuent à l’alignement stratégique de l’établissement et mettent en résonance l’intention politique, la mobilisation des services supports et la mise en œuvre d’actions concrètes avec les publics visés.
Pour poursuivre la dynamique engendrée et proposer de nouveaux petits pas à réaliser, la cartographie est partagée et mise à l’épreuve des usagers du campus dans le cadre d’un atelier de sensibilisation. Si l’objectif à atteindre consiste à créer des EFA favorables, cela signifie qu’il faut « pouvoir faire », « pouvoir accéder », mais aussi faire en sorte que l’utilisation des lieux puisse être réalisée en toute autonomie, sans gêne, dans des conditions satisfaisantes, non stigmatisantes et socialement acceptables. Toutes les expériences rassemblées et la dynamique collective prévalent. Les dynamiques en cours engendrent à leur tour d’autres dynamiques, sollicitant les mêmes acteur.trice.s mais aussi de nouveaux/elles permettant une amplification progressive et continue. De la co-production à la diffusion d’une cartographie de l’accessibilité : « allier la singularité à l’universalité » un défi à relever. La mise en œuvre de ces dynamiques inclusives pose régulièrement la question de l’équilibre entre une prise en compte des besoins individuels et des réponses situées nécessaires et une action destinée à offrir à chacun le choix d’accéder au campus. En ce sens, l’association des deux services CDP et Relai Handicap reflète d’elle-même ces deux entrées complémentaires. Depuis la production de ce plan du campus Tertre, force est de constater que sa diffusion relève d’une attention de chaque instant et à tous les niveaux.
Ce qui nous semble être en jeu dans les dynamiques inclusives, est peut-être le fait de se saisir de toutes les opportunités offertes pour générer des questionnements à l’échelle micro dans des échanges interindividuels pour questionner les postures, meso dans l’accompagnement d’équipes pédagogiques, de réunions de travail inter-services pour structurer collectivement l’activité et macro, dans les bilans d’activités du programme et orientations stratégiques définies pour chacun des deux services que sont le CDP et le Relai Handicap. Si la démarche inclusive fait consensus, il n’en demeure pas moins que les défis pour la mettre en œuvre restent nombreux face aux enjeux d’éducation ouverte [12] dont doit s’emparer l’enseignement supérieur aujourd’hui.
Bibliographie
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