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Bonjour Jean-Marc : qui es tu ?
Je suis un enseignant-chercheur en informatique dans l’équipe de recherche Polaris commune au laboratoire LIG et à Inria, au sein de l’Université Grenoble-Alpes.
Mon travail de recherche porte sur la modélisation de grands systèmes informatiques complexes avec pour application l’évaluation des performances des systèmes parallèles ou distribués, par exemples des objets connectés disséminés dans les objets de notre quotidien ou de très grandes infrastructures de calcul. On doit alors considérer une tâche informatique qui s’exécute parfois sur un million de processeurs dont on doit, en autres, ordonnancer le travail. Pour étudier un tel système, concevoir une représentation graphique macroscopique de ce qui se passe au niveau de chaque processeur est un défi scientifique. On s’intéresse aussi à la notion de résilience pour avoir des algorithmes qui résistent à des dysfonctionnements ou à des pannes matérielles.
© Gérard Berry, désormais les processeurs informatiques sont majoritairement dans nos objets du quotidien comme l’explique Gérard Berry https://youtu.be/H9iKiqeivg0 et forment des foules de pucerons qui soulèvent des problématiques scientifiques inédites.
J’enseigne bien entendu ces notions de performances des systèmes et réseaux, mais aussi des notions plus générales sur l’algorithmique et sur la méthodologie scientifique et l’expérimentation. Je me suis beaucoup investi dans l’enseignement de l’informatique dans le secondaire, en tant que vice-président adjoint à l’enseignement à la Société Informatique de France, et membre du jury du CAPES NSI depuis sa création, et je participe à de nombreuses formations d’enseignants.
Je m’investis aussi beaucoup en médiation scientifique, j’en suis le chargé de mission pour le centre Inria de l’Université de Grenoble et j’ai co-fondé le groupe Informatique Sans Ordinateur qui permet de commencer à ’apprendre l’informatique en … éteignant les écrans et en allant jouer avec des objets du quotidien, voir Tangente Éducation n°42/42 ou dans l’exemple étudié ici.
Quelle est ta vision de cet enseignement de l’informatique ?
C’est d’abord un enjeu de société : avec l’évolution vers une société numérique, les technologies du numérique sont au cœur de la vie des personnes et de la société au sens large (incluant l’économie, l’environnement, le climat, …). Et l’informatique est la science sous-jacente à cette évolution. C’est donc indispensable d’en parler, et de former les personnes (à tous les âges) pour comprendre le monde qui nous entoure, et en devenir des acteurs et pas uniquement des consommateurs. Il a fallu (et il faut parfois toujours) convaincre que l’apprentissage ne se limite pas au mode d’emploi des outils numériques, mais bien à appréhender les fondements.
On peut brosser un paysage de cet apprentissage :
– À l’école élémentaire, l’introduction des premières notions à travers des activités débranchées ou de la robotique pédagogique (par exemple avec des Thymios), et un peu de programmation créative (par exemple avec Scratch).
– Au collège, l’introduction à la programmation événementielle, les premières structures de programme et de données, des concepts de base de science informatique de manière pluridisciplinaire à la fois en mathématiques et technologie.
– Au lycée, en seconde, l’enseignement de Sciences Numérique et Technologie (SNT) est un enseignement de culture générale numérique qui ambitionne d’apporter des connaissances et des compétences à tous les élèves de 2de générale et technologique pour en faire des jeunes citoyennes ou citoyens éclairés, en assurant une culture scientifique et technique sur l’informatique et les objets numériques, tandis que des bases de programmation Python sont aussi utilisées dans d’autres cours, comme en mathématique.
– Au lycée, en première et terminale, la spécialité scientifique Numérique et Sciences Informatiques (NSI) dispense les bases scientifiques de l’informatique (à destination de tout élève se destinant à une carrière dans laquelle le numérique joue un rôle important, en particulier les carrières d’ingénieur dans lesquelles la maîtrise de l’informatique est indispensable), on y apprend la représentation des données et leur structuration, les algorithmes et la programmation, les réseaux et l’architecture des machines.
C’est aussi une longue histoire d’un demi siècle, plus récemment dès 2010 il y a eu l’enseignement de spécialité de Terminale au lycée dit Informatique et Science du Numérique. À l’Université Grenoble-Alpes j’ai eu le plaisir de mettre en oeuvre un diplôme universitaire de 250 heures équivalent à une bonne partie de la licence d’informatique, car la formation des collègues enseignant est un enjeu crucial dès l’introduction de cet enseignement, puis en 2018 la réforme du baccalauréat, aboutit à la création de la discipline informatique Numérique et Sciences Informatiques NSI dans les enseignements de spécialité de 1ere et Terminale, avec la nécessité de former les enseignants à grande échelle. Environ 2000 collègues de lycée ont été formés dans le cadre national du Diplôme Inter-Universitaire “Enseigner l’Informatique au Lycée (DIU-EIL), j’ai donc participé au co-pilotage de ce projet et à sa mise en œuvre pour l’Académie de Grenoble.
Qu’en est il des collègues ingénieur·e·s professionnel·le·s de l’informatique ?
Il y a effectivement des collègues qui travaillent en informatique dans l’industrie ou les services qui ont une envie sincère de changer de métier, avec l’envie de transmettre des savoirs, des savoir-faire et d’autres compétences, et qui veulent parfois redonner un sens à leur travail professionnel, avoir une profession où on se sent utile.
Diversifier les provenance des personnes qui enseignent l’informatique est une vraie richesse, car elles proposent des compétences professionnelles et une vision du monde industriel vraiment intéressante, avec une ouverture sur le monde socio-économique, et des méthodes de travail alternatives et professionnalisantes qui sont précieuses.
Sur le nombre, il y aussi forcément quelques rares personnes qui cherchent juste une porte de sortie peu importe laquelle, mais, sans une motivation forte à enseigner et à assumer les contraintes d’un tel métier, ce serait une catastrophe, et la sélection du concours du CAPES permet d’éviter cela.
Le souci est au niveau de leur formation : quand on regarde les résultats de la session 2021, le niveau était tel qu’il y a eu moins de 50% d’admis sur les 20 postes pour probablement plus de 150 inscrits dont il me semble qu’une quarantaine est venue aux épreuves écrites. Tous les postes n’ont donc pas été pourvus, alors que les étudiants venant des formations universitaires avaient le niveau suffisant à la fois au niveau disciplinaire en informatique et pédagogique (étudiants ayant suivi un parcours universitaire Master MEEF, master dédié à la formation aux Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation).
Cette difficulté de réussite au concours est liée au fait que ces collègues ont bien une maîtrise technique de pointe, mais souvent hyper-specialisée dans un domaine, donc pas assez générale ce qui crée un déséquilibre dans les compétences initiales. Il y aussi une méconnaissance du système scolaire, et souvent une mauvaise connaissance ou compréhension de ce qui est demandé au concours, tandis qu’il manque une vraie formation pédagogique professionnelle, au-delà de la forte motivation et des bonnes intentions. On peut donc leur prodiguer trois conseils pratiques
1/ Bien se former aux fondamentaux et apprendre à enseigner, nous allons le détailler.
2/ Se rapprocher d’un INSPÉ qui a une préparation au CAPES, et contacter le responsable de formation, pour se faire connaître, voire intégrer la formation, ou y participer au moins en visiteur.
Envisager un stage d’observation ou une visite ou une intervention en tant qu’intervenant extérieur (par exemple en tant que proche d’un élève) dans un lycée est aussi une démarche levier. Bref, il faut se rapprocher du terrain.
3/ Bien lire le rapport du jury et tous les documents qui décrivent les épreuves et leur déroulement et les exemples de sujets. On consultera également les pages institutionnelles.
Dans tous les cas, il ne faut pas se décourager, avec une bonne préparation, ce ne sera pas facile, mais vraiment possible.
Au-delà, ces personnes mériteraient une formation adaptée, pas forcément la même que les étudiants des Master MEEF des INSPÉ (la voie de formation universitaire standard), C’est un message adressé aux institutions.
Comment se préparer à enseigner quand on est professionnel·le·s de l’informatique ?
De trois manières :
1/ Techniquement on prépare le CAPES et un site dédié à la préparation au CAPES est disponible :
En toute transparence et pour maximiser l’égalité des chances, on y trouve la description des épreuves, la liste des outils logiciels utilisés et des ressources avec des listes de sujets des épreuves pour s’entraîner, les rapports du jury et recommandations pour se positionner.
2/ Nous partageons une formation pour commencer à se former aux fondamentaux de l’informatique, pour apprendre à enseigner avant de finir d’aborder tout le programme du CAPES :
– Une formation aux fondamentaux de l’informatique, accessible ici, avec plus d’une centaine d’heures de ressources de formation d’initiation et de perfectionnement. Plus qu’un simple « MOOC´´, ce sont les ressources d’une formation complète, et un accompagnement prévu pour permettre de bien les utiliser.
– Une formation pour apprendre à enseigner… par la pratique, accessible ici, en co-préparant les activités pédagogiques des cours à venir, en partageant des pratiques didactiques et en prenant un recul pédagogique, y compris du point de vue de la pédagogie de l’égalité.
3/ Puis en en faisant communauté d’apprentissage et de pratique : depuis des mois déjà l’AEIF et le projet CAI contribuent à l’accueil et l’entraide de centaines de collègues en activité ou en formation, discutant de tous les sujets, partageant des ressources sur un forum dédié et des listes de discussions. Les personnes désireuses de se préparer au CAPES y trouveront aussi des conseils et des pistes de travail.
Quel message adresserais-tu, Jean-Marc, à quelqu’un qui voudrait se lancer ?
Qu’enseigner est un beau et formidable métier, bien au-delà de quelques idées reçues sur le sujet, ou de qui pense que c’est un métier décrié. Moi qui enseigne aux étudiants et futurs enseignants, c’est un travail où on se renouvelle en permanence, on vit au contact des jeunes qui feront notre futur, on est dans une position de pouvoir qu’il faut bien conscientiser et dont il en faut surtout pas abuser, et plutôt se positionner comme un facilitateur et accompagnateur, et quand les élèves/étudiants réussissent : quel bonheur ! Quand quelques années plus tard on recroise une personne qui témoigne du rôle qu’a pu apporter l’enseignement, c’est tellement gratifiant, c’est la plus belle des récompenses.
Le système éducatif est complexe, contraint et pas toujours valorisant, on le sait, mais enseigner est vraiment un beau métier.
Jean-Marc Vincent.
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