Nous décrivons dans cet article une expérience d’enseignement du développement durable à des étudiants de deuxième année d’IUT qui s’appuie sur les principes des pédagogies de projet et inversée. Cette expérience met notamment en évidence le renforcement de la motivation et de l’autonomie des étudiants.
Mots-clés
Méthodes pédagogiques, implication des étudiants, développement durable, responsabilité sociétale.
Un article de Cendrine Le Locat [1], Véronique Lunven [2], Sylvie Mousset [3], Elisabeth Le Faucheur [4], présenté à la session "" repris des actes du Colloque QPES 2015 (Page 540 à 545).
I. INTRODUCTION
Après avoir présenté le contexte et la problématique, nous présenterons l’origine et les caractéristiques du dispositif pédagogique. Nous terminerons cet article par un bilan critique et une mise en perspective.
II. CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE
L’expérience que nous relatons dans cet article est la conception et la mise en oeuvre, par quatre intervenantes issues de milieux différents et complémentaires (Télécom Bretagne, Brest métropole, SNCF et Ville de Brest), d’un module d’enseignement de 20 heures intitulé « Développement durable ». Celui-ci, mis en oeuvre pour la première fois à la rentrée 2014, était destiné à une trentaine d’étudiants de deuxième année de DUT Génie biologique, option Génie de l’environnement.
II.1 Les étudiants face au "concept" de développement durable
Le début des années 2000 [Audouin, 2013] était marqué par l’ascension de l’écologie, due à une large sensibilisation du public et au Grenelle de l’environnement (2007). Fin des années 2000, cette ascension est stoppée suite à l’échec des négociations internationales sur le climat au Sommet de Copenhague (2009). La crise économique aurait ensuite terminé d’achever le processus de disparition apparente du développement durable des préoccupations des Français.
A cela, nous pouvons ajouter les effets sur les représentations individuelles et collectives à propos du développement durable :
1. de la multiplicité et la succession des termes employés ;
2. de l’Education au développement durable (EDD) qui figue dans les programmes d’enseignement depuis 2004 [MENESR, 2014] ;
3. de certains discours superficiels, dénonciateurs ou encore moralisateurs ;
4. de l’offensive des climato-sceptiques ;
5. de la banalisation des catastrophes naturelles ou industrielles ;
6. de l’association, pour certains, quasi exclusive - et limitative - du terme "développement durable" à celui d’écologie ;
7. du Greenwashing ;
8. du sentiment d’impuissance à l’échelle individuelle face à quelque chose qui nous dépasse, voire nous échappe.
Ainsi les étudiants face à l’expression "développement durable", au même titre que n’importe quel individu [EncycloEcolo, 2014], peuvent déclencher une "réaction de type épidermique" face au "concept".
II.2 Un changement de paradigme
Certes le concept de développement durable dérange, notamment parce qu’il remet en question un modèle économique établi depuis 200 ans qui s’appuie sur le postulat que les ressources planétaires sont inépuisables ; ce même modèle qui a érigé la consommation au rang d’unique source d’accès au bonheur.
Force est de constater qu’enseigner le développement durable n’est pas une évidence. Il ne s’agit pas d’enseigner un concept ou une discipline, mais d’enseigner de nouveaux paradigmes qui, eux-mêmes, s’appuient ou couvrent de nombreux concepts et disciplines.
II.3 La nécessité de développer l’esprit critique des étudiants
Des travaux récents [CGE-CPU, 2014] ont permis d’identifier les compétences relatives à un développement durable. Il s’agit de :
1. avoir et mettre en oeuvre une vision systémique (ou être intégratif) ;
2. avoir et mettre en oeuvre une vision prospective ;
3. travailler et apprendre ensemble (articulation entre les compétences individuelles et collectives) ;
4. permettre et accompagner le(s) changement(s) ;
5. exercer sa responsabilité dans un cadre éthique (prendre des décisions éclairées).
Plus que jamais, il est donc important de développer l’esprit critique des étudiants. Cela passe par la capacité à questionner et donc à formuler clairement une problématique, à collecter et sélectionner des données, à les analyser, à les synthétiser et à les interpréter. Cela passe enfin par la capacité à décider et à agir. Décider et agir en conscience. Le tout dans un contexte où l’expertise (scientifique) n’est plus autant valorisée que par le passé et où, comme le dit le philosophe Frédéric Lenoir dans son ouvrage « La guérison du monde » [Lenoir, 2012] « La modernité a mis l’individu au centre de tout. C’est donc aujourd’hui sur lui, plus que sur les institutions et les superstructures, que repose l’enjeu de guérison du monde. » Autrement dit, c’est à chacun de construire ses arguments critiques.
III. ORIGINE ET CARACTERISTIQUES DU DISPOSITIF
Pour construire notre module, nous nous sommes basées sur les travaux de A. Baier [Baier et Pongratz, 2013] et de N. Postman [Postman et Weingartner, 1971]. Nous nous sommes également appuyées sur quatre années d’enseignement du développement durable auprès d’élèves-ingénieurs de Télécom Bretagne à qui nous confions la responsabilité de définir par eux-mêmes un projet [Prévost et al, 2013].
Ainsi, après avoir invité les étudiants à réfléchir à leurs représentations à propos du développement durable et de la responsabilité sociétale, nous avons effectué une présentation très synthétique des risques, enjeux et défis du développement durable. Nous avons ensuite accompagné les étudiants, répartis en six groupes, dans l’exploration d’une problématique qu’ils ont choisie. Cet accompagnement était orienté sur la méthode. Il s’est effectué en présentiel et à distance.
L’objectif final pour les étudiants était, à partir de recherches documentaires, et pour certains d’interviews, de réaliser un "mini-cours" sur leur problématique, ceci devant l’ensemble des étudiants. Nous les avons ainsi mis en situation d’apprendre par eux-mêmes et de transmettre aux autres ce qu’ils avaient appris.
IV. BILAN CRITIQUE ET MISE EN PERSPECTIVE
IV.1Evaluation des connaissances et compétences acquises
Volontairement, nous n’avons pas axé l’évaluation des étudiants sur les connaissances acquises durant ce module, mais sur les compétences mises en oeuvre. L’évaluation des acquis liés à ce module s’est effectuée de plusieurs façons :
1. par un auto-positionnement individuel en début et en fin de module ;
2. par une évaluation des mini-cours selon une grille critériée qui avait été préalablement communiquée aux étudiants ;
3. par une séance de débriefing collectif en fin de module.
Pour avoir des résultats réellement objectivés et exploitables, nous avons constaté que les outils d’évaluation que nous avions conçus demandaient à être retravaillés. Nous nous y emploierons lors d’une prochaine mise en oeuvre. Nous pouvons cependant décrire certains résultats observés in situ.
Bien que n’ayant pas évalué les connaissances acquises par les étudiants – et même si elles ne couvraient pas la totalité du spectre du développement durable tel que l’entend par exemple le Sustainability Literacy Test [The Sustainability Literacy Test, 2014] – nous avons constaté que les problématiques retenues par les étudiants étaient d’un bon niveau.
Pour conclure sur la question de l’acquisition de connaissances liées à ce module, nous dirons que celle-ci est circonscrite à ce que les étudiants ont pu retenir :
1. d’un cours d’introduction aux enjeux du développement durable qui leur a été donnée en début de module ;
2. du mini-cours que chaque groupe a construit autour d’une problématique ;
3. de l’ensemble des mini-cours donnés par les étudiants à l’ensemble de la promotion.
Concernant les compétences mises en oeuvre par les étudiants dans ce module, il s’agit de :
1. effectuer une recherche documentaire en s’appuyant sur des méthodes ;
2. travailler et apprendre ensemble ;
3. adopter une approche systémique (notamment via la réalisation, par les étudiants, d’une cartographie des acteurs et des enjeux associés à leur problématique) ;
4. appliquer une démarche projet (en faisant notamment appel à des outils coopératifs sur lesquels nous les avons formés) ;
5. communiquer dans le cadre d’une démarche d’éducation au développement durable (en construisant et en animant un mini-cours) ;
6. développer une pensée critique (de notre point de vue, ce point n’a pas été suffisamment acquis) ;
7. travailler en autonomie (cet aspect a pu être mal vécu par certains étudiants, habitués à des pédagogies plus traditionnelles).
Il s’avère que les compétences 2. et 3. font partie des 5 compétences-clés identifiées par le groupe de travail « Compétences développement durable » de la commission « Développement durable » de la Conférence des grandes écoles et de la Conférence des présidents d’université [CGE-CPU, 2014].
IV.2 Pédagogie employée
Certains étudiants ont exprimé leur difficulté à « calibrer et explorer correctement » leur problématique, afin qu’ils puissent la traiter dans le temps imparti et avec les ressources disponibles. L’accompagnement méthodologique sur ce point a été primordial. Il devra cependant être renforcé lors d’une prochaine mise en oeuvre.
Ce type de pédagogie requière une grande précision quant aux instructions qui sont données aux étudiants à propos des livrables attendus. Là aussi, nous tâcherons d’améliorer notre pratique ; ceci quand bien même nous tenons à développer l’autonomie des étudiants (certains d’avoir eu le sentiment d’être « lâchés » un peu trop vite et un peu trop « dans le vide »).
La pédagogie retenue a été vécue comme déstabilisante par beaucoup d’étudiants encore (trop) habitués à des pratiques d’enseignement plus « classiques ». Certains ont même eu le sentiment de « ne pas avoir appris grand-chose » et certains de nous avoir dit qu’ils auraient préféré avoir un « vrai cours ». Le travail réflexif que nous avons animé en fin de module était absolument essentiel. D’une part, il a permis la conscientisation des acquis d’apprentissages et, d’autre part, il a renforcé la confiance des étudiants dans leur capacité d’auto-apprentissage.
Enfin, les connaissances acquises ont pu paraître pour certains étudiants insuffisantes. Mais, à choisir entre allouer du temps d’enseignement à transmettre des connaissances – qu’ils peuvent acquérir par ailleurs par le biais d’excellents MOOCs – et allouer ce temps à l’acquisition d’aptitudes comportementales (ex. : travailler en groupe), de capacités à se représenter et questionner la réalité (poser un problème, le considérer sous toutes ses facettes, mettre en perspectives les points de vue / solutions), de capacités à se positionner et à décider…, nous n’hésitons pas une seconde. Quant bien-même les étudiants s’apercevront de cela seulement plus tard…
V. CONCLUSION
Sans aucun doute, nous répéterons cette expérience en 2015, en y apportant bien sûr des améliorations. Celle-ci nous permettra également d’enrichir d’autres enseignements, dans le cadre notamment de la formation d’ingénieurs de Télécom Bretagne. Nous envisageons en effet la mise en place, à la rentrée 2016, d’un Projet d’engagement sociétal où la place laissée à l’autonomie dans l’apprentissage sera particulièrement importante.
REFERENCES
Audouin, A. (2013). On entend dire que... L’écologie, c’est fini : qu’en pensent les experts ? Paris : Eyrolles.
Baier, A., Pongratz, S. (2013). Collectively and Critically Reflecting on Technology and Society : a Cooperative Approach to Engineering Ethic. 41st SEFI Conference,
Leuven, Belgium, 16-20 September 2013. Brussels, Belgium : SEFI.
Baier, A. (2013). Student-Driven Courses on the Social and Ecological Responsibilities of Engineers. Commentary on "student-inspired activities for the teaching and learning of engineering ethics". Science and Engineering Ethics, Volume 19, Issue 4 , pp 1469-1472.
Commission Développement durable de la Conférence des grandes écoles et de la Conférence des présidents d’université, groupe de travail Compétences développement durable (2014), Guide de référence compétences développement durable : former les acteurs d’un développement durable, Assemblée générale des référents développement durable & responsabilité sociétale de l’enseignement supérieur et de la recherche, Paris, 30 octobre 2014.
EncycloEcolo (2014), Français et le développement durable, http://www.encyclo-ecolo.com/Fran%C3%A7ais_et_le_d%C3%A9veloppement_durable (page visitée en décembre 2014).
Lenoir, F. (2012), La guérison du monde, Paris : Fayard.
Ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2014), De la maternelle au baccalauréat : l’éducation au développement durable, http://www.education.gouv.fr/cid205/l-education-au-developpement-durable.html (page visité en décembre 2014).
Postman, N., Weingartner, C. (1971). Teaching as a Subversive Activity. New York : Delta.
Postman, N., Weingartner, C. (1971). The Soft Revolution : A Student Handbook for Turning Schools Around. New York : Doubleday.
Prévost, V., Robert, I., Le Locat, C. (2013). "L’acculturation des écoles de management au développement durable et à la responsabilité sociétale". In Brégeon, J., Mauleon, F. Développement durable : comprendre et développer les compétences collectives. Paris : Eska, pp. 305-328.
The Sustainability Literacy Test, http://www.sustainabilitytest.org (page visitée en décembre 2014).
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