Un texte repris de la revue Education et socialisation, une publication sous licence CC by nc nd
Introduction
L’ouverture à l’international des parcours de formation représente un choix fort des institutions universitaires françaises qui souhaitent favoriser la mobilité des étudiant.e.s, et faire évoluer les formations de Licence et de Master (Cosnefroy et al., 2020). Ainsi, de nombreuses universités européennes et mondiales proposent des cours internationaux au sein de programmes spécifiques visant, dans certains cas, une co-diplomation entre universités de différents pays.
L’internationalisation des parcours de formation est souvent présentée comme un dispositif gagnant-gagnant, servant de vitrine attractive pour les universités, et développant simultanément les compétences linguistiques, l’ouverture culturelle et le bien-être des étudiants.
- S’agissant du développement des compétences linguistiques, Lo et Murphy (2010) ont montré que des élèves de 6è et 4è « immergés » dans un programme d’enseignement en langue étrangère connaissaient une acquisition plus rapide de vocabulaire, en particulier pour les 2000 mots les plus fréquemment utilisés et le vocabulaire académique. L’immersion se retrouvait alors dans le fait que l’enseignement ait lieu en langue anglaise uniquement pour ces élèves de Hong-Kong (première langue : mandarin). Leur lexique serait aussi plus riche aussi bien en production qu’en compréhension. Les apprenants disposeraient enfin d’un répertoire stylistique plus large et leurs productions orales seraient plus fluides et plus précises (Dalton-Puffer, 2007, 2011). Gajo et Grobet (2008) ont également avancé l’idée que la communication en anglais au sein d’une discipline « hôte » fournissait un contexte plus favorable pour l’apprentissage du vocabulaire en langue seconde que des enseignements portant sur la langue seconde elle-même.
D’autres facteurs semblent jouer sur les apprentissages langagiers. Par exemple, en Éducation Physique, plusieurs études ont investigué les relations entre la mobilisation du corps et le développement d’une activité langagière. Asher (2003) a ainsi montré que pour de jeunes élèves apprenant dans le premier degré, l’implication du corps dans la leçon améliorait de manière significative la compréhension de la langue anglaise. Selon cet auteur, ce corps qui bouge et se donne à voir accompagnerait l’apprentissage de la langue seconde.
Christopher et al. (2012) ont également pointé que la pratique des activités physiques et sportives à l’université pouvait soutenir l’apprentissage en langue seconde.
À l’université, l’efficacité du dispositif English as a Medium of Instruction (EMI), est interrogée dans des recherches récentes (Macaro et al., 2018 ; Mauranen, 2018 ; Pecorari et Malmström, 2018 ; Rose et Galloway, 2019). Ces recherches ont mis en évidence qu’il existait une augmentation modeste des compétences des étudiant.e.s en contexte EMI. Les scores moyens des étudiants à des tests standardisés ont très peu augmenté entre le moment de l’entrée dans la formation et près de quatre ans plus tard. Si les étudiant.e.s et les enseignant.e.s ont déclaré qu’ils progressaient grâce à l’EMI, les études précitées montrent qu’un programme intensif d’anglais peut atteindre le même résultat en seulement dix semaines. Il serait, selon le British Council, difficile à ce jour de dire que l’enseignement EMI atteint réellement son objectif d’améliorer la maîtrise de l’anglais par les étudiant.e.s.
On constate que l’intérêt des chercheurs et des chercheuses a essentiellement porté sur la valeur ajoutée de l’immersion en langue étrangère pour le développement de compétences langagières, en particulier dans le contexte de l’enseignement primaire et secondaire. Cependant, le bénéfice de l’enseignement en langue étrangère, du point de vue des acquisitions et du développement des apprenants dans la discipline véhiculaire, est à ce jour peu interrogé dans le champ de l’enseignement supérieur.
L’étude présentée dans cet article visait à étudier l’incidence de l’environnement linguistique EMI sur l’expérience d’apprentissage d’étudiant.e.s. de Licence première année en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS). Il s’agissait d’analyser et de décrire les transformations de leur activité lors de séances de pratique sportive, ainsi que les effets du contexte linguistique EMI sur leurs perceptions de leur environnement d’apprentissage et leur engagement dans les situations qu’ils rencontraient au cours des séances.
L’article présente dans un première section le cadre épistémologique et théorique de l’étude, développée en référence au programme de recherche du Cours d’action (PRCA). La deuxième section est consacrée à l’exposé des méthodes de recueil et d’analyse des données. La troisième section présente les résultats de l’étude, qui seront discutés dans la dernière section de l’article avant de conclure.
Cadre épistémologique et théorique de l’étude
Cette recherche s’inscrit dans la perspective générale de recherche de la 4E cognition (Newen et al., 2018), qui envisage la cognition comme incarnée (Embodied), située (Embedded), énactive (Enactive) et étendue (Extended). Dans ce paradigme épistémologique singulier, la cognition ne se produit pas exclusivement à l’intérieur du cerveau, mais résulte d’un couplage dynamique cerveau-corps-monde qui conduit à considérer, dans chaque expérience humaine, les interactions du sujet avec son environnement social, culturel et physique. Le programme du cours d’action (PRCA) s’inscrit dans ce paradigme général de recherche. Il propose une analyse sémiologique de l’activité humaine envisagée comme "activité-signe", en référence à la théorie de la « pensée-signe » développée par C.S.Peirce (1978) et envisage le cours d’expérience (CE) de l’acteur comme une succession de signes que l’on peut décrire à partir d’une exploration méthodique de sa conscience pré-réflexive.
Dans cette étude, les concepts et méthodes du PRCA (Theureau, 2015) ont été empruntés afin de comprendre la manière dont se construit et s’organise l’activité des étudiant.e.s dans leur environnement d’apprentissage. Dans cette perspective théorique, l’expérience des étudiant.e.s est indissociable de la situation d’enseignement et de ses caractéristiques matérielles et sociales (un formateur avec un groupe d’étudiant.e.s dans un dojo ou dans un gymnase). Les étudiant.e.s perçoivent les situations, les interprètent, prennent des décisions, construisent des connaissances, agissent en mettant en jeu leur corps, en relation avec les éléments de l’environnement perçus comme significatifs.
L’objet théorique « cours d’expérience » (Theureau, 2006), mobilisé dans cette étude, est une réduction de la complexité de l’activité à sa dimension significative pour le sujet, c’est-à-dire à la partie de l’activité dont l’acteur peut rendre compte, qu’il peut décrire, raconter ou mimer, moyennant la mise en place de conditions favorables à l’expression de sa conscience préréflexive. En référence au cadre d’analyse sémiologique du PRCA, le cours d’expérience est envisagé comme une succession de signes, que l’on peut décrire en référence à six composantes.
L’unité de cours d’expérience (U) représente ce qui est fait, dit, pensé, ressenti par l’acteur à un instant t. Elle est liée à l’engagement (E) de l’acteur dans la situation. Cet engagement évolue en fonction de l’histoire des actions passées et conditionne l’action à venir. Il est également accompagné d’attentes (A) vis-à-vis de la situation. Le référentiel (S) renvoie, lui, à l’ensemble des connaissances que l’acteur peut mobiliser. Le representamen (R) correspond à un élément significatif dans la situation pour l’acteur. Il consiste en un jugement perceptif, proprioceptif ou mnémonique à propos de cet élément. Enfin, l’Interprétant (I) fait référence à la construction de sens nouveau qui accompagne l’activité, et transforme la situation de l’acteur.
Compte tenu des objectifs de l’étude, une attention particulière a été portée aux catégories du representamen, de l’engagement et des attentes dans la situation.
Méthode
Terrain d’étude
L’université de Nantes participe depuis le 9 juillet 2020 au programme EUniwell promouvant l’internationalisation des formations et de la recherche. Organisé autour de la thématique du bien-être, ce programme vise le développement de compétences linguistiques (développement lexical et communication orale) dans la population étudiante par la multiplication des occasions d’écouter et de parler la langue anglaise dans les cours à l’université.
L’Unité de formation et de recherche en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (UFR STAPS) de Nantes s’inscrit dans la logique de ce programme et a développé un « parcours EMI » proposant chaque année à un groupe d’étudiant.e.s volontaires entrant en licence première année de vivre pour partie [1]. les enseignements en langue anglaise.
L’étude a été menée lors d’une séquence de douze séances d’une heure trente minutes de Travaux pratiques (TP) dans les activités basket-ball et judo. En basket-ball, les objectifs de formation étaient à la fois le développement d’habiletés techniques spécifiques (e.g., dribble, passe-et-va, tir) et l’acquisition de savoir-faire tactiques efficaces, en attaque pour marquer et en défense pour récupérer le ballon. Les étudiant.e.s ont travaillé en équipes mixtes de 4 à 5 joueurs ou joueuses, constituées par l’enseignant, regroupant des étudiant.e.s de compétence variable dans l’activité travaillée, et stables d’une séance à l’autre. En judo, il s’agissait d’apprendre des techniques de projection pour faire chuter de manière efficace son adversaire en toute sécurité. Les étudiant.e.s ont travaillé principalement en dyades, imposées dès la première séance par le formateur pour des raisons de sécurité (liées au poids de corps).
À ces objectifs de transformations motrices propres aux activités sportives pratiquées, s’ajoutait celui de communiquer en langue anglaise (écouter/parler). L’enseignement EMI en TP sportifs devait amener les étudiant.e.s à écouter et à comprendre une consigne en langue anglaise afin de se mettre en action de façon adaptée seul.e.s ou avec leur.s partenaire.s.
Participants à l’étude
Le groupe EMI est constitué d’étudiant.e.s tous et toutes volontaires pour suivre le parcours de formation de première année en STAPS en langue anglaise. Pour intégrer ce groupe, les étudiant.e.s ont dû fournir leurs notes d’anglais au Baccalauréat, un curriculum vitae et une lettre de motivation (ces deux derniers documents devant pointer, dans le mesure du possible, leur appétence pour l’apprentissage en langue étrangère). Quatre étudiant.e.s, deux garçons et deux filles [2], ont participé à l’étude. Ces étudiant.e.s bacheliers (notes supérieures à 15/20 au baccalauréat en anglais) avaient atteint un niveau B2 au regard du Cadre Européen Commun de Référence des Langues (CECRL). Ils et elles n’étaient pas spécialistes des APSA [3] pratiquées lors des séances observées. Thomas et Laura ont vécu les TP en anglais dans l’activité physique support « basket-ball », et étaient respectivement spécialistes de danse et de judo, tandis que Naël et Claire les ont vécus en « judo », et étaient spécialistes de basket-ball et de danse [4].
Les formateurs étaient tous les deux des enseignants chevronnés en STAPS. Ils enseignaient dans un anglais fluide et académique (niveau C1 du CECRL auto-évalué) sans pour autant avoir suivi une formation certifiante en langue telle que la « Discipline Non Linguistique » proposée dans l’enseignement secondaire.
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