Innovation Pédagogique et transition
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Approcher les dynamiques de changement des entreprises et des organisations

4 septembre 2024 par jean-marie.barbier Outils d’analyse 353 visites 0 commentaire

Entreprendre… ©Mdutoit


Un article de Jean-Marie Barbier

https://labiennale-education.eu/la-biennale/breves-de-recherche/

Formation et Apprentissages professionnels EA 7529 CNAM


Comme les sujets individuels, les organisations se caractérisent par des transformations survenant en même temps dans plusieurs espaces d’activité https://www.innovation-pedagogique.fr/article17688.html .

Le phénomène est souvent exprimé sous une forme intuitive. En contexte scolaire par exemple, pour nombre d’acteurs pédagogiques, « l’élève apprend quand le maitre apprend, quand l’établissement apprend ». En formation des adultes est souvent entretenu évoqué le modèle des « organisations apprenantes », organisations qui tentent de développer leurs ressources humaines à leur plein potentiel, et font appel à l’apprentissage pour améliorer leurs résultats.

Même si un sentiment de transformation de soi au travail apparait ainsi dans le contexte d’activités individuelles contraintes par les organisations, l’analyse du processus de mobilisation/ transformation des caractéristiques individuelles mérite d’être étudié pour rendre compte de la production des identités sociales. Ces activités sont en effet marquées pour les sujets concernés par un double engagement : d’une part un engagement obligé dans ces activités contraintes, d’autre part l’émergence chez ces mêmes sujets d’activités de constructions attributives de sens autour et à coté de cet engagement. On ne sort pas indemne de son travail…

Approcher le cadre contraint des activités individuelles dans les entreprises et les organisations.
Approcher le cadre contraint des activités individuelles et collectives est particulièrement aisé dans le cas des activités salariées modernes, précisément souvent définies comme soumises à une obligation de résultats liée au contrat même de travail salarié.

Une manière d’aborder ce cadre déterminant pour l’activité des sujets et contributif de la production de leur identité peut consister à reprendre les principales caractéristiques sociales de leur engagement au travail ou dans ces activités.

Dans les documents publics élaborés par les entreprises, on trouve ainsi des informations précieuses, souvent relatives à plusieurs années successives, ce qui permet d’apprécier les évolutions :

- Informations et estimations économiques et financières sur la structure du capital, sur le coût sur la masse salariale et sa répartition.

- Informations socio-professionnelles sur la structure des qualifications et la mobilité des personnels- Bilan social-

- Plan de formation et activités de formation réalisées

Le cas d’une entreprise de l’agro-alimentaire
Au début des années 1990, dans le cadre du programme de recherche en éducation du CNRS animé par Jean-Marie Albertini, un petit groupe associant en particulier la Délégation à la Formation Professionnelle et le Ministère français de l’Agriculture énonçait quelques hypothèses pour une recherche pluridisciplinaire sur la place de la formation dans l’accompagnement d’un l’investissement industriel. Notamment, était-il possible de situer l’ensemble des dimensions de ce changement industriel : technologie, organisation de la production, qualification et formation ?

Le Ministère suggérait un terrain d’analyse : une unité de production du secteur agro-alimentaire qui, une fois reconstruite sur un nouveau site, allait conserver son personnel peu qualifié, et l’adapter aux nouvelles technologies et à la nouvelle organisation qu’il était prévu de mettre en place.

Différents partenaires s’associaient à cette recherche qui obtenait le concours financier de la Délégation à la Formation Professionnelle, du Ministère de la Recherche et de la Technologie, du CNRS et de l’ANACT. Sa conduite était confiée au pôle pluridisciplinaire de recherche CNAM-CNRS-ANACT composé de Jean-Marie Barbier et Mokhtar Kaddouri du Centre de Recherche sur la Formation (CRF) du Cnam, de Juliette Cariou-Gauther de RFD et consultante pour l’ANACT, de Sami Dassa du Centre MIRSHT-CNRS du Cnam, et d’Emmanuel Rivière de l’IRPEACS-CNRS. La coordination du pôle était assurée par Jean-Marie Barbier et Emmanuel Rivière. Les travaux ont été décrits dans le n°33 de la Revue Études et Expérimentations (Formation et maitrise sociale d’un changement industriel - Faire l’entreprise de demain avec les salariés d’aujourd’hui)

La recherche était consacrée à l’identification et à la gestion du social dans une opération de changement industriel. Évaluer la place de la formation dans un changement industriel était la commande passée par le programme de recherche.

Cette définition d’objet était le résultat d’un contact avec la réalité d’un terrain qui montrait qu’au-delà des intentions affichées, la formation des compétences pouvait n’avoir qu’un rôle mineur dans la conduite d’un changement industriel, le véritable enjeu, pour les responsables de l’entreprise, pouvait être d’abord une optimisation de la productivité par la mise en place d’une nouvelle organisation de l’économique et du social.

Une évolution majeure de la combinaison des facteurs de production affectait alors les économies développées. Confrontées à une baisse de la productivité du capital, elles étaient conduites à fois à procéder à d’importants investissements technologiques susceptibles d’alléger les effectifs industriels et à rechercher de nouvelles formes de productivité dans la mobilisation du facteur travail. Dans l’organisation industrielle classique, l’acte de mobilisation du facteur travail était en effet pour l’essentiel le fait de l’employeur et cette mobilisation définissait l’espace de l’économique. Du point de vue des rôles d’acteurs, elle était assez clairement distincte de la production de ce même facteur qui définissait l’espace du social. Tout se passait comme si au contraire les nouveaux modèles de production supposaient un recours accru au ’travail vivant’ et à la participation volontaire des salariés à la mobilisation de leur force de travail.

L’entreprise concernée était située dans un milieu rural, caractérisée par une main d’œuvre à bas niveau de qualification, par une gestion sociale traditionnelle et par une faible tradition de formation.

Pour réussir cette transformation, il a été décidé d’abandonner complétement l’ancien outil de production et de le reconstruire à quelques centaines de mètres de là. Le changement industriel est donc complet : changement de site, reconstruction et agrandissement des bâtiments, transformation des installations, évolutions technologiques et organisationnelles majeures. Le personnel utilisé est toutefois le même, ce qui donne l’occasion d’une approche intégrée des différents types de changement.

La recherche a d’abord constaté à réunir plusieurs chercheurs et équipes d’origine disciplinaire différente dans le cadre du pôle de recherche : sociologues, ergonomes, économistes, chercheurs en formation. Pour établir un contact entre chercheurs et acteurs, des rencontres régulières ont eu lieu entre acteurs dans le cadre d’un séminaire d’accompagnement animé par Daniel Estève.

Compte tenu des difficultés industrielles rencontrées, deux étapes ont pu être engagées. Le présent texte a pour objectif de faire apparaitre la structure des caractéristiques d’une entre- prise en train de s’engager dans un processus de changement et de présenter un cadre de pensée pour l’aborder, cadre susceptible d’être transféré à d’autres organisations et/ou entreprises.

Caractéristiques globales de l’entreprise s’engageant dans un processus de changement

(tableau de synthèse)

Entrées analyse
Configurations de
caractéristiques entreprise
Intensité capitalistique Dépendance par rapport au marché Rapport aux installations de production Rapport au produit Rapport à l’environnement social Position économique de l’entreprise
Rapport capital travail Industrie de main d’œuvre engagée dans une production de masse- Unité faiblement capitalistique Unité soumise à de fortes fluctuations du marché Unité en forte croissance au sein d’un appareil industriel inchangé Un fonctionnement autour d’un produit vivant Appui sur des structures sociales locales Position dominée dans le contexte régional
Organisation de la production Organisation taylorienne Une situation de dépendance
Difficultés de maitrise ce qui est en amont et en aval de la production
Une situation permanente de surcharge Une organisation de la production dominée par le contact direct homme/produit Organisation surdéterminée par les réseaux familiaux et locaux Une combinaison fragile des facteurs de production
Dynamiques socio-professionnelles-gestion des qualifications Dynamiques socio-professionnelles hétérogènes
Mobilité horizontale
Mobilité horizontale, polyvalence et indisponibilité Entreprise et appel et main d’œuvre Une identification des travailleurs au produit Gestion du personnel fondée sur la fidélisation Une dépendance des salariés par rapport à l’entreprise
Exercice du travail Trois populations : ouvrière, techniciens, hiérarchie d’encadrement Un transfert de la gestion des temps Un travail sous forte contrainte d’espace Le développement d’activités, de savoirs et d’attitudes liées au produit Un appel à l’allégeance Une absence de reconnaissance des compétences acquises
Formation Formation adaptation au poste de travail Formation et gestion de la mobilité Absence d’espace de formation Un autre mode de production de compétences Une formation peu valorisée et intériorisée Une formation à l’initiative de l’entreprise

Une entreprise de main d’œuvre engagée dans une production de masse

  • L’entreprise est une unité faiblement capitalistique caractérisée comme toutes les entreprises de la branche par une part relativement faible dans le chiffre d’affaires des coûts relatifs aux biens d’équipement par rapport au coûts de la main d’œuvre et aux coûts des approvisionnements. L’entreprise est une entreprise de première transformation, dont la valeur ajoutée par produit reste modique. Augmenter la valeur ajoutée au niveau de l’ensemble de l’unité suppose une production de masse et un abaissement relatif des coûts de la main d’œuvre. Niveau de qualification et salaire sont donc relativement bas.
  • L’organisation est de type taylorien fondé sur trois caractéristiques notamment :

Division du travail : délimitation et formalisation de tâches (poste) dont l’exécution doit être rapidement acquise.

Prééminence des rapports verticaux dans le fonctionnement ; contrôle de l’exécution et des attitudes

Séparation entre conception et exécution des tâches

  • On constate la présence de trois populations, de dynamique socio-professionnelle hétérogène.

Une population ouvrière proprement dite ; mobilisation d’une force de travail non différenciée pour assurer l’essentiel de la production. Recrutée sur des critères de disponibilité, d’embauche directe sur un poste opérationnel, de salaire très bas, de faible progression de salaire.

Une population de techniciens correspondant à la mobilisation par l‘entreprise de compétences professionnelles précises qui le plus souvent ne sont pas des fonctions de production, mais des fonctions transversales comme par exemple l’entretien et le service commercial.

Une hiérarchie d’encadrement, population stratégique pour le fonctionnement de l’entreprise, reconnue comme telle au niveau des rémunérations.

  • Sur le plan de la formation, on se trouve dans un mode production des compétences directement lié au contact avec le produit, par intériorisation d’expériences et par élaboration de savoirs à part d’elles.

Des actions de formation restent significativement organisées dans le domaine de l’hygiène, de la sécurité, de la qualité ; elles sont courtes et la mode de production de compétences consiste pour l’essentiel en transmission de consignes.

Une production en croissance au sein d’un appareil industriel inchangé

  • L’unité appartient à une génération d’entreprises datant des années 60 : elle a donc été conçue et construite dans une période caractérisée par une production plus faible en volume, plus polyvalente (unités mixtes) et plus dispersée sur l’ensemble du territoire (proximité des lieux de production). Cette situation est radicalement changée : le groupe auquel appartient l’entreprise est en forte croissance notamment sur le marché dans lequel l’établissement se spécialise, et les unités industrielles tendent en moyenne à se concentrer et à accroitre leurs capacités de production ; elle se trouve donc dans une situation permanente de saturation productive de surpopulation relative par rapport aux équipements et de limite extrême de capacité.
  • Sur le plan de l’organisation de la production, on constat donc une situation ordinaire de surcharge se traduisant par un sentiment permanent d’exiguïté de locaux de promiscuité et de travail faisant ‘éclater’ les horaires, par une productivité plus faible de l’unité par rapport à d’autres unités de la branche, par une dangerosité des équipements actuels, par des problèmes d’hygiène et de sécurité dans le déroulement du procès de production.
  • Sur le plan de la gestion du personnel, l’entreprise se trouve ainsi en situation d’appel permanent de main d’œuvre, notamment contractuelle et saisonnière. Bien que la région ne soit pas caractérisée par un marché du travail actif, la population des travailleurs a une ancienneté moyenne peu élevée, ce qui entraine des écarts psychologiques plus importants entre groupes d’anciens et groupes de nouveaux. C’est également une population jeune, relativement peu stabilisée, à statut fragile : les nouveaux sont salariés sous contrat à durée déterminée et disposent d’une marge de manœuvre fort limitée sur le marché du travail local. Cette population apparait encore comme une population exposée sur le plan des conditions de travail (accidents du travail, maladies professionnelles, fatigue).
  • Cette forte contrainte d’espace trouve son prolongement bien entendu dans l’absence de formation : pas de locaux spécifiques, tout est espace de travail sans qu’il y ait un dispositif d’accompagnement pour maximiser des effets formateurs : dispositif de formation de mise au travail se confondent : les rares formations ouvrières présent un caractère collectif et son réalisées en intra.

Un fonctionnement ordonné autour d’un produit vivant

  • Économiquement, l’entreprise présente encore deux caractéristiques de la filière : d’une part, le caractère relativement court du cycle de transformation du produit par rapport à son cycle de production, et d’autre part l’existence d’un risque d’altération et de perte de valeur du produit pendant ce cycle de transformation.
  • Ceci explique probablement la place gardée par les intérêts liés au monde de la production par rapport aux intérêt liés au monde de sa transformation, mais aussi la valorisation plus ou moins forte de ce cycle de transformation selon le coût de production (filières nobles, et filières moins nobles).
  • L’organisation de la production est dominée par le contact homme/produit. Ces caractéristiques se trouvent probablement en lien avec une spécificité de l’organisation de la production dans cette entreprise, et qui semble subsister dans la nouvelle installation : l’importance du contact direct avec le produit. Alors que d’autres entreprises se caractérisent de façon dominante par une relation homme/machine ou machine/produit, ce qui explique probablement une série d’autres traits : importance de la force et de l’habileté physique, importance des risques professionnels, importance de l’hygiène.
  • Une identification des travailleurs au produit. Cette relation directe favorise à son tour un phénomène caractéristique de l’entreprise de l’entreprise sur le plan de la gestion des identités, et probablement renforcé par le maintien pendant de longues années de deux chaînes de production, de dynamique économique et d’origine historique différentes : les identifications professionnelles dans l’établissement s’effectuent davantage au produit traité qu’en référence à la place occupée dans le cycle de transformation.
  • Ces identifications sont des identifications collectives correspondant à des collectifs de travail : ce sont aussi des différenciations par valorisation/dévalorisation : c’est en termes de jugement de valeur et d’opposition avec l’autre groupe que chacun pense sa propre identité.
  • Le développement d’activités, de savoirs et d’attitudes liées au produit. Cette caractéristique se retrouve encore au niveau de l’exercice du travail, où l’on voit se développer des activités, des savoirs et des attitudes directement liés au produit. Se développent par exemple des activités de surveillance, de contrôle ou de tri aux moments critiques du process. Ces activités passent par plusieurs types de tri d’informations (visuelle, tactile, auditive, verbale et favorisent chez les opérateurs la formation à des savoirs sur les produits (qualité) et d’attitudes envers le produit : éviter les pertes, gérer la qualité, répondre à la demande spécifique de chaque client.
  • Un autre mode de production de compétences. Sur le plan de la formation, on se trouve donc devant un mode de production des compétences directement lié au contact avec le produit, par intériorisation d’expériences et par élaboration de savoirs à partir d’elles. Si des actions de formation, à l’intention du personnel restent significativement organisées dans le domaine de l’hygiène, de la sécurité et de la qualité ; elles sont très courtes et consistent pour l’essentiel en transmission de consignes

Une unité soumise à de fortes fluctuations

  • Sur le plan économique, cette caractéristique trouve son origine dans une particularité des industries agro-alimentaires : leur situation de dépendance vis à vis de l‘offre, c’est à dire des producteurs, tendance favorisée par le maintien pendant longtemps d’une demande alimentaire forte et par les conditions particulières de la production agricole, soumise à des alea difficilement maitrisables. Cette situation est en train d’évoluer : avec l’apparition d’une certaine saturation de la demande globale et le développement de gros distributeurs, le sens de la logique est en train de s’inverser et privilégie au contraire la commande, soumise elle-même à d’importants aléas. La position de dépendance ne s’en trouve pas particulièrement changée : l’entreprise éprouve de grandes difficultés à maitriser qui se trouve à son amont et à son aval.
  • Sur le plan de l’organisation, on constate des durées de travail très variables, des modifications très fréquentes des horaires, une organisation discontinue de la journée de travail et par un temps de travail en moyenne long. Tirée tantôt par l’amont tantôt par l’aval, l’entreprise n’a guère la possibilité d’imposer son temps de production. Les mesures prises malgré tout pour assurer la régulation sont des mesures à court terme : appel aux heures supplémentaires, utilisation de la flexibilité de la main d’œuvre.
  • Sur le plan des identités socio-professionnelles, cette caractéristique présente deux conséquences :
    le développement d’importants phénomènes de mobilité horizontale, pour faire face aux aléas de la production et des charges de travail : rotation rapide, davantage imposée que voulue, du personnel sur un nombre limité de postes de travail, gestion du personnel davantage en termes de disponibilité que de qualification et désignée par l’expression ‘polyvalence élargie’.
  • Cette difficulté de gestion de l’articulation entre temps de travail et temps hors travail. Les salariés de l’entreprise souffrent d’une dépendance par rapport à un temps structuré en extériorité et qui rend difficile la conduite d’autres projets. Ceci détermine une aspiration forte à la maitrise de son temps et au-delà à la construction d’une identité en dehors de l’entreprise.
  • Sur le plan de l’exercice du travail, on constate un transfert de la gestion des temps du niveau global de l’entreprise au niveau du poste de travail lui-même et, et le développement, de ce fait, des compétences spécifiques. Les opérateurs sont en effet amenés, compte tenu des fluctuations, à élaborer des modes extrêmement variés d’articulation entre activités principales et activités connexes, combinaisons de séquences posées en fonction des spécificités de la situation. Face à des activités fluctuantes, les opérateurs développent des comportements d’anticipation pour gérer ces variations et ne activité de résolution de problèmes inédits.
  • Sur le plan de la formation, cette caractéristique présente encore plusieurs types de conséquences : le temps formalisé pour le formation est peu important, et il y a un non-distinction de ce temps avec le temps de travail ; les dispositifs de formation à l’intention du personnel ouvrier fonctionnent davantage comme des dispositifs de mise au travail ou de mise à une nouvelle situation de travail que comme des dispositifs de formation proprement dite ; les mesures emploi-formation, sont utilisées par l’entreprise à des fins de régulation de la mains d’œuvre et de mobilisé horizontale.

Un fonctionnement s’appuyant directement sur des structures sociales locales

  • Sur le plan de la décision, constate une influence directe de données locales dans les grandes décisions relatives à l’établissement. Ceci est vrai aussi bien au niveau de son implantation initiale (région productrice du produit et qui a fait de cette production un élément d’identification locale à travers notamment l’organisation d’un festival)
    que de la construction de la nouvelle unité qui prend largement en compte les souhaits des acteurs économiques et sociaux locaux.
  • L’organisation est largement surdéterminée par des réseaux locaux familiaux et locaux. Cette intégration se manifeste dans l’organisation d’ensemble de l’entreprise qui apparait davantage comme une entreprise rurale que comme une entité industrielle de recrutement liée à la démographie locale, continuité au niveau des embauches entre les structures productives locales (agriculture, artisanat, commerce) et établissement, (maintien des structures sociales et familiales locales au sein même de l‘établissement, dirigeants issus du rang. La structure de production que représente l’entreprise apparait davantage en continuité avec les structures organisationnelles locales qu’avec l‘organisation du groupe national et international dont elle dépend.
  • Sur le plan de la gestion des identités, cette situation se traduit notamment par des mécanismes de fidélisation : bien que jeune (moyenne de 32 ans), la population de l’entreprise a une ancienneté moyenne de 10 ans. Cette fidélisation est à mettre en lien avec la relation forte entre qualification, salaire et ancienneté pour le personnel de production. Elle apparait aussi à travers le fonctionnement du comité d’entreprise où il n’est jamais question d’économie ou de formation mais éventuellement d’activités à caractère social. L’identité apparait plus comme une identité locale que comme une identité ouvrière.
  • Sur le plan de l’exercice du travail, cette situation se traduit encore par un appel fréquent, dans les relations entre hiérarchie et subordonnés, aux relations humaines et à la valorisation des qualités de dévouement, par l’existence de relations de dépendance et d’obligation entre anciens et nouveaux
  • Cette série de caractéristiques liées à l’intégration de l’entreprise dans son environnement local trouve enfin son prolongement dans un relatif effacement de la valeur accordée à la formation instituée ; la culture de l’entreprise valorise la formation sur le tas alors même que les contraintes de la production en termes de rendement et de resserrement des effectifs permanents rendent très difficile sa mise en œuvre.

Une position économique et sociale relativement fragile

Sur le marché économique, l’ entreprise présente plusieurs indices d’une position économique relativement instable : elle appartient à une filière qui ne dispose pas de la possibilité de répercuter au niveau de la distribution les hausses enregistrées au niveau de la production et bénéficie de ce fait d’une marge de plus en plus réduite ; pourtant, si tel n’est pas le cas aujourd‘hui, elle doit constituer à l’avenir une pièce maitresse dans la stratégie du groupe : elle se trouve située dans un contexte local relativement porteur et n’apparait pas comme une entreprise leader, y compris dans la même ville.

  • Sur le plan industriel, l’outil se présente comme particulièrement vétuste. Appel est fait à une main d’œuvre qui elle-même se trouve en position relativement faible sur le marché du travail ; jeunes, chômeurs, travailleurs peu mobiles, de niveau de formation et de qualification relativement bas, ne disposant que de perspectives professionnelles relativement réduites.
  • La gestion du personnel tend à augmenter cette fragilisation et cette dépendance des salariés par rapport à l‘entreprise actuelle accrue encore par la crise : politique de flexibilisation de la main d’œuvre depuis une quinzaine d’années environ (recours aux contrats à durée déterminée, faiblesse des structures de représentation du personnel, pris en compte limitée des demandes et revendications des salariés).
  • Sur le plan de l’exercice du travail, cela se traduit encore par une absence de reconnaissance formelle des compétences acquises. Les savoir-faire acquis à l’occasion du travail s’ils sont reconnues comme tels par les salariés, ne font l’objet que d’une faible reconnaissance de la part de l’entreprise, qui se trouve dans la position à la fois de les utiliser et les ignorer.
  • Enfin la formation dont on sait qu’elle est peu développée, se fait essentiellement à l’initiative qui décide du départ en formation : 87% des formations se font à l’initiative de l’entreprise, qui dans l’immense majorité des formations sont déclarées à l’initiative de l’entreprise contre 13% à l’initiative des salariés. Ce qui est présenté comme formation à l’entreprise (au poste de travail) n’est quelquefois même pas reconnue comme telle par les salariés.

Conclusion
Ce qui arrive aux sujets est, à la fois, la résultante de dynamiques contraintes et d’actions intentionnelles. La maitrise d’itinéraires individuels suppose la compréhension des unes et des autres. Le présent texte explore plus particulièrement une démarche de compréhension particulièrement marquée par des dynamiques contraintes dans lesquelles les sujets tracent leur parcours. La population est une population ouvrière connaissant et appelée à connaitre un changement industriel profond.

Licence : CC by-sa

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