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Un article de Jean-Marie Barbier et de Martine Dutoit
Formation et Apprentissages professionnels FoaP EA 7529 CNAM
Parler de soi en action, un exercice à la fois très personnel et très social
Soumises à l’épreuve des interactions avec nos interlocuteurs, les conceptions dans lesquelles nous nous représentons et parlons de nous-mêmes à autrui se révèlent dépendantes à la fois de nos vécus d’activité et des cadres du langage que nous utilisons. En prendre conscience et faciliter la compréhension des processus en jeu dans ce type de situation peut être un exercice utile à l’occasion d’échanges sur nos pratiques (analyses de pratiques), et aussi à l’occasion d’analyses d’activités dans le cadre de recherches.
Plus précisément nous faisons trois hypothèses :
1)Il existe une grande cohérence entre les conceptualisations ordinaires utilisées pour parler de notre activité et pour parler de nous-mêmes en activité : par exemple la qualification que fait un acteur d’une situation et le ressenti personnel qu’il éprouve dans cette situation se recouvrent largement.
2)Cette cohérence n’est pas un hasard : ces conceptualisations sont des conceptualisations construites en activité par les sujets. Ce sont des construits d’expérience https://www.innovation-pedagogique.fr/article11488.html correspondant à l’attribution par les sujets percevant, se représentant ou communiquant de’qualités’ au regard de leur action, indissociablement associées à ces entités. Ils ont la même fonction dans la perception de l’environnement et dans la perception de soi dans l’environnement. Dans les activités de perception, de représentation et/ou de communication, ils apparaissent comme des unités ; de ce point de vue, ils sont analogues aux images opératives, outil d’analyse des représentations construites par un opérateur en activité, outil proposé par D. Ochanine et ses collaborateurs https://journals.openedition.org/pistes/4655.
3)Dans ces construits d’expérience, on peut distinguer trois sources de cohérence, renvoyant à trois types d’activités/expériences :
- Ce qu’on peut appeler le « soi », que l’on peut définir comme la résultante des actions de perception par un sujet de lui-même comme sujet agissant.
Le « soi » correspond à la perception d’une unité d’engagement d’activité.
- Ce qu’on peut appeler le « moi », que l’on peut définir comme la résultante des actions de représentation de soi par soi et pour soi. Le « moi » est une construction mentale qu’un sujet opère par lui-même, sur lui-même et pour lui- même.
Le « moi » correspond à une unité de représentation de soi-même en activité (cf. latin ipse=soi-même)
- Ce qu’on peut appeler le « je » que l’on peut définir comme l’image de soi, donnée par soi à autrui ou à soi-même. Le « je » est souvent une construction discursive, et peut s’analyser comme une communication sur le moi, adressée à autrui ou à soi -même.
Le « je » est une unité de définition de soi.
Trois sources d’expériences
Le « soi », le « moi » et le « je » sont donc les résultantes des opérations de transformation d’un sujet à l’occasion de son engagement dans son activité https://www.innovation-pedagogique.fr/article9338.html
Ils correspondent à trois types d’expérience :
- L’expérience vécue est ce qui m’advient. Elle correspond à la perception de « soi » en activité ; elle peut être définie comme les transformations immédiates du sujet perçues par un sujet dans l’exercice même de son activité. L’expérience vécue est souvent une expérience corporelle, par exemple une expérience de mouvement. Il est intéressant de se demander par exemple comment définir le soi en activité dans le cas des bancs de poissons ou des vols d’oiseaux…
- L’expérience représentée est ce que je fais de ce qui m’advient, elle correspond à l’élaboration et à la transformation du « moi ». L’enquête de Dewey comme boucle d’activité mentale sur son activité et sur soi-même en activité en est un bon exemple.
- L’expérience communiquée est ce que je dis qu’il m’advient ; elle correspond à l’affirmation et aux transformations du « je ». La démarche formalisée de projet, la conduite de projet, en constitue encore un bon exemple.
Rappelons que l’expérience peut être définie comme la transformation simultanée de soi qui accompagne une activité de transformation du monde par un sujet https://www.innovation-pedagogique.fr/article17688.html
L’expérience de transformations simultanées du soi, du moi et du « je » à l’occasion de transformations du monde est un phénomène global et continu, et ne survient pas sous la forme de moments successifs.
Pour en rendre compte nous analysons ci-dessous à la fois ses caractères globaux de survenance comme expérience et le caractère propre de chacun des processus qui la composent.
QUELQUES CARACTERISTIQUES COMMUNES DE L’EXPERIENCE DE TRANSFORMATION DES SUJETS-EN-ACTIVITE
Les expériences de transformation des sujets en activité présentent notamment trois caractères :
- Elles sont faites de routines, d’habitudes, de tournures d’activité acquises dans la biographie du sujet, et dotées à ce titre de continuité
- Elles sont en perpétuelle transformation
- Elles correspondent à unité d’engagement de l’activité et à une unité de perception de soi dans cet engagement
- Elles s’inscrivent dans la survenance d’une résultante, à la fois transformation du monde et transformation des sujets engagés.
LES TRANSFORMATIONS DE SOI-EN ACTIVITE
- Elles se caractérisent par la survenance d’affects ou de transformations de tendances d’activité
- Le sujet est affecté par son activité et l’affecte
- Le soi s’actualise aussi bien par rapport à l’activité que par rapport au sujet en activité ; il se définit notamment par rapport à des enchainements d’activité https://www.innovation-pedagogique.fr/article17372.html
LES TRANSORMATIONS DU MOI-EN-ACTIVITE
- Elles se caractérisent comme un travail de transformation de représentations ;
- Ces représentations sont relatives à la fois à l’environnement de l’action, au sujet en action et à la conduite de l’action, qui se transforment solidairement https://www.innovation-pedagogique.fr/article7042.html
Le sujet se reconnaît dans l’action et sa transformation, il peut être analysé sous forme de dynamiques identitaires https://www.innovation-pedagogique.fr/article7042 - Le rapport qu’entretient le sujet à l’action est un rapport d’organisation
- L’action est finalisée autour d’une intention :
LES TRANSFORMATIONS DU JE-EN-ACTIVITE
- Le sujet affirme son engagement dans l’activité
- Le sujet fait récit et tient un discours ostensif sur son activité
- Il propose une image de soi à autrui
CONCLUSION
Souvent considéré comme illégitime au regard des critères disciplinaires qui « font science » (https://www.eyrolles.com/Sciences/Livre/penser-comme-un-rat-9782759224630/ Vinciane Despret), le rapport que nous entretenons aux êtres et aux choses du monde que nous habitons peut au contraire être analysé comme un construit d’expérience, matériau de recherche, qui nous renseigne sur la simultanéité et la consubstantialité de la construction des sujets dans l’activité et de l’activité elle-même en évitant substantification et réification des concepts d’analyse du chercheur (https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/reification-petit-traite-de-theorie-critique-la-honneth-axel-9782070782925).Distinguer dans les construits d’expérience le « soi » défini comme unité de perception d’engagement dans un activité, le « moi » comme unité de représentation de soi en activité et le « je » comme image de soi donnée par soi à autrui ou à soi-même peut y contribuer.
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