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Résultat et résultante : conduite et/ou analyse de l’action ?

31 octobre 2024 par jean-marie.barbier Outils d’analyse 443 visites 0 commentaire

©Mdutoit


Un article de Jean-Marie Barbier

https://labiennale-education.eu/la-biennale/breves-de-recherche/

Formation et Apprentissages professionnels EA 7529 CNAM


L’impact d’une action sur son contexte : une impasse pour les études et recherches ?

Études et recherches sur les actions sont régulièrement mal à l’aise avec une question souvent posée : comment approcher l’impact d’une action sur le contexte dans lequel elle apparait, et concrètement comment peut-on circonscrire ce contexte ?

Cette question est souvent posée en formation, notamment en raison du caractère immatériel de la formation, mais elle l’est plus largement dans les métiers de l’humain, et dans les projets territoriaux et industriels comportant un volet humain.

Elle est formulée de multiple façon, selon le lieu où elle est énoncée, et selon l’acteur qui l’énonce : analyse ou évaluation de l’impact de cette action ; étude de ses effets ; transfert de ses résultats ; implémentation ; appréciation du concours de l’action à la situation.

Dans tous les cas on constate le développement d’opérations intellectuelles sur l’action étudiée, concernant éventuellement d’autres acteurs que ceux qui ont réalisé l’action ou qui l’ont souhaitée.

Cette question est posée dans les différents contextes où se déploie l’activité humaine sous le regard d’autrui : lieux scolaires ou éducatifs, lieux de travail, lieux sociaux etc. Difficile d’y échapper dans les contextes de travail salarié contemporains…

Conduite des actions et analyse des actions

Une première manière d’y répondre est d’abord de distinguer activités de conduite et activités d’analyse des actions.

Nous appelons conduite des actions l’ensemble des phénomènes mentaux, des affects et des communications qui participent à la production par les sujets impliqués ou concernés d’une attribution de valeur à ces actions et aux organisations d’activités qui les constituent. Dewey parle de façon expressive de ‘valuation’, formule signifiant bien qu’il s’agît d’un acte.

Ces opérations émanent notamment d’acteurs en position de réalisation de ces actions, de pouvoir sur leur orientation, ou d’usage de leurs produits/services.

Elles sont produites à partir de l’action, pour l’action et construites par les acteurs impliqués ou concernés, éventuellement influencés par d’autres acteurs. Elles donnent d’ailleurs à voir à cette occasion leur position de sujets-acteurs dans cette conduite.

Il s’agit de représentations que les sujets s’adressent à eux-mêmes et qu’ils énoncent éventuellement en présence d’autrui, comme le font les expressions sur les constructions de sens. Elles expriment un rapport existant entre ces sujets, les représentations qu’ils se font de l’action et d’eux-mêmes en action.

Ce qui caractérise surtout ces activités de conduite est qu’elles sont issues de mises en relation de représentations de souhaitables et de représentations d’existants , de référents et de référés https://www.amazon.fr/Levaluation-formation-5eme-barbier-jean-marie/dp/2130520871 .

Les activités de conduite peuvent être distinguées, comme le proposait Piaget, en représentations ou images anticipatrices et en représentations ou images rétrospectives.

Nous avons l’habitude d’analyser ces activités de conduite des actions comme comportant quatre moments fonctionnels qui ne se distinguent pas par la période où ils surviennent, mais par le rôle qu’ils jouent dans un cycle itératif de la conduite des actions https://www.innovation-pedagogique.fr/article15020.html et https://www.amazon.fr/Encyclop%C3%A9die-formation-Jean-Marie-Barbier/dp/2130571298 p.455 et seq : la détermination des objectifs qui est une production de représentations anticipatrices et finalisantes d’une nouvelle situation ; l’élaboration de projet, qui est une production de représentations anticipatrices et finalisantes d’un processus articulant moyens et objectifs ; l’évaluation de l’action, qui est une production de représentations rétrospectives et finalisantes d’un processus ; l’évaluation de transfert des résultats de l’action, qui est une production de représentations rétrospectives et finalisantes d’un nouvelle situation. Représentations finalisantes signifie représentations de souhaitables pour l’activité https://www.amazon.fr/Elaboration-projets-daction-planification-Jean-Marie/dp/213043505X .

Les activités de conduite correspondent à ce que dans certains langages professionnels on appelle la fonction maitrise d’œuvre ou l’ingénierie des actions https://blog.cnam.fr/sciences-et-techniques/pratiques-de-la-recherche/c-est-quoi-l-ingenierie—1275043.kjsp . On parle aussi d’architecture des actions pour insister sur le moment d’élaboration de projet et sur son résultat.

Évaluation des actions et évaluation du transfert des résultats des actions

Les activités d’évaluation peuvent à leur tour faire apparaitre deux types de configurations :

1. Les évaluations d’action , qui supposent un retour sur les finalisations de l’action et les projets qu’elles ont inspiré.

Trois concepts organisationnels sont alors importants :

  • le concept d’objectif de l’action que l’on peut définir comme une représentation (ou une image) de l’état final de la situation souhaitée au terme de l’action
  • le concept de projet qui désigne l’articulation d’objectifs et de moyens susceptible de conduire à l’atteinte des objectifs précédemment évoqués, et appelés pour cette raison objectifs finaux
  • le concept de critère qui permet de se dire (et de dire) si ces objectifs ont été atteints.

La réalisation de tout ou partie de ces opérations d’évaluation des actions permet de parler de résultats des actions ou de référence aux résultats de ces actions. Les résultats sont une représentation évaluative du déroulement de l’action et de la situation nouvelle produite par l’action au regard des objectifs et des projets qui lui ont été assignés par les acteurs impliqués dans son effectuation.

2. Les évaluations du transfert des résultats de l’action : à quoi a servi l’action une fois réalisée ?

Évaluer le transfert des résultats d’une action consiste à produire des énoncés sur la valeur de la contribution qu’a apportée l’action, non seulement par rapport aux objectifs qui lui étaient assignés, mais aussi par rapport aux objectifs qui ont provoqué le recours à cette action. Ce sont des objectifs ‘pour’ cette action et non pas des objectifs ‘de’ cette action. Par exemple, pour une action de formation, il s’agit de savoir si des énoncés ont été produits sur la valeur de la contribution qu’a pu apporter cette intervention éducative à la situation ayant provoqué son recours. Autrement dit, il s’agit de savoir si l’intervention éducative a pu changer quelque chose aux questions de départ qui, le plus souvent, ne sont pas des questions d’éducation, mais finalement des questions économiques, industrielles, sociales, culturelles, professionnelles, personnelles . Est-ce que tout ce qui a été fait a contribué à résoudre le problème initial que l’on voulait résoudre ? Ce qui est produit est un jugement d’utilité sur l’investissement sous toutes les formes que constitue l’action.

Pour arriver à ce résultat on passe souvent, notamment en formation des adultes :

  • Par des indicateurs d’évolution professionnelle ; par des paramètres d’exploitation ; par des performances industrielles, commerciales, de services, etc. ; par des indicateurs d’intégration de l’action dans le contexte.
  • Sur le plan des critères, on passe par exemple, par des objectifs et critères de transfert.
  • Par la recherche d’efficience et d’efficacité, par les résultats économiques du projet dans lequel s’insère plus globalement l’action ; par le ‘retour sur investissement’ ; par l’étude la contribution de l’action à la réussite du projet.

Dans tous les cas, il s’agit de produire un jugement de valeur sur l’utilité de l’action au regard de la situation qui a provoqué son recours.

Analyse des actions et concept de résultante

Comme on le voit, l’évaluation, comme opération intellectuelle, suppose un retour sur les objectifs poursuivis dans l’action ou à travers l’action. Ils en constituent le référent, déterminé par les acteurs impliqués ou concernés.

Ce faisant cette évaluation embarque dans la même opération les catégories de pensée déjà utilisées dans la conduite de l’action et selon les mêmes jeux d’acteur, ce qui peut avoir comme conséquence une relative fixitédes positions d’acteurs et des systèmes de référents. C’est ainsi que des grilles d’évaluation sont souvent appelées grilles d’analyse, et adossées à une ‘science pédagogique’ qui joue son propre prestige et sa propre autorité dans la transformation d’objectifs en savoirs.

Or, dans un nombre croissant de cas de la vie professionnelle, dans les métiers de l’humain, on assiste à un renouvellement de ces catégorie de pensée, renouvellement qui fait suite au vécu d’expérience de ces professionnels, à des échanges, réflexions et travaux sur cette expérience, à des analyses de pratiques privilégiant non pas la production de représentations évaluatives, mais de représentations factuelles sur les pratiques professionnelles. Bref à un développement de la vie intellectuelle professionnelle…

Nous appelons activités d’analyse les opérations qui établissent des liens, des corrélations entre les représentations de plusieurs existants. Les liens de causalité ne sont qu’un des modes de ces liens https://theconversation.com/analyser-ou-evaluer-99535 . D’autres acteurs que les acteurs impliqués dans ces actions peuvent contribuer à leur analyse comme c’est le cas des historiens, par définition observateurs indirects et souvent usagers de documents. `

Sur le plan mental, ces activités d’analyse correspondent notamment à des activités de compréhension (en latin : cum-prehendere).
Cette perspective de pensée nous conduit à privilégier l’approfondissement de trois concepts méthodologiques :

  • Le concept de ‘déjà là’, permettant de penser les processus ayant façonné la situation que se propose de transformer le professionnel, et/ou qu’on lui demande de transformer
  • Le concept de sujet affecté que nous empruntons à M. Cifali qui parle elle de pensée affectée pour l’action professionnelle https://mireillecifali.ch/Articles_(2007-2012)_files/DBU_CIFAL_2008_01_0129.pdf
  • Le concept de couplage d’activité qui permet de penser l’articulation de l’activité du professionnel et du public visé dans les métiers de l’humain, https://travailformation.hypotheses.org/14349
  • Le concept de résultante qui permet de penser l’intégration des différentes transformations vécues par un sujet au cours de son itinéraire

La résultante est-elle une sommation ?

Si le concept d’activité désigne à la fois un processus de transformation du monde et un processus de transformation de soi transformant le monde, on peut être conduit à une singulière conclusion : l’ensemble du processus de transformation de soi accompagnant les transformations du monde peut être illustré par l’expression ‘sommatif’. Des expressions en usage de la formation vont dans ce sens : le moi serait structuré par exemple comme un oignon (Lacan).

Cette dénomination de sommatif est utilisée par une partie de la littérature pédagogique américaine ; elle sert à introduire la désignation de l’ensemble des acquis d’un étudiant ou d’un élève au terme d’un processus d’apprentissage par opposition à l’évaluation formative utilisée de façon interne comme moyen d’apprentissage pour évaluer les progrès des apprenants-élèves.

Mais cette désignation néglige le rôle actif des sujets eux-mêmes dans la construction de soi. Selon les orientations politiques et sociales des auteurs, on parle pour désigner l’ensemble des transformations de soi accompagnant les processus de transformation du monde en termes d’évaluation de ‘niveau atteint’, ou en termes de production de l’identité comme une accumulation d’actes (Sève, https://www.livre-rare-b ook.com/book/5472637/26758), ou encore on peut définir l’être humain est comme le « processus de ses actes » (Gramsci, https://cras31.info/IMG/pdf/gramsci_textes.pdf ). Une autre voie encore particulièrement intéressante, consiste à, parler dans le prolongement de la réflexion de M. Cifali, de sujet affecté. Reste à penser la question des possibles d’activité qui jalonnent le parcours de chaque sujet au cours de son itinéraire.

Dans tous les cas on se trouve donc confronté à la nécessité de rendre compte de la résultante des processus de transformation/construction de soi (bildung allemande). La résultante est la conséquence conjuguée de plusieurs processus en jeu dans l’activité. Elle s’oppose au concept de résultat, qui est le produit spécifique d’une activité consciente dirigée vers une fin, définie par le ou les acteurs.
Les choses sont particulièrement compliquées dans les métiers de l’humain qui sont des métiers d’interaction. Le résultat peut être énoncé, alors que la résultante dépend pour un part du public visé, partenaire de l’interaction, et de l’ensemble de son activité, passée et présente. Cette prise en compte de la résultante est importante tant pour l’exercice professionnel et son évaluation que pour la formation et la recherche. D’ailleurs nombre de professionnels déplorent n’être jugés que sur les résultats alors qu’une grande partie de leur travail reste le non-dit de l’évaluation. John Dewey (https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782130451761-logique-la-theorie-de-l-enquete-john-dewey/) fournit un outil conceptuel intéressant pour prendre en compte cette dimension de résultante (et aussi pour comprendre l’imbrication entre activité et action) : c’est le concept d’habitude d’activité. Outre qu’il relève deux champs sémantiques, la construction des sujets (le concept d’habitude) et la construction des activités (le concept d’activité lui-même), il présente l’avantage de prendre de prendre en compte biographie, singularité et dynamique de transformation continue. Les habitudes d’activité présentent plusieurs caractéristiques : acquises dans l’expérience du sujet, émergentes au cours de l’action et fonctionnelles dans l’activité du sujet (Joris Thievenaz, La transformation des habitudes d’orientation de l’action https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_travail_de_l_experience_joris_thievenaz_jean_marie_barbier-9782343000282-39615.html pp. 269-290. Selon les termes de Dewey elle est « projective, qualitativement dynamique et prête à se manifester ouvertement » ; elle est « opératoire [même] sous une forme atténuée » ; elle propose au sujet « un certain ordonnancement ou [une certaine] organisation » du monde (Dewey, 1922).

CONCLUSION

L’étude de l’impact d’une action peut se faire par deux voies :

  • Une voie d’évaluation quand elle reprend les catégories mentales de la conduite des actions
  • Une voie d’analyse quand elle est l’occasion de l’expérimentation d’autres catégories mentales, de faire, en quelque sorte, un pas de côté.

Licence : CC by-sa

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