Innovation Pédagogique et transition
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La coopération entre concepteurs et tuteurs et l’évolution du rôle du tuteur dans un établissement unimodal d’enseignement à distance

Un article repris de http://dms.revues.org/1857

En FAD, la séparation des rôles de conception et d’encadrement des cours est encore d’actualité dans plusieurs établissements spécialisés. Toutefois, avec les évolutions technologiques, le rôle du tuteur a passablement évolué et l’amélioration de la qualité des cours et de la réussite étudiante nécessite une certaine coopération entre les équipes de conception et les équipes d’encadrement. La présente recherche vise à décrire le rôle des tuteurs tel que perçu par les différents acteurs de l’établissement, et à déterminer l’état de la coopération entre les équipes de conception et les équipes d’encadrement. Elle s’ancre dans la théorie de l’échange social et dans le modèle de coopération interprofessionnelle de Saint-Arnaud. Une étude de cas essentiellement qualitative misant sur des entrevues individuelles et des entrevues de groupe avec quatre conseillers pédagogiques (CP), six tuteurs et deux responsables administratifs a été menée. Les résultats mettent en évidence des différences assez importantes entre le rôle effectivement assumé par les tuteurs et le rôle qui leur est officiellement attribué, ainsi que plusieurs différences de perception quant à ce rôle. En ce qui concerne la nature de la relation professionnelle entre tuteurs et concepteurs, la situation la plus habituelle relève d’une structure de pression, mais lorsque les tuteurs jouent un rôle quelconque dans le processus de conception, la relation tend à évoluer vers une structure de coopération. Plusieurs mesures ont été prises par l’établissement pour favoriser la coopération entre ces deux groupes de professionnels et reconnaître davantage le rôle des tuteurs, mais plusieurs défis demeurent, notamment en ce qui concerne l’implantation de grilles d’évaluation dans une perspective d’approche par compétences (APC).

Un article de Bruno Poellhuber, Martine Chomienne, Florent Michelot et Marie-Noëlle Fortin repris de la revue Distance et Médiations des Savoirs, une revue sous licnece CC by sa

Introduction

Avec la généralisation des services postaux, il y a plus d’un siècle, rendant possibles les cours par correspondance, la formation à distance (FAD) a pris son essor. Cette première ère de la FAD, où les cours par correspondance étaient rois (Taylor, 2000), s’est faite dans un modèle « industriel » fondé sur la rationalisation, la division du travail et la production de masse (Peters, 1967). Elle visait « la production à grande échelle de dispositifs de formation correspondant aux besoins d’une large population, ou adaptables, à moindre coût, à différents publics plus réduits » (Depover et Quintin, 2011). Ce modèle a engendré une organisation du travail et une spécialisation différenciant le travail des concepteurs de celui des chargés de l’encadrement. Très présente dans la littérature sur la FAD (Moore, 1993  ; Anderson, 2008), la référence à des équipes de concepteurs (course team) spécialisés en découle.

Or, l’arrivée des médias de masse a donné lieu à l’émergence d’une nouvelle génération de FAD (Taylor, 2000 ; Anderson et Dron, 2007 ; Depover et Quintin, 2011), basée sur l’exploitation des médias de diffusion. Ce modèle a influencé le travail d’élaboration du matériel médiatique, mais sans en changer le modèle pédagogique (Depover et Quintin, 2011). Les théoriciens de la FAD (Holmberg, 1989  ; Keegan, 1996) ont vanté les mérites de la personnalisation et de la liberté, en insistant sur le développement de cours « autoportants » où l’encadrement réside en partie dans le matériel pédagogique et où les interventions humaines des tuteurs et les besoins de médiation ou de remédiation restent limités. Plusieurs établissements dédiés à la FAD se sont ainsi formés autour de ces principes au Québec, en France et dans le monde, notamment le CNED, le Centre collégial de FAD (ancêtre du Cégep à distance), la TÉLUQ, l’université Athabasca ou l’Open University.

Cela étant, avec les années 1990 et l’apparition de l’Internet, on a assisté à ce que plusieurs acteurs ont appelé une troisième génération de FAD. Celle-ci a donné lieu à la création d’un grand nombre de cours sur le Web et à une focalisation sur la médiatisation du matériel plutôt que sur les dispositifs d’encadrement (Glikman, 2002  ; David, 2002). Toutefois, est apparu ensuite un regain d’intérêt envers les dispositifs (Glikman, 2002) qui offraient des outils de communication (courriels, forums, etc.) entre tuteurs et apprenants. Les institutions de FAD ont vu dans ces nouveaux outils un moyen de briser l’isolement des apprenants, cause d’abandon fréquemment citée (Garrisson, 1987 ; Cropley et Kahl, 1983).

Ces évolutions technologiques ont aussi fait ressortir la nécessité d’une transformation des rôles des concepteurs et tuteurs. Selon Depover et Quintin, ces médias interactifs amènent une transformation profonde des approches pédagogiques mobilisées en FAD, car ils permettent d’augmenter quantitativement et qualitativement les « interactions qui sont mises en œuvre au bénéfice de l’apprenant » (voir aussi Wallance, 2003). Ce modèle prend davantage en compte la nécessité de médiation humaine dans le processus d’apprentissage en FAD. Dans cette perspective, l’encadrement individuel ou collectif devient important pour la réussite, même si certains en critiquent la nature ou la forme (Depover, 2013  ; Dir et Simonian, 2015  ; Guillemet, 2004).

Dans les faits, le rôle dévolu aux tuteurs se transforme par rapport à ce qu’il était dans le modèle industriel. Cependant, faire évoluer l’organisation du travail et la définition des rôles des concepteurs et personnes chargées de l’encadrement représente un défi pour les établissements d’enseignement à distance. Pour plusieurs, le travail se fonde encore sur des distinctions datant du modèle industriel, ce qui n’est pas nécessairement le cas des établissements bimodaux venus plus tard à la FAD, où conception et encadrement sont souvent assurés par les mêmes personnes.

Si, dans les établissements dont l’organisation du travail est héritée du modèle industriel, une évolution des rôles du tuteur semble avoir eu lieu, on note une certaine ambiguïté quant au rôle attendu et au rôle effectif de ces derniers et des autres encadrants. Depover et Quintin (2011) soulignent ainsi le statut professionnel mal défini des tuteurs. Leurs tâches officielles semblent souvent assimilées à la correction, alors que leurs rôles effectifs semblent plus riches. Déjà, dans une revue de littérature, Daele (2002) soulignait l’émergence de nouveaux rôles des tuteurs, que l’on peut plus aisément associer au modèle fondé sur l’interaction, à savoir des rôles social, d’organisation, pédagogique, et technique. Les écrits de Glikman (2011) et de Bawane et Spector (2009) vont dans le même sens en identifiant des compétences spécifiques au travail des tuteurs qui ne viennent pas immédiatement à l’esprit.

Ainsi, même si le métier de tuteur n’est pas neuf, il est en redéfinition. Cette évolution des rôles n’a pas échappé aux tuteurs qui ont commencé à revendiquer une meilleure reconnaissance, notamment dans un conflit de travail à la TÉLUQ en 2012.

La nécessité d’une collaboration concepteurs/tuteurs

Comme on l’a vu, dans plusieurs établissements unimodaux, le processus de conception des cours est confié à des concepteurs et il se distingue du processus d’encadrement, habituellement confié à des tuteurs. Ces derniers jouent un rôle d’intermédiaire entre apprenants et concepteurs et doivent travailler avec du matériel de cours qu’ils n’ont pas conçu (Rodet, 2012). Ces conditions sont susceptibles d’amener des distorsions : « il n’est pas rare que les théories déclarées par les professeurs et les principes mis en œuvre dans leurs cours [par les tuteurs] diffèrent » (Decamps et Depover, 2011, p. 111). Par ailleurs, les tuteurs sont en contact avec les étudiants et sont en mesure de vérifier la manière dont le matériel pédagogique est reçu par ceux-ci.

Si les buts sont l’apprentissage ainsi que la réussite des étudiants, dimension problématique en FAD, et que l’on vise l’amélioration des cours à distance, il apparaît que le travail entre les équipes de conception et les tuteurs devrait se faire sur la base de la coopération (Rodet, 2010). Cependant, même souhaitée, elle ne semble pas toujours se concrétiser (Decamps et Depover, 2011).

Cadre conceptuel

Le sujet de la coopération entre tuteurs et concepteurs peut être posé comme une problématique de coopération interprofessionnelle. Ici, nous mobilisons la théorie de l’échange social (Blau, 1964) et le modèle de coopération professionnelle de Saint-Arnaud (2003), qui peuvent être rapprochés sur plusieurs points.

La théorie de l’échange social

Basée sur les travaux de Blau (1964), la théorie de l’échange social conceptualise les relations sociales comme un processus d’échange qui peut être réciproque ou déséquilibré. Des liens mutuels émergent lorsque les partenaires d’un échange social ont des bénéfices réciproques, mais un déséquilibre se crée quand les bénéfices sont unilatéraux. Selon cette théorie, qui repose sur la thèse de la justice de Rawls contre la doctrine utilitariste, dès qu’une des parties n’offre pas des conditions de réciprocité, selon la perception de l’autre partenaire, elle perd toute possibilité de coopération. Inversement, si les gens sentent que leur environnement de travail est empreint de loyauté et qu’il y a réciprocité, ils manifestent alors un comportement de partage des connaissances et de coopération (Tsai et Cheng, 2012). La condition de réciprocité est donc incontournable dans la manifestation des modalités de coopération.

Le modèle de coopération professionnelle de Saint-Arnaud

Saint-Arnaud (2003), se fondant sur les travaux d’Argyris (1990) et de Schön (1987), propose un modèle des relations qu’entretiennent des professionnels entre eux ou avec des clients. Il propose une typologie des relations professionnelles en trois structures : la structure de pression, de service et de coopération. Le but de l’interaction, le sens de l’influence d’un acteur sur l’autre et l’acteur principalement sollicité varient selon le type de relation.

Ainsi, dans une « structure de pression », un des acteurs détermine un but qui ne peut être atteint que par la contribution de l’acteur sollicité. Le premier acteur attend du second qu’il agisse ou qu’il lui donne de l’information et le sens de l’influence va du premier vers le deuxième. Par ailleurs, la relation client-professionnel constitue le prototype de la « structure de service ». Dans ce cas de figure, les besoins du client déterminent le but de l’interaction. Dans ce type de relation, la demande vient du client et la relation est tout de même asymétrique. Le professionnel dispose de ressources et de connaissances dont le client a besoin pour atteindre son but et le client décide s’il engage le professionnel ou non. Enfin, « la structure de coopération » est caractérisée par le fait que « les partenaires se concertent dans la poursuite d’un but commun [, qu’ils] se reconnaissent mutuellement des compétences à l’égard du but visé [et que le], pouvoir est partagé, chacun des partenaires exerçant une influence sur l’autre tout en respectant son champ de compétence » (Saint-Arnaud, 2003, p. 88).

Sur le fond, cette approche reprend la condition de réciprocité de la théorie de l’échange social, notamment par la reconnaissance des compétences de l’autre et l’influence bidirectionnelle, mais Saint-Arnaud met aussi en évidence la nécessité de converger vers un but commun.
Les objectifs de cette recherche

La recherche vise à décrire le rôle des tuteurs, tel que perçu par les acteurs d’un établissement d’enseignement à distance unimodal, et à déterminer l’état de la coopération entre les équipes de conception et d’encadrement.

Une recherche de type exploratoire par étude de cas multiples a été menée auprès de quatre établissements dans une démarche qualitative (Creswell, 2012). Cet article expose le cas d’un de ces établissements.

Contexte : structure et fonctionnement de l’établissement

Présentation de l’établissement

Dans l’établissement visé, entièrement dédié à la FAD, des problèmes de coopération entre équipes de conception et d’encadrement se sont posés au fil des ans. Cet établissement propose plus de 300 cours à distance, qui s’adressent aussi bien à de jeunes étudiants inscrits dans les programmes réguliers d’autres établissements, qu’à une clientèle plus âgée, déjà sur le marché du travail, qui étudie en formation continue.

Structure organisationnelle de l’établissement

Les cours ont été élaborés dans un service responsable de leur conception. Dans celui-ci, des conseillers (ou ingénieurs) pédagogiques, au centre du processus, agissent comme gestionnaires de projets et travaillent en collaboration avec des experts de contenu recrutés comme auteurs ou réviseurs pour l’élaboration du matériel pédagogique pour chaque cours développé. Des producteurs multimédias s’occupent de la mise en forme et de la médiatisation du matériel. Une équipe s’occupe aussi de la gestion de la qualité.

Les conseillers pédagogiques (CP), qui travaillent dans les locaux de l’établissement, forment et encadrent l’équipe de conception des cours. La conception du matériel pédagogique, des activités d’apprentissage et des évaluations sont du ressort des experts de contenu qui s’assurent notamment que soit respectée l’approche par compétences (APC), implantée au Québec dans tous les programmes de niveau collégial depuis 1994. Les CP assument la révision et la réécriture de ces documents. Ils disposent d’un bureau dans l’établissement, mais ont la possibilité de faire du télétravail.

Des spécialistes des cours développés sont recrutés comme « experts de contenus ». Ils travaillent habituellement en binômes, l’un à titre d’auteur et l’autre de réviseur, dans le cadre d’un mandat contractuel temporaire limité au développement d’un cours spécifique. Ces experts sont normalement des enseignants, parfois à la retraite, et travaillent de leur domicile.

À l’issue des processus de conception et de production, un ou plusieurs « tuteurs » sont recrutés. Leur première tâche consiste à s’approprier le matériel pédagogique. Ces tuteurs relèvent du « secteur du tutorat », qui s’occupe également de l’animation pédagogique et du développement professionnel des tuteurs. Ce service s’assure aussi que les tuteurs respectent les règles énoncées dans un guide du tuteur-accompagnateur. Les tuteurs sont eux aussi des enseignants actifs ou retraités ayant une expérience dans la discipline. Ils sont travailleurs autonomes (autoentrepreneurs) et œuvrent en général depuis leur domicile.

Selon la politique de l’établissement, les tuteurs doivent accueillir les étudiants, les encadrer, répondre à leurs questions, corriger leurs évaluations (de plus en plus à l’aide de grilles d’évaluation mesurant l’atteinte de compétences), leur donner une rétroaction et, finalement, transmettre à l’équipe de conception des commentaires sur le cours. La rémunération est associée à la correction et le montant attribué au premier devoir est majoré pour tenir compte du travail d’accueil individuel de chaque étudiant auquel est tenu le tuteur.

Méthodologie

Cette recherche s’ancre dans une épistémologie et une démarche qualitative à visée compréhensive et interprétative et différents moyens ont été mis en œuvre pour en assurer la validité (Gohier, 2004  ; Muchielli, 2009).

Visant à décrire un cas typique parmi les établissements unimodaux de FAD, cet article rend compte de la situation telle qu’elle est vécue, narrée et interprétée par les acteurs eux-mêmes, et vise à assurer la transférabilité par une description riche du contexte (Gohier, 2004).

Collecte de données

La collecte de données a été réalisée en trois étapes pour assurer la crédibilité de la recherche par le biais de la validation interne des données (Gohier, 2004). Une 1re étape a consisté en la réalisation d’entretiens individuels semi-dirigés d’environ 45 minutes auprès de six tuteurs, quatre CP (ingénieurs pédagogiques) de l’équipe de conception et deux cadres responsables des politiques pédagogiques et administratives (« responsables administratifs » ci-après). Une grille d’entrevue identique a été utilisée auprès des répondants afin d’obtenir leur point de vue sur les mêmes objets et ainsi permettre une étude plus exhaustive du cas et la triangulation des données. L’objet principal de la recherche étant le degré de collaboration entre les équipes de conception et les équipes d’encadrement, il était essentiel d’obtenir le point de vue des acteurs de chacun de ces groupes.

Les résultats de la première analyse des entretiens ont été présentés pour validation (2e étape de collecte) à la communauté des acteurs des services de conception et de diffusion, à savoir les CP, les experts de contenu et les tuteurs. Ceci représente un premier moyen de triangulation et de validation des résultats, ainsi qu’un moyen d’atteindre le critère d’équilibre dans une recherche qualitative (Gohier, 2004). Cette validation a permis de mettre en évidence des points à approfondir lors des deux entrevues de groupe suivantes (3e étape de la collecte), l’une menée avec les CP et l’autre avec les tuteurs.

Lors des deux séries d’entrevues (individuelles et de groupe), les thèmes suivants étaient abordés : l’organisation du travail, le rôle de chacun, la collaboration entre équipes, la communication, les relations entre équipes de conception et d’encadrement, ainsi que la reconnaissance du travail de chacun. Les entretiens se terminaient par un questionnement sur les défis se posant aux répondants et à l’établissement quant à la réussite étudiante, ainsi que des suggestions pour y répondre.

Les tuteurs interrogés ont une longue expérience d’encadrement dans l’établissement (de 10 à 20 ans). Du côté de l’équipe de conception, nous avons interrogé quatre CP dont l’expérience de travail dans l’établissement varie de deux à dix ans.

Dans les cas étudiés, tuteurs et équipes de conception ne proviennent pas nécessairement des mêmes programmes et leurs discours peuvent refléter des réalités de travail différentes. Chacun des groupes parle d’une réalité qui ne fait pas nécessairement écho à celle de l’autre. Finalement, les responsables administratifs provenaient de deux secteurs différents de l’établissement, l’un relié à la conception des cours et l’autre au tutorat.

Éthique de la recherche

La recherche a été menée en respectant les règles d’éthique et sous couvert d’un certificat d’éthique formellement obtenu. Les participants ont été informés de la nature de leur participation, de leur droit de retrait, de la nature des données qui allaient être publiées et ont donné un consentement libre et volontaire.

La méthode d’analyse des données

Les entrevues individuelles ont été enregistrées et transcrites sous forme de verbatim, qui ont été séparés en unités de sens équivalant à une idée. La grille de codification devant pouvoir être appliquée à trois catégories socioprofessionnelles distinctes a été élaborée dans une approche de codage thématique mixte où la plupart des catégories provenaient du cadre théorique, mais où certaines ont émergé à partir des propos des interviewés. Elle a été définie, puis mise à l’essai de manière consensuelle dans la première série d’entrevues par deux assistants de recherche travaillant sous la supervision directe du chercheur principal. Le codage visait à classifier les réponses en un nombre limité de catégories pertinentes en regard des objectifs de recherche (Miles et Huberman, 2003).

Une fois stabilisée, la grille a été appliquée par les deux assistants qui ont codé indépendamment trois entrevues complètes et ont obtenu un accord interjuges considéré comme satisfaisant de 79 % pour ces trois entrevues, assurant ainsi la fiabilité des données et leur constance interne (Gohier, 2004).

Résultats et discussion

Le contexte de travail

Les équipes de conception et les tuteurs appartiennent à deux services différents. Au moment des entrevues, nous avons constaté qu’une démarche de rapprochement était déjà amorcée entre ces services, par le biais de rencontres entre responsables administratifs, et ayant mené à certaines mesures visant à la coopération.

Le rôle des tuteurs

Le tableau 1 ci-dessous expose le rôle officiel conféré aux tuteurs et le rôle de ces derniers tel qu’il est perçu (par les tuteurs eux-mêmes, par les CP et par les responsables administratifs). Afin de mettre en exergue la présence ou non de distorsions, les convergences rôle/perception sont présentées en soulignement simple, tandis que les divergences rôle/perceptions le sont en soulignement double.

Tableau Synthèse du rôle des tuteurs

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La manière dont les tuteurs perçoivent leur rôle est plutôt cohérente avec ce qui est attendu d’eux. Cependant, ils semblent relever l’ambiguïté de leur rôle. Dans la mesure où ils sont « en première ligne », ils se voient comme la « porte d’entrée » des étudiants avec l’établissement, peu importe le sujet, même si l’établissement prévoit d’autres processus ou personnes-ressources. Administration, pédagogie, voire soutien moral : le tuteur est un point de contact polyvalent qui serait insuffisamment souligné dans la définition de son rôle. En pratique, des tuteurs se sentiraient l’obligation d’intervenir promptement auprès des étudiants qui s’adressent à eux pour leurs demandes. Cela transparaît dans le fait que les tuteurs s’accordent un rôle de pilier historique (« mémoire institutionnelle ») et fonctionnel (« colonne vertébrale ») de l’établissement. En appui à cela, ils soulignent qu’ils représentent une équipe stable contrairement à celle des CP où on observe un roulement de personnel important.

Or, dans l’ensemble, les CP et les cadres ne perçoivent que partiellement le rôle des tuteurs, car ils les voient surtout « comme des correcteurs ». Même si un des CP concède que, « de nos jours, en FAD, le tuteur a un rôle beaucoup plus important que celui-là [c’est-à-dire la correction] », ce même CP n’entrevoit un rôle guère plus large que celui « d’accompagnateur [,] d’encadreur ». Lors des entrevues de groupe, les membres des équipes de conception se sont montrés surpris de l’importance que les tuteurs accordent à leur rôle. De leur côté, les tuteurs ont indiqué qu’ils se sentent perçus comme des techniciens et des correcteurs. Or, en tant qu’enseignants, ils ont l’impression qu’une partie de leurs compétences est insuffisamment reconnue. L’un d’eux nous confie : même si « tous ne s’investissent pas tous de la même manière […] ils ont tous des compétences ». Par ailleurs, les tuteurs ne se sentent pas assez consultés : « ils nous envoient les cours et ils nous disent comment nous devrions encadrer les étudiants. Mais ils ne nous ont pas consultés »...

L’implantation de l’APC est un point d’achoppement important entre CP et tuteurs : un responsable administratif s’inquiète du fait « qu’il y a plus de tensions [entre le tuteur et le conseiller pédagogique] qu’antérieurement, quand c’était corrigé selon les contenus… »

Les éléments relatifs à la coopération entre tuteurs et CP

Présentation des différentes formes de rapports tuteurs-CP

La séparation des rôles fait en sorte que plusieurs mentionnent que le travail s’y fait « en silo », « en vase clos » : il y a un manque de communication entre secteurs.

Les rapports tuteurs-CP diffèrent selon que les tuteurs sont engagés comme tuteur uniquement, ayant pour rôle l’encadrement des étudiants (la majorité d’entre eux) ou comme tuteurs et experts de contenus participant à la conception du matériel pédagogique (certains d’entre eux).

Dans le premier cas, les tuteurs n’ont pas accès directement aux CP et réciproquement. Les communications entre les acteurs doivent passer par le secteur du tutorat qui joue un rôle d’intermédiaire, donnant lieu à une relation qualifiable « d’indirecte ».

Dans les autres cas, ces tuteurs font temporairement partie de l’équipe de conception. Ils ont alors une relation directe, mais épisodique, avec les CP de la conception et, lorsque les tuteurs ont terminé leur travail d’experts de contenu, ils redeviennent « simples » tuteurs.

Lorsque la collaboration est directe, même pour de brèves périodes, les CP et tuteurs parlent de « partenariat ». Un CP explique ainsi cette situation : « on travaille sur un cours. Ils me disent des choses, me posent des questions, je leur retourne le document, je leur suggère des choses. […] La réciprocité, c’est beaucoup sur la relation ».

Lorsque la relation est indirecte, par exemple, quand il s’agit du rôle des tuteurs (amélioration du matériel pédagogique en fournissant des commentaires aux CP sur le matériel afin d’améliorer l’expérience des étudiants), la transmission des recommandations se fait vers le secteur du tutorat. Ce service achemine alors les plus pertinentes à la gestion de la qualité ou directement aux CP selon qui les recommandations sont bien reçues et prises en considération. Par contre, les tuteurs manifestent des frustrations liées à la perception d’un manque de suivi.

Plusieurs CP sont aussi d’avis qu’il existe un manque de reconnaissance du travail du tuteur. Plusieurs CP souhaitent plus de reconnaissance du travail des tuteurs et certains mentionnent qu’ils aimeraient les connaître davantage. Un CP mentionne que la reconnaissance commence par la connaissance de l’autre : « la consultation des tuteurs avant la conception du cours permettrait de connaître les tuteurs, de connaître vraiment leurs intérêts ». Certains CP relativisent toutefois leurs propos sur la reconnaissance du travail des tuteurs. Ils expliquent que les modes d’organisation des services diffèrent et que les dynamiques disciplinaires sont parfois plus fortes que les dynamiques de programmes. Certains CP soulignent également des situations où ils consultent les tuteurs, mais où ces derniers n’ont pas de commentaires à émettre.

Cependant, plusieurs CP reconnaissent l’intérêt de consulter ou d’écouter les tuteurs : « l’idée de les rencontrer, de prendre le temps d’expliquer… d’écouter ce qu’ils ont à dire envoie le message que les tuteurs comptent pour les CP  ». Une CP explique : « j’aimerais être invitée aux rencontres de tuteurs, pour savoir qu’est-ce qu’on pourrait faire pour améliorer ».

La relation tuteurs-CP, une relation de coopération  ?

Relativement aux cadres théoriques retenus pour interpréter la coopération entre les équipes de conception et les équipes tutorales, nous avons particulièrement exploré les catégories relatives à l’existence d’un but commun, au sens de la relation et à la reconnaissance du travail des tuteurs.

 La présence d’un but commun

Les répondants s’entendent pour dire qu’ils tendent vers un but commun, condition première d’une relation de coopération, qui comprend la notion de réussite, mais aussi de satisfaction des étudiants. Pour certains, l’atteinte de ce but passe par une meilleure collaboration entre tuteurs et CP, car elle contribuerait à une meilleure qualité du matériel pédagogique, une meilleure utilisation du matériel de cours et, ultimement, les étudiants en bénéficieraient. Un CP dit avoir « l’impression que plus on va travailler ensemble [CP et tuteur] plus ça va avoir un impact positif sur les étudiants parce qu’on va s’améliorer ».

Il existe toutefois des divergences sur la manière d’atteindre ce but et sur les rôles attendus des uns des autres. Une tutrice ajoute ainsi : « il faut arrêter de prêcher pour notre paroisse et comprendre qu’on est une équipe, on ne travaille pas l’un contre l’autre, on travaille tous pour le succès de l’étudiant  ! »

 Le sens de l’influence

En raison de la difficulté de mettre sur pied une relation de collaboration, on note que les rapports entre les parties peuvent prendre plusieurs formes. Le degré de collaboration entre tuteurs et CP demeure très variable, allant de l’absence de relation et de collaboration à une relation et collaboration excellente. En conséquence, le sens de l’influence va lui aussi évoluer selon le degré de ce partenariat.

Dans un premier cas de figure, les CP vont donner des directives quant au matériel de cours et à la manière d’encadrer et d’évaluer les étudiants. Les tuteurs vont ainsi recevoir lesdites directives, et les appliquer, se retrouvant dans une position plutôt passive où l’influence va du CP vers le tuteur et la nature de la relation rappelle la structure de pression de Saint-Arnaud.

Dans un deuxième cas de figure, ressemblant au premier, on observe que certains tuteurs n’appliquent pas les directives reçues des CP. Ils vont les questionner, les adapter, les modifier ou s’y opposer. « Ils ne se rendent pas compte que si l’autre tuteur respecte les évaluations, il y a un problème ». Cette réaction correspond à une résistance, la difficulté la plus typique résultant d’une structure de pression dans le modèle de Saint-Arnaud. Dans cette situation, le tuteur cherche à sortir du rôle passif qui lui est assigné et à exercer une influence.

Ce comportement peut être expliqué par le fait que les tuteurs sont d’abord des enseignants expérimentés, habitués à jouir d’une grande autonomie et ayant une idée précise sur la manière d’encadrer et donner les cours. Il pourrait aussi être le fruit de la position de témoins privilégiés des tuteurs qui considèrent qu’ils sont sur le terrain, dans l’action, en relation directe avec les étudiants, qu’ils voient la manière dont le matériel est reçu et utilisé, ainsi que les améliorations à y apporter. À partir de cette position privilégiée auprès des étudiants, les tuteurs revendiquent un rôle dans les processus de conception : « ce sont les tuteurs [qui vont les utiliser], c’est pourquoi il faut vraiment impliquer les tuteurs dans la structure des nouveaux cours ».

Dans un 3e et dernier cas de figure, celui où le tuteur a contribué ou a été embauché dans une équipe de conception des cours, le tuteur devient un partenaire du CP, au moins pour un temps. La relation devient plus bidirectionnelle et chacun influence l’autre. À la lumière du discours des tuteurs, ces cas semblent correspondre à une structure de coopération. Les compétences disciplinaires et didactiques des tuteurs sont mises à contribution et reconnues. Les tuteurs ont alors la perception d’un travail fait en partenariat ainsi que d’une volonté réelle et appliquée de travailler ensemble. L’accès direct à l’autre et la réciprocité semblent engendrer une communication et une relation de qualité : ils se sentent valorisés d’être approchés ne serait-ce que pour une simple consultation. Certains tuteurs ajoutent toutefois que lorsqu’ils redeviennent tuteurs sans être impliqués dans la conception, le partenariat avec les CP ne se poursuit pas et ils perdent l’accès direct aux CP.

 La reconnaissance du travail des tuteurs…

Pour établir une relation de collaboration, la réciprocité entre les parties doit être instaurée, ce qui implique la reconnaissance des compétences de l’autre. Les tuteurs sont nombreux à aspirer à davantage de reconnaissance : « il y a des tuteurs qui sont un peu fatigués, ils sentent que depuis des années on ne les écoute pas ».

Les tuteurs pensent que la meilleure manière pour s’assurer qu’ils utilisent et s’approprient le matériel conçu par les CP est de tenir compte de leur opinion. Pour eux, la reconnaissance pourrait se concrétiser par l’écoute, la consultation, l’invitation à participer à la mise à jour et à la conception des cours. Si on les consulte, « ils vont dire, “on a été consulté”, “on fait partie de”, “on nous considère comme des personnes compétentes”  ». Les tuteurs souhaitent être plus actifs, plus impliqués dans le processus de conception et avoir un partenariat plus étroit avec les CP.

Défis rencontrés et stratégies de dépassement

Une dernière section des entrevues portait sur les principaux défis qui rendent difficile ou freinent la coopération entre les équipes tutorales et les équipes de conception, avec des pistes d’action relatives à ces différents défis.

Présentation des défis identifiés par les membres de l’établissement

L’implantation de l’APC et des évaluations à échelons critériés

CP et responsables administratifs soulignent que l’adhésion des tuteurs à l’utilisation de l’APC est un défi de taille, plus particulièrement quant aux grilles d’évaluation à échelons critériés. Les CP « ne savent pas jusqu’à quel point les tuteurs sont en mesure de prendre correctement en charge ce type d’évaluation ». Contrairement aux CP, les tuteurs n’ont jamais eu de formation véritable à l’APC et sont souvent vus par les CP comme y résistant. Ces derniers croient que des tuteurs font une utilisation inadéquate du matériel pédagogique en adaptant le matériel ou en mettant de côté les grilles. Du côté des tuteurs, l’utilisation des grilles suscite une insatisfaction élevée : ils se plaignent de difficultés à classer les étudiants dans des grilles comprenant cinq ou six échelons, déplorent le manque de considération de l’équipe de conception qui ne les a pas consultés lors de leur élaboration. Ils aimeraient que les grilles soient testées avant finalisation.

Les responsables administratifs sont sensibles aussi bien à la nécessité de développer des grilles à échelons critériés qu’à la nécessité de les tester sur le terrain : « le CP élabore le meilleur outil qui soit, mais il faut qu’il soit prêt à accepter que, dans le suivi de première année, on lui dise que sa grille ne permet pas de discriminer ou qu’elle a trop d’échelons. [Sinon,] le tuteur se retrouve avec un outil qui n’est pas nécessairement celui qu’il utilise quand il enseigne. »

Des suggestions sont faites : simplifier les grilles d’évaluation, donner aux tuteurs la possibilité de les valider, ainsi que créer des occasions de présenter les cours et les outils d’évaluation aux tuteurs. On suggère également de créer une formation continue sur l’APC pour les tuteurs, les CP et les experts de contenu. Des répondants proposent en outre de revoir plus régulièrement les évaluations, la réussite des étudiants dépendant de la qualité des cours et des outils d’évaluation.

Le rôle de chacun et la place des tuteurs dans la conception des cours

Tous les types de répondants s’entendent sur la nécessité d’enrichir la définition du rôle des tuteurs. La plupart suggèrent de donner une certaine place aux tuteurs dans la conception, ce qui pourrait être fait par la présence d’un représentant des tuteurs dans l’équipe de conception ou en donnant aux tuteurs la possibilité de valider les critères et indicateurs des grilles de correction.

Une deuxième recommandation vise à ce que les rôles et responsabilités de chacun soient mieux définis et mieux respectés par tous.

On suggère aussi aux tuteurs de délaisser leur rôle d’enseignant pour faire confiance et respecter le travail des CP et des experts de contenu. Enfin, on évoque une formation éventuelle des tuteurs aux exigences du processus de la conception pour qu’ils puissent comprendre la manière dont il se déroule, et ainsi clarifier les tâches et responsabilités qui incombent à chacun.

L’établissement d’une véritable coopération entre tuteurs et CP

La question de la nature des rapports de coopération entre tuteurs et CP est au centre des défis identifiés. Selon l’un des CP, « il n’y a pas de mécanismes mis en place pour qu’on connaisse les tuteurs et ça brime la collaboration ». Pour plusieurs, la collaboration entre tuteurs et CP est cruciale pour la qualité des cours et la réussite. Plusieurs des stratégies suggérées misent sur une forme d’intégration du tuteur dans la conception des cours, ce qui permettrait de s’assurer de l’adoption du matériel par les tuteurs et d’un meilleur suivi des directives. « Ce sont les tuteurs [qui vont utiliser le matériel], c’est pourquoi il faut vraiment les impliquer dans la structure des nouveaux cours. »

Certains suggèrent que la collaboration devrait passer par une communication directe : «  À partir du moment où tu améliores les contacts directs, tu favorises la connaissance mutuelle… plus on collabore, plus on va réussir. »

D’autres pistes sont aussi évoquées quant aux outils de communication. On suggère d’améliorer ces outils ainsi que la fréquence des communications, notamment grâce à la poursuite du développement d’Octopus, une plateforme de suivi des remarques des tuteurs vis-à-vis des modifications du matériel pédagogique. Plusieurs tuteurs et CP suggèrent que l’accès à la plateforme soit étendu à tous les CP.

Les autres stratégies proposées portent sur la création d’occasions d’échanges entre tuteurs et CP portant sur la réussite étudiante (rencontres, visioconférences, comités). Ainsi, on propose d’inviter des CP aux rencontres annuelles, d’organiser la communauté de pratique des tuteurs en y intégrant les CP, d’inviter des CP aux visioconférences avec les tuteurs et de jumeler un tuteur à un CP.

Les mesures mises en œuvre pour favoriser la collaboration

Au moment où nous avons réalisé les entrevues individuelles, cinq mesures étaient en voie d’implantation, mais semblaient encore méconnues des répondants.

Afin de favoriser les tuteurs comme experts de contenus, ils sont désormais priorisés dans les appels de candidatures pour les experts de contenu afin de travailler sur un cours. Les tuteurs sont sollicités par les CP pour donner leur avis  ; dans ce cadre, ils sont les premiers informés. De plus, à compétence égale, les tuteurs de l’établissement sont maintenant retenus prioritairement.

Dorénavant, le CP et l’expert de contenu d’un nouveau cours ou d’un cours révisé en profondeur, doivent présenter le matériel pédagogique aux tuteurs de la discipline susceptibles d’encadrer les étudiants, par des rencontres virtuelles en visioconférence pour favoriser l’appropriation du contenu et des approches pédagogiques.

Les nouveaux cours sont évalués systématiquement après un essai d’une année, lorsqu’ils sont suivis par un nombre suffisamment important d’étudiants. Cette opération permet aux tuteurs de répondre à un questionnaire évaluant le matériel pédagogique du cours qui a été révisé, amélioré et systématisé.

Lors de la diffusion d’un cours, le recueil des demandes de modification du matériel est maintenant systématisé et instrumenté. Grâce au logiciel Octopus, les tuteurs peuvent entrer leurs demandes et constater leur état de traitement. Tous les tuteurs et professionnels du tutorat y ont accès et les requêtes peuvent être lues et commentées par tous. Seuls quelques membres des équipes de conception ont accès à cette plateforme.

Depuis peu, des CP sont invités à participer à la rencontre annuelle organisée par le service du tutorat. Ils y agissent comme animateurs, présentateurs ou observateurs. Ces rencontres constituent une occasion de contact direct.

Discussion et conclusion

L’organisation du travail dans l’établissement est encore héritée d’un modèle industriel de la FAD, avec une séparation entre les services qui s’occupent de la conception et du tutorat, mais aussi des processus de conception.

Avec l’avènement du courriel et autres communications électroniques, le rôle des tuteurs s’est graduellement modifié et les préoccupations pour améliorer la réussite et la qualité des cours ont grandi. Ainsi, même dans ce modèle où le rôle des tuteurs est en principe limité, on constate qu’il est plus riche et plus important que ce qui leur est officiellement attribué, notamment en raison du fait qu’ils sont en première ligne avec les apprenants.

L’organisation du travail de l’établissement est cohérente avec le modèle pédagogique dominant. Cependant, il ne semble optimal ni pour l’amélioration de la qualité des cours et de la réussite étudiante ni pour la reconnaissance du travail des tuteurs. En effet, nos données ont mis en évidence des défis reliés à l’établissement d’une véritable coopération entre CP et tuteurs.

Les propos des tuteurs et des CP font ressortir des difficultés dans leur coopération. Elles concernent le déséquilibre dans leurs relations, où le sens de l’influence va généralement du CP vers le tuteur. Il peut en découler un manque de réciprocité et de reconnaissance des tuteurs. Ceci traduit davantage une structure de pression que de coopération. Dans ce contexte, la majorité des tuteurs aspirent à plus de reconnaissance et réclament un plus grand rôle dans la conception des cours, d’autant qu’ils ont l’expertise d’enseignement dans la discipline et l’expérience de la FAD.

Ces difficultés semblent dues à l’organisation du travail, au manque d’accès à l’autre, à la présence d’un intermédiaire systématique entre les tuteurs et les CP, à la prédominance de relations indirectes et au manque de communications et de rétroactions. Les tuteurs n’ont pas la perception de réciprocité et la coopération s’avère difficile dans ces circonstances.

Aussi, dans les cas où les tuteurs ont pu jouer un rôle dans le processus de conception des cours, c’est la dynamique des échanges qui semble modifiée  ; les relations deviennent plus directes, la collaboration plus significative et la relation plus équilibrée et bidirectionnelle. Ces cas semblent relever d’une structure de coopération où la reconnaissance du travail des tuteurs ne semble plus un enjeu. Toute initiative visant à établir des contacts directs entre tuteurs et CP, à donner un rôle aux tuteurs dans le processus de conception des cours (même un rôle de consultation à certaines étapes) ou à reconnaître l’importance du travail exécuté par les tuteurs, semble de nature à faire évoluer les relations vers une structure de coopération.

Il est intéressant de noter que l’organisation semble disposer des instruments lui permettant de se réguler elle-même, puisque les défis identifiés par les répondants correspondent dans une large mesure à l’analyse que nous aurions pu faire à partir du discours de chacun. De plus, l’établissement est déjà sensibilisé à ce problème de coopération entre professionnels et a déjà commencé à mettre en place plusieurs mesures.

Cependant, deux problèmes importants semblent subsister. L’un concerne l’APC et l’autre, la définition des rôles de chacun. Sur le plan de l’APC, il semble qu’il faille viser une meilleure appropriation et adhésion à celle-ci par les tuteurs, par exemple par la formation, mais aussi par un processus plus rigoureux de conception et de mise à l’épreuve des grilles, processus dans lequel les tuteurs devraient être impliqués.

Concernant la définition, la perception et la compréhension des rôles de chacun, il semble y avoir un écart entre l’importance que donnent les tuteurs à leur rôle et celle que les CP attendent d’eux. Jusqu’où les aspirations des tuteurs à influencer la conception doivent-elles être satisfaites, si on veut conserver une certaine spécialisation des rôles  ? Une meilleure acceptation du travail des équipes de conception semble aussi nécessaire pour les tuteurs.

Dans cette recherche, le recueil et la confrontation des points de vue des catégories d’acteurs sur les mêmes questions ont permis d’enrichir le regard sur la coopération entre tuteurs. Cependant, cette recherche a été menée auprès de tuteurs et de CP volontaires qui ne sont pas nécessairement représentatifs des deux corps en raison des biais possibles d’autosélection. On pourrait dire qu’elle souffre d’une absence de vue plus générale, mais qu’elle gagne en profondeur (Patton, 1990). Elle est essentiellement qualitative et ses résultats ne peuvent être généralisés. Les efforts ont plutôt été consacrés à veiller à la transférabilité des résultats par une description riche (Drapeau, 2004).

Sous plusieurs aspects, le cas du présent établissement est typique de plusieurs établissements de FAD qui se retrouvent face à l’échec relatif d’une définition trop limitative du rôle des tuteurs dans une organisation du travail encore fondée sur le modèle industriel, et face au défi de la nécessité d’une plus grande médiation humaine pour l’apprentissage. Les pressions pour l’évolution vers un modèle fondé sur l’interaction entraînent une nécessaire réflexion et redéfinition du rôle des tuteurs ou des encadrants. Dans tous les cas, la coopération entre équipes de conception et équipes d’encadrement semble un facteur exerçant une grande influence sur la réussite des apprenants.

Bibliographie

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Pour citer cet article
Référence électronique

Bruno Poellhuber, Martine Chomienne, Florent Michelot et Marie-Noëlle Fortin, « La coopération entre concepteurs et tuteurs et l’évolution du rôle du tuteur dans un établissement unimodal d’enseignement à distance », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 18 | 2017, mis en ligne le 20 juin 2017, consulté le 12 août 2017. URL : http://dms.revues.org/1857 ; DOI : 10.4000/dms.1857

Auteurs

  • Bruno Poellhuber

Faculté de sciences de l’éducation, Université de Montréal

bruno.poellhuber@umontreal.ca

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  • Martine Chomienne

Cégep à distance

mchom@cégepadistance.ca

  • Florent Michelot

Candidat au doctorat en andragogie, Université de Montréal

florent.michelot@umontreal.ca

  • Marie-Noëlle Fortin

Assistante de recherche, Université de Montréal

marienoelle59@yahoo.ca

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