Quand on parle d’accessibilité dans un contexte de handicap, on pense tout de suite à l’accessibilité des bâtiments ou à celle des transports en commun. Est-il possible d’utiliser un ascenseur ou une rampe inclinée pour accéder à un niveau supérieur ? Les toilettes sont-elles suffisamment grandes pour pouvoir y accéder ? Le seuil du tramway est-il positionné à la bonne hauteur ? Autant de problèmes importants que les législations successives de notre pays ont permis d’atténuer partiellement, même si la récente annonce faite par le gouvernement marque un véritable retour en arrière.
Au-delà de ces premiers sujets qui viennent à l’esprit quand on évoque l’accessibilité, il existe beaucoup d’autres facettes à considérer. Par exemple, la présence d’une signalétique en braille dans un bâtiment (magasin, musée, station de métro…) ou de signaux sonores associés aux feux de circulation, la possibilité d’avoir recours à une audio-description pour suivre des émissions à la télévision, etc.
Ces différentes illustrations mettent en avant le caractère varié des origines de handicap : moteur (incapacité ou difficulté à effectuer certains mouvements) ou sensoriel (déficiences visuelles, auditives). N’oublions pas de mentionner les troubles de type cognitif – souvent qualifiés de handicap invisible – et pourtant très fréquents ; ils affectent des capacités de mémorisation, d’attention, d’échanges sociaux. Il est évident que l’environnement joue un rôle important : si la rampe d’accès, la signalétique ou l’audio-description ne sont pas disponibles, la personne sera en situation de handicap (PSH) indépendamment de ses efforts pour réaliser une activité de la vie quotidienne : se déplacer, se nourrir, se divertir, dialoguer, etc.
Et le monde numérique ?
Si tous ces aspects sont importants, il est un « nouveau » domaine qui est apparu crucial depuis quelques années : il s’agit de l’accès au monde numérique. Nous sommes tout.e.s concerné.e.s dans nos vies privées, sociales, professionnelles qui seraient « perturbées » sans le recours très fréquent à ces outils et services. Imaginez par exemple, la disparition du web et des téléphones portables. Et bien, c’est ce que vivent au quotidien nombre de PSH !
Pourquoi ? Si vous êtes déficients visuels, comment interpréter les informations affichées sur un écran ? Si vous avez des difficultés de motricité fine, comment utiliser un clavier ou une souris ? Si vous possédez des troubles de l’attention, comment percevoir les informations pertinentes sur un site web rempli d’annonces déroulantes, clignotantes à l’excès ? La réponse est malheureusement : « Vous ne faites rien de tout ça ».
Malheureusement d’abord, parce que cette exclusion des outils et services numériques constitue une des causes principales de discrimination dans notre société. Comment imaginer apprendre, se former, travailler, avoir une vie sociale aujourd’hui, sans l’accès au monde numérique si on le souhaite ?
Malheureusement ensuite, parce que l’avènement de ces technologies a ouvert nombre d’espoirs aux PSH en offrant un potentiel gigantesque d’aides, de compensations, d’adaptations qui pourraient améliorer de façon très significative leur qualité de vie. Prenons un exemple simple : pour des personnes déficientes visuelles ou possédant une mobilité des membres supérieurs limitée, lire un journal ou un livre est impossible sans l’aide d’une autre personne. Grâce aux versions numériques et à des logiciels adaptés, cette lecture est devenue – potentiellement – possible, ce qui favorise(rait) leur indépendance et leur autonomie. Le fait que ces espoirs soient trop souvent déçus par manque d’accessibilité augmente encore le fossé entre la population générale et les PSH au lieu de le combler !
Malheureusement enfin, parce qu’il existe un grand nombre de solutions et de recommandations qui permettent de corriger – parfois totalement – cette inaccessibilité numérique mais qu’elles sont peu connues et par conséquent peu utilisées. Alors que connaitre et appliquer quelques principes simples, permettrait de développer des systèmes numériques accessibles au plus grand nombre.
Comment faire ?
Il est bien entendu impossible dans un billet court de détailler toutes les solutions existantes ; cependant, afin d’atteindre une bonne accessibilité numérique, il convient de distinguer plusieurs niveaux importants.
Commençons par les équipements d’interface en les regroupant autour de leurs objectifs principaux :
- Saisir l’information : claviers adaptés, reconnaissance vocale, capture de mouvements (de la tête, de la langue, des yeux), et demain interfaces cerveau-ordinateur…
- Restituer l’information : plage braille, synthèse vocale, dispositifs à retour d’effort…
Quelques principes simples
Continuons en énonçant quelques principes simples comme :
- Augmenter le signal (loupes, taille des polices, couleurs et contrastes adaptés…), possibilité de saisir séquentiellement une suite de caractères habituellement simultanés (par exemple le Ctrl C), scans de listes ;
- Faciliter la compréhension, par exemple, en ralentissant les débits ou en supprimant des distracteurs d’attention.
Considérons maintenant les systèmes d’exploitation des ordinateurs, y compris ceux des smartphones ; ils proposent tous des fonctions permettant d’améliorer l’accessibilité numérique : des alternatives clavier (pour remplacer une commande complexe à saisir), des loupes, des substitutions de signaux (remplacer un bip sonore par un message visuel), des lecteurs d’écran qui restituent le contenu textuel d’une fenêtre par sa synthèse vocale… Exemples : Windows, Mac OS, Linux, Androïd… Autant d’outils souvent méconnus mais qui sont disponibles gratuitement et qui, s’ils étaient utilisés, ouvriraient les systèmes numériques à beaucoup de PSH.
Ensuite, il existe beaucoup de logiciels qui proposent désormais des fonctionnalités adaptées aux besoins des PSH, depuis les outils de bureautique jusqu’aux navigateurs web en passant par les jeux video [1] et réseaux sociaux. Citons par exemple, FaceBook qui utilise une intelligence artificielle pour détecter dans une photo les principaux éléments ; une synthèse vocale de leur description permet à une personne déficiente visuelle d’en prendre connaissance et de réagir comme ses amis.
Et maintenant, les contenus (web, documents)
Enfin, mais ce n’est pas le moins important, bien au contraire, il est important d’insister sur l’accessibilité des contenus numériques. En effet, vous pouvez utiliser un navigateur web accessible mais si le contenu de la page que vous visitez n’a pas été conçu de façon accessible, vous ne pourrez pas l’exploiter. C’est pour cette raison que, dès la genèse du web, une réflexion a été entamée au sein du W3C (consortium qui gère son développement) qui a débouché sur des recommandations, notamment les WCAG[2] dont la 2ème version publiée en 2008 est toujours d’actualité. Elles reposent sur une douzaine de règles simples et décrivent les erreurs les plus courantes à ne pas commettre.
Au-delà des contenus web, nous utilisons en permanence des documents numériques (textes, feuilles de calcul, présentations…). Afin de les rendre accessibles, il est nécessaire d’appliquer quelques principes simples, par exemple :
- utiliser les styles fournis par les éditeurs pour structurer le texte (titrages, sections) afin de le rendre facilement exploitable par un lecteur d’écran ;
- fournir un texte alternatif pour décrire une image ou une vidéo ;
- nommer de façon informative chaque colonne/ligne d’un tableau ;
- fournir une description pour les url (notamment celles qui sont construites avec de longues chaines de caractères sans signification).
De façon similaire aux pages web, il existe des vérificateurs d’accessibilité qui vont, par exemple dans MS Word, détecter les erreurs, expliquer leur origine et proposer leurs corrections. Et donc, de la même façon qu’il n’est plus acceptable aujourd’hui de produire des documents contenant des fautes d’orthographe alors qu’il existe un grand nombre de correcteurs automatiques, il ne devrait plus être tolérable de produire et/ou de diffuser des contenus qui sont inaccessibles alors que nous avons à notre disposition des assistances efficaces.
Pourquoi le faire ?
Les sections précédentes ont permis démonter de façon très rapide qu’il existait un grand nombre de réponses techniques au problème de l’inaccessibilité numérique. Malheureusement, même si on constate des améliorations, la situation globale est très loin d’être satisfaisante. Alors comment contribuer à la faire évoluer ?
Il n’existe pas d’argumentation unique mais plusieurs niveaux de motivation qu’il convient de combiner en mettant en avant leurs bénéfices :
- pour les individus : augmenter l’auto-détermination et globalement la qualité de vie,
- pour la société : contribuer à la rendre vraiment inclusive en combattant les discriminations,
- pour les entreprises, les organisations :
- augmenter les bénéfices potentiels en augmentant le nombre de clients ou de visiteurs d’un site, exclus auparavant de la cible de marché,
- permettre à ses employés de travailler et de se former dans des conditions d’efficacité équitable en leur fournissant un environnement de travail accessible,
- améliorer son image (on parle de e-reputation) ; à l’inverse, il existe des listes noires d’entreprises refusant cette évolution que des associations incitent à boycotter,
- respecter les législations ou les directives nationales et européennes qui vont de plus en plus imposer l’accessibilité numérique à tous les acteurs.
Certes, proposer un produit ou un service numérique accessible entraîne un coût supplémentaire en termes de développement. Mais les entreprises ayant adopté cette démarche témoignent des bénéfices induits qui contrebalancent ces coûts, à condition que l’accessibilité ait été intégrée dès l’étape de conception et pas une fois le produit développé ; on parle alors d’accessibility by design. Et bien entendu, le problème de la formation des développeurs logiciels se pose : à quand de véritables enseignements à l’accessibilité numérique pour les étudiants en informatique, à l’image par exemple de ce que les étudiants en architecture apprennent sur l’accessibilité des bâtiments dans leur parcours académique ?
Pour finir
On le voit, la question de l’accessibilité numérique est complexe ; sans tomber, ni dans un pessimisme exagéré, ni dans un optimisme béat, je pense que nous devons tou.te.s ensemble lutter contre ces exclusions en contribuant dans nos différents rôles (citoyen, employé, consommateur) à sensibiliser, à informer et à utiliser les solutions existantes. C’était l’objectif de cet article.
Pascal Guitton, Professeur à l’Université de Bordeaux & Inria
[1] C’est aujourd’hui un des secteurs les plus moteurs sur ce sujet.
[2] Web Content Accessibility Guidelines
Vos commentaires
# Le 20 août 2018 à 19:42, par Eric GAYRAUD En réponse à : Pourquoi il faut développer l’accessibilité numérique !
Bravo pour cet article ! J’y ajouterai deux éléments :
– Avec l’essor d’Internet est né un nouvel handicap, l’illectronisme. Il concerne 20% de la population, sans expérience numérique, qui n’ont pas les clés pour accéder aux nombreux services, informations et connaissances qu’on ne trouve aujourd’hui quasiment plus que sur Internet.
– Des solutions innovantes, telle que www.accessedition.com permettent de rendre les sites internet plus accessibles aux personnes âgées, déficientes ou en rupture numérique, sans devoir refaire son site.
Il s’agit d’un module web qui s’ajoute à tout site Internet existant. Le site va alors adapter automatiquement sa structure et son affichage en fonction du type de déficience de chaque visiteur.
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