Voici le témoignage de Fanny Saint-Georges co-initiatrice de Doc@Brest et aujourd’hui impliquée dans de nouvelles ouvertures d’usages à la médiathèque de Plougastel-Daoulas et pour qui la coopération est facilitation, ouverture et partage du code source de nos projets.
Bonjour Fanny est-ce que tu peux te présenter
Bonjour, je m’appelle Fanny Saint-Georges, depuis 3 ans, je fais partie de l’équipe de la médiathèque de Plougastel-Daoulas. A l’origine, j’avais suivi des études en Documentation, que j’avais souhaité prolonger par un Master en sciences de l’éducation (Technologies pour l’éducation et la formation) à l’université de Rennes 2, pour m’intéresser aux outils, du côté des usages socio-éducatifs. J’ai d’abord exercé comme documentaliste à la bibliothèque de Télécom Bretagne [1] pendant quelques années, avant d’intégrer le monde des bibliothèques.
Est-ce que tu pourrais te présenter avec quelques mots-clés sur la coopération ?
Je dirais facilitation, d’abord : c’est une posture que j’essaie d’adopter dans les projets auxquels je participe. Je pense que le métier de bibliothécaire est en train d’évoluer vers un rôle de facilitateur non seulement dans l’accès à des ressources diverses mais aussi dans les projets qui impliquent les usagers, et je pense notamment à l’appropriation du lieu par les habitants où le rôle des bibliothécaires et de faire en sorte que les conditions soient réunies pour que les habitants trouvent leur place.
Je dirais aussi ouverture : c’est quelque chose que j’essaye d’avoir en tête quand je contribue au développement d’un nouveau projet avec d’autres personnes, faire en sorte qu’il soit le plus ouvert possible, qu’il y ait le moins de contraintes, de conditions à remplir pour pouvoir participer. C’est aussi un état d’esprit d’avoir l’esprit ouvert, mais aussi les yeux ouverts ce qui se passe ailleurs.
Je pensais aussi à code source [2] , parce que je me sens proche des valeurs du Libre et que l’idée de partager me semble importante. Partager ses retours d’expérience, documenter ses projets, en rendre accessible le « code source ».
Pourquoi t’es tu mise à la coopération ?
Au cours de mes études, j’ai été sensibilisée à la culture de la coopération, très présente notamment chez les professionnels des bibliothèques qui fonctionnent beaucoup en réseaux. Je me suis d’ailleurs toujours investie dans différents réseaux professionnels. La première fois où j’ai vraiment entendu parler de coopération, c’était aux « Eté TIC » [3] en 2007. Ensuite quand j’ai suivi le Master TEF, j’étais en alternance à la Région Bretagne, au sein de la Mission pour le développement numérique sur l’e-inclusion, où j’ai rencontré pas mal d’acteurs de la coopération et vraiment pris alors conscience de cette culture-là.
Puis, quand j’ai intégré l’école d’ingénieurs Télécom Bretagne (IMT Atlantique) comme documentaliste j’avais comme mission de faire évoluer la bibliothèque vers un lieu ouvert, qui cherche notamment à intégrer les usagers dans son fonctionnement. C’est ainsi que j’ai suivi la formation Animacoop, qui m’a apportée des connaissances précieuses et donné envie de mener de nouveaux projets en coopération, notamment la naissance du réseau doc@Brest.
Peux-tu nous présenter une ou deux expériences de coopération ?
Le réseau Doc@Brest
En 2011-2012 j’ai participé à la création du premier réseau coopératif informel de professionnels de l’information au sens large, à l’échelle du pays de Brest. Une idée de réseau coopératif de bibliothécaires et documentalistes qui a depuis été reprise sur d’autres territoires, notamment à Rennes avec Doc@Rennes [4]. Le réseau brestois compte aujourd’hui près de 300 professionnels aux profils variés (des documentalistes et bibliothécaires de différentes structures, mais aussi des archivistes, des community managers, des libraires,...). Ses membres échangent sur leurs pratiques, leurs outils et leurs questionnements, à travers une liste de discussion qui a été le premier outil mis en place, mais aussi lors de rencontres physiques, d’ateliers pratiques ou de visites d’établissements. Ce réseau informel, dont le fonctionnement est totalement ouvert, offre à chacun la possibilité de s’impliquer à différents niveaux, sans engagement et de participer aux décisions.
Au départ on était un petit noyau qui participait à l’organisation de rencontres « bibliothèques 2.0 » sous forme de conférences, puis d’un temps d’échanges au Forum des usages coopératifs 20124,
Échange de "bonnes pratiques", retour d’expériences autour des services destinés à impliquer les usagers en bibliothèques et centres de documentation. Discussion ouverte, alimentée par les apports des participants, leurs témoignages, leurs questionnements, leur regard critique.
Proposition de mise en réseau des acteurs au niveau national
- Qu’entend-on par "collaboratif" en bibliothèque, documentation ? Avec qui ? Quels contenus ?
- Quels usages du web 2.0 en bibliothèque et documentation ?
- Quels services favorisant l’implication des usagers ? Quels outils ?
- Quels freins, quelles limites ? quelles évolutions ?
Extrait de la page« Bibliothèques collaboratives » du wiki du Forum des usages coopératifs 2012 qui présente cette rencontre.
C’est là que l’on s’est dit que l’on travaillait un petit peu chacun dans notre coin sur des problématiques qui pourtant étaient assez proches. On ne se connaissait pas forcément quand on s’est retrouvé autour de ce temps de rencontre organisée dans le cadre du forum des usages coopératifs et on a eu envie de continuer.
Petit à petit est venue l’idée de se mettre en réseau, on a tâtonné un petit moment. Jusqu’ici on appartenait à des organisations professionnelles avec un fonctionnement plus rigide. Au départ on avait une liste de discussion et puis à force de se réunir, d’échanger, d’accueillir de nouvelles personnes, l’idée de réseau a pris forme. Depuis, chaque année on revoit un petit peu le fonctionnement, on réadapte, on est toujours en train de se poser des questions sur la participation de chacun dans ce réseau là.
La force du réseau maintenant, c’est que l’on se connaît bien, c’est vraiment un réseau d’entraide professionnelle. Ce n’est pas forcément ce qui est le plus visible comme cela de l’extérieur, mais on gagne chacun en efficacité dans notre poste au quotidien parce que l’on peut facilement solliciter les uns ou les autres. Et puis l’on a gagné aussi en visibilité sur le territoire, et en reconnaissance de la part de nos structures.
La difficulté c’est de faire en sorte que de nouveaux membres s’autorisent, se fassent suffisamment confiance pour se dire « moi aussi je vais m’impliquer » dans l’animation de ce réseau. Je pense que l’origine de cette difficulté réside notamment dans le fait que beaucoup de membres n’ont pas l’impression de faire partie intégrante du réseau. La difficulté c’est d’avoir une posture qui laisse à chacun la possibilité de s’impliquer aussi, et en donne envie. Une histoire de facilitation...
quelques liens sur ce démarrage de doc@brest outre le site
un article de Territorial publié dans Lettre d’information du réseau documentation - N° 419 (11/12/2014)
un bilan des deux premières années (Prezi) ;
doc@brest en portait chinois
un article de la revue Bibliothèque(s) dans le dossier "Bibliothèques et communs de la connaissance", n° 76 de la revue de l’association des bibliothécaires de France, octobre 2014 ;
une fiche descriptive sur sur Bretagne creative ;
un bilan en imagessur Vimeo par les "Chats Cosmiques" ;
doc@brest comme commun dans l’article "Appropriation sociale du numérique, communs et politique publique, retours sur l’expérience de la Ville de Brest" de la revue net com publié en 2017 ;
et pour un point plus récent le diaporama présenté par Véronique Eouzan à la réunion de lancement de Doc@Nantes en septembre 2018.
- Les "Blablas d’Anjela"
C’est une expérience qui découle de mon poste actuel et qui a démarré suite au succès d’un « Biblio Remix ». En 2017, la médiathèque Anjela Duval de Plougastel-Daoulas a souhaité laisser une plus large place au public et a organisé un Biblio Remix dans le cadre de son projet de service. On s’est dit qu’il serait intéressant de pouvoir solliciter les habitants. On a d’abord organisé une vaste collecte d’idées sur toute la commune, suivie d’une journée de Biblio Remix animée par Benoît Vallauri [5] qui est venu nous aider à faire participer un groupe d’une vingtaine d’habitants, usagers et non-usagers de la bibliothèque.
Biblio Remix
Comment repenser, remixer la bibliothèque avec les habitants, des bidouilleurs, des designers… ?
Un Biblio Remix, se déroule en général sur une journée en deux temps. Tout d’abord une phase de remue-méninge, d’agitation des idées en matinée, qui se recentre ensuite sur quelques projets qui semblent intéressants à tout le monde. L’après-midi, on s’organise par groupes pour creuser ces idées et aller jusqu’à réaliser des prototypes qui sont proposés au public en fin de journée.
Ici tous les projets étaient réalisables et sources d’inspiration. Cela été une journée très forte qui nous a beaucoup remotivé dans l’équipe. Et on s’est dit que l’on pouvait s’appuyer sur le travail des groupes qui avaient réfléchi à ce que pourrait être une médiathèque des habitants où chacun puisse s’emparer du lieu, être relais sur le territoire en tant que grand lecteur, faire en sorte que la bibliothèque soit un lieu de débat citoyen. On est parti de toutes ces idées-là pour imaginer une manière de faire participer plus activement le public. 6
Dans les retours des contributeurs, il est question de la « bonne ambiance », des « belles rencontres », de la « bienveillance », mais aussi de la diversité et la richesse de ce groupe intergénérationnel aux horizons si différents. Nombreux sont ceux qui évoquent le souhait d’être tenus informés des suites données à cette journée, et plusieurs se disent prêts à s’investir dans la durée.
Extrait de l’article : « Le Biblio Remix à la médiathèque de Plougastel, c’était comment ? » sur le site de Biblio remix.
pour plus de détail voir l’article de Fanny Saint-Georges sur Doc@Brest : "Vers une « médiathèque participative » : Retour d’expérience de la Médiathèque Anjela Duval à Plougastel-Daoulas (29)"
On a notamment identifié des temps d’animation assez forts dans l’année, auxquels pourraient participer les citoyens : c’est par exemple le cas de la Nuit de la lecture, une manifestation nationale à laquelle nous participons depuis ce Biblio Remix, donc pour la deuxième fois cette année. Il y a un groupe d’habitants qui a conçu avec nous la programmation de cette nuit de la lecture, et qui prend en charge la majeure partie de l’animation le jour J.
Logo de la page « les blabla d’angela », fiche projet sur le site de la Boite à idées
Cela a amené l’équipe à questionner ses pratiques et revoir son positionnement : nous avons réinterrogé nos postures pour laisser davantage de place au public. Pour poursuivre dans cette dynamique, nous avons réservé entièrement un créneau hebdomadaire au public,tous les samedis après-midi. Des citoyens peuvent s’emparer du café, qui est un nouveau lieu dans la médiathèque, pour proposer tout type de rencontres. Ce temps-là, baptisé "les Blablas d’Anjela", a été mis en place en partenariat avec La Boite à Idées [6], une plate-forme "civic tech", implantée sur Plougastel, qui démarre en ce moment.
Comment cette forme de participation en co-construction a été perçue par la collectivité à Plougastel-Doulas ?
Au départ c’est effectivement surprenant :cela interroge sur nos pratiques, on introduit des personnes extérieures dans nos réflexions. Mais à Plougastel-Daoulas, la totalité de l’équipe a été assez rapidement convaincue de l’intérêt de cette démarche et chacun a plus ou moins participé à ce Remix. Et une fois que la journée s’était déroulée, tout le monde avait envie de continuer. On avait invité des agents de la collectivité mais comme c’était un samedi c’était assez compliqué. Cela a été tout de même suivi, l’élue à la Culture était présente pour la restitution. Et la méthode Remix a servi d’inspiration pour concevoir une une journée de formation professionnelle de tous agents de la collectivité, animée par un groupe d’agents dont une personne de la médiathèque :n a réadapté la méthode pour préparer ce remix de la Mairie en interne à la collectivité (le 2 février 2019).
Dans la coopération qu’est-ce qui te semble une difficulté ?
La culture de la coopération est quelque chose qui n’est pas très présent dans le milieu scolaire ou professionnel et les gens ne sont pas habitués à cette posture de la coopération avec d’autres. On est plutôt habitué à faire seul. Si déjà cela pouvait apparaître davantage dans les fiches de poste ou les entretiens annuels, cela pourrait être un premier pas.
Qu’est ce qui te semble facilitateur pour la coopération ?
« D’y avoir goûté une première fois, donne envie d’en reprendre », comme le dit Laurent Marseault dans ses petites expériences irréversibles de coopération. C’est ce que j’ai vécu et ce que j’ai aussi constaté, notamment avec le Biblio Remix.
Je pensais aussi à la convivialité, c’est ce c’est ce que l’on se dit régulièrement à doc@Brest : s’il n’y avait pas ces rendez-vous conviviaux, qui font le lien entre les personnes, et lors desquels on ne se prend pas trop au sérieux, on n’en serait certainement pas là.
[1] devenue au 1er janvier 2017 l’IMT atlantique après fusion avec l’école des Mines de Nantes
[2] par analogie avec le code source d’un logiciel « un texte qui représente les instructions d’un programme telles qu’elles ont été écrites dans un langage de programmation sous une forme humainement lisible par un programmeur » (dans wikipedia), le code source d’un projet décrit la manière dont ce projet est développé, voir à ce sujet la définition de Than N’Guyen, les codes sources des tiers lieux dans Movilab ou les recettes libres sur le wiki a-brest
[3] Les « Ete Tic » de Rennes ont été une manifestation organisée par la région Bretagne et la Ville de Rennes autour des usages du numérique en alternance, les années impaires, avec le Forum des usages coopératifs à Brest les années paires.
[4] Le principe de réseaux professionnels reste le même basé sur la coopération ouverte mais selon des déclinaisons locales différentes : Doc@Rennes fait aussi mention des métiers de la culture ; et en ce début d’année 2019, le site Doc@Nantes dernier né de ces réseaux coopératifs vient d’ouvrir .
[5] Benoit Vallauri co-créateur des biblioremix, est aujourd’hui animateur du Tilab, laboratoire d’innovation publique de la région Bretagne et des services de l’état en région, voir son interview dans Histoires de coopération
[6] « Nous proposons de mettre en relation tous les acteur.e.s de l’économie locale par le biais d’une plateforme. Celle-ci recense les idées de projets proposées par chacun.e. A nous de leurs donner vie, ensemble » extrait de lapage d’accueil du site.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |