Voir aussi
– la contribution issue des travaux du Conseil National du Numérique : « L’Université dans une société en métamorphose »
– et celle de Jean Marie Gilliot "Pour une université en phase avec son temps et ses valeurs"
Dans une planète secouée de crises – aux conséquences multiples - économiques et sociales autant qu’écologiques… nous manquons cruellement d’un projet de société qui nous relie et propose un avenir de progrès social.
"L’ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans cet inter-règne surgissent les monstres."
A. Gramsci
"Cette crise d’ailleurs, c’est principalement le malaise dans nos têtes devant les immenses changements qui sont à l’œuvre."
Michel Serre, 30 décembre 2012.
La transition numérique, une compréhension des enjeux de transformation de la société et ici de l’enseignement supérieur.
Nous vivons dans une société fortement marquée par une organisation du temps d’avant le numérique, (un peu comme la préhistoire est le temps d’avant l’écriture) où les administrations, collectivités, services publics sont profondément hiérarchiques, cloisonnés en silo, peu ouverts à l’innovation des acteurs ou des citoyens, où les formations d’ingénieurs sont davantage basées sur la capacité à abstraire et à résoudre les problèmes bien posés que sur les capacités à créer, innover et coopérer, absentes des concours de recrutement.
Le changement culturel pour apprendre à s’exprimer, écrire publiquement, coopérer, échanger, mettre en communs, réutiliser demande le temps long des changements humains tant au plan individuel qu’au niveau des modèles sociaux dominants.
Notre société est confrontée pour la première fois de son histoire à la gestion de l’abondance : une musique, un texte, une méthode, peuvent être dupliqués et diffusés à un coût marginal nul. Des millions de personnes s’expriment à travers les blogs, réseaux sociaux, créent des tutoriaux, postent des vidéos dans un monde où il y a quelques dizaines d’années l’expression publique était limitée à quelques dizaines de milliers d’auteurs, journalistes ou leaders politiques.
En quelques dizaines d’années des choses jusqu’alors inimaginables comme l’encyclopédie collaborative, le logiciel libre, les blogs, les réseaux sociaux, le pair à pair font partie de notre vie quotidienne. Pour se déplacer, acheter (d’occasion), rechercher de l’information, se divertir, nous voici à la fois producteur et consommateur d’information. Et pourtant dans le même temps l’organisation de la salle de classe, de la mairie, des décisions publiques ont peu changé.
L’université est elle aussi confrontée à cette abondance des contenus. Jusqu’à peu les contenus en ligne étaient rares sur les sites de l’enseignement supérieur en France (seuls 3 établissement ont un portail de cours ouvert qui répertorient les support de formation accessibles en ligne hors intranet). Et en l’espace de 4 ans des centaines de cours sont en ligne sur les plate-formes de MOOC .
L’enseignement supérieur est aussi un monde où les chercheurs coopérent mais où les contenus pédagogiques sont rarement partagés : un enseignant de Brest n’a pas accès aux cours mis sur l’intranet des universités de Rennes et réciproquement.
Et les pratiques d’élaboration collaborative de contenus pédagogiques tels qu’a pu le développer le réseau Sésamath restent exceptionnelles (c’est le cas autour des C2I par exemple).
De façon très majoritaire les enseignements sont délivrés de manière descendante avec une interaction faible des étudiants.
Dans une politique publique du numérique développée à Brest comme élu local, j’ai été amené à nommer Gouvernance contributive une démarche articulant le « faire avec », « l’attention aux initiatives », le « donner à voir », outiller et apprendre à coopérer, le développement des communs et le soutien à l’innovation sociale ouverte.
Si on considère la transition numérique comme un paradigme, les éléments clés d’une gouvernance contributive explicités dans une pratique sociale donnée peuvent s’appliquer dans un autre champ. Et je voudrais évoquer ici quelques axes que cette spirale illustrant la démarche contributive m’évoquent.
Faire avec
Cette logique d’avancer par l’implication des acteurs est au coeur des pédagogies actives où l’étudiant est invité à interagir.
C’est aussi le propos des pédagogies par projet qui s’appuie sur une démarche constructiviste qui relie acquisition de connaissances et développement d’une réalisation concrète.
Le faire avec est aussi la prise en compte du temps long des pratiques de formation qui se font au rythmes des personnes.
La transformation de la bibliothèque de Telecom Bretagne en espace de co-working avec des horaires d’ouverture qui s’élargissent est un processus qui se déroule depuis 4 ans et qui n’en est qu’à ses débuts et qui est inventé au fur et à mesure par les bibliothécaires et les parties prenantes.
Sur ce que pourrait être un " faire avec " les étudiants, je pense que nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Le poids d’une école où la contribution des lycéens et collégiens est une portion congrue ne facilite pas la transformation. (Voir à ce sujet les propositions du rapport du Conseil National du Numérique "Jules Ferry 3.0, Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique".
Comme il s’agit d’un texte d’ouverture à la discussion merci de vos idées ..
Etre en attention
Cette attitude est un changement de point de vue par rapport aux approches traditionellement prescriptives des politiques publiques. Dans une société qui devient plus contributive, les initiatives et innovations sont abondantes. En prenant toujours mon expérience locale de responsable de formation à Telecom Bretagne, André Guyomar ingénieur pédagogique en a collecté une trentaine à travers des fiches descriptives pour 150 enseignants. A ce niveau ce sont des milliers d’ initiatives et d’innovations qui s’expérimentent tour autour de nous.
Encore faut-il que les directions des établissements aient à coeur de favoriser cet épanouissement et .. de le prendre en compte dans l’évaluation des enseignants et c’est loin d’être gagné !
Etre en attention peut aussi d’appliquer aux étudiants dans une démarche d’appels à envies qui permettrait d’ouvrir de multiples possibles. Les appels à envies sont des appels à projet où tous les projets sont retenus parce que l’important c’est tout autant l’énergie et le temps que mettent les personnes que l les sommes qui aident au démarrage du projet. Cet appel à envie pratiqué depuis 10 ans à Brest sur le numérique dans la ville est un outil concret pour renforcer le pouvoir d’agir d’une université ouverte à l’innovation.
Donner à voir
Cette proposition peut sembler aller de soi et pourtant c’est une attitude très peu partagée. Est ce un reliquat du "cacher notre copie" que nous avons pour la plupart appris dans nos années de scolarité ?
– Mais regardons autour de nous s’il y a une centaine d’initiatives pédagogiques dans une université qui emploie 3 à 500 enseignantes où sont-ils donnés à voir ?
– Où sont regroupés les accès aux support de formation que des enseignants acceptent de rendre public ?
– Combine de veilles publiques qui nous permettraient de partager nos veilles ?
(sur Brest un simple recensement a permis d’en répérer plus d’une centaine)
Il y a certes les publications lors des colloques autour de la pédagogie mais cela ne couvre qu’une petite partie des acteurs de l’innovation.
Et beaucoup d’initiatives restent locales connues d’un petit nombre de personnes.
Ce site "Innovation Pédagogique" en publiant un article par jour et reprenant des publications qui autorisent leur diffusion témoigne de cette abondance.
On nous objecte souvent le manque de temps, certes, mais en lisant ce que d’autres font nous apprenons à notre tour et gagnons du temps.
Donner à voir et apprendre à réutiliser est un des fondements de l’innovation ouverte/
Outiller et apprendre à coopérer
L’appropriation des outils du numérique est chemin qui se déroule sous nos pas. Après les outils de bureautique, de mel nous voici aujourd’hui invités à la publication (textes et vidéos) aux réseaux sociaux, à participer aux MOOC, aux port-folios, utiliser le cloud, le big data sur comment les étudiants apprennnnt ..
Accompagner et faciliter l’appropriation des outils est indispensable et ne coûte pas cher : un atelier par semaine c’est 20% de temps plein !
Mais apprendre à coopérer est souvent négligé alors que nous ne l’avons que très peu appris à l’école. Pourtant la formation à la coopération "Animacoop" (formation action dion de Doc@brest réseau coopératif qui regroupe plus de 200 documentalistes au pays de Brest.
La coopération ce sont aussi tous ces espaces de travail ouverts qui se développent et favorisent le travail de groupe, les classes inversées, cette implication des bibliothèques et des conseilles pédagogiques autour de l’apprenance, ces systèmes d’information agiles à co-construire avec les étudiants ( à quant un SI remix ?)
Dans le coopération entre étudiants, enseignants et ingénierie support beaucoup reste à inventer !
le développement des communs
Le développement du numérique a remis d’actualité la question des communs :
Les communs sont des ressources régies par un régime de partage, qui échappent à la propriété publique et privée telle qu’on la connaît depuis des siècles. Les communs sont gérés par une communauté qui instaure des règles permettant de protéger les ressources, de les faire fructifier, de les partager, etc.
Valérie Peugeot, Vecam
Si cette notion est connue des chercheurs avec les publications ouvertes, elle concerne aussi les enseignants pour la mise en communs des supports de formation. Aujourd’hui la France est un peu la mauvaise élève de l’Europe avec seulement 3 établissements participant au réseau "open education" de contenus réutilisables initié par le MIT alors que 30 universités en sont partie prenantes en Espagne.
Aujourd’hui la valeur ajoutée se déplace des contenus vers les services comme en témoigne Open Class room, plate forme de MOOC qui se rémunère sur les services fremium et non sur les contenus puisque tous les cours sont librement accessibles et mêle réutilisables sous une licence creative commons !
Cette licence ce qui permet la réutilisation est aussi fréquente sur la plate forme FUN et c’est aussi la licence choisie pour ce MOOC
Une université contributive c’est aussi favoriser le production de communs qui bénéficient à tour ; notes des étudiants comme supports partagés de cours !
et le soutien à l’innovation sociale ouverte
Pour conclure ce petit texte introductif, une université contributive c’est fondamentalement une organisation apprenante où l’apprentissage est au coeur de l’établissement , non plus seulement en terme de transmission de savoirs mais dans un processus qui outille l’étudiant pour apprendre tout a long de la vie et où le plaisir d’apprendre est partagé par tous enseignant étudiant ou acteur des fonctions supports.
Mais heureusement la coopération est une expérience irréversible et lorsque l’on y a goûté difficile de revenir en arrière.
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