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Ressources éducatives réutilisables autour de la documentation : interview de Marie Latour, directrice adjointe du SCD de l’université de Guyane

20 mai 2020 par Michel Briand Coopérer 736 visites 1 commentaire

Après la réalisation de sept jeux de plateau pédagogiques (dont quatre ont été traduits en anglais) sur des questions phares de l’Information scientifique et technique : open acces, science ouverte, licences de la propriété intellectuelle, normes de citations bibliographiques, etc., Marie Latour [1] vient de réaliser avec des collégues du Service Commun de Documentation de l’université de Guyane une bande dessinée sur la bibliométrie en encourageant leur réutilisation par une licence Creative Commons.

Dans une temps où la crise du Covid et la formation à distance rend d’actualité la question des ressources éducatives libres et des conditions de leur réutilisation voici une interview de Marie Latour sur la démarche et ce qui l’a motivé.

Merci à elle pour ces réalisations et ses réponses.

Bonjour, est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Je suis Marie Latour, conservatrice des bibliothèques. Après des études d’Histoire, j’ai intégré l’ENSSIB, où j’ai travaillé sur la ludification de la relation aux usagers en formation, communication et action culturelle. Ce poste de directrice adjointe du Service commun de la Documentation (SCD) à l’Université de Guyane est le premier de ma carrière.

une photo reprise de la page linkedin de Marie Latour

Quelles sont les missions du SCD de l’Université de Guyane ?

Le SCD de Guyane a pour missions principales l’accueil du public, la satisfaction de ses besoins en documentation imprimée et électronique, sa formation aux compétences informationnelles ainsi que le développement d’une offre culturelle et de médiation scientifique. À titre personnel, je suis responsable du Service à la recherche destiné à soutenir les enseignants et chercheurs dans leurs missions, ainsi que du pôle formation à destination des Masters et Doctorants et de la gestion des ressources électroniques.

En matière de coopération si vous aviez à définir quelques mots clés pour vous présenter, quels seraient-ils ?

Je suis quelqu’un de créatif et de passionné qui établit des coopérations de longue durée avec des collègues ou des prestataires sur la base d’une confiance réciproque. J’ai à cœur de défendre une stratégie du libre accès à l’information, et j’essaye d’entrainer mes partenaires dans cette voie.

Comment est venue l’idée de développer des contenus pédagogiques autour de la formation à la documentation ?

En Master, une amie m’a fait découvrir l’offre de jeux de société destinés plutôt à un public d’adultes, c’est-à-dire comportant un haut niveau de stratégie et un gameplay approfondi. J’ai été fascinée. Lorsque je suis entrée à l’ENSSIB, nous avons dû effectuer des visites obligatoires dans des bibliothèques lyonnaises, dont celle de l’INSA. J’y ai découvert le grand jeu en réalité alternée qu’avait créé l’équipe de Guillemette Trognot. Je me suis dit que c’était une très bonne manière d’impliquer les étudiants dans des méthodes d’active learning permettant une meilleure appropriation des contenus scientifiques et culturels.

De là, j’ai enchainé sur un mémoire autour de la ludification, et effectué un stage à la Bibliothèque Pierre et Marie Curie de l’UPMC, sous la direction de Myriam Gorsse. J’y ai découvert tout une réflexion avancée sur la pédagogie, avec notamment les prémices du jeu Hellink [2]

qui était alors en cours de préparation.

Etant plutôt issue de l’univers des jeux de plateau et non du jeu vidéo – et l’Université de Guyane ne disposant pas non plus des budgets de l’UPMC - j’ai décidé de créer en coopération avec ma collègue Caroline Boiteux et de dessinateurs et graphistes professionnels sept jeux de plateau pédagogiques (dont quatre ont été traduits en anglais) sur des questions phares de l’Information scientifique et technique : open acces, science ouverte, licences de la propriété intellectuelle, normes de citations bibliographiques, etc. Ceux-ci sont également disponibles gratuitement sous licence Creative Commons BY NC SA sur l’archive ouverte Zenodo.

Et pourquoi ce choix de la réalisation d’une bande dessinée ?

Je cherchais une manière de diversifier les approches pédagogiques auprès de mes doctorants et masters. Je suis tombée lors de ma veille documentaire sur une bande dessinée sur la fiabilité de l’information réalisée par l’équipe de fact-checking Aos Fatos, et traduite par le journal Le Monde. Je l’ai utilisé dans le cadre de mon cours, et j’ai trouvé l’approche excellente, autant parce qu’elle me permettait de débuter l’atelier autour d’une lecture et d’un brainstorming collectif sur les idées qu’elle développait, que parce qu’elle constituait ensuite un bon support de formation pour les étudiants qui leur récapitulait sous un format ludique toutes les informations importantes à retenir. C’est ainsi que j’ai décidé d’en créer une sur la bibliométrie et l’évaluation de la recherche dans le cadre de la création d’un nouveau cours pour les doctorants. J’avais obtenu un financement du GIS IRISTA pour faire venir en Guyane ma collègue maitre de conférences à l’URFIST de Paris / Ecole nationale des Chartes Annaïg Mahé, qui a formé les étudiants et chercheurs présents et moi-même à ces questions. À partir de son cours initial, nous avons travaillé ensemble pour créer la bande-dessinée « On fait le point avec Manuella sur la bibliométrie ». Le SCD de l’Université de Guyane ayant été lauréat d’un appel à projets lancé par le GIS URFIST, nous avons pu confier sa réalisation graphique à deux professionnels, Jordy Le Bruchec et Bénédicte Sauvage, qui avaient déjà travaillé avec nous sur les précédents jeux.

illustration de la BD a réalisée par l’équipe de vérification des faits du site brésilien Aos Fatos, en partenariat avec l’International Fact-Checking Network (IFCN) de l’institut Poynter. Elle a été traduite en français par Les Décodeurs du Monde.

Avez-vous un retour d’usage pédagogique ?

Nous n’avons pas encore eu de retour pédagogique, car la bande dessinée a été livrée il y a deux semaines seulement. De plus, en période de confinement, beaucoup de cours ont été annulés, ce qui reporte d’autant son utilisation pédagogique.

Pourquoi faire ce choix de permettre la réutilisation des contenus ?

C’est une politique générale du Service commun de la Documentation validée par mon chef de service, Nicolas Ruppli. Nous pensons que les contenus produits par les universités et financés par des fonds publics ont vocation à être utilisés par l’ensemble de la communauté afin de rentabiliser les investissements, et de ne pas produire indéfiniment les mêmes contenus.

Nous pensons aussi que les licences libres, du type Creative Commons, facilitent la circulation des documents produits, et donc de manière indirecte, participent à la notoriété d’un projet. Cela s’est révélé particulièrement juste pour les jeux de plateau que nous avons créés précédemment, qui cumulent à eux tous des milliers de téléchargements, et qui ont été réutilisés par plusieurs dizaines d’établissements d’enseignement supérieur français. Cette notoriété et cette utilité publique du produit servent ensuite à obtenir de nouveaux financements qui permettent d’aboutir à de nouveaux projets. S’engager dans le libre, c’est donc pour nous une manière d’entrer dans un cercle vertueux.

Quels freins voyez-vous à une coopération qui favorise le partage et la réutilisation des contenus pédagogiques ?

Je vois deux freins à cela.

Le premier, ce serait d’entrer dans une logique où certains établissements d’enseignement supérieur jouent le jeu en plaçant l’ensemble de leurs contenus sous licence libre, alors que d’autres (notamment les plus gros) tenteraient de faire cavaliers seuls en plaçant leurs produits sous licence propriétaire. Cela aurait pour conséquence d’accroître encore plus les inégalités entre universités. Mais je pense qu’à l’heure actuelle, nous sommes– heureusement – dans une dynamique plutôt inverse, en France en tout cas.

Le deuxième, ce serait que des personnes utilisent à mauvaise escient nos contenus en les modifiant légèrement pour les revendre ensuite ou se les attribuer, et ainsi les confisquer à leur profit. C’est pour cela que nous choisissons de bloquer une éventuelle réutilisation commerciale, et que nous obligeons ceux qui effectueraient des modifications à replacer leurs nouveaux produits dans le libre, en licence Creative Commons BY NC SA.

Pensez-vous que la formation à distance imposée par la crise du Covid -19 va favoriser une coopération des acteurs éducatifs et une mise en réseau des contenus pédagogiques ?

Je le pense. D’ailleurs, de telles initiatives existent déjà. L’ADBU [3] a créé une communauté de partage de supports et de pratiques de formation dans les BU intitulée « ADBU competences informationnelles » sur l’archive ouverte Zenodo.

Depuis son ouverture il y a un an, elle comprend déjà plus de 70 documents. Parallèlement, Sorbonne Université est à l’origine de la création d’un Consortium nommé Ikigaïqui permettra aux établissements de l’Enseignement supérieur de partager librement les jeux vidéo pédagogiques qu’ils ont produits - souvent à grand frais. Des services y seront adossés, comme la fourniture des données d’apprentissage de ses étudiants pour chaque université participante, ou des données de recherche anonymisées. Cette mutualisation des moyens est une dynamique positive qui permettra aux établissements de profiter de ce qui a déjà fait, et de réinvestir leurs moyens dans ce qu’il reste réellement à faire.

Quels sont les projets à venir dans ce domaine au SCD de l’Université de Guyane ?

La crise du Covid-19, qui est encore loin d’être finie, a fait apparaître de nouveaux besoins dans l’apprentissage à distance. Si les cours en présentiel rencontrent beaucoup de succès grâce à ces modules de jeux ou de bande-dessinée au SCD de l’Université de Guyane, il reste encore beaucoup à construire pour insérer un tel niveau d’interactions et d’active learning dans le distanciel.

C’est pourquoi la priorité va sans doute être placée dorénavant sur la création de tables de jeu numériques à partir des jeux de plateau déjà développés. Ce modèle est déjà très populaire dans le secteur du jeu de société, où les acteurs majeurs de l’édition ont investi dans des plateformes de ce type. Les tables de jeux que nous créerons devraient normalement pouvoir permettre aux étudiants de jouer en solo (grâce au développement d’une intelligence artificielle) ou en multi-joueurs.

Produits de pédagogie ludique créés par le SCD de l’Université de Guyane :

 Bande dessinée :

  • Latour, Marie, Mahé, Annaïg, Le Bruchec Jordy & Sauvage Bénédicte (2020, May 11). On fait le point sur la bibliométrie avec Manuella. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.3820169

 Jeux de société en français :
  Latour Marie, Boiteux Caroline & Le Bruchec Jordy. (2018). Fastoche HAL [jeu]. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.1409806
  Latour, Marie & Sauvage Bénédicte. (2018). Licences to kill. (Version 2) [jeu]. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.1972975
  Latour Marie, Boiteux Caroline &Le Bruchec Jordy. (2018). Open Strategist [jeu]. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.1409792
  Latour Marie, Boiteux Caroline & Le Bruchec Jordy. (2018). Super Open Researcher [jeu]. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.1409702
  Latour Marie & Sauvage Bénédicte. (2018). To be in the norms [jeu]. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.2001138
  Latour Marie & Sauvage, Bénédicte. (2018). Révise tes bases [Jeu]. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.1973210
  Latour Marie, Trognot Guillemette & Sauvage Bénédicte. (2019, June 21). Jeu #Réseauxsociaux. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.3458032

  Jeux de société en anglais :

Licence : CC by-sa

Portfolio

Notes

[1voir par exemple, l’article "
"L’enseignement par le jeu à la BU !"

[2Paris, 2044. Néo-Sorbonne a été piratée. Elixène Seyrig, experte en cybercriminalité, est son dernier espoir. Son arme : le e-Lux, un dispositif de réalité augmentée révolutionnaire permettant une recherche d’informations instantanée.

Trouverez-vous la vérité à temps ? [

le jeu en ligne, étant financé sur fonds publics, il est accessible gratuitement dans sa version intégrale à tous.

[3Association française des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation, ABDU.

Vos commentaires

  • Le 2 juillet 2020 à 09:43, par Nicolas Geiger En réponse à : Ressources éducatives réutilisables autour de la documentation : interview de Marie Latour, directrice adjointe du SCD de l’université de Guyane

    Bonjour,
    Merci pour cet article et surtout pour les projets passionnants de Marie Latour.

    Une réaction sur la licence Creative Commons By-NC-SA. La clause "NC" (pas d’usage commercial) est une fausse idée, car elle empêche des organismes privés de ré-utiliser ces contenus. Cela évite certes une "revente" des contenus, mais cela empêche surtout d’enrichir ces contenus sur du temps de travail professionnel. Je pense notamment à des formateur·ices qui pourraient reprendre/enrichir/repartager ces contenus, mais dont l’activité est "commercial" (puisque les gens paient pour participer à leurs formation), ou encore à des associations qui se serviraient de ces supports pour proposer des ateliers (payants) sur leur territoire.

    Plus globalement, cela reviendrait à penser que le secteur non-commercial (en occurrence universités publiques) est vertueux et dénué d’intentions pécuniaires/personnelles, alors que le secteur "commercial" serait par essence dangereux. Pour reprendre mon exemple du secteur de la formation, je connais moult formateurs/organismes de formation privés dont les démarches sont bien plus vertueuses en terme d’intérêt général que certaines universités publiques...

    Belle journée
    Nicolas

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