binaire – Comment es-tu devenue chercheuse en mathématiques appliquées ?
HB – Je suis un produit pur jus de l’université. J’ai fait la fac de maths à Bordeaux. J’ai été tentée par l’informatique, mais mes premiers cours m’en ont un peu dégoutée. Et puis, j’ai « rencontré les ondes » dans un projet avec le CEA et Bernard Hanouzet, et comme le sujet m’a conquise, j’ai choisi ce domaine pour ma thèse sous sa responsabilité. Je découvrais des dialogues fantastiques entre physique et mathématiques, et dans le même temps le plaisir du travail en équipe. J’ai changé alors d’avis sur l’informatique. C’est passionnant d’expliquer des phénomènes physiques avec des équations mathématiques. Mais c’est encore plus génial, cela prend vraiment son sens pour moi, quand on transforme les équations, les modèles mathématiques, en programmes informatiques. En réalisant des simulations numériques assistées de méthodes de visualisation avancées, on peut alors voir un phénomène physique pour finalement en comprendre les moindres détails.
J’ai obtenu un poste de Maitre de conférence à l’Université de Pau, un peu par chance. C’est là que j’ai commencé à travailler sur des sujets concrets, dans une collaboration avec Total. Et puis j’ai découvert Inria, et obtenu un poste de chercheuse dans l’institut. Cela m’a permis de monter une équipe à Pau. Je me dis parfois que j’aurais aussi bien pu devenir informaticienne parce que les logiciels me fascinent. Aujourd’hui, j’adore mon travail.
binaire – Nous avons entendu dire qu’une de tes caractéristiques, c’est la fidélité ?
HB – Oui ! Je suis toujours à Pau, toujours à Inria. Certaines de mes collaborations durent depuis des années ! Par exemple, je travaille depuis bientôt vingt ans avec Total et Henri Calandra. Nos objectifs ont bien évidemment évolué au cours de ces années, nous conduisant à travailler sur des sujets très variés. Aujourd’hui, nous travaillons ensemble sur des questions liées à la transition énergétique. Surtout, je suis restée fidèle au domaine, les équations des ondes. Bien sûr, j’enrichis sans cesse le groupe de gens avec qui je collabore ; ils deviennent souvent des amis. Et pour les ondes, je considère de nouvelles applications, de nouveaux défis.
binaire – Justement. Il est peut être temps que tu expliques au lectorat de binaire, pour qui cela reste peut être mystérieux, ce que sont les ondes, en quoi consiste ton travail de chercheuse dans ce domaine.
HB – Quand une perturbation physique se produit, elle génère une onde qui se propage en modifiant les milieux qu’elle traverse. Quand on jette un caillou dans l’eau, ça crée une onde à la surface. Quand on pince la corde d’une guitare, cela génère une onde acoustique que les êtres humains à proximité ressentent avec des capteurs situés dans l’oreille. Il existe différents types d’ondes comme les ondes mécaniques qui se propagent à travers une matière physique qui se déforme, ou les ondes électromagnétiques et gravitationnelles qui elles n’ont pas besoin d’un tel milieu physique.
Les études du sol
binaire – Ça paraît un peu magique. Pourrais-tu nous expliquer un peu plus en détail comment cela se passe pour l’étude du sous sol. Surtout, nous aimerions comprendre la place des mathématiques et de l’informatique là dedans ?
HB – Supposons que nous voulions cartographier un sous sol pour découvrir des réservoirs d’eau pour de la géothermie. On pourrait faire des forages sans modélisation préalable ; c’est coûteux et ça peut être dangereux : on a vu des forages causer des éboulements très loin de l’endroit où ils étaient réalisés. Plutôt que faire ça, on va utiliser, par exemple, un camion qui vibre en cadence et génère des ondes. Les ondes se propagent dans le sol en gardant des traces de ce qu’elles rencontrent. Pour cartographier le sous-sol, on aimerait découvrir les discontinuités dans la composition de ce sous-sol, et ce qui se trouve entre elles. Pour ça, on va mesurer avec des capteurs les ondes réfléchies et analyser ces données.
Cela demande de développer des modèles mathématiques et des méthodes numériques avancées. Cela demande aussi des calculs considérables souvent réalisés de manière parallèle pour obtenir des simulations précises. En particulier, la détermination des paramètres physiques est un problème d’optimisation qui n’est pas simple car il admet des optimums locaux qui peuvent ralentir voire empêcher la méthode de converger.
Mais on peut faire des trucs sympas. Par exemple, quand un train roule, les frottements sur les rails génèrent des ondes sonores, « tougoudoum, tougoudoum… ». En analysant ces sons, on imagine bien qu’on peut détecter des malformations des rails, des traverses ou du ballast. En Chine, une équipe travaille même à faire des reconstitutions des propriétés du sous sol à partir des ondes générées par un train. Juste en analysant le son du train !
Il existe des tas d’autres applications de ce type d’analyse. Par exemple, en médecine, l’analyse de la propagation d’une onde sonore peut donner des indications sur la présence d’une tumeur, et le même principe peut être appliqué pour réaliser une échographie.
binaire – Quels sont les freins de tels travaux ?
HB – Le principal frein est que souvent les données sont très bruitées. Pour reprendre l’analogie du cambrioleur, c’est comme si la pluie avait presque effacé les empreintes.
Un autre frein tient dans les besoins de calcul considérables exigés par la simulation. Si vous voulez cartographier un sous-sol dans un cube de 5km d’arête, c’est véritablement des calculs massifs. On peut chercher de manière brutale à faire de plus en plus de calculs mais on atteint vite des limites. On peut aussi essayer d’être astucieux avec les mathématiques ou la simulation. Dans un travail récent, par exemple, nous séparons un grand volume en petits blocs que nous analysons séparément ; ensuite nous « recollons » les morceaux. On pourrait utiliser des bases de données de petits blocs comme ça, et des techniques de machine learning. Il faut essayer d’éviter la force brute, penser autrement.
binaire – Mais beaucoup de ces recherches viennent d’entreprises qui ne voudront pas mettre leurs données, des données qui coûtent cher à produire, à la disposition de tous. Par exemple, est-ce que l’industrie pétrolière accepterait ?
HB – Bien sûr, la recherche de pétrole a été longtemps un moteur du domaine. Mais les temps changent, ce n’est plus le cas. Et même dans des entreprises comme Total qui est très active sur les sujets d’environnement, le partage de données n’est pas exclu.
Les études du soleil
binaire – Sur quoi portent principalement tes travaux aujourd’hui ?
HB – Je travaille sur l’héliosismologie, l’étude du soleil. Le soleil chante en permanence. Il produit des ondes acoustiques, des ondes à basse fréquence, avec une longue période, que l’on peut détecter par effet Doppler. Leur étude pourrait nous permettre de remonter à l’intérieur du soleil. En comprenant comment il est construit, on espère apprendre à prévoir les irruptions solaires qui peuvent être dangereuses notamment pour nos satellites.
On dispose déjà de cartographies du soleil, on peut même en trouver sur internet. Mais on les aimerait beaucoup plus détaillées. Il faut bien voir la difficulté : le soleil n’a pas de surface comme la terre. La vitesse du son augmente avec la profondeur, tout est en permanence en mouvement.
Ce qui est intéressant pour nous c’est que les méthodes mathématiques à développer reposent sur les mêmes concepts que celles que nous utilisons dans le cadre de la propagation d’ondes dans le sol. Par contre, la physique est différente, plus complexe, par exemple, elle doit tenir compte du champ magnétique.
L’acoustique musicale
binaire – Ton équipe travaille aussi sur l’acoustique musicale.
HB – Nous avons recruté il y a quelques années Juliette Chabassier qui, dans sa thèse, avait synthétisé le son du piano grâce aux mathématiques. Elle aurait pu travailler avec nous uniquement en Géosciences mais elle aurait été malheureuse car elle est véritablement passionnée par l’acoustique musicale. Nous l’avons plutôt laissée nous transmettre sa passion.
Dans l’équipe, avec Juliette, nous travaillons maintenant avec un luthier. Nous cherchons à reconstituer le son d’instruments à vent anciens, de vieux hautbois. Encore une histoire d’ondes. Ce qui est drôle, c’est que nous pouvons partager les équations, les méthodes, les algorithmes. Ce n’est bien sûr pas du tout la même chose. Les problèmes que nous étudions en acoustique musicale sont en une seule dimension, quand nous travaillons en dimension 3 avec la terre ou le soleil. Donc cela demande a priori moins de puissance de calcul. Mais la prise en compte du musicien introduit de la difficulté. Et, d’un autre coté, les problèmes rencontrés en acoustique sont « non-linéaires » et nous donnent l’occasion de tester de nouvelles méthodes, plus complexes.
binaire – Un mot de conclusion, peut-être ?
HB – Les jeunes que nous voyons arriver dans l’équipe viennent le plus souvent d’écoles d’ingénieur. Ce sont souvent des matheux brillants. Mais ils sont également fans de programmation et de calcul parallèle, un peu « geeks ». Historiquement, on sépare l’informatique et les maths applis, par exemple, dans les sections 26 et 27 du CNU (*) ; eux, on a du mal à les situer. Je dirais, en plaisantant, qu’ils sont, un peu comme nos sujets de recherche, dans la section 26.5.
Nous vivons dans un monde numérique où l’informatique et les maths applis prennent un rôle considérable pour expliquer le monde, la société, pour les transformer. J’aimerais que tous les jeunes prennent vraiment conscience de ça, quelle que soit la profession à laquelle ils se destinent.
Il faudrait aussi que les scientifiques soient plus écoutés. Et pour cela, il faut qu’ils fassent l’effort de se faire mieux comprendre. Ce n’est pas simple d’expliquer sur le papier des équations au grand public. N’essayez pas ! On perd tout de suite son auditoire. Par contre, on peut faire des simulations et capturer les phénomènes avec des images, des courbes, des vidéos. Ça, tout le monde peut comprendre !
Serge Abiteboul, Inria et ENS, Paris, Pascal Guitton, Inria et Université de Bordeaux
(*) Le CNU, Conseil national des universités, est chargée en particulier de la gestion de la carrière des enseignants-chercheurs.
Remerciements à Florian Faucher (Post-doc, Université de Vienne) qui a réalisé les trois premières illustrations.
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