Un travail d’équipe qui semble exceptionnel auprès d’enfants en situation d’autisme. En lisant ce témoignage et d’autres de notre dossier sur la coéducation dans les structures à besoins particuliers, on se demande pourquoi il y a si peu d’exemples semblables en milieu scolaire ordinaire.
L’unité d’enseignement élémentaire autisme (UEEA) de l’école Berlinguez à Courrières (62) a ouvert ses portes en septembre 2019. Fruit d’un partenariat entre l’Éducation nationale et un établissement et service médicosocial, ce dispositif permet aux enfants d’être scolarisés à temps plein, partageant leurs journées entre classe et dispositif d’aide, apprentissages et temps de prise en charge.
Autour de ces élèves gravite une équipe expérimentée et engagée dans la réussite de l’enfant : enseignante et éducatrice spécialisées, psychologue, ergothérapeute, accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH), aide médicopsychologique (AMP), parents, etc.
Accompagner un enfant à besoins éducatifs particuliers s’apparente à une chasse au trésor, où il est nécessaire de trouver la clé qui va permettre à l’élève d’entrer dans les apprentissages et d’acquérir un statut d’élève. Marie-Odile Matte, AMP du dispositif, la définit comme une « collecte d’informations auprès des parents, des professionnels, qui va nous permettre de situer le niveau de compétences et les difficultés du jeune, mais aussi d’offrir à chacun un cadre spécifique, sécurisant, des adaptations pédagogiques, qui lui assureront d’acquérir des compétences et de progresser ».
Cette tâche ne peut incomber à une seule personne ! Elle nécessite observations, tâtonnements, adaptations et croisement d’informations, pour cerner l’enfant dans sa globalité et répondre au mieux à ses besoins, souvent spécifiques. Car en plus des apprentissages scolaires, les élèves vont acquérir d’autres compétences, comme le souligne Carine Kasprzik, éducatrice spécialisée : « Le rôle de l’équipe éducative est d’amener l’enfant à mettre davantage de sens sur ce qui l’entoure, sur ce qui se joue dans la relation : distinguer, identifier, ressentir ses émotions, développer des compétences en habiletés sociales pour faciliter les interactions sociales, découvrir l’autre en étant reconnu comme un être communiquant. L’équipe travaille aussi à développer des stratégies, pour gagner en autonomie, mais aussi pour apprivoiser ses particularités sensorielles, souvent envahissantes. »
Cette mutualisation au service des besoins de l’élève, l’ergothérapeute Apolline Herbin la trouve aussi importante : « Mon intervention va de l’adaptation de l’environnement jusqu’au travail de la motricité fine en passant par le graphisme. Mes objectifs dépendent des besoins de l’enfant dans sa vie scolaire et dans ses activités de vie quotidienne. Du coup, la collaboration avec l’enseignante, l’éducatrice et l’équipe est indispensable pour le bon déroulement du projet de l’enfant. »
Sa présence au sein de l’école est un plus, facilitant les temps d’échanges, formels et informels, mais aussi le parcours de l’élève.
Parcours normal et tournant inclusif
Terminé l’emploi du temps gruyère de l’élève ou la scolarisation à 25 % pour assurer les temps d’accompagnement nécessaires, hors de l’école. Là encore, l’ergothérapeute précise : « L’UEEA me permet d’intervenir pendant une journée complète en immersion dans le quotidien de l’enfant et d’échanger à tout moment avec l’équipe professionnelle. »
Si cette organisation est idéale pour les professionnels, elle l’est aussi pour les parents qui retrouvent un peu de normalité dans leur quotidien, en conduisant leur enfant à l’école. Delphine Lefort, maman d’un élève, le résume : « La coéducation est un véritable plus, car le fait que tous les spécialistes soient sur place avec nos enfants leur permet d’éviter de manquer des heures d’école et de bénéficier des mêmes temps de scolarisation que les autres. »
Le parcours de l’élève se construit conjointement entre l’élève, la famille et les professionnels. Et sa réussite repose, comme le dit Marie-Odile Matte, sur la « richesse de l’équipe pluridisciplinaire pour prendre en charge l’enfant dans sa globalité, avec des compétences différentes […]. Autour du projet de l’élève, l’équipe, les parents, les enseignants ayant des jeunes en inclusion, le directeur, etc. mettent en commun leurs observations, pour qu’une unité se construise autour de l’enfant et amener une cohérence dans son parcours ».
Et si ce parcours a toujours été important, il l’est aujourd’hui encore plus, car Carine le note bien, l’importance repose sur la scolarisation : « La coéducation est une grande richesse, qui permet une vision globale de l’enfant tant sur le plan cognitif, développemental que comportemental et émotionnel. Il est important de noter que l’aspect pluridisciplinaire de cette équipe permet à chaque professionnel de mettre au service de l’enfant, mais aussi de sa famille, sa technicité, afin qu’il trouve sa place et soit scolarisé en milieu ordinaire. »
Voilà quinze ans que la loi pour l’égalité des droits et des chances est parue, notifiant le droit d’inscrire à l’école tout enfant qui présente un handicap. Et pourtant, si, d’un point de vue éthique, tout le monde est d’accord sur ce point, la pratique reste plus difficile à concevoir. Marie-Odile Matte synthétise la pensée collective de l’équipe lorsqu’elle précise que « notre qualité relationnelle et le sentiment de faire quelque chose de constructif permettent de favoriser l’inclusion scolaire et sociale de l’élève. Cette dynamique favorise la réussite scolaire, permet de vivre parmi les autres et de partager avec les camarades ».
Car si l’accompagnement de l’équipe est en lien avec l’élève suivi, elle se fait aussi auprès des élèves qui vont vivre avec lui au quotidien. L’un ne peut aller sans l’autre. Les élèves d’aujourd’hui sont les citoyens de demain, une ouverture sur la différence est nécessaire à une construction sociétale axée sur la tolérance et l’acceptation de l’autre. L’équipe veille à ce point, comme l’explique Carine : « Cette équipe a aussi pour mission de faire évoluer le regard sur le handicap, l’autisme. Des temps de sensibilisations ont été réalisés dans les classes de l’école auprès des élèves, afin de leur expliquer ce qu’est l’autisme et libérer leur parole. Ce temps fut le commencement de belles interactions, initiées dans un premier temps lors des récréations. »
L’avantage de la coéducation est qu’elle peut s’exporter de l’école, pour accompagner l’élève sur d’autres espaces de vie.
Enrichissement professionnel
Si l’expertise d’une équipe répond aux besoins des élèves, elle peut être une aide pour les collègues de l’ordinaire, qui n’ont pas les éléments nécessaires pour soutenir l’accompagnement de ces profils particuliers, de plus en plus nombreux dans les classes. En tant qu’enseignante spécialisée et personne ressource, ce point me semble essentiel. Accompagner pour soutenir, relativiser, endiguer l’isolement.
Carine compare l’équipe de l’UEEA à un « plateau technique qui se met au service de l’école. Les différentes adaptations éducatives comme scolaires peuvent aussi bénéficier à d’autres élèves de l’école et permettre aux enseignants d’échanger et de croiser les regards sur les difficultés rencontrées par certains enfants de leur classe ».
Si je devais aller plus loin, je dirais que ce partenariat nous satisfait nous-mêmes avant de satisfaire les autres. Marie-Odile Matte le précise, « l’esprit d’équipe est important pour des concertations et des remises en question sur nos prises en charge ». Et c’est cette satisfaction qui dynamise le projet du dispositif et sa réussite. On entre dans une mécanique d’intelligence collective. Les temps d’échanges sont passionnés, parfois virulents, ponctués d’interrogations en lien avec la réussite de nos élèves. En partageant nos expériences, nos dynamiques, nos réussites et nos échecs, nous enrichissons nos pratiques. » Carine partage ce point de vue : « En ce qui me concerne, ce dispositif m’apporte beaucoup sur le plan personnel comme professionnel : j’ai toujours travaillé en établissement sociomédical et bien que l’inclusion fût un axe prioritaire d’amélioration, je restais sur ma faim. Avec ce nouveau dispositif et cette équipe pluridisciplinaire, je me sens au cœur du projet inclusif et les échanges avec les différents partenaires sont plus naturels, plus fluides. Tout le monde se sent concerné et semble vouloir faire une place à ces enfants extraordinaires que sont les enfants TSA (trouble du spectre de l’autisme). »
Céline Picavet, AESH du dispositif : « Depuis le début de l’année, beaucoup de choses ont été réalisées avec peu de moyens mais une grande détermination, tant par notre équipe que par les enfants. Beaucoup de changements, avec un cadre agréable pour les enfants, que ce soit pour les temps éducatifs ou pédagogiques ; ce qui conduit forcément à de bons résultats. »
Valérie Mathis, seconde AESH du dispositif, va plus loin. En s’incluant à ce projet, elle a « l’impression de faire un métier différent du précédent. Je me sens utile, je constate plus de progrès chez les élèves. J’ai le sentiment d’être actrice du projet, d’être partie intégrante de l’équipe et de pouvoir, sans complexe d’infériorité, donner mon avis et mon opinion sur un sujet. À l’heure où les AESH manquent de formations, notamment pour accompagner les élèves TSA, j’améliore mes acquis et mes compétences et je m’enrichis, toujours pour accompagner au mieux les élèves, avant de les laisser prendre leur envol ».
La coéducation n’est pas une pratique facile ; elle nécessite souvent des concessions, des remises en question, des pas de côté et un véritable investissement, tant personnel que professionnel. Pourtant, lorsqu’on accepte de se prendre au jeu, les résultats vont au-delà de ceux escomptés. Preuve en est avec ces mots de la fin, rédigés par Carine Kasprzik : « J’ai été émerveillée de voir comme les enfants dits neurotypiques ont accueilli naturellement et avec enthousiasme les jeunes du dispositif. Ils se montrent curieux et soucieux de trouver les bons mots, les bons gestes, la bonne attitude pour entrer en relation avec eux. Ils nous ont intégrés à leur paysage et nous questionnent sur leurs particularités. À mon sens, tout le monde a à y gagner ; que ce soient les enfants TSA, les autres enfants, les enseignants, l’équipe du dispositif, les partenaires communaux : la société.
Et même si la différence et les particularités de ces enfants extraordinaires peuvent faire peur, elles amènent à la tolérance, la bienveillance, à changer les regards, à aborder les choses avec les particularités de ceux-ci.
En bref, ce n’est que le début d’une aventure pour laquelle je suis pleinement convaincue. »
Noémie Maury Courtais
Enseignante spécialisée, coordonnatrice du dispositif UEEA, école Berlinguez à Courrières, Pas-de-Calais
Sur la librairie
La coéducation permanente
Que pouvons-nous faire ensemble pour aider tous les enfants à grandir et mieux apprendre à l’école ? Pour ne pas se contenter d’une cohabitation plus ou moins forcée mais réfléchir à la place de chacun, croiser les regards et conjuguer les actions au bénéfice des enfants ?
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