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Pratiques pédagogiques innovantes, interculturalité et compétences éditorial du numéro spécial de la Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieurmis en ligne le 15 février

Un article repris de http://journals.openedition.org/rip...

Loïse Jeannin et Cécilia Brassier-Rodrigues, « Pratiques pédagogiques innovantes, interculturalité et compétences », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 37(1) | 2021, mis en ligne le 15 février 2021, consulté le 07 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/ripes/2968 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ripes.2968

Ce numéro spécial a été lancé à la suite du 4e colloque anglophone International Teaching Forum organisé par l’Université Clermont Auvergne en Novembre 2019 [1] et portant sur les pratiques pédagogiques innovantes, l’interculturalité́ et les compétences. À la suite de cet événement, un appel à contributions a été diffusé afin de répondre à la problématique suivante : « Comment des pratiques pédagogiques innovantes dans un contexte interculturel de l’enseignement supérieur permettent-elles de développer les compétences des étudiants et des enseignants ? » Les articles proposés dans ce numéro spécial apportent des réponses contextualisées à cette question.

L’internationalisation de l’enseignement supérieur a connu une accélération au cours des dernières décennies (Teichler, 2017). Avec près de 5,3 millions d’étudiants internationaux début 2020 (Campus France, 2020) et une croissance de 28 % en cinq ans (Campus France, 2019), de nombreux établissements d’enseignement supérieur ont mis la mobilité́ des étudiants au cœur de leur projet de formation sous la forme de semestres d’étude ou de stages à l’étranger. Ces périodes de mobilité renforceraient l’employabilité́ des diplômés en leur permettant de développer des compétences, dont des compétences interculturelles (Brandenburg et al., 2014 ; Potts, 2015 ; Souto-Otero et al., 2019 ; Tarrant et al., 2014 ; Teichler, 2017).

Avec le développement des travaux sur l’internationalisation à la maison (Beelen et Jones, 2015), il a été montré que les expériences de mobilité à l’étranger ne sont pas les seules occasions pour les étudiants d’acquérir des compétences interculturelles. Certaines pratiques pédagogiques favorisent les rencontres internationales et le développement d’une sensibilité interculturelle tout en limitant la mobilité géographique. Le contexte sanitaire actuel, qui a conduit à la paralysie de la mobilité internationale à partir de 2020, donne à ces pratiques une visibilité nouvelle et renforce la nécessité de réfléchir rapidement à des alternatives durables. De telles expériences peuvent être proposée par exemple via la télécollaboration entre étudiants de pays différents grâce aux technologies de communication (articles d’Elsa Chachkine ou de Lamprini Chartofylaka et al.). Ces pratiques peuvent aussi prendre la forme de jeux de rôle (article d’Eva Lemaire), de travail réflexif sur les micro-agressions raciales (article de Véronique Lemoine-Bresson), de travail préparatoire à la mobilité géographique (article de Mélanie Le Forestier) ou à l’occasion d’un jumelage entre des étudiants locaux et des étudiants internationaux déjà présents sur le territoire national (article de Lucie Le Callonnec).

Ainsi, nous proposons d’explorer, dans ce numéro, différentes pratiques pédagogiques favorisant les expériences d’interculturalité. Toutes ces expériences placent l’étudiant en situation d’inconfort culturel pour susciter une prise de conscience de sa part et le faire entrer dans une démarche de questionnement (décentration, déconstruction, réflexivité, etc.). Elles accompagnent le développement d’une sensibilité interculturelle (Bennett, 1986 ; Teyssier et al., 2019), comme une première étape au développement d’une compétence interculturelle.

La compétence interculturelle, au cœur de ce numéro spécial, fait l’objet de nombreuses définitions, du fait de la complexité des situations de rencontre et de collaboration entre des individus aux identités plurielles. Elle s’inscrit néanmoins dans la capacité à naviguer et à interagir de manière adaptée dans un contexte de rencontre interculturelle spécifique (Tarrant et al., 2014 ; Weisser, 2015). Plutôt que de chercher à formaliser les niveaux de développement de cette compétence, les articles font état du développement d’une sensibilité à la complexité des rencontres dans des situations interculturelles. Ces approches, fondées sur le questionnement et la réflexivité, permettent d’envisager leur transférabilité dans d’autres contextes.

Les pratiques pédagogiques innovantes proposées dans ce numéro correspondent toutes à des mises en situation d’interaction, invitant l’étudiant à s’interroger sur lui-même, sur sa propre construction identitaire, afin de pouvoir mieux se décentrer et se rendre disponible à une véritable rencontre interculturelle. Les enjeux et les écueils de cette rencontre interculturelle sont illustrés au cours des articles, comme les risques de rencontres superficielles si celles-ci se cantonnent à une démarche de séduction culturelle, de dérives essentialistes ou culturalistes, ou de maladresse interculturelle qui peuvent être perçues, à juste titre, comme une agression ou une assignation à une appartenance culturelle non choisie.

Nous présentons ci-dessous comment chacun des articles répond à la problématique du numéro en apportant des exemples de pratiques pédagogiques innovantes ou des réflexions épistémiques sur la notion de compétence interculturelle.

Elsa Chachkine, du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) en France, interroge le développement de savoir-faire et de compétences en communication interculturelle dans le cadre d’une télécollaboration entre des étudiants en Russie et en France. Les étudiants participent à un tandem afin de pratiquer la langue de l’autre et à des productions culturelles partagées sur une page Facebook. L’étude de ces dispositifs met en évidence un partage de connaissances culturelles qui peut servir de socle à une meilleure compréhension des cadres de vie de chacun, mais aussi à des savoir-faire communicationnels (expliciter, créer une connivence, etc.). Son article conduit à se questionner sur les limites de la séduction culturelle.

Eva Lemaire, de l’Université d’Alberta au Canada, propose d’utiliser des jeux de rôle afin de sensibiliser de futurs enseignants aux enjeux de la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada. Puisque le jeu de rôle mobilise la raison, les émotions, le corps et la spiritualité dans une expérience holistique, il est à même de créer des conditions favorables aux échanges, et in fine à la réflexivité, dans un cadre accompagné. L’étude rend compte des effets perçus par les étudiants sur leur capacité de décentration et de réflexion vis-à-vis de l’histoire des peuples autochtones, augmentant leur capacité à mobiliser des savoirs pluri-situés dans leurs futurs enseignements.

Lamprini Chartofylaka, Elisabeth Odacre et Antoine Delcroix de l’Université des Antilles en Guadeloupe, présentent les effets d’un dispositif de télécollaboration entre des étudiants de Guadeloupe et du Québec visant à co-produire une vidéo sur un thème relatif à l’histoire et à la société, mais avec des points de focus différents. Ils montrent que les effets de contexte peuvent générer des questionnements utiles au développement des compétences étudiantes en leur permettant de s’interroger sur les concepts qu’ils utilisent pour les remanier dans le cadre de la collaboration.

Véronique Lemoine-Bresson, de l’Université de Lorraine en France, examine comment de futurs enseignants développent des compétences interculturelles dans des productions écrites individuelles et collectives portant sur des racial microaggressions. Avec cet artefact pédagogique, l’auteur confronte les étudiants à une zone d’inconfort afin de favoriser le développement de leur sensibilité interculturelle.

Lucie Le Callonnec, de l’Université d’Ottawa au Canada et de Montpellier 3 en France, examine la manière dont un programme de jumelage international facilite l’intégration des étudiants étrangers à la communauté étudiante locale. Ce faisant, l’auteure rappelle que la rencontre entre étudiants étrangers et étudiants locaux ne va pas de soi. Prenant appui sur le jumelage, elle analyse comment une pratique pédagogique de l’apprentissage par les pairs peut stimuler le développement de compétences interculturelles chez les deux types d’étudiants.

Pour terminer, Mélanie Le Forestier, de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Toulouse en France, propose une conceptualisation d’un modèle de démarche interculturelle adaptée aux enjeux professionnels des ingénieurs. Ce modèle sert d’inspiration à un module de préparation à la mobilité internationale pour les étudiants ingénieurs.

Si les auteurs apportent des pistes de réflexion intéressantes à la problématique posée dans ce numéro, de nouvelles questions voient le jour à la lecture des articles. Parmi celles-ci : Comment évaluer le développement de cette sensibilité interculturelle, et plus exigeant encore, comment juger de l’atteinte d’un certain niveau de développement de la compétence interculturelle ? Comment accompagner les enseignants dans leur rôle de médiateurs interculturels ? Comment optimiser les usages des espaces de télécollaboration afin de développer les compétences interculturelles des étudiants ? Autant de pistes pour des travaux à venir.

Bibliographie

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Beelen, J. et Jones, E. (2015). Redefining Internationalization at Home. Dans A. Curaj, L. Matei, R. Pricopie, J. Salmi et P. Scott (éd.), The European Higher Education Area : Between Critical Reflections and Future Policies (p. 59‑72). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-319-20877-0_5
DOI : 10.1007/978-3-319-20877-0_5

Bennett, M. J. (1986). A developmental approach to training for intercultural sensitivity. International journal of intercultural relations, 10(2), 179‑196.
DOI : 10.1016/0147-1767(86)90005-2

Brandenburg, U., Berghoff, S. et Taboadela, O. (2014). The Erasmus impact study : Effects of mobility on the skills and employability of students and the internationalisation of higher education institutions. Commission Européenne. https://ec.europa.eu/programmes/erasmus-plus/resources/documents/erasmus-impact-study_en

Campus France. (2019). Chiffres clés 2019. https://ressources.campusfrance.org/publications/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_2019_fr.pdf

Campus France. (2020). Chiffres clés 2020. https://www.campusfrance.org/fr/ressource/chiffres-cles-2020

Potts, D. (2015). Understanding the early career benefits of learning abroad programs. Journal of Studies in International Education, 19(5), 441‑459.
DOI : 10.1177/1028315315579241

Souto-Otero, M., Gehlke, A. et Basna, K. (2019). Erasmus+ higher education impact study : Final report [Website]. Commission Européenne. http://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/94d97f5c-7ae2-11e9-9f05-01aa75ed71a1

Tarrant, M. A., Rubin, D. L. et Stoner, L. (2014). The added value of study abroad : Fostering a global citizenry. Journal of Studies in International Education, 18(2), 141‑161.

Teichler, U. (2017). Internationalisation trends in Higher Education and the changing role of international student mobility. Journal of International Mobility, 5(1), 177‑216. https://doi.org/10.3917/jim.005.0179
DOI : 10.3917/jim.005.0179

Teyssier, J., El Sayed, V. et Denoux, P. (2019). Comment évaluer la sensibilité interculturelle ? Métanalyse de deux études. L’Autre, 20(2), 211‑214.

Licence : CC by-nc-sa

Notes

[1Organisé en partenariat avec l’Université Normale de Shanghai (SHNU, China) et Utah Valley University (UVU, Etats-Unis), le colloque a bénéficié d’un financement IDEX-ISITE initiative 16-IDEX-0001 (CAP 20-25).

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