Un article repris du blog "Numérique pédagogique" de Mathieu Cisel
Dans les années 1970 outre-Atlantique, la recherche sur la question des formes d’attrition à l’université évolue rapidement. On cherche à développer des modèles de causalité et à dépasser l’approche descriptive. Je vous propose aujourd’hui de revenir sur ces travaux, en concluant notamment sur leur application au contexte de la formation à distance.
Comme le souligne Tinto (2006), lorsque la question de la rétention dans l’enseignement supérieur commence à prendre de l’importance dans la littérature scientifique au cours des années 1960, c’est au travers de la psychologie qu’elle est traitée en prime abord. L’attrition était analysée au prisme des attributs individuels, des compétences et de la motivation. Les étudiants qui ne persistaient pas au sein de la formation étaient considérés comme moins capables, moins motivés, et moins enclins à reconnaître les bénéfices que l’on pouvait retirer d’une formation universitaire. En d’autres termes, « les étudiants échouaient, et non les institutions ».
Par ailleurs, Rootman (1972) se plaint du caractère athéorique et « étroitement empiriste » des recherches réalisées depuis les années 1950 sur l’attrition dans les universités américaines, citant comme exemples les travaux de Bragg (1956), ou les recherches doctorales de Corley (1954) ou d’Edwards (1954). Pour se démarque de cette tendance, il tente d’importer des modèles de la sociologie, en particulier les travaux sur le suicide de Durkheim, pour analyser le retrait volontaire au sein d’une académie militaire, une démarche qui sera suivie par Spady (1970).
Tinto (1975, 1982, 1987), dans la lignée des travaux de Spady (1970) et Rootman (1972), développe, pour appréhender les mécanismes du retrait volontaire, un modèle de rétention dont la validité sera confortée par de nombreux travaux postérieurs (Tenrenzini & Pascarella, 1980 ; Munro, 1981). Son modèle postule que la rétention, comprise ici comme l’inverse de l’attrition, dépend avant tout des deux paramètres que sont l’engagement vis-à-vis des objectifs (Goal Commitment), et l’engagement vis-à-vis de l’institution (Institutional Commitment).
L’engagement vis-à-vis de l’institution, ou Institution commitment, correspond à la velléité d’obtenir le diplôme d’un établissement en particulier, tandis que l’engagement vis-à-vis des objectifs correspond à la motivation pour l’obtention d’un diplôme en général. Ces paramètres dépendent eux-mêmes d’un certain nombre de variables explicatives : le background des étudiants, l’intégration académique (Academic Integration) et l’intégration sociale de l’étudiant (Social Integration).
Le background correspond aux motivations pour s’inscrire, au contexte socioprofessionnel, aux expériences antérieures, etc. L’intégration académique, ou intellectuelle, inclut les performances, comme les notes obtenues, et prend en compte l’impact du partage de valeurs et de perspectives communes avec les enseignants et les élèves. L’intégration sociale correspond quant à elle aux liens résultant de l’interaction quotidienne des étudiants avec leurs pairs ou avec les équipes pédagogiques. Tinto adopte une approche interactionniste dans la mesure où il accorde une importance considérable à l’intégration sociale. Un certain nombre d’études viendront par la suite minimiser l’influence de ce dernier paramètre sur la persistance au sein de la formation (Munro, 1981), tandis que d’autres continueront, plusieurs décennies plus tard, à en souligner l’importance, en particulier dans le contexte de la formation à distance (Fulford & Zhang, 1993 ; Thomas, 2000 ; Rovai, 2002).
Les forts taux d’attrition constatés au sein des formations à distance vont conduire un certain nombre d’auteurs à appliquer et adapter les modèles développés par Tinto à ce contexte particulier (Bean & Metzner, 1985 ; Sweet, 1986 ; Garrison, 1987 ; Billings, 1988 ; Kember, 1989 ; Ashar & Skeenes, 1993). Les adaptations requises sont de plusieurs ordres ; tout d’abord, on ne raisonne plus à l’échelle d’une année universitaire, mais à celle d’un cours isolé, n’impliquant souvent aucun contact direct avec l’enseignant. L’influence des caractéristiques du cours devient mécaniquement plus importante que dans le cadre d’un cycle d’études de quatre ans. Se pose ensuite la question des caractéristiques du public, souvent constitué d’adultes engagés dans la vie professionnelle. Parallèlement à cette réflexion sur l’abandon en formation à distance se développe une recherche sur l’abandon au sein de la formation d’adultes (Boshier, 1973 ; Bean & Metzner, 1985 ; Garrison, 1985). Ces auteurs estiment que le modèle de Tinto n’est pas adapté aux étudiants « non-traditionnels » que constituent notamment les apprenants adultes ; ils proposent de nouveaux modèles, qui accordent moins de poids aux interactions et davantage aux événements extérieurs, responsabilités familiales, charge de travail, etc.
Cette réflexion initiée dans le contexte de l’abandon en formation d’adultes sera intégrée pour renouveler les modèles de persistance, afin de mieux prendre en compte tant les spécificités du public que celles du dispositif (Kemp, 2002). Encore maintenant, nombre d’opérateurs de la formation à distance participent à un degré ou à un autre à ce type de recherches, dont notamment l’Open University (Tresman, 2002 ; Ashby et al., 2004) ou le Téluq québécois (Bertrand et al., 2008), avec pour objectif affiché de réduire l’attrition observée. Les recherches sur la question se sont multipliées au cours des dernières années, et je vous renvoie à Lee & Choi (2011) pour une revue de la littérature sur les développements récents des travaux sur l’attrition en formation à distance.
Pour le prochain billet, nous parlerons des motifs de décrochage à travers un travail de recherche qui a maintenant plus de trente ans, et qui s’est révélé assez utile pour comprendre l’attrition dans les MOOC.
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