Dans un récent article paru sur The Conversation et consacré au classement PISA, Marie Duru-Bellat a exprimé un certain nombre de critiques et de mises en garde contre des interprétations et généralisations hâtives dont chercheurs et commentateurs devraient se garder. Je partage ces critiques et je n’ai rien à ajouter à cet égard.
Mon propos est ici d’offrir un regard complémentaire pour valoriser ce que sont l’intérêt et le potentiel de ces données dans l’aide à la décision et à l’action publique, en livrant ici une sorte de plaidoyer pour cette enquête internationale.
Un avant et un après PISA
Pourquoi prête-t-on aujourd’hui une attention particulière aux résultats de PISA ?
En premier lieu parce que PISA a changé notre façon de comparer les différents systèmes éducatifs nationaux. Avant PISA, l’accent était surtout mis sur les dimensions quantitatives de la participation scolaire : nombre d’étudiants diplômés du secondaire, nombre d’inscrits à l’université, etc.
Désormais, l’accent est mis davantage sur les compétences acquises durant le parcours éducatif. Certes, avant la mise en place de PISA il existait des études internationales sur les apprentissages, comme PIRLS et TIMSS, mais elles étaient largement ignorées des décideurs politiques, et restaient pour la plupart confinées au monde académique.
Lorsque les données de PISA ont été publiées la première fois en 2000, les responsables politiques de certains pays, comme la France ou l’Italie, ont essayé d’ignorer les résultats plutôt décevants de PISA, avant de se faire manifestement déborder par l’impact médiatique et scientifique de l’enquête : la question des acquis des élèves entre alors de force dans le débat public.
Des résultats transparents et réguliers
Avec la publication de PISA, les vues stéréotypées et auto-référentielles portées par les décideurs nationaux, vantant les vertus supposées de leurs systèmes éducatifs respectifs, sont devenues caduques. François Dubet le souligne, à propos de la rhétorique sur le système éducatif français :
« Depuis la publicité des enquêtes PISA, il est devenu difficile d’affirmer que nous avons la meilleure école du monde ».
En effet, l’un de résultats les plus remarquables de l’étude PISA pour la France, confirmé dans la dernière livraison de 2016, est que les inégalités sociales de réussite des élèves augmentent depuis au moins une décennie, la France figurant parmi les pays occidentaux les plus inégaux s’agissant de l’influence du milieu social sur les compétences acquises.
Une deuxième grande vertu des données fournies par PISA est leur fréquence régulière, permettant un suivi des problèmes émergents ou des progrès enregistrés par les différents systèmes scolaires, de manière comparative. Le fait, par exemple, que les inégalités aient augmenté en France alors qu’elles sont stables ou même en baisse dans de nombreux autres pays occidentaux, modifie nettement la façon dont nous devons appréhender ce phénomène.
Une exceptionnelle source d’informations
Bien que les médias généralistes se concentrent presque exclusivement sur les classements internationaux du niveau moyen des élèves, ces classements n’occupent que peu de pages dans le volumineux rapport final. Bien plus de données portent sur les facteurs déterminants des apprentissages des élèves.
Grâce au degré élevé de comparabilité des données PISA, cette enquête est pour le sociologue une exceptionnelle source d’information sur les inégalités sociales dans l’éducation. Quels sont les pays affichant les inégalités les plus fortes entre élèves autochtones et ceux d’origine immigrée ? Quels pays ont-ils le plus progressé dans l’égalité entre garçon et filles pour l’acquisition des compétences mathématiques ? Ce sont quelques-unes des nombreuses questions souvent ignorées par les journalistes mais qui peuvent utilement être exploitées par les chercheurs comme les décideurs politiques grâce aux rapports PISA.
Pas un mode d’emploi
Comme l’a noté Marie Duru-Bellat, nous devons être particulièrement prudents lorsqu’il s’agit de tirer de ces données descriptives des inférences causales quant aux caractéristiques spécifiques des systèmes éducatifs qui favoriseraient ou inhiberaient les performances des élèves et les inégalités sociales qui y sont liées.
Le potentiel de PISA consiste plutôt à fournir un instrument de suivi robuste et descriptif de la réussite des élèves dans les pays de l’OCDE plutôt que de suggérer des prescriptions politiques prêtes à l’emploi. Il convient de noter, de notre point de vue, que l’OCDE tend plutôt à largement surestimer le potentiel de PISA à cet égard.
Une approche contextuelle de la réussite scolaire
Mais l’intérêt descriptif de ces données ne s’arrête pas aux apprentissages des élèves.
L’étude interroge par questionnaire les étudiants, les personnels enseignants des écoles, mais aussi les parents d’élèves. Ceci permet d’analyser de manière comparative entre pays, et sur la durée, les déterminants contextuels de la réussite scolaire ; la relation entre les ressources des écoles et les résultats de leurs élèves, de mesurer l’influence des ressources culturelles et sociales des familles, ainsi que de nombreux autres phénomènes.
On pourrait ici citer l’absentéisme par exemple : dans quels pays est-il le plus faible, et à l’inverse quelles causes peuvent être invoquées dans les pays moins performants ? Les relations entre élèves et enseignants s’améliorent-elles d’une enquête sur l’autre ou au contraire peut-on voir une détérioration du climat dans les classes ? Dans quels pays l’implication des parents dans la vie scolaire est-elle la plus importante ? PISA nous en apprend beaucoup sur le fonctionnement concret des systèmes éducatifs nationaux.
Des résultats accessibles par tous
La plupart des données et des rapports sont disponibles gratuitement en ligne, ils sont facilement compréhensibles, même pour des non experts, et proposent de bons résumés si l’on veut n’en faire qu’une lecture rapide.
Notre suggestion serait donc de pousser la curiosité jusqu’à consulter le site dédié de l’OCDE au détriment des commentaires ou articles sensationnels trop focalisant. En dehors du risque de contresens ou de mauvais usages, PISA contribue grandement à l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes dans le domaine de l’éducation.
En dessinant les tendances dans le temps et dans l’espace, ces données sur les acquis et les connaissances des élèves, les pratiques pédagogiques, les stratégies d’apprentissage, les inégalités scolaires ou les relations enseignants-enseignés, permettent d’établir un diagnostic des forces et faiblesses de chaque système éducatif et par là-même de formuler un ensemble de priorités politiques basées sur des données de grande qualité.
Traduit de l’anglais par Bernard Corminbœuf (OSC).
Carlo Barone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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