Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

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ENGAGEMENT DES INTERACTIONS ET CONCEPT DE TRANSACTION

Tir-O-War between woman and man. Image Istock - libre de droit

Jean-Marie Barbier

Formation et apprentissages professionnels UR Cnam 7529
Chaire Unesco ICP Formation professionnelle,
Construction personnelle, Transformations Sociales

Interactivités, interactions, transaction.

La plupart des activités humaines sont des interactivités. Elles résultent de la vie en commun de plusieurs sujets dans un même espace-temps et surviennent lors du contact entre ces sujets. Les interactivités peuvent être définies comme des transformations mutuelles entrainées par l’activité de sujets auprès d’autres sujets du seul fait de leur co-présence dans un même espace-temps d’activité, sans organisation ordonnée autour d’intentions d’influence https://www.innovation-pedagogique.fr/article9338.html .C’est le cas par exemple des us, des habitudes, des coutumes, des rites, des gestes familiers au sein d’un même groupe.

Les interactivités deviennent des interactions, lorsque au contraire les activités des sujets concernés s’accompagnent d’intentions d’influence sur autrui (ibidem : https://www.innovation-pedagogique.fr/article9338.html). C’est le cas par exemple des interactions verbales, des interactions sociales, des conversations de gestes https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2015-3-page-463.htm etc… Les interactions peuvent être définies comme des actions ordonnées autour d’intentions d’influence entre sujets. Ce sont des actions réciproques, des actions et réactions, et les transformations produites par/dans ces actions réciproques. Ces interactions fonctionnent comme des communications, analysables en termes d’offres de significations à intention et/ou à effet de transformation des constructions de sens chez les sujets à qui elles sont adressées https://www.innovation-pedagogique.fr/article3435.html . Elles occupent une place centrale dans la vie quotidienne et professionnelle https://www.innovation-pedagogique.fr/article3208.html.

Avec le concept de couplage d’activité, nous avons proposé un outil permettant de comprendre le fonctionnement de ces interactions. Le couplage est un mode d’interaction entre sujets dont la combinaison d’activités réciproques est caractéristique de l’action concerné (activité du formateur/de l’apprenant en éducation, du cadre /du ’collaborateur’ dans le management, etc..) par intégration de l’activité de plusieurs acteurs dans cette même action. Le couplage est une même fonction distribuée entre plusieurs acteurs ; il a pour objet la combinaison de leurs activités autour des actions qui les organisent et les définissent https://www.innovation-pedagogique.fr/article10734.html. La notion de configuration (https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activités p.69), elle, définie comme un arrangement singulier de formes régulières, fournit un outil permettant de rendre compte du mode d’articulation des différentes activités dans ces actions distribuantes. L’interaction est le moment singulier de rencontre entre plusieurs engagements d’activité.

Reste la question des conditions d’émergence de ces interactions, de leur maitrise d’ouvrage, définie comme l’ensemble des phénomènes intervenant dans l’apparition d’une action

(https://www.innovation-pedagogique.fr/article9864.html). Qu’est-ce qui rend possible cette articulation circonstancielle, ce moment situé ? Il est possible d’en rendre compte d’une part par la notion de préoccupations des acteurs, d’autre part par le concept de transaction. E.Offenstein a consacré une thèse récente à la description de la réunion de telles préoccupations dans le cas d’une intervention ergothérapeutique, Configurations d’interactions et incidence des préoccupations dans l’intervention de l’ergothérapeute - thèse d’Emeric OFFENSTEIN dirigée par JM Barbier et Jérôme Guérin. Nous définissons la transaction comme condition d’émergence d’un mode d’interaction entre sujets caractérisé par des adresses réciproques d’activités donnant lieu à estimation de valeur https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activités . Le présent texte a pour objectif et enjeu de préciser cette condition d’émergence. Il fait suite et complète d’autres textes, consacrés plus largement à cette question des rapports entre sujets : https://www.cairn.info/sujets-activites-environnements—9782130543374-page-175.htm et https://theconversation.com/transformer-les-rapports-sociaux-difficile-101914 .

Le concept de transaction

Bien sûr, le concept de transaction est un concept qui existe en économie et en droit.

En économie c’est un contrat entre un acheteur et un vendeur, et en droit un contrat où chacun renonce à une partie de ses prétentions. Mais ce sont là des concepts descriptifs qui caractérisent des activités. Ces concepts n’ont ni un rôle d’analyse ni un rôle d’interprétation : ils ont un rôle d’identification d’activités https://www.innovation-pedagogique.fr/article11010.html .

Une des premières approches de la transaction comme concept d’analyse https://www.innovation-pedagogique.fr/article11488.html est certainement présente dans l’ « Essai sur le Don » de M.Mauss https://journals.openedition.org/lectures/520, qui a eu et a toujours une influence considérable en sociologie et en anthropologie. Mauss ne s’intéresse pas dans un premier temps à toutes les formes d’échange, mais à celles qui se caractérisent par leur gratuité apparente (don /contre don). A travers l’étude du potlach et de la kula il fait apparaitre ainsi que la ‘lutte généreuse’ entre donneurs a pour fonction d’établir une hiérarchie. Différents dans leurs modalités, les rites d’échanges contribuent à instaurer des relations statutaires présentant une relative stabilité. Un lien est donc fait entre échanges, positions des sujets qui échangent, et reconnaissances statutaires dont ils bénéficient par et dans l’échange. Mauss met donc en lien phénomènes affectant les activités et phénomènes affectant les sujets-en-activité.

Une autre approche indirecte de la transaction comme concept d’analyse, chez E .Goffman dans les années 1970, consiste à voir les partenaires de l’échange comme ensemble/séparés (with-then-appart) et à faire de l’arrangement une intériorisation/transformation d’un ordre social, à la fois structurel et précaire, dont les intéressés ne sont pas forcément conscients https://livre.fnac.com/a1229277/Erving-Goffman-L-arrangement-des-sexes . Goffman étudie « l’ordre des interactions, les formules et les formes qui font que les gens ont des relations qui s’imbriquent et s’engagent dans un comportement de face à face coordonné » (https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-sens-de-lordinaire/ P. Fritsch p.199). Il fait valoir l’intérêt de la notion d’arrangement pour analyser les phénomènes relevant de la vie quotidienne et leur approche par un travail de recherche de terrain, perspective reprise dans les micro-sociologies de l’expérience (J.Thievenaz https://www.educationpermanente.fr/public/articles/articles.php?id_revue=1760&start=20). On notera que le titre anglais « The arrangement between the Sexes » peut d’ailleurs apparaitre plus actif au niveau des sujets concernés que « L’arrangement des sexes » en français.

A la fin des années 70 un groupe de sociologues de Louvain (Rémy, Voyé, Servais https://books.google.fr/books/about/Produire_ou_reproduire.html?id=poumoAEACAAJ&redir_esc=y , dont les travaux ont été promus notamment par M. Blanc et M.F Freinet https://www.decitre.fr/livres/les-transactions-aux-frontieres-du-social-9782850083228.html Formation, travail social et développement local et https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2009-1-page-25.htm , a également fait de la transaction sociale le concept central de la sociologie de la vie quotidienne. Ils en soulignent le caractère transdisciplinaire et les liens avec la sociologie des conflits, la sociologie de la négociation, la sociologie des accommodations etc.. Les transactions sont des compromis de coexistence que des acteurs inégaux passent avec eux-mêmes, avec les autres, avec les organisations (Freynet), Ce paradigme s’oppose à la sociologie de la reproduction, mais on le retrouve dans le concept de double transaction, biographique et relationnelle, chez C.Dubar https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1992_num_33_4_5622# .

’Faire avec’ : un marqueur de l’expérience de transaction

Dans la vie quotidienne, l’expression ‘faire avec’ n’est pas tant consacrée à décrire un mode de coopération souhaitable que l’expression par les sujets-en-activité de la prise en compte par eux-mêmes de la situation dans laquelle ils estiment se trouver. C’est moins un verbatim de recherche qu’un verbatim d’expérience utilisable par la recherche : « j’ai fait avec » ou « j’ai dû faire avec … ».

Ainsi repérables par l’expérience, les situations analysables en termes de transactions couvrent un nombre considérable d’interactions : interactions de couples, interactions parents/enfants, interactions intergénérationnelles, interactions professionnelles, interactions de travail, interactions de production et le vaste champ des interactions avec soi. L’éventail des situations est très large et a suscité une littérature académique et sociale importante : rapport maitre/esclave (Hegel), colonisateur/colonisé (Memmi https://www.amazon.fr/Portrait-colonisé-précédé-colonisateur/dp/2070419207 ), rapports patron/salarié, rapports de genre etc…

Etablir des unités d’interaction

Observer des unités d’interactions n’est pas un travail facile.

  1. Les méthodologies d’analyse de l’activité utilisées peuvent imposer de fait, sans le dire, des objets correspondant à l’entrée disciplinaire de l’analyse (ergonomie, linguistique, psychologie etc..), et qui ne sont pas forcément pertinents par rapport aux sens et/ou significations construites ou données par les sujets concernés. Il convient de repérer des ‘unités d’interaction’ (E.Offenstein, ibidem) pertinentes pour le chercheur parce que pertinentes pour l’acteur. Recueillir par exemple des discours, des verbatims, n’implique pas pour forcément que l’on se trouve en présence d’une unité d’interaction à dominante verbale. En présence d’une configuration d’activités, il est important de déterminer dans un premier temps ce qui fait l’unité d’une interaction et lui donne signification, repérable par les préoccupations principales des acteurs. C’est le travail réalisé par E.Offenstein dans sa thèse (ibidem). C’est ce qui détermine l’entrée en activité des acteurs dans l’interaction.
  2. Dans un second temps, il est utile de décrire l’ensemble des activités qui paraissent entrer comme composantes de ces unités d’interaction et qui sont cohérentes avec ces intentions. Ces composantes peuvent avoir le statut de gestes ou de comportements observables, de verbalisations recueillies, d’activités mentales susceptibles d’être explicitées ou inférées, etc., bien que leur approche soit évidemment très différente. L’organisation temporelle de ces activités, leur contenu et leur distribution entre sujets est une donnée importante, qui apparaît comme telle d’ailleurs dans beaucoup de grilles utilisées pour la description et l’analyse d’activités.
  3. Dans un troisième temps, il convient de caractériser les positions et mobilités de position des sujets dans le cours de l’unité d’interaction. Ce point est socialement important : dans tous les enjeux ou conflits interpersonnels ou sociaux le pouvoir réel dont disposent les sujets dans les activités n’est pas forcément le pouvoir officiellement reconnu dans les institutions, mais il est celui reconnu « sur le terrain », comme le savent souvent aussi ces institutions (familles, entreprises, etc.) sans précisément vouloir le reconnaître. Et ces positions sont mobiles au cours de l’interaction. Les jeux ne sont-ils pas une simulation et l’organisation d’une accoutumance à cette mobilité de positions ?

A partir de ces interactions, il convient de passer à l’analyse des transactions.

Les transactions comme rapports de place

Les transactions peuvent ainsi être analysées d’abord comme des rapports de place entre des sujets engagés dans une même interaction.

1.Les rapports de place sont relatifs à l’agencement des activités respectives des différents acteurs dans l’interaction, et sont inférables à partir de l’organisation-en-acte de leurs activités. Ce sont des rapports-en-acte avec les composantes de l’environnement du sujet-en-activité, ce qu’il en fait. Ces rapports n’existent et ne se fondent et que dans l’organisation de l’activité entendue comme une totalité. Ces composantes sont mutuellement interdépendantes et ne peuvent se décrire que dans une relation d’implication. Ces rapports entre sujets ont donc un statut pré-sémantique et pré-linguistique, pouvant exister indépendamment de la conscience (https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activités ,166-167).

Ils se caractérisent par un marquage de l’environnement (affordance chez Gibson https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2009-2-page-297.htm ). Ils se caractérisent encore par un processus de transformation des sujets concernés (voir la distinction instrumentation/instrumentalisation chez P.Rabardel https://livre.fnac.com/a231255/Pierre-Rabardel-Les-hommes-et-les-technologies).

2. Au sein d’une même organisation d’activités, il n’existe qu’un seul type de rapports de place.

Il n’est pas possible de cumuler plusieurs types de rapports de places entre sujets au sein d’une même organisation d’activités. Dans notre itinéraire de recherche personnel, notre attention a été initialement attirée sur ce point à l’occasion d’une étude sur les pratiques d’évaluation en formation https://www.decitre.fr/livres/l-evaluation-en-formation-9782130520870.html . Nous nous trouvions en effet en présence d’une distinction très répandue : l’évaluation formative, censée donner une place prioritaire aux sujets apprenants ; et l’évaluation sommative, censée au contraire donner une place prioritaire aux sujets intervenant dans l’apprentissage. Et il ne manquait pas de bons auteurs pour préconiser le cumul dans un même acte d’évaluation de ses « aspects formatifs » et de ses « aspects sommatifs ». Ces conceptualisations nous sont apparues davantage comme des conceptualisations mobilisatrices (concepts mobilisateurs https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activités p.68) que comme des conceptualisations d’intelligibilité. Cette distinction ne nous a pas paru résister aux faits d’évaluation ; et nous avons été conduits à proposer une distinction entre : a) évaluations des agents, dans lesquels sont constitués comme objets d’évaluation des états, et dans lesquelles les rapports entre sujets sont des rapports unilatéraux ; il y a les sujets évalués et les sujets qui évaluent, et b) évaluations des actions, dans lesquelles sont constitués comme objets d’évaluation des processus, et dans lesquelles les rapports entre sujets se caractérisent au contraire par leur réciprocité : potentiellement tous les participants à une action peuvent être à la fois sujets d’évaluation (évaluateurs) et objets d’évaluation (pas eux-mêmes mais à travers les combinaisons d’activités auxquelles ils ont participé). Évaluation des agents et évaluation des actions ne sont pas cumulables dans une même organisation d’action ; même si à l’évidence des évaluations d’action ont des effets d’évaluation d’agents (par exemple image de soi positive à l’issue d’une action considérée comme réussie par le sujet lui-même).

Il nous est apparu rapidement aussi que plusieurs types de rapports pédagogiques, de rapports de formation ou de rapports de travail n’étaient pas davantage cumulables ; et cela est encore plus vrai des rapports sociaux, ce qui explique en bonne partie le caractère discontinu de leur transformation. D’une manière générale le non-cumul de plusieurs types de rapports de place dans une même action constitue probablement une des règles-en-acte des rapports entre sujets  : on ne peut pas être dans la même organisation d’activités hiérarchique et collègue, parent et enfant, prenant en charge et pris en charge, même si bien évidemment ces places sont interchangeables à l’occasion d’autres organisations d’activités. Ce point mérite d’être relevé car très précisément dans les intentions affichées dans les relations entre sujets, le cumul de plusieurs types de rapports entre sujets peut être recherché. Le domaine des relations entre sujets, qu’il s’agisse de la sphère personnelle, de la sphère microsociale, ou macrosociale, révèle souvent des stratégies conscientes ou inconscientes d’occultation des rapports de place effectivement en œuvre. Il y a de ce point de vue une certaine « vérité » des organisations d’activité-en-acte.

3.L’analyse des types de rapports de place peut être facilitée par une description précise des configurations d’activité, par un diagnostic de ce qui fait la spécificité de leurs organisations, et par un repérage des séquences d’activités qui jouant un rôle de moyen dans ces organisations

En présence d’une configuration d’activités, il paraît important de déterminer dans un premier temps dans quelle situation on se trouve (signification donnée par les sujets à la situation – par exemple situation de travail, situation de loisir, situation de formation, etc.) et les unités d’interaction, dotées de significations, qui y sont repérables. Dans un second temps, il est utile de décrire l’ensemble des activités qui paraissent entrer en tant que composantes dans ces unités d’interaction comme vu précédemment.

Un point est essentiel : la spécification globale de l’organisation d’activités concernée. Dans nos recherches sur les opérations de conduite des actions (analyse de besoins, élaboration de projet d’action, évaluation) nous avons ainsi été amenés à préciser ce qui fait la spécificité de leur résultat ; mais ce travail de spécification peut être fait à propos de n’importe quelle organisation d’activité : la formation est probablement une combinaison d’activités d’apprenants et de formateurs en vue de la survenance chez l’apprenant de nouvelles capacités susceptibles de transfert ; le travail comme une combinaison d’activités en vue de la production de biens et services socialement utiles ; l’économique comme une combinaison d’activités en vue de la production des moyens d’existence, etc.

Un tel travail de spécification permet ensuite d’introduire des outils d’analyse de la logique d’ensemble du processus de transformation en cours, et d’être plus précis dans la désignation de la place de chacun des sujets. À titre d’exemple nous avons pris ainsi l’habitude de distinguer au sein de ces processus de transformation ce qui en fait le matériau, le moyen, le résultat, et les rapports de travail qui s’y établissent. Un lien très fort peut être établi entre position dominante dans une organisation d’activité et détention des moyens spécifiques de ce processus. D’une manière générale, la détention des moyens, ou la capacité d’engager des séquences d’activités ayant un statut de moyen dans le processus donne du pouvoir au sein des organisations d’activités.

4.Repérer les organisations d’activités et les types de rapports de place relève probablement du même mouvement.
À l’inverse d’une approche techniciste, mais en tenant compte aussi du fait que les rapports entre sujets n’ont de sens qu’au sein des activités, nous considérons que ces types de places sont souvent de bons moyens pour caractériser la logique d’ensemble d’opérations qui autrement pourraient paraître fragmentées : nous avons nous-mêmes éprouvé l’intérêt de la notion de mode, régularité ou invariant constatable dans les organisations en acte d’activité (https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activités p.142), pour caractériser ces logiques d’ensemble.

Dans les rapports de place, les estimations de valeurs s’expriment dans l’ordre des préférences d’activités (Préférences d’engagement, représentations finalisantes et valeurs signifiées : la question des valeurs )

Les transactions comme rapports de sens

Les rapports de sens sont les représentations respectives que se font les sujets impliqués dans une même organisation-en-acte d’activités. Les organisations-en-acte d’activités sont alors accompagnées chez les sujets concernés par des constructions de sens relatives aux rapports qu’ils entretiennent avec les autres sujets en activité. On entre alors dans le champ de la sémiotisation des actions et de l’intersubjectivité.
Les sujets tendent à mettre en relation la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes comme sujets agissant avec les autres représentations identitaires issues de leur itinéraire (soi actuel et soi idéal) et avec les représentations qu’ils se font des autres sujets-en-action.
Cette mise en relation peut conduire à des configurations d’affects extrêmement variables contribuant à définir leurs dynamiques identitaires. Selon les cas on constate des phénomènes d’acceptation, de refus, ou tout simplement d’accoutumance. C’est ainsi probablement que l’on peut mieux expliquer en quoi l’échec scolaire peut préparer à l’acceptation de positions professionnelles ou de positions sociales basses (M.Lumbroso). Ces phénomènes de constructions de sens sont d’autant plus importants que l’on se trouve en présence de situations durables.
Un des meilleurs exemples qui peut être donné de ces phénomènes dans la littérature l’ouvrage d’A.Memmi : « Portrait du colonisateur et portrait du colonisé » (édition de 2002, op.cit). Memmi y décrit avec minutie un certain nombre de phénomènes subjectifs accompagnant la position du colonisateur et la position du colonisé, et notamment la représentation évaluative de soi et la représentation évaluative d’autrui. Pour lui, le vrai colonisateur est en fait ‘le colonisateur’ qui s’accepte’ (p. 67) en tant que tel : ‘le colonialiste est la vocation naturelle du colonisateur’ (ibidem) et il conclut en disant que ce rapport social ne peut être transformé. Il n’est pas indifférent de constater que l’auteur d’un telle analyse ‘subjective’ a vécu lui-même, en tant que juif tunisien, ce rapport social et que son livre a été largement utilisé dans les universités africaines. La célèbre figue du maitre et de l’esclave, développée par Hegel, ne décrit pas autre chose.
Dans beaucoup de situations, ces phénomènes intrasubjectifs sont plus contradictoires et alimentent une bonne partie de la vie psychique des sujets et, en tout cas, nombre de conversations et de confidences.
La présence de ces phénomènes intrasubjectifs ne garantit en rien le caractère satisfaisant ou pour les sujets de leur vécu des rapports qu’à la fois ils subissent et contribuent à reproduire. Le vécu satisfaisant ou non, de ces rapports, fait au contraire précisément partie de ces phénomènes intersubjectifs.

Dans les rapports de sens, les estimations de valeur s’expriment dans l’ordre des représentations hiérarchisées de finalités (ibidem).

Les transactions comme rapports en négociation entre sujets
Les rapports en négociation entre sujets engagés dans une même organisation d’activités sont à la fois objet et résultat de leurs communications entre eux sur leurs relations.

Les conflits sont ainsi une forme de communication entre ces sujets engagés dans une même situation. La définition proposée par Freud du conflit l’indique déjà : « Un affrontement ou heurt intentionnel entre deux êtres ou deux groupes de même espèce qui manifestent les uns à l’égard des autres une intention hostile, en général à propos d’un droit et qui , pour maintenir, affirmer ou établir le droit, essaient de briser la résistance de l’autre » in : Thuderoz https://halldulivre.com/livre/9782130506409-negociations-essai-de-sociologie-du-lien-social-christian-thuderoz/ p.51,65 . Mais la perspective adoptée par Simmel est encore plus explicite (https://www.editions-circe.fr/livre-Le_Conflit-328-1-1-0-1.html éd.2003 25,26). L’opposition, estime-t-il, nous procure une satisfaction intérieure, une diversion, un soulagement, comme dans d’autres circonstances psychologiques, l’humilité et la patience. Nous opposer nous donne le sentiment de ne pas être écrasés dans cette relation, cela permet à notre force de s’affirmer consciemment, donnant ainsi une vie et une réciprocité à des situations auxquelles nous nous serions soustraits à tout prix sans ce correctif.

La négociation est la gestion d’un conflit par ces mêmes sujets.

Pour Thuderoz (https://halldulivre.com/livre/9782130506409-negociations-essai-de-sociologie-du-lien-social-christian-thuderoz/ p.97) le conflit et sa résolution s’inscrivent (…) sur un même continuum. La négociation épouse ce schéma. Pas de conflit sans négociation pour le résorber ou s’en préserver ultérieurement, mais pas de négociation sans conflit, sans coups de force. L’art de convaincre (la négociation) et l’art de contraindre (le conflit) pour reprendre les catégories de R. Aron (https://calmann-levy.fr/livre/paix-et-guerre-entre-les-nations-9782702134696 1962) sont consubstantiels. Situations de conflit et situations de négociation sont intriquées : le couple conflit/négociation est indissoluble(...).

Dans les rapports en négociation, les estimations de valeur s’expriment dans des jugements de valeur, y compris bien sûr de valeur marchande (ibidem).

Conclusion : La transaction comme heuristique de recherche, d’action et de construction des sujets

Dans une formule lapidaire, Isaïe décrit dans la Bible la relation qui l’unit à Dieu : « Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur. C’est mon Dieu qui est ma force » (Isaïe 49).
La relation qu’il pense entretenir avec Dieu est une relation de transaction de reconnaissance liée à l’engagement durable d’une action de vie a) Dieu m’a reconnu du prix b) je le reconnais comme mon Dieu c) cela me donne de la force.
Tout est dit : ce sont les situations et les pratiques dans lesquelles les êtres établissent une relation fondée sur une attribution réciproque de valeur qui apparaissent ensuite comme un levier considérable pour l’action. Se trouve aussi illustrée la double fonctionnalité des actes, pour l’action et la transformation du monde, et pour la transformation des sujets en action. https://www.researchgate.net/publication/271373722_Questions_pour_repenser_l’activite_evaluative_241-250,
De ce point de vue la notion « d’autrui significatif » utilisée par Laing est particulièrement intéressante pour : ne joue t’elle pas, dans les relations entre sujets, cette fonction de reconnaissance qui dynamise l’action. Et cette voie n’est-elle pas à la fois une voie pour la recherche, pour l’action et pour la construction des sujets ?

Licence : CC by-sa

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