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Ce que fait la formation des adultes

12 juin 2020 par jean-marie.barbier Outils d’analyse 5637 visites 0 commentaire

Prométhée, créateur de l’humanité / Mosaïque de Shahba (droits acquis)

Jean-Marie Barbier
Formation et apprentissages professionnels,
UR Cnam 7529
Chaire Unesco ICP Formation professionnelle, Constructions Personnelles,
Transformations sociales.

Un intérêt social variable ?

1974 : Le nouveau Secrétariat d’Etat à la Formation Professionnelle est placé en France sous la tutelle du Premier Ministre. Le taux de participation des entreprises à la formation (dépenses de formation/masse salariale) passe progressivement de 1,6% à 3,3% au début des années 90. Dans le discours social, la formation des adultes est présentée comme un levier des transformations sociales en cours. Un outil privilégié se dégage : l’analyse du travail pour la formation, gage d’une détermination jugée rationnelle de ses objectifs. On est au temps des‘être capable de’…

Années 90  : La formation des adultes devient dans les organisations une composante d’un processus plus large : la professionnalisation. On est au temps des compétences… et des situations d’action. Les dépenses de formation des entreprises entrent dans une période de stabilité relative autour de 2,7%. En 1997 est organisé à Strasbourg par l’AECSE un colloque sur « La formation des adultes, entre utopie et pragmatisme ». D’espace ‘protégé’ (E.Bourgeois), la formation tend à devenir un outil dans une panoplie d’interventions mêlant également préoccupations de gestion, d’organisation et d’ergonomie , et répondant à la thématique européenne de la « société cognitive »

Années 2010, nouvelle évolution : La préoccupation centrale apparente dans les organisations devient le sujet en activité lui-même, l’action qu’il opère sur lui-même par lui-même, son engagement. C’est le temps de la valorisation de la créativité et du par soi… La question principale devient : comment ‘faire entreprise de soi’.

Ces évolutions du discours social affectent bien entendu les ingénieries et les conceptions de formation.
Elles sont aisément interprétables : l’évolution du rapport entre intérêts sociaux en présence pousse en effet à une diffusion, à la fois simultanée et successive, de trois modèles de relations entre construction et mobilisation des sujets sociaux ( http://www.education-permanente.fr/public/articles/articles.php?id_revue=1760 Pour une archéologie des cultures de conception de la formation, Education Permanente n°220).
a) dans les années 60,70, 80, construction des sujets sociaux en vue de leur mobilisation par les organisations
b) à partir des années 90, approche ‘constructiviste’ de la construction des sujets sociaux par leur mobilisation dans les organisations
c) plus récemment mobilisation subjective des sujets sociaux dans les organisations en vue de leur construction

Si ces évolutions peuvent expliquer nombre de formes nouvelles et de discours qui se veulent nouveaux sur la formation, elles ne rendent pas compte pour autant de la contribution spécifique et durable qu’apporte le développement du champ de la formation des adultes au fonctionnement social depuis plus d’un demi-siècle.
Une analyse sur la longue durée des activités et des dispositifs de formation des adultes, par comparaison avec les autres activités éducatives (y compris ‘l’enseignement’ des adultes) peut faire apparaitre, au niveau social et au niveau individuel, deux types de fonctions :
  Pour le champ professionnel de la formation des adultes : des fonctions sociales spécifiques, ‘robustes’, liées entre elles
  Pour les dispositifs de formation des adultes : de possibles espaces d’investissements personnels diversifiés

LE CHAMP PROFESSIONNEL DE LA FORMATION DES ADULTES : DES FONCTIONS SOCIALES SPECIFIQUES ET DURABLES :

1. La formation des adultes permet d’introduire l’expérience des apprenants dans le champ éducatif.

La formation des adultes accueille des publics qui non seulement disposent d’une expérience propre, mais se la reconnaissent et l’intègrent dans la conception et l’engagement de leurs démarches d’apprentissage et, par-delà, de leurs démarches de construction de soi.

Le mot expérience est souvent utilisé de façon floue, mais il est possible d’en donner une définition simple. L’expérience est en fait la conjonction d’une double transformation : transformation de l’activité dans laquelle se trouve engagé un sujet, et transformation du sujet lui-même comme sujet dans cette activité,
L’expérience que vit un sujet peut être perçue, représentée, communiquée par le sujet concerné. Dans tous cas elle constitue une trace d’activité qui peut donner lieu à activation notamment dans tous les moments de conscience de soi et de discours sur soi.
C’est le cas notamment des moments d’engagement ou de poursuite d’engagement en formation. Si en effet la venue en conscience peut être définie comme la conjonction de la représentation d’une activité en cours et la représentation de soi comme sujet de cette activité, l’engagement lui peut être défini comme une reconnaissance par soi et pour soi de l‘activité en cours, et de soi en cours d’activité. L’engagement construit du sens par soi et pour soi . Cette activité- prend sens par rapport à la représentation que je me fais de moi-même et de mon itinéraire (le ‘moi’), mais aussi par rapport à l’affirmation que je fais de moi-même devant les autres (le ‘je’). L’activité devient pour moi une action comme ensemble d’activités doté d’unité de sens par moi-même qui m’y engage. Ce n’est pas un hasard si, en formation des adultes, c’est le vocabulaire des actions qui prime.

A l’évidence d’ailleurs quand on parle d’adulte en formation, le mot adulte ne renvoie pas à une question d’âge : des étudiants peuvent se retrouver bien au-delà de leur vingtième année dans des univers éducatifs à dominante davantage d’enseignement que de formation. Significativement, on continue parfois à parler d’’élève’, comme dans les écoles d’ingénieurs.

La caractéristique la plus manifeste de la formation des adultes est donc qu’elle réunit des publics qui non seulement ont une expérience, mais qui la reconnaissent et la font reconnaitre comme liée à leur engagement dans une démarche éducative, en l’absence d’obligation légale ou de toute autre forme d’imposition. Ce n’est pas le cas habituel des systèmes habituels d’enseignement, sauf bien entendu quand ils recourent aux méthodes dites actives qui ont significativement une autonomie relative dans le système éducatif (cf. Biennale de l’Education dite nouvelle).

On tend à parler de formation des adultes lorsque le public des actions de formation dispose déjà d’une expérience professionnelle et/ou sociale. Lorsqu’il est engagé personnellement dans un itinéraire de construction de son identité professionnelle et sociale présente et future . Lorsqu’il tend lui-même à finaliser, au sens de donner du sens à ses activités de formation, en fonction de cette expérience et de la représentation qu’il se fait à partir d’elle de ses activités futures. Bref, lorsque le sujet se trouve en position d’acteur premier dans la construction de son identité professionnelle et sociale présente et future.
Une recherche ‘d’emploi par exemple, dans le cas des chômeurs ou des jeunes dits « en insertion’ est aussi une situation dans laquelle s’effectue cette finalisation professionnelle et sociale, puisque le sujet est amené à se situer directement par rapport à la question de la production de ses moyens d’existence (emploi) et à la question de sa présence dans des processus de production de biens et services concrets (activité professionnelle).
Cette situation présente au moins deux types de conséquences importantes sur la formation :

a) La formation des adultes lie actions éducatives et contextes des actions éducatives.
Davantage que d’autres actions éducatives, les actions de formation des adultes articulent obligatoirement champs d’activités et acteurs concernés. D’où l’intérêt par exemple de procéder à une distinction et à une articulation entre niveau pédagogique (champ de la pédagogie), niveau de la formation (champ de la formation), niveau de la production des biens et services (champ du travail et/ou de la vie quotidienne), et enfin niveau de la production des moyens d’existence (champ économique/social) pour les sujets concernés. Et ce aussi bien pour la définition de objectifs que pour les évaluations les concernant. (Analyse des besoins en formation, Evaluation en formation, https://www.researchgate.net/publication/44827391_L%27Analyse_des_besoins_en_formation _, https://livre.fnac.com/a1312026/Barbier-jean-marie-L-evaluation-en-formation-5eme-edition ).
Plus la définition des objectifs et les attributions de valeurs sont chargées de sens et de significations par rapport à différents champs et à différents acteurs, plus les dispositifs et actions ont de chance d’être ‘ robustes‘.

b) La formation des adultes fait de l’expérience une ressource.

Les acteurs de la formation des adultes, formateurs comme apprenants, recourent fréquemment à l’expérience des apprenants comme moyen de formation. C’est ce qui explique par exemple le développement de l’’analyse des pratiques’ et l’incitation aux ‘retours d’expérience’ . Malgré les ressemblances , cet exercice d’analyse est très différent des ‘études de cas’, qui relèvent d’une autre logique, en réalité préprofessionnelle.
Cette introduction de l’expérience dans l’univers de la formation est caractéristique de la formation des adultes. Elle permet en effet de passer sans cesse d’un univers à un autre par exemple (formation/travail) notamment par hypothèse de transfert. Elle permet aussi de travailler, à la fois en distance et en proximité le registre des émotions, de l’analyse des situations, de la différence entre analyse et l’évaluation, de la conception de nouveaux projets individuels ou collectifs.

2.La formation des adultes lie la formation à des enjeux de transformation.

Il n’est que d’observer les dominantes du vocabulaire utilisé : les références dominantes du vocabulaire de la formations des adultes sont relatives à des rapports que les sujets entretiennent avec leurs activités : capacités, attitudes, habiletés, aptitudes, compétences (Le vocabulaire des rapports entre les sujets et leurs activités https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=23156 ). Et les sujets en formation sont désignés de manière active : apprenant, s’éduquant. On est très loin du vocabulaire dominant des système d’enseignement : élève, étudiant, alumni…

La formation des adultes a constitué le berceau dans lequel s’est construit le vocabulaire et la culture de la formation. L’espace de la formation peut être défini comme un espace de production de nouvelles capacités en vue de leur transfert. L’intervenant n’est plus défini comme un transmetteur de savoirs mais comme un organisateur de situations d’apprentissages. Cette culture a eu une grande influence sur la formation professionnelle, le référent de la formation étant l’activité individuelle ou collective.
Pour la même raison on a vu se développer dans le champ de la formation des références fréquentes au concept de dynamiques identitaires. Mais ce qui est vrai des transformations individuelles, l’est également des transformations collectives : les actions de formation des adultes sont souvent référées, dans le libellé même des actions à des transformations collectives…
Le ‘formateur de formateur’ qu’a été longtemps le rédacteur de ce texte a souvent utilisé avec ses publics l’analyse sur 3 / 5 ans de l’évolution des plans de formation d’entreprise (document légal) : cette analyse constitue un remarquable indicateur des dynamiques de changement caractérisant cette entreprise.

Le monde de la formation des adultes se caractérise aux yeux des professionnels de la formation par sa sensibilité aux conjonctures de transformations économiques et sociales.
Cette sensibilité se constate aussi dans trois autres domaines :
  L’intérêt du monde de la formation pour toutes les questions liées à la professionnalisation et à la transformation de compétences en situation (https://www.cairn.info/revue-savoirs-2008-2-page-9.htm)
  L’intérêt nouveau que porte le monde de la formation à la préparation à l’action et la construction de possibles d’activité (chaire Unesco ICP Formation Professionnelle)
  L’intérêt enfin que porte la formation des adultes pour des dispositifs conjoints de recherche, d’action et de formation

Au total, pas de référence au monde de la formation des adultes sans référence à des enjeux de transformation individuelle ou sociale , souvent déjà en cours
(https://www.researchgate.net/publication/272091121_La_SocopaEvron_l’etat_de_l’entreprise_avant_transfert_caracteristiques_globales_de_fonctionnement-_Synthese_des_approches_disciplinaires notamment pp 7-8).

C’est ce qui explique sans doute aussi l’intérêt du monde de la
formation à chercher à développer des posture de recherche privilégiant ‘l’entrée activité’, tant au niveau individuel que collectif, y compris pour rendre compte des actions de recherche elles-mêmes).

3. La formation des adultes donne place à l’explicitation/ confrontation d’intérêts d’acteurs.

C’est dans le champ de la formation des adultes que l’on a vu apparaitre des pratiques inédites en éducation dans l’espace franocphone jusque dans les années 60 : l’analyse ou l’évaluation des besoins, l’analyse de la demande ou de la commande, l’élaboration de projet, l’évaluation interne, l’évaluation externe, l’évaluation de transfert.
Ces pratiques autorisent les acteurs concernés par la formation, aussi bien par la production de ses résultats, par ses usages, que par ses effets d’intervenir dans le processus de recours à la formation (maitrise d’ouvrage), dans le processus de conception (architecture, maitrise d’œuvre) que dans le pilotage de sa réalisation.
Très diversement nommées, ces pratiques ont pu faire apparaitre un nouvel espace social doté d’une certaine autonomie : la conduite ou l’ingénierie des actions de formation.
Cet espace social donne lieu à une grande diversité de configurations d’acteurs : ingénierie participative, négociation, partenariat, compromis, transactions imposées ou consenties etc..
Cette caractéristique est liée à l’engagement en formation par opposition à l’obligation de formation : on ne part pas durablement en formation sans qu’elle présente un minimum de sens pour les apprenants, sauf à ce qu’elle fasse l’objet d’une imposition (obligation, indemnités). Elle est liée aux rapports de force entre acteurs.
Comme le travail auquel la formation est censée préparer, et parce qu’elle suppose des interactions entre différents sujets, la formation peut s’analyser comme un compromis, une transaction entre différentes dynamiques d’activité. Ce compromis, cette transaction sont souvent très déséquilibrés en termes de rapports de force, même s’ils peuvent évoluer en cours d’action.
Connaissant déjà les situations par rapport auxquelles sont construites les formations, notamment dans les actions de perfectionnement professionnel, les adultes peuvent intervenir dans l’analyse des besoins, dans la définition des objectifs, dans la conception de projets et dans l’évaluation ; mais il convient bien sûr de distinguer droit d’intervenir et pouvoir d’intervenir…
L’insertion de fait de la formation des adultes dans des situations économiques, sociales, professionnelles très diverses et impliquant individus et organisations met au jour les intérêts d’acteurs, et multiplie les occasions de confrontation d’intérêts.
La conduite des actions de formations d’adultes peut ainsi donner lieu à identification et à analyse de ces intérêts d’acteurs et à mise au jour des transactions et compromis négociés ou imposés, comme par exemple dans l’étude des plans de formation d’organisations.

LES DISPOSITIFS DE FORMATION : DES INTENTIONS SOCIALES SUR DE POSSIBLES INVESTISSEMENTS INDIVIDUELS

Si l’on veut analyser également sur la longue période les fonctions proposées auprès des publics eux-mêmes par les activités de formation, c’est probablement dans un premier temps sur un détour par l’analyse des cohérences d’ensemble constatables dans les dispositifs de formation ‘offerts’ qu’on peut s’appuyer.
Le paysage de ces dispositifs de formation des adultes est en effet extraordinairement diversifié : diversité de format temporel, diversité de lieu, diversité de dispensateurs, diversité de désignation (https://www.puf.com/content/Encyclopédie_de_la_formation Les dispositifs de formation, diversités et cohérences-outils d’approche).
Certes il ne s’agit que de propositions d’engagement d’activité et donc d’intentions sociales des promoteurs de ces dispositifs auprès des « publics-cible ». Autre chose est leur usage effectif par les publics qui les intègrent ou non dans leurs parcours, ce qui détermine résultantes et effets individuels. C’est l’analyse des itinéraires effectifs qui peut répondre à cette question, et c’est ce à quoi s’attache par exemple la sociologie de la formation des adultes.
Mais, précisément, avant l’analyse de ces parcours individuels, on constate que ces dispositifs, au-delà de leur diversité, sont régis par quelques grandes logiques autour d’intentions sociales qui leur donnent cohérence en ordonnant agencements de moyens et fonctions assignées. Il est possible notamment de mettre en lien initiative de formation, public-cible, finalités affichées, et modes de formation proposés.
Plus précisément, après avoir décrit dans les mots du langage social des dispositifs-exemples concernés il est possible de mettre en relation quatre entrées d’analyse :
  enjeu principal des transformations visées pour les individus,
  acteurs dominants dans la promotion de ces dispositifs
  publics-cibles visés et types de finalités affichées
  accents portés dans la structuration de dispositifs
Sur cette base on peut ainsi distinguer trois grands types de fonctions individuelles assignées à ces dispositifs auprès des publics d’adultes concernés :
  Une intention sociale ‘qualifiante’ et ‘certifiante’ en rapport avec un enjeu dominant de changement de positionnement dans un espace où on est déjà présent
  Une intention de transformation de compétences, exprimée en termes de ’perfectionnement’ et en rapport avec une intention de transformation d’activité en cours sans changement de position professionnelle
  Une intention d’‘insertion’, à enjeu dominant d’entrée dans des espaces ‘activité où le public-cible n’est pas présent

Tableau 1 : Dispositifs de formation et intentions sociales sur de possibles investissements individuels

. Dispositifs qualifiants et certifiants. Dispositifs de perfectionnement Dispositifs d’insertion
Exemples de dispositifs Promotion, conversion,
Rattrapage, congé formation
Amélioration de compétences, recyclage, entretien, actualisation, Jeunes, chômeurs longue durée, populations spécifiques
Enjeu principal Changer de position dans un espace où on est déjà présent Transformer l’activité en cours Occuper une position dans un espace où on est pas (ou plus) présent
Acteurs dominants dans la promotion - Pouvoirs publics dans leur fonction de qualification
- Sujets concernés : incités à ‘co-investir’
Entreprises dans une fonction de gestion de leur processus de production Pouvoirs publics : fonction d’encadrement social
Publics visés et finalités affichées Déjà en mobilité Acteurs proches des enjeux de production. Acteurs stratégiques Groupes socio-démographiques
évalués sur le registre des ‘savoir-être’ sociaux
Accent porté dans la structuration des dispositifs - Parcours individuels
-Espaces spécialisés de formation
-Temps long
-Place pour des enseignants
- Recoupement unités de travail/unités de formation
-Temps court
-Implication des participants
-Profils de formateur
- Communauté de situation sous le rapport l’inclusion/exclusion
-Durée courte
-Appel constant à l’autonomie
-Animateurs

Licence : CC by-sa

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