Ce texte est issu de la journée d’étude, « Apprendre et enseigner à l’ère numérique », qui s’est tenue au Collège des Bernardins le 6 octobre 2016, dans le cadre d’une réflexion partagée de la Chaire du Collège des Bernardins sur « L’humain au défi du numérique », et du séminaire de recherche « École et République ». La journée d’étude aborde les questions de fond des transformations que le numérique engendre dans l’apprentissage et l’enseignement et s’interroge sur les bénéfices apportés à l’humain. Par Marcel Lebrun, Professeur en technologies de l’éducation, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve (Belgique), et intervenant au Collège des Bernardins.
Le concept de « classes inversées », d’origine anglo-saxonne (flipped classroom) et développé depuis 2012, a connu un engouement incomparable en moins d’un an. Ainsi, les événements CLIC – CLasses Inversées, le Congrès – sont passés d’environ 200 participants en 2015 à plus de 800 participants en 2016. Les récents colloques et journées d’étude à son sujet et la diversité des pratiques témoignent de l’intérêt croissant des enseignants.
Même si le phénomène des classes inversées est relativement récent, on peut tracer un continuum entre des pratiques plutôt « centrées sur l’enseignant » (des cours virtualisés par le truchement de vidéos) et d’autres davantage « centrés sur l’apprenant ». On trouve ainsi aux extrémités de ce continuum l’usage de la vidéo, un média emblématique mais non rédhibitoire, à regarder avant la classe pour pouvoir consacrer plus de temps et développer davantage d’activités et d’interactivités pendant celle-ci (la classe inversée proprement dite).
On trouve également, à l’autre bout de ce continuum, des dispositifs construits par les élèves eux-mêmes dans lesquels ils deviennent à la fois « didacticiens » des savoirs récoltés sur Internet et ingénieurs pédagogiques des interactivités qu’ils ont préparées à l’intention de leurs collègues, une pratique appelée « classes renversées » par notre collègue Jean-Charles Cailliez.
Une innovation qui s’instaure peu à peu
On peut ainsi parler, au-delà des expérimentations de quelques pionniers, d’une pratique d’innovation en voie d’instauration de l’école primaire à l’enseignement supérieur. Les effets des classes inversées, intentionnés, décrits et parfois validés, sont multiples mais relativement encore peu stabilisés scientifiquement : motivations accrues (des élèves et aussi des enseignants), meilleures appropriations des savoirs formalisés, développement de compétences disciplinaires et transversales, différenciation des enseignements et des apprentissages…
S’agit-il d’une innovation du type top down ou alors est-ce de l’émergence ?
Le concept de classe inversée a été introduit il y a une dizaine d’années par deux enseignants du secondaire en chimie, Jonathan Bergmann et Aaron Sams, de l’école Woodland Park High School, Colorado, mais formalisé seulement en 2012 lors de la parution de leur livre Flip your classroom qui allait provoquer l’émergence du concept en francophonie et plus particulièrement en Europe.
L’idée initiale était de bousculer les espaces-temps de l’enseignement et de l’apprentissage en proposant les leçons, sous la forme de vidéos, en dehors de l’espace-temps de la classe proprement dite et en utilisant ce dernier pour mieux accompagner les élèves dans leurs apprentissages. Nous avions résumé ce concept par un quelque peu provocateur « Lectures at home and Homework in class » dès 2011 sur notre blog (un billet à propos de l’hybridation dans la formation) après avoir écouté une conférence en vidéo de Salman Khan, le créateur de la Khan Academy.
À titre de définition encore provisoire, nous proposons parmi d’autres, celle de l’Université Vanderbilt :
« Le concept de classe inversée décrit un renversement de l’enseignement traditionnel. Les étudiants prennent connaissance de la matière en dehors de la classe, principalement au travers de lectures ou de vidéos. Le temps de la classe est alors consacré à un travail plus profond d’assimilation des connaissances au travers de méthodes pédagogiques comme la résolution de problèmes, les discussions ou les débats. »
Un rapport à l’enseignant bouleversé
Mais au-delà de l’opérationnel de la classe inversée, quelles étaient les intentions de ces enseignants pionniers ?
Prise au pied de la lettre, cette définition synthétique pourrait contribuer à en faire perdre l’esprit qui concerne davantage la dynamisation du temps en classe plutôt que les apports théoriques délivrés en dehors de celle-ci, à distance. Les « inventeurs » Bergmann et Sams, expriment pourtant bien les transformations, les flips, induites par cette méthode en en présentant les attributs constitutifs, à savoir :
- un moyen d’amplifier les interactions et les contacts personnalisés entre les élèves et entre ces derniers et l’enseignant.
- un environnement dans lequel les étudiants prennent la responsabilité de leurs propres apprentissages sous la guidance du formateur.
- une classe dans laquelle l’enseignant n’est pas le maître sur l’estrade mais l’accompagnateur attentif, le guide au côté de l’apprenant, en permettant ainsi différentes formes de différenciation.
- Un mélange fertile de la transmission directe (j’enseigne) avec une approche constructiviste ou encore socioconstructiviste de l’apprentissage (c’est aux apprenants qu’il revient d’apprendre).
- Une classe dans laquelle les élèves qui sont absents pour cause de maladie ou activités extracurriculaires (pour des sportifs, sorties éducatives) ne sont pas laissés « en arrière ».
- Une classe où les contenus travaillés (la « matière ») sont accessibles tout le temps pour les révisions, les examens, la remédiation.
- Une classe où les étudiants sont davantage engagés dans leurs apprentissages.
- Un lieu où les étudiants peuvent recevoir un accompagnement personnalisé.
Pour éviter les dérives que ce concept pourrait engendrer, il est surtout intéressant d’examiner ce que n’est pas la classe inversée :
- Un remplacement de l’enseignant par des vidéos.
- Un cours en ligne voire à distance.
- Des étudiants qui font tout et n’importe quoi de manière non structurée.
- Des étudiants qui passent le temps de la classe devant un écran.
- Des apprenants autistes travaillant tout seuls.
Les classes inversées, c’est donc bien plus que de « regarder des vidéos à la maison ».
On le comprendra, le concept initial de la classe inversée (que nous appelons ici Type 1 ou niveau 1) allait être amené à évoluer en élargissant en particulier le spectre des activités menées à distance.
Une recherche récente sur l’extension progressive de ce concept montre comment l’expérience se traduit par « une inversion des conventions d’apprentissage à l’intérieur et à l’extérieur de la classe, grâce au support technologique ».
En quelque sorte, la mise à distance de certaines activités, traditionnellement dévolues au temps de classe (comme la transmission), nous invite à repenser les activités en présence qui à leur tour modifient la nature de ces activités à distance en les contextualisant davantage. Cet effet boomerang – porter certaines activités à distance dans l’intention de redonner du sens à la présence, les activités en présence invitant à leur tour à enrichir les activités à distance – conduit à considérer l’hybridation dans une perspective dynamique.
Dans le prochain numéro relatif à cette thématique, nous modéliserons cette évolution toute récente du concept initial de la classe inversée en l’inscrivant au sein d’une stratégie pédagogique (les classes inversées) au service d’une éducation apte à se muer en apprentissages toute la vie durant et mieux en accord avec les apports et potentiels du numérique.
Marcel Lebrun does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organization that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond the academic appointment above.
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