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La théorie d’abord ?

13 janvier 2022 par Rochane Kherbouche Veille 1159 visites 1 commentaire

L’auteur a pris le parti de féminiser son contenu dans une logique de sensibilisation à l’écriture inclusive

Commencer une formation par la théorie avant la pratique : quelle efficience ?

Dans le cadre de mes activités au sein d’une cellule TICE, je suis confronté à la conception de dispositifs technopédagogique et ce sujet m’interpelle. J’anime des formations en présentiel et en ligne. Je suis chargé de l’accompagnement des formatrices pour une montée en compétences. Je souhaite approfondir cette question à travers cet article.

De mémoire, lorsque j’étais à l’école ou à l’université, je me suis toujours aperçu qu’une formation débute par la théorie puis continue avec la pratique. On m’a répété qu’il faut une base, voire plus, de concepts avant de pouvoir aborder les exercices. Hélas, je me rends compte que cette vision des choses nous condamne à rester dans un cadre limité en qualité de conceptrices de cours. Elle est souvent frustrante pour les apprenantes qui la subissent. Elles sont invitées à commencer à prendre des notes sur des théories dont elles n’ont jamais peut-être entendu parler.

Cette façon d’envisager le démarrage d’un cours est fondamentale. Elle peut être remise en question quand on constate les décrochages ou des chutes de motivation.

J’ai expérimenté d’autres méthodes issues des pédagogies actives dans mon rôle de formateur. Je donnerai ci-dessous un cas concret d’un dispositif que j’anime dans le cadre d’une formation aux réseaux sociaux. Je présenterai certaines approches qui peuvent être utiles pour le corps enseignant ou tous ceux et celles qui sont appelés à designer leur formation.

Je me souviens d’avoir assisté à une formation sur l’utilisation d’un logiciel de gestion de budget. Il s’agissait d’ingurgiter une soixantaine de diapos sur la théorie et les concepts de la comptabilité. Tant que la dernière diapo n’est pas abordée, il nous est interdit d’expérimenter les fonctionnalités de ce logiciel. Inutile de vous décrire la frustration que nous avons ressentie et la charge cognitive importante que nous avons supporté avec un vocabulaire inconnu.

Alors que nous restons dans une posture réceptive, l’intervenante répond à des questions que nous ne nous sommes pas posées. Je ne suis pas sûr que lorsque la pratique est abordée, nous nous souviendrons de cette masse de concepts.

La réponse à toutes les questions que je me pose toujours est abordée à travers la modalité des classes inversées.

Avant de décrire le concept de ma méthode, j’attaque directement par le cas concret (le sujet s’y prête 😀)

C’est une formation d’une journée (7 heures) sur le thème des réseaux sociaux, en présentiel, pour un public adulte composé essentiellement d’acteurs de la formation et de l’insertion professionnelle :

Je les accueille en présentant le programme avec les objectifs de la formation.
Première activité : repérer une dizaine de mots spécifiques au contexte des réseaux sociaux, cette activité est réalisée en petits groupes. Elles les notent, dans une posture debout, sur des affiches collées sur le mur (Magic Chart).
Ensuite, elles tournent et tentent de donner les définitions des mots d’un autre groupe. Ce dernier fait de même.
En deuxième activité, chaque groupe présente les résultats de leur concertation et exploration des définitions partagées par leurs pairs.
De cette activité, naissent de nombreuses interactions avec très souvent des réponses cohérentes et justes.
En troisième activité, nous passons à la fameuse théorie des réseaux sociaux en explicitant certains points du sujet, illustrés dans une vidéo ou pas.
Ce n’est qu’à la quatrième activité que les échanges se font à travers des situations de simulation d’interaction dans un réseau social et de comparaison entre les différentes plateformes existantes.
Cet exemple tient son origine du cycle de Kolb (ou des classes inversées) qui préconise une phase de contextualisation importante dans le dispositif (Voir Classes inversées : enseigner et apprendre à l’endroit  !- Julie Lecoq et Marcel Lebrun-). Elle permet aux apprenantes d’éviter de tomber brutalement sur des concepts et du vocabulaire inconnus. Certaines connaissances sont confirmées, d’autres construites et d’autres déconstruites au moment de la présentation aux pairs. Ce n’est qu’après la phase de contextualisation que survient la partie conceptualisation qui sera plus parlante puisque le contexte a déjà été posé. Dans le principe des classes inversées, il est recommandé d’aborder les explorations et la conceptualisation en mode asynchrone (c’était impossible dans l’exemple ci-dessus)

La dernière partie qui doit se tenir en mode synchrone afin de donner du sens à la présence est une partie de recontextualisation. Les concepts ont été abordés et probablement aussi certaines fausses croyances déconstruites. Les recherches montrent que l’apprentissage est plus profond et plus durable dans ce cas. D’autres compétences que la prise de notes ont été développées. Citons parmi ces compétences : la collaboration (travaux de groupes), la communication (exposition des travaux), l’esprit critique (travaux d’exploration) mais également la créativité (si on leur demande de trouver des méthodes originales pour exposer les résultats de l’exploration).

La diversification des activités participe incontestablement à une motivation plus accrue des apprenantes, cf cette recherche menée en 2018. On y décèle, grâce à un cas concret, l’analyse de l’évolution de la motivation chez les étudiantes si l’on diversifie les stratégies pédagogiques dans le cadre d’un même cours. La motivation demeure élevée tout au long de la session d’apprentissage.

Cet angle de vue sur la motivation me paraît fondamental dans l’apprentissage et c’est Rolland Viau, professeur canadien qui l’explique dans la Revue française de pédagogie Année 1995 :

L’apprenante rentre dans une dynamique motivationnelle si elle a la perception de 3 choses au niveau de la tâche à laquelle on l’invite. Perception de :

La compétence : suis-je capable de réaliser ce travail ?
La valeur de la tâche : est-ce important ce que je dois faire ?
La contrôlabilité : ai-je le contrôle de la situation et suis-je maître à bord ?
Enfin, la couche numérique peut s’avérer parfois pertinente si l’on fait en sorte qu’elle apporte une valeur ajoutée à l’apprentissage. Dans notre phase de contextualisation avec les apprenantes, au moment de présenter leurs travaux, il est possible de les faire sortir de leurs habitudes inculquées souvent par leurs enseignantes. Il m’arrive d’interdire le PowerPoint comme support de présentation. Ceci pousse les apprenantes à faire preuve de créativité en trouvant d’autres moyens pour faire leur présentation. Ainsi, dans les formations que j’anime, certaines ont fait une présentation sur des cartes mentales, d’autres ont créé un quiz et l’ont fait en synchrone avec le groupe. Le rendu le plus créatif qu’il m’a été donné de voir était une pièce de théâtre conçue en 30 minutes par un groupe de stagiaires sur la sensibilisation aux fake news.

En conclusion, si l’on sort du schéma classique théorie-pratique, on découvre la possibilité de démultiplier nos activités.

A-t-on donné des cours théoriques pour marcher à un nourrisson ? Non, il a dû expérimenter, tomber, se remettre debout pour apprendre à être en équilibre.

Une approche qui repose sur le modèle des classes inversées avec le temps de la contextualisation, avant même d’introduire les concepts théoriques, peut nous aider à organiser notre cours. La motivation joue un rôle primordial dans l’attention des apprenantes. Elle constitue un formidable levier pour les activités diverses de l’apprenante

Le numérique peut s’avérer comme un support pertinent à condition de l’intégrer après avoir identifié ses besoins et intentions pédagogiques (voir mon dernier article surl’ombre de l’outil qui plane partout).

Libre à nous, formatrices et formateurs, d’innover et de personnaliser notre cours selon le contexte le plus propice à l’épanouissement de nos apprenantes. Surtout, n’ayons pas peur de rater ou de faire des erreurs, on arrivera forcément à un résultat intéressant. Ce sera probablement une pratique originale, ne la laissons pas dans l’ombre. Partageons-la comme dans cette citation d’ A. Einstein La créativité est contagieuse. Faites la tourner !

Licence : CC by-sa

Vos commentaires

  • Le 18 janvier 2022 à 11:58, par Line En réponse à : La théorie d’abord ?

    Merci pour ce partage d’expérience ! De leurs longues et multiples observations et expériences auprès des enfants, les pédagogues et experts en sciences cognitives ont identifié le geste, le mouvement, la main comme éléments essentiels dans l’apprentissage de l’enfant. Ainsi, Maria Montessori a développé le concept de motricité fine où l’intelligence et la main vont de pair. Rudolf Steiner affirmait que « l’intelligence des mains transforme celle de la pensée » quand la méthode de Singapour, qui a fait ses preuves dans son efficacité dans l’enseignement des maths depuis 4 décennies, parie sur l’approche « concret-image-abstrait » pour permettre à l’élève de passer du concret vers l’abstrait, i.e. de la main vers la pensée. Personnellement, je préfère démarrer par donner le résultat attendu, puis créer des ateliers pour l’assimilation concrète du concept puis reformuler la théorie.

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