Un article repris de la revue Education relative à l’environnement, une publication sous licence CC by nc
Vingt ans après Éduquer pour l’ère planétaire (Morin, Motta et Ciurana, 2003), ce numéro sur l’écoformation à l’ère planétaire vient très heureusement ponctuer la longue collaboration entre Centr’ERE et le Groupe de Recherche en Écoformation (GREF). La prise de conscience des dimensions planétaires des actions humaines fondant l’ère anthropocène (Magny, 2021) est en cours. Mais passer d’une écodéformation instituée qui a déjà produit la science des effondrements annoncés – la collapsologie – , à une éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté et à une initiation écoformatrice permanente, prendra du temps, beaucoup de temps. Même les mots se cherchent pour exprimer cette écorévolution paradigmatique, transdisciplinaire, technique, économique, politique et culturelle.
Mais « Là où croît le péril… peut croître aussi ce qui sauve » (Höderlin, 1770-1843, éd.1989 ; Reeves, 2013). À notre micro-niveau socio-personnel, 2023 a accéléré les bilans rétro et prospectifs conjoints. Le colloque international de Paris en février 2023 sur le Paradigme biographique à l’ère Anthropocène a permis aussi de socialiser plus largement ces méthodologies écobiographiques en construction : Les histoires de vie environnementales avec les éléments de la matrice cosmique : entre écoformation et écodéformation collapsologique (Pineau, à paraître). L’ouvrage paru aussi début 2023, Genèse de l’écoformation. Du préfixe éco au vert paradigme de formation avec les environnements (Pineau, 2023), présente les grandes étapes historiques et socio-épistémologiques porteuses de l’émergence de ce champ de recherches-actions écoformatrices avec les environnements.
Ce champ de recherches-actions est donc vaste et complexe. Et il est en pleine construction. Globalement, son émergence s’est effectuée par essai d’actualisation de la théorie préscolaire des trois maîtres de l’éducation existentielle de Jean-Jacques Rousseau - soi, les autres, les choses (Émile ou De l’éducation, Rousseau, 1761) - avec la pensée complexe postscolaire d’Edgar Morin comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude (sous-titre de l’ouvrage Éduquer pour l’ère planétaire). Sa présentation complète dépasse donc les limites de cet article.
Ce dernier va se centrer sur un relevé historique d’indicateurs les plus objectifs de la recherche en écoformation : ses productions écrites. La première, apparue voilà plus de trente ans, explore paradoxalement les transactions avec l’environnement le plus invisible et impalpable, l’environnement aérien : De l’air. Essai sur l’écoformation (Pineau et coll., 1992, rééd. 2015). Ensuite ce sont imposées presque naturellement, les transactions avec les environnements aquatiques (2001) et terrestres (2005). L’exploration collective du feu vécu n’a abouti qu’en 2015. Cette première partie de l’article reviendra sur cette réactualisation des transactions avec ces quatre éléments environnementaux qui constituent la matrice traditionnelle des peuples premiers. Retour anachronique dépassé, ou au contraire remise en culture formatrice d’un inconscient écologique refoulé, responsable en grande partie de la crise écocide actuelle ?
Mais le GREF, c’est aussi la collection Écologie et formation, fondée au début des années 2000. On peut voir ces publications comme un moyen important de pollinisation socio-éducative. Je présenterai les derniers ouvrages de cette collection présentant des innovations écoformatrices en formation scolaire initiale, en formation professionnelle, formation agricole et même, formation continue des retraités.
Cette pollinisation de la formation avec l’écoformation reste encore à la très grande périphérie des théories et pratiques éducatives dominantes. Pour quoi utiliser ce néologisme transdisciplinaire pour travailler les mises en forme et en sens des multiples relations organismes/environnements ? La partie 3 présentera les avantages de cette position-frontière. Celle-ci traite plus frontalement des effervescences de mouvements transdisciplinaires et éco-citoyens militant pour une redéfinition des rapports aux environnements locaux, mais aussi mondiaux, Nord/Sud, Orient /Occident. L’écoformation se fait ainsi polliniser elle-même par ces recherches très bio-diversifiées d’un autre monde possible, plus viable et durable pour tous. Elles la rendent plus sensible au défi urgent de mettre en culture cognitive plus grande, la richesse d’autres pratiques émergentes d’un continent expérientiel, dont nous sépare une distance culturelle abyssale.
La montée des épistémologies du Sud (Santos, 2016), d’une sociologie des relations aux mondes objectifs, subjectifs et sociaux (Rosa, 2018), et la reconnaissance en France en 2019 de la formation comme science possible dans le prolongement des sciences de l’éducation ouvrent des espaces géographiques et conceptuels face à l’ampleur de la crise écologique actuelle. En particulier, la reconnaissance de la formation comme champ de savoirs est de grande signification. Elle fait sortir la formation des arrière-cours professionnelles populaires, informelles et non formelles. Elle peut aider à faire reconnaître à part entière les pôles qui le propulsent : soi, les autres et les choses, avec l’ajout des préfixes conceptualisant d’auto, socio (co et hétéro) et écoformation. Cela favorise une pollinisation scientifique transdisciplinaire et transculturelle avec les épistémologies du Sud, les psycho-sociologies de la reliance, la bildung allemande et le transformative learning anglophone. On peut donc la voir comme un moment important d’une transition historique vers un paradigmatique d’apprenance à l’ampleur de l’ère planétaire anthropocène.
Bref historique des recherches du GREF avec la matrice cosmique des quatre éléments.
Le premier ouvrage franco-québécois sur l’écoformation – De l’air. Essai sur l’écoformation (Pineau et coll., 1992, rééd. 2015) – est paru l’année même où s’est tenu à Rio, le Sommet Planète Terre, organisé par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement. Même s’il est préfacé par Madame Gro Harlem Brundtland, présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (1984-1987), il n’y aucun lien institutionnel direct entre ce premier essai de conscientisation d’expériences apprenantes avec l’air et ce premier sommet mondial pour construire un agenda d’une nouvelle politique en matière d’environnement. Cette coïncidence n’est indicatrice que de l’ampleur planétaire des problèmes écologiques, entrevus parfois par des politiques internationales prospectives et vécus de façon beaucoup plus obscurs et limités sur certains terrains par des personnes plus exposées ou plus conscientes. Mais entre les deux, s’interpose, avec sa cécité et son opacité, le monde quotidien du fonctionnement institutionnel courant des différents organismes politiques, économiques, scientifiques, culturels, éducatifs nationaux. Ce fonctionnement a construit le monde moderne avec beaucoup de prospérité pour certains et davantage de pauvreté pour d’autres, mais pour tous, il a produit une situation environnementale si critique qu’elle appelle des changements urgents : lesquels et comment ? Deux questions hypercomplexes à traiter pour vivre et survivre, entre horizons planétaires menaçants à plus ou moins long terme, gestes d’usages quotidiens à transformer en gestes de sages et changements organisationnels d’un monde institutionnel immense plus ou moins rigidifié.
La brièveté du titre de ce premier essai d’écoformation - De l’air ! - s’apparente à un cri :
Cri d’expiration ? D’aspiration ? Crise d’inspiration ? Cri cosmogonique. Le cri d’Icare plane. Si la conquête technique de l’air ne s’accompagne pas d’une conquête écologique, la chute menace… collective. Pas le choix. Faire comme Dédale : s’inscrire à l’école de l’air, à son écoute. S’en inspirer. Apprendre à respirer (partie 1), à aérer (partie 2), à s’aérer (partie 3), à habiter ciel et terre (partie 4), à s’aérodynamiser (partie 5). Programme invisible, léger, subtil. Vital, il est déjà à l’œuvre à notre insu. Mais la survie implique de le sortir des oubliettes, de l’inconscient écologique. De passer du réflexe à la réflexion. (4e de couverture)
Ce cri a été entendu comme cri d’inspiration par un certain nombre de personnes adultes en recherche-formation expérientielle de leurs parcours de vie dans des environnements en crise. Ma prise de fonction comme professeur-enseignant à l’Université de Tours sur un poste profilé Alternance et éducation des adultes a offert une possibilité de regroupement pour les personnes qui voulaient greffer leurs recherches-formations expérientielles à des recherches-formations universitaires plus formalisantes et diplômantes. C’est ainsi qu’est né le GREF avec un ancrage souple dans les universités de Tours et de Paris 8 avec René Barbier, selon une stratégie frontalière de structure légère et de réseaux denses.
C’est un flux majoritaire de personnes aux prises avec des problèmes d’eau qui a imposé ce deuxième élément comme objet de recherche-formation : l’eau de la pluie, des étangs, des rivières, de la mer, des océans, des montagnes avec des torrents, de la neige et des glaciers, mais aussi des activités aquatiques et des pratiques ménagères. Eau multiforme, « or bleu » de plus en plus précieux et recherché, patrimoine environnemental, enjeu de bataille planétaire pour des appropriations privées et marchandes. L’ouvrage Les eaux écoformatrices dirigé par René Barbier et Gaston Pineau, est sorti en 2001. Vera Lessa Catalao, de Brasilia, termine son chapitre portant sur un projet pédagogique transdisciplinaire au Brésil par ce constat : « Nous sommes tous des enseignants et des élèves devant la tâche de réapprendre ces valeurs avec une saveur existentielle profonde qui joint la nature et la culture » (Catalao, 2001, p. 155).
Ainsi remontèrent presque naturellement les quatre éléments de la matrice cosmique élémentale des grandes traditions culturelles pour comprendre la formation de la vie humaine. En 2005, parut Habiter la terre. Écoformation pour une conscience planétaire (Pineau, Bachelart, Cottereau et Moneyron, coord., 2005). Moacir Gadotti, directeur alors de l’Institut Paulo Freire, nous fit l’honneur du chapitre conclusif : Charte pour une écopédagogie planétaire coopérative et une éducation du futur (Gadotti, 2005, p. 255-270). Des coopérations suivies avec l’Association brésilienne de la recherche (auto)biographique ont permis des pollinisations croisées entre l’écoformation et l’émergence des histoires de vie environnementales : « Apprender a habitar a Terra : ecoformaçao y autobiografias ambientais (Pineau, 2009). En octobre 2012, Paulo Freire Vieira, professeur de sociologie politique à l’Université fédérale de Santa Catarina (Brésil) et coordonnateur du Laboratoire de recherche transdisciplinaire en environnement et développement (NMD-UFSC), m’a accueilli dans son « refuge » à Gamboa pour un séminaire sur l’écoformation avec ses étudiants, en pleine nature (Trembley et Vieira, 2012). La splendeur du paysage composé par l’alliance du soleil, de l’air, de la montagne et de l’océan a fait conscientiser les éléments comme énergie cosmique par Juliana, une étudiante. A été esquissé alors le projet d’une université internationale écoformatrice, itinérante et saisonnière. Le premier webinaire d’automne 2021 organisé à Florac par Orane Bischoff autour de l’ouvrage de Catherine Schmutz-Brun (2021), Histoires de vie et rapports au végétal. Écobiographie en formation, amorce ce projet sous une modalité à distance. En effet ce greffage du GREF à Florac, en plus de la production de ce numéro de la revue Éducation relative à l’environnement, prévoit des webinaires saisonniers.
Le travail avec le feu nécessita dix ans : Le feu vécu : expériences de feux éco-transformateurs (Galvani, Pineau et Taleb, coord., 2015). Plus ou moins consciemment, j’avais laissé l’exploration de l’écoformation avec cet élément brûlant pour ma retraite, pour une exploration plus personnalisée. L’ouvrage Voyages, retraite et autoformation mondialogante (Pineau, 2019) prolonge l’ouvrage collectif et essaie de rendre compte des acquis expérientiels de quatre voyages à vélo qui se sont voulu initiatiques : La route du feu : Vésuve-Etna (2012) ; La route de l’amitié : Tours-Bordeaux(2013) ; La route des fours crématoires : Auschwitz- Sobibor (2014) ; La route de la Terre de Feu (2015).
Au cours des ans, un greffage structurel s’établit entre des personnes du GREF et le Centre de Recherche en éducation et formation relative à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ERE) de l’Université du Québec à Montréal. Dans leur ouvrage Éducation, Environnement, Écocitoyenneté. Repères contemporains (Sauvé, Orellana, Villemagne, Bader, coord., 2017), le chapitre Exploration de l’écoformation humaine avec les quatre éléments (Pineau et Galvani, 2017), résume l’essentiel de cette recherche-action écoformatrice au long cours d’une trentaine d’années avec cette matrice cosmique d’exploration.
De même en 2007, s’est initiée à Barcelone, au premier Congresso Internacional de Innovacion docente : transdisciplinariedad y ecoformacion, une rencontre du Groupe francophone de Recherche sur l’ÉcoFormation (GREF) avec le courant hispano-brésilien du sentipensar écoformateur (Torre et Moraes, 2005). Ce courant prend le terme éco dans toute son ampleur environnementale, sociale et matérielle, alors que le GREF travaille cette amplitude en la « ternarisant » entre trois pôles : auto, socio et éco pour le pôle matériel. Mais de grandes résonnances existent entre les deux.
À côté de ces productions collectives, le GREF a fondé au début des années 2000 une collection Écologie et formation pour catalyser la riche biodiversité des productions individuelles et ainsi diffuser dans des champs socio-éducatifs plus classiques des germes et des pollens d’écoformation.
La collection Écologie et formation du GREF comme moyen de pollinisation socio-écoformative.
Fondée au début des années 2000 par Pascal Galvani et Dominique Cottereau qui en sont les responsables, cette collection poursuit l’objectif suivant :
… explorer les relations formatrices entre les personnes, les sociétés et l’environnement : formation de soi et/ou d’une société dans son rapport aux matières, aux éléments, aux milieux naturels et urbains et réciproquement, formation de l’environnement par ses occupants. La survie écologique explique ces écoformations et leurs prises de conscience pour inventer une nouvelle identité terrienne, transformant nos rapports d’usage en rapports de sage pour un développement durable. Elle s’adresse à toute personne intéressée par les liens entre formation et environnement : animateurs, enseignants, formateurs, éducateurs à l’environnement, praticiens et chercheurs. (Texte de présentation aux Éditions L’Hamattan [1])
Une vingtaine d’ouvrages y ont été publiés. Je ne présenterai que les sept derniers, les autres ayant déjà été présentés dans le Feu vécu pour concrétiser l’histoire du paradigme de l’écoformation (Pineau, 2015, p. 21-28).
L’école sans mur (Blondeau, Boy, Potolia (2019), Dehors (Cottereau, 2017), Agroécologie (Moneyron, 2018), Qu’apprendre de la formation des artistes de cirque ? (Bézille, Froissart, Legendre, 2018), Voyages, retraite et autoformation mondialogante (Pineau, 2019), La pédagogie sensible. Réflexion écosystémique sur l’accompagnement en formation (Brémond, 2021). Un septième opère une boucle réflexive d’ensemble : Genèse de l’écoformation (Pineau, 2023). Tels sont les titres des sept derniers ouvrages de la collection Écologie et formation. Ils émanent d’une voie buissonnière très bio-diversifiée de recherche-action écoformatrice et visent à polliniser de façon créative l’éducation initiale, professionnelle et continue.
L’école sans murs. Une école de la reliance. (Blondeau, Boy et Potolia, coord., 2019) est un exemple d’engagement passionné et persévérant. L’ouvrage est paru six ans après un colloque mouvementé à l’Université Paris 8. Il visait à faire dialoguer des représentants d’écoles sans murs, en pleine nature, de régions lointaines, sibériennes et amazoniennes avec d’autres, d’écoles murs à murs, bien fermées de milieux urbains, entre autres parisiens : « Ces régions lointaines, sibériennes ou amazoniennes, avec leurs modèles « d’écoles écologiques », inscrites majoritairement dans des espaces où la nature tient une place encore essentielle, peuvent-elles être de quelque aide à l’école française pour s’ouvrir sur son environnement ? Un dialogue peut-il s’instaurer entre les partisans de cet objectif, appartenant à des mondes si différents ? » (Boy, 2019, p. 249). Dialogue pas facile… en ville, - pour y avoir participé -, avec des horaires serrés, des amphis dispersés, des salles pré-programmés, des habitudes pré-conditionnées et des murs pré-fabriqués ! Mais l’ouvrage, paru six ans après, atteste que c’est possible. Honneur au trio vainqueur. Cet ouvrage improbable a triomphé de bien des déliances.
L’École sans mur peut être une école de la reliance.
La partie 1, La terre de la réalité, présente la nécessité éthique d’une triple ouverture de l’école à soi, aux autres et aux choses (Didier Moreau), sans la réduire à des activités éco-citoyennes (Florent Pasquier), tout au long et au large de la vie (Jean-Louis Le Grand) ; avec toute la complexité de l’évolution environnementale à aborder de façon géographique nouvelle (AlphonseYapi-Diahou), à partir de moments spécifiques (Rémy Hess), de la littérature (Nicole Blondeau) et d’exploration de sa bio-diversité par la voie buissonnière de l’écoformation (Gaston Pineau).
La partie 2, intitulée La réalité des terres explore les problèmes d’articulation entre la culture écologique expérientielle et la formalisation éducative scolaire des peuples nomades d’Asie Centrale (6 Chapitres) et des territoires autochtones de l’Amazonie brésilienne (2 chapitres). Après un survol historique de l’avènement d’une éducation scolaire indigène au Brésil grâce à un projet d’Éducation Bilingue Interculturelle (EBI) et l’analyse de quelques expériences réussies, l’un des auteurs est assez optimiste : « L’éducation scolaire indigène dans l’Amazonie brésilienne est en train de modifier profondément les rapports de domination entre la société nationale et les populations autochtones » (Meunier, 2019, p. 169). Un autre est plus pessimiste : « Malheureusement, le processus scolaire est resté identique, qu’il s’agisse de l’école non autochtone ou autochtone. Les deux sont tissés sur la même équivoque : celui de « l’Immaculée Conception » d’une culture occidentale intouchable qui se prétend porteuse d’une rationalité et d’une civilisation au-dessus de toute autre » (Rezende, 2019, p. 149).
La partie 3, Espaces métissés, ces projets qui nous animent, montre, à partir principalement de projets asiatiques, combien « l’éducation par projets qui se retrouve aussi bien dans les cultures orientales qu’occidentales, est un terrain de recherche expérientiel commun à tous… ». Ces projets transforment les murs en frontières… espaces communs à l’une et à l’autre des régions limitrophes, lieux de rencontres et d’échanges des diversités naturelles et culturelles, plantes, animaux, hommes, favorisant la connaissance mutuelle » (Boy, 2019, p. 250). Pour les administrateurs centraux, les frontières organisationnelles sont souvent vues comme des lignes de séparation, des murs. Mais la pratique de projets avec les environnements sociaux et physiques les fait vivre au contraire comme lieux de contacts relationnels entre éléments étrangers, lieux d’inter-relations par transactions, échanges de savoirs et de pouvoirs, à ouvrir et à travailler spécifiquement si l’on veut – en commun - concevoir, construire et conduire ces projets. Les frontières scolaires avec l’environnement, comme toute frontière, sont des espaces spécifiques d’entre-deux, trois ou quatre éléments plus ou moins étrangers. Ces espaces interfaces sont des espaces stratégiques pour des politiques d’innovation et de création qui se veulent participatives et non dictatoriales. Ce sont vraiment les espaces d’écoformation, de formation d’oikos, d’habitats, de milieux vécus par mise ensemble, en sens, en formes d’éléments séparés, dispersés, parfois étrangers et même adversaires. Pas d’écoformation sans transformation des parties à mettre ensemble, en sens, en forme. Ces lieux commencent même à se nommer : Lieux d’éducation Associés, LéA (Monod-Ansaldi, Loisy, et Gruson, 2022).
Dehors. Ces milieux qui nous trans-forment. Récits éco-biographiques nés d’ateliers d’écritures (Cottereau, coord. 2017) socialise des démarches narratives d’écoformation, orales et écrites en groupe, longuement mûries méthodologiquement par Dominique Cottereau. Interloquant ! Depuis le début des années 90 et même avant, Dominique se forme et nous forme, expérientiellement et formellement : À l’école des éléments et classe de mer (1994) ; Formation entre terre et mer. Alternance écoformatrice (2001). C’est donc une experte pour aider à Tirer le fil écologique de la vie (1re partie) et à le tisser et le tramer avec Des moments signifiants (2e partie) et Des éléments (3e partie) : le hamac, entre ciel et terre ; le kayak, pour larguer les amarres, s’évader et se relier ; l’eau, entre peur et plaisir à transmettre ; la terre et son tonnerre… Autant d’expériences initiatiques beaucoup plus parlantes et motivantes que les plus beaux cours didactiques !
Il y a des risques ? Bien sûr. On n’a jamais rien sans rien. Comment accompagner l’engagement dans une activité qui implique une prise de risque ? Alors il faut lire Qu’apprendre de la formation des artistes de cirque ? (Bézille, Froissart, Legendre, 2018).
À l’ombre du fil tendu du funambule, n’y a-t-il pas ce fil qui relie tout une équipe, celle qui a préparé cette marche aux allures d’impossible ? L’ouvrage se propose de répondre à cette question en passant par l’exploration d’une expérience de formation singulière, ambitieuse, riche d’écoformation professionnelle construite sur la durée : celle du cirque Fratellini et son école attentive au rôle du milieu, du collectif, de la vie quotidienne et des valeurs partagées (solidarité, engagement, émancipation) (4e de couverture).
Si le cirque n’est pas votre milieu le plus naturel et ne vous attire pas spontanément, vous devez quand même vous nourrir, manger et boire. Ces actes quotidiens dépendent actuellement d’une lutte vitale entre agrobusiness et agroécologie. Alors, après Les relations homme-nature dans la transition agroécologique de Aurélie Javelle (2016), vous ne pouvez pas passer à côté de Agroécologie. Quelle écoformation de Anne Moneyron (2018). Une autre pionnière du Groupe de Recherche sur l’Écoformation (GREF) à qui l’on doit : Transhumance et éco-savoir. Reconnaissance des alternances écoformatrices (2003) ; La méthode Jean Moneyron : une gestuelle thérapeutique de la forme (2006) ; Temps de vie et transhumance. Carnets de voyage d’une Amazone (2012). Elle continue son voyage d’Amazone avec un grand « tour d’horizon des agricultures dites alternatives en France » pour passer à L’autrement (1re partie). Elle détaille longuement trois recherches–actions-formations transdisciplinaires de ce passage : Éco-savoirs des Bergers transhumants ; Écoformation des techniciens d’une Unité Expérimentale (UE) de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) ;
Une écoformation en commun des viticulteurs de Weshalten (2e partie).
Avec la conclusion, Trans-former le Autrement : vers une anthropo-formation émancipatrice (p. 143-150), elle termine de façon transcendante – ou plus exactement, pour la rejoindre dans son tempo – trans-andante – allant autrement, à son rythme, à travers et au-delà :
Dans la problématique du autrement de l’agroécologie, depuis trente ans, ce qui nous intéresse… ce ne sont pas les états stables d’un avant et d’un après, mais les passages : comment se met-on en actes ? comment se forme l’éco-savoir ?,… la question de leur formation et trans-formation. Il s’agit de considérer, dans la même temporalité de recherche, l’identification et les passages possibles de ces éco-savoirs, pour une reconnaissance émancipatrice de leur forme spécifique pour les agricultrices et agriculteurs qui résistent aux modèles imposés, acceptent leur fragilité en acceptant et écoutant leurs intuitions éco-logiques. (p.148-149)
Les sept pages majeures de cette conclusion incarnent explicitement la formation de l’écoumène de Berque (2009). Un temps peut être maussade, mais on peut s’éclairer, malgré tout, de la rythmicité des saisons…
Après l’écoformation initiale plus ou moins ouverte à l’environnement socio-naturel (L’école sans murs et Dehors) et des écoformations professionnelles continues (Qu’apprendre de la formation des artistes de cirque ? et Agroécologie. Quelle écoformation ?), que reste-t-il pour le troisième âge ? Dans la bio-diversité infinie des manières de se former/transformer avec son milieu habité, à la porte de chacun et en transactions avec les mondes rencontrés, le cinquième ouvrage explore la voie du voyage…à la retraite…pour retraiter sa vie : Voyages, retraite et autoformation mondialogante (Pineau, 2019). En 2010, pour sa retraite, Christian Verrier a ouvert la voie avec Marcher une expérience de soi dans le monde : essai sur la marche écoformatrice. Cette année 2019, c’est Gaston Pineau qui essaie d’exprimer les acquis de ses six voyages, dont cinq a vélo, qui ont ponctuer ses dix premières années de retraites. Pascal Galvani, codirecteur de la collection avec Dominique Cottereau, en écrit la postface : Vivre en trans-formation permanente (p. 183-192). Après avoir explicité la tresse des multiples dimensions de la formation humaine, l’ouverture émancipatrice de la formation existentielle dans la vie quotidienne, la sympathie des éléments et les métamorphoses du vivant, il termine en résumant les éléments pour une exploration du « Ça crée le Soi », aïku final de Gaston, synthétisant l’apport de cette première expérience de la retraite comme voyage ultime et crucial d’autoformation avec le monde.
L’ouvrage La pédagogie sensible. Réflexion écosystémique sur l’accompagnement en formation (Brémond, 2021) synthétise et ouvre méthodologiquement ces différentes recherches-formations expérientielles vers une approche sensible de l’accompagnement, détrônant l’hégémonie intellectuelle de l’enseignement : Les perceptions en guise de méthode (partie 1) ; Le centre sensible comme figure du vivant (2) ; Agir et transformer (3) ; Les configurations sensibles se vivent à plusieurs niveaux (4) ; Huit repères pratiques (5).
Le septième ouvrage, lui, opère une boucle réflexive socio-épistémologique sur ces quarante ans : Genèse de l’écoformation : du préfixe éco au vert paradigme de formation avec les environnements (Pineau, 2023). Comme le Petit Poucet dans la forêt, l’ouvrage revient sur les traces écrites (articles, chapitres, préfaces) laissées au cours de ces quarante ans, pour tenter d’en décrypter le sens : conception et gestation transatlantique de l’éco à la fin du vingtième siècle ; dépliement du paradigme transactionnel tripolaire entre auto, socio et écoformation au début des années 2000 ; pollinisations internationales des dernières années.
Et enfin, un huitième ouvrage vient s’ajouter au survol de cette liste : Déplacer l’accent de réalité. Une formation de soi éco-systémique (Lesourd, 2023). Dans le prolongement de l’actualisation moderne de la bildung et de la transdisciplinarité, il ose se plonger dans le clair-obscur des apprentissages de tournants de vie ou de transformations existentielles avec trois fils rouges : déplacement des repères de conscientisation avec l’approche des états modifiés de conscience (dominante psychanalytique) ; la formation de soi avec le vert paradigme systémique tripolaire d’autosocio-écoformation (dominante sciences de la formation) ; le fil initiatique du passage de ces états limites transitionnels (dominante anthropologique). Il tisse de façon souple et serrée ces trois fils pour en faire un fil d’Ariane précieux d’exploration de la complexité ouverte par les mises en culture d’expériences d’apprentissages écoformateurs tout au long et dans tous les secteurs de la vie. À suivre et poursuivre.
Mais l’écoformation pollinise aussi d’autres collections qu’Écologie et formation. Dans Pratiques réflexives en formation. Ingéniosité et ingénies émergentes (Guillaumin, Pesce et Denoyel, 2009) de la collection Interfaces et Transdisciplinarités, Dominique Bachelart modélise de façon très heuristique ses recherches-formations pionnières : Autobiographie environnementale : explicitation et exploration de l’expérience écoformatrice (Bachelart, 2009). Et depuis 2014, Catherine Schmutz-Brun tisse des connexions précieuses dans la collection Histoire de vie et formation : La vie avec les animaux. Quelle histoire ! Essai d’éco-zooformation (Schmutz-Brun, Lani-Bayle et Pineau, dir., 2014) ; Histoires de vie avec le végétal. Écobiographie en formation. (Schmutz-Brun, dir., 2021).
Aux éditions Chroniques Sociales, le livre de Pascal Galvani (2020), Autoformation et connaissance de soi - Une méthode de recherche-formation expérientielle, explicite magistralement les acquis méthodologiques expérientiels, mais aussi les assises théoriques, phénoménologiques et herméneutiques, qui étayent et animent ce courant d’écoformation francophone depuis trente ans. Comme on peut le constater, l’éco de ce courant est moins vaste que celui du courant hispano-brésilien. Il se restreint aux relations avec l’environnement physique. Les relations avec l’environnement social sont travaillées avec le pôle socioformation, lui-même se dédoublant en hétéro et coformation, selon le statut plus ou moins égalitaire ou dominant de l’autre. Le travail avec ces deux pôles – éco et socioformation – ne peut s’effectuer que par l’émergence et le développement d’un troisième, le pôle personnel, le « je », se formant, s’autoformant, formant son soi, avec et contre les autres et les choses, par contacts directs, expérientiels, mais aussi réflexifs, en cherchant à se formuler et se formaliser. Ainsi, au cours de ces derniers trente ans, pour tenter de comprendre la complexité des relations de formation/déformation/transformation entre l’organisme humain et ses environnements, s’est forgée une théorie d’une formation en deux temps – expérientiels/formels – et trois mouvements – entre soi, les autres et les choses. « L’exploration de l’autoécosocioformation ouvre la compréhension de soi à la prise de conscience des interactions globales et planétaires qui assurent notre survie » (Galvani, 2020, présentation du livre). Temporalidades na formaçao (Pineau, 2004) présente en brésilien cette théorisation en formation.
À ces mêmes éditions, Claire et Marc Héber-Suffrin, fondateurs du Mouvement des Réseaux d’Échanges de Savoirs (MRERS) avec qui s’est formalisée la coformation, viennent de publier deux ouvrages-clefs :
De l’École éclatée aux territoires apprenants. Une éducation partagée (2023). Cet ouvrage rassemble les acquis de cinquante ans de Fécondités de l’École éclatée hors ses murs (2ème partie), grâce à des réseaux locaux d’échanges réciproques de savoirs et de coéducation qui ont rendu apprenant des lieux les plus divers, allant de la cuisine aux quartiers les plus défavorisés.
Clefs pour une ville apprenante. Des racines, des propositions et des liens pour une réciprocité en actes (2023). Deux clefs sont ciselées très pragmatiquement pour travailler des terrains concentrant des transactions particulièrement complexes : construire un commun pour habiter, qui est tout un art (deuxième clef) ; et utiliser les rencontres comme voies vers l’apprentissage (quatrième clef)
Le défi écoformateur pour le 21e siècle : un défi intergénérationnel de changement paradigmatique
Cette théorisation de l’écoformation reste encore à la très grande périphérie des théories et pratiques éducatives et formatives dominantes. Mais l’hypercrise écologique actuelle, avec ses conséquences sociales et personnelles, oblige à une révision radicale du paradigme disciplinaire et scolaire qui a fondé la modernité du XIXe et XXe siècle : la science trouve, l’école transmet et les adultes appliquent. Malgré tout, ces multicrises du début du XXIe siècle ont ébranlé le dogme de « l’Immaculée Conception » d’une culture occidentale intouchable qui se prétend porteuse d’une rationalité et d’une civilisation au-dessus de toute autre » (Rezende, 2019, p. 149). Et les théories et pratiques éducatives classiques sont en recherche de changements plus ou moins structurels.
La mondialisation bouleverse les équilibres écologiques, mais ouvre aussi les horizons interculturels des formations/transformations possibles. Le préfixe éco semble être un opérateur majeur d’ouverture de ces nouveaux horizons. Il s’adjoint à de nombreux substantifs comme pour leur donner une force et un sens nouveau. Il accompagne la montée de ce que Morin a appelé le vert paradigme de la vie, le paradigme écologique qui fait grincer les dents d’une économie classique exploitant la nature jusqu’à la détruire (Morin, 1977). C’est pourquoi le néologisme d’écoformation est heuristique. Par sa nouveauté et son imprécision même, il ouvre des portes et des voies très bio-diversifiées pour redéfinir et reconstruire des relations viables et durables avec les environnements physiques et sociaux.
Écoformation : pour quoi ce néologisme ?
Dans un colloque synthèse très spécialisé sur Rationalités, usages et imaginaires de l’eau (Piéron, 2017), j’ai profité de la tenue en parallèle d’un colloque encore plus spécialisé sur La fabrique des mots, pour opérer un bref sondage sur ce qu’évoque ce néologisme pour certains participants (Pineau, 2017) :
- terra-forming : pas seulement formation de paysage, mais aussi formation de la planète, de la terre ;
- écogenèse, écosphérisation ;
- écopoïèse : en référence au mouvement bio-formateur d’écoumène d’Augustin Berque (2010), c’est-à-dire de milieux vivants, par une transformation bio-cognitive de la terre en monde humain. Il parle d’assomption de la terre en monde humain. Michel Lussault parle lui, de L’avènement du monde. Essai sur l’habitation humaine de la terre » (Seuil, 2013). Et Edgar Morin, dans l’épilogue de « Éduquer pour l’ère planétaire » (Morin, Motta et Ciurana, 2003, p. 134) donne pour mission à l’éducation planétaire de favoriser une mondiologie de la vie quotidienne. Par mondiologie de la vie quotidienne, il entend une prise de conscience des liens entre la vie quotidienne et le monde, dans toute son ampleur et complexité physique et sociale et dans ses doubles liens de réciprocité inter-formant – ou déformant – le monde et la vie quotidienne. L’objectif est de relier la vie quotidienne terre à terre à la planétarisation des problèmes par une contextualisation permanente.
Ce néologisme d’écoformation ne semble donc pas insignifiant. Il renvoie à des opérations de genèse, de production, de création de formes par synthèse ; mise en formes, mise ensemble et en sens, d’éléments séparés ou de matières premières informes, sans forme, et même difforme. Travailler l’écoformation, la formation de l’éco, pour passer à l’âge écologique semble signifier :
- de ne pas voir cet « éco » comme réalité substantielle déjà toute formée et dont on n’aurait qu‘à parler,
- mais de le voir comme un entre-deux organisme/environnement s’interformant,
- entre-deux paradoxal, souvent invisible, apparemment vide, mais plein de potentiel de mouvements de relations réciproques, d’interactions, de transactions, « d’enactions » (Varela, 1989),
- un lieu, un milieu, un écoumène, à former pour mettre ensemble, en forme, en sens, des éléments séparés, voire opposés, selon des trajets de couplages structurels spatio-temporels complexes, subtils et labiles, formant des unités opérationnelles vitales, viables, existentielles, mais mobiles.
Inclure des recherches sur le trajet spatio-temporel de formation/transformation/déformation de cet « éco », de cet entre/antre, de ce milieu, me semble une nécessité centrale. La construction de l’âge écologique implique de transformer ce préfixe en paradigme, d’inclure centralement ce tiers-exclus des autres, de le prendre comme objet/objectif et même moyen central de recherche-formation en s’aidant de nouvelles épistémologies montantes, comme la transdisciplinarité.
La référence transdisciplinaire
La référence transdisciplinaire est apparue explicitement lors d’un congrès international à Barcelone intitulé : Transdisciplinaridad y ecoformación (Torre, Pujol et Sanz, 2007). L’ecoformación espagnole est plus large que la française : elle inclut l’environnement social et physique ; alors que celle travaillée par le GREF distingue les deux avec deux préfixes : l’éco renvoyant à l’environnement physique ; les transactions avec l’environnement social étant regroupées avec le préfixe socioformation. Se retrouve là, la référence aux trois maîtres éducatifs de Jean-Jacques Rousseau – soi, les autres et les choses-, actualisée avec le vert paradigme tripolaire de formation de la vie d’Edgar Morin : auto-socio-éco-réorganisation (Morin, 1980). Mais la construction d’une nouvelle Méthode (Morin, 1977-2004) éclaire et inspire explicitement les deux courants d’écoformation visant une éducation pour l’ère planétaire (Morin, Motta et Ciurana, 2000 ; Moraes et Almeida, 2012). Leur enracinement terrain dans le sentipensar de la sociologie sud-américaine (Falls-Borda, 2015) et la méthodologie de Recherche-Formation Expérientielle de Pascal Galvani, (2020) mobilisent - parfois de façon non-explicite - pour cette formation avec l’environnement, les apports de la pédagogie conscientisante de Paolo Freire (1974), de l’experiential learning de Kolb (1984), du reflexive turn de Schön, (1991), du transformative learning de Mezirow (2000), de la reconnaissance et validation des acquis (Liétard, et alli, 2017), de l’aventure des histoires de vie en formation (Abrahao, 2018)… Et j’en oublie.
Même donc si les deux courants d’écoformation sont à la périphérie du système scolaire, ils ne sont pas isolés. Pour initier ces apprentissages sensibles et sensés de et avec l « éco », les deux courants se sont construits par une dynamique de réseaux synergisant des pionniers éparpillés dans des terrains et des organismes parfois très éloignés les uns des autres. Et la situation évolue. Dans la dynamique d’une altermondialisation, des épistémologies du sud se construisent. (Santos, 2016). Lutter contre un gaspillage mortifère de l’expérience humaine est un des objectifs majeurs pour réduire la distance abyssale que le paradigme disciplinaire occidental a construit entre les savoirs formels et les savoirs expérientiels. Donc autant de connexions à opérer pour alimenter les courants d’écoformation.
La formation comme mise en forme de relations entre organismes et environnements
Cette métamorphose des théories et des pratiques éducatives qu’impose l’ouverture des apprentissages tout au long et dans tous les secteurs de la vie peut aussi s’inspirer d’une ouverture récente de la sociologie à toutes les formes de relation au monde : Résonance. Une sociologie de la relation au monde (Rosa, 2018). Cette ouverture peut irriguer triplement les courants d’écoformation en général et la théorie d’une formation en deux temps – expérientiel/formel – et trois mouvements : auto-, socio- et écoformateurs.
D’abord avec sa définition de la formation. La formation, au sens où l’entend la théorie de la résonance, ne vise pas plus à une formation du monde qu’à une formation de soi, mais bien à une formation de la relation au monde. Son enjeu n’est pas le perfectionnement individualiste et atomiste de soi, non plus qu’une maîtrise désengagée du monde, mais l’ouverture et l’instauration d’axes de résonance (Rosa, 2018, p. 276).
Avec cette ouverture active à des axes de résonance, cette théorie propulse enfin le concept de résonance à travers et au-delà des raisonnements arraisonnant. « La résonance est l’affleurement (momentané) d’une connexion à une source d’évolutions fortes au sein d’un monde principalement muet et souvent répulsif… L’effet produit par ces expériences est donc moins de confirmation… qu’une transformation : le contact implique une fluidification de la relation au monde, de sorte que le moi et le monde ressortent toujours transformés de leur rencontre » (Rosa, 2018, p. 212-213). Ici, on remet les pieds sur terre avec un corps sensible situé socialement et spatio-temporellement entre ciel et terre (Planche, 2018). En faisant de ces expériences de résonance l’envers de l’aliénation (p. 215), l’auteur privilégie la formation expérientielle avant la formation formelle, l’objectif de cette dernière étant de mettre en forme et en sens les expériences sensibles.
Enfin, la deuxième partie de l’ouvrage de Rosa (p. 223-353) explore la formation de relations à la complexité d’un monde selon trois sphères - objective, subjective et sociale – et trois axes de résonance : axes horizontaux (famille, amitié, politique) ; axes diagonaux (relations aux objets, travail, école, sport et consommation) ; axes verticaux (promesses de la religion, voix de la nature, force de l’art, manteau de l’histoire.)
Cette sociologie de la relation au monde apporte de l’eau au petit ruisseau de l’écoformation et d’une philosophie de la résonance et du retentissement qui, depuis Gaston Bachelard, alimente de façon souterraine la voie buissonnière émergente de cette écoformation au cours de la vie. Elle renforce aussi l’apport de Bernard Honoré (1977), l’un des premiers philosophes français contemporains - avec Michel Fabre (Penser la formation, 2015) - à développer la formation comme fonction de l’évolution humaine. Le dernier ouvrage d’Honoré - Histoire de vie et formation de la personne (2019) - présente une synthèse remarquable de ces travaux tout au long de quatre décennies.
Mais pas d’illusion. Les changements paradigmatiques nécessitent l’apport de plusieurs générations. D’où l’importance de ce numéro comme relai intergénérationnel.
Bibliographie
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