L’éducation en France doit relever deux défis majeurs. Le premier, c’est enrayer la spirale de l’échec, qui voit régulièrement les scores français baisser dans le classement PISA, reproduisant les élites et les déclassés de l’école.
Le second est lié à la citoyenneté, qui risque de s’émietter, se fragiliser pour des jeunes en mal de repères.
Face à un monde multipolaire, complexe et désenchanté, Internet propose une constellation informationnelle déréglée, horizontale, où les réseaux sociaux et les moteurs de recherche peuvent à la fois contribuer à une socialisation positive, mais aussi à véhiculer les idéologies les plus dangereuses.
Cela peut creuser des fractures générationnelles et sociales de façon irrémédiable. Ces deux gageures ne sont pas sans attaches l’une avec l’autre.
L’innovation pédagogique
En Finlande, la culture de l’innovation pédagogique a transformé en profondeur les politiques éducatives, passant d’un système centralisé imposant un programme, à un système décentralisé où les enseignants sont encouragés à développer des programmes créatifs.
Non seulement la Finlande se classe en tête de classement (PISA) pour les pays de l’OCDE, mais affiche le moins de variations de résultats entre les écoles. En France, la culture du savoir entraîne la peur de l’erreur, de la faute. Les élèves français, contrairement aux autres élèves européens, s’empêchent de répondre aux questions posées lorsqu’ils ne sont pas sûrs d’eux.
Il ne s’agit pas d’ouvrir un débat sur les notes, mais plutôt ce qui favorise ou a contrario annihile le désir d’apprendre. L’ouverture d’esprit ne signifie pas être sans règle et on peut proposer dans le cadre scolaire une organisation qui permet une logique de l’agir efficace et créative.
Mais, pour y parvenir, le pédagogue doit assouplir le fonctionnement de la classe et en premier faire le deuil d’une homogénéisation forcée du groupe d’apprenants dont il a la responsabilité.
Lorsque « le droit à la différence » est assumé, l’élève construit plus aisément des passerelles cognitives entre ses savoirs, ses savoir-être et son éthos, ce qui lui permet d’optimiser ses connaissances, prendre confiance en lui et oser des solutions originales, comme l’explique Hélène Trocmé-Fabre1.
Cette posture pédagogique ne va pas de soi, il faut partir de l’apprenant et de son rythme d’apprentissage. Cela pose aussi la question du sens que ce dernier donne à l’école et aux savoirs, de l’intérêt qu’il développe ou non d’y investir sa curiosité naturelle et son envie d’apprendre, afin de les transformer ensuite en travail et en exercices : « Ce qui s’exprime dans le rapport au savoir (et à l’école), c’est l’identité même de l’individu, constellation de repères, de pratiques, de mobiles et de buts engagée dans le temps et prenant forme réflexive dans une image de soi. Mais cette identité n’est pas seulement exprimée dans le rapport au savoir, elle y est aussi en jeu : être confronté à un apprentissage, à un savoir, à l’école, c’est y engager son identité et la mettre à l’épreuve »2.
Intégration des outils numériques
Le rapport de l’OCDE « Students, Computers and Learning : Making the Connection », montre que l’efficacité de l’intégration des outils numériques en classe dépend de l’adoption par les enseignants de nouvelles pédagogies – travail collaboratif en petits groupes, enseignement personnalisé, exploitation des compétences de chacun, plutôt qu’une homogénéisation forcée, qui toutes composent les principes de base d’une pédagogie inversée.
Les premières études évaluant les classes inversées indiquent un niveau de confiance supérieur aux cohortes qui reçoivent le cours de façon classique, une plus grande implication au sein du groupe et le renforcement du style d’apprentissage par intuition (Micah Stickel & Liu Qin, 2015), trois caractéristiques récurrentes de la créativité dans ses définitions et ses formes d’expression.
Les laboratoires de recherche, s’ils se voient doter des moyens nécessaires, ont tout intérêt à développer tant la recherche fondamentale que des recherches-actions à mener au sein de l’Éducation nationale et des universités elles-mêmes.
Une étude menée par la Commission européenne réalisée en 2014 et 2015 dans huit pays d’Europe (Allemagne, Espagne, France, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni) préconise de considérer la technologie comme un instrument d’innovation et non comme une fin en soi dans les universités.
Les pays qui ont créé des agences nationales dédiées aux innovations pédagogiques voient leur conduite du changement accélérée. Elles peuvent évaluer plus aisément l’impact des expérimentations pédagogiques et des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), faire connaître et partager les bonnes pratiques.
Pour exemple, les e-portfolios, portefeuilles de compétences en ligne, qui incitent l’étudiant à réfléchir à sa formation, ses acquis, à évaluer son parcours tout en s’inscrivant dans une trajectoire de professionnalisation sont prometteurs. Ils peuvent se décliner aux formations initiales, continues et tout au long de la vie. Ils favorisent une posture réflexive des apprenants et valorisent leurs savoirs tout en mettant en lumière leurs réalisations personnelles, leur originalité.
Éducation et citoyenneté
En 2008, la commission européenne a souligné l’importance pour chaque citoyen d’être apte à résoudre des problèmes, en manifestant des capacités d’analyse, d’autogestion et de communication, en travaillant en équipe, en ayant développé des compétences linguistiques et numériques.
Par sa définition même, l’éducation aux médias peut et doit être à la pointe des expérimentations. Les attentats qui ont secoué la France en janvier et en novembre 2015 ont rappelé avec acuité la nécessité d’une éducation aux médias dispensée de la maternelle à l’université et d’une recherche scientifique internationale de grande ampleur en ce domaine qui se saisisse de cette question socialement vive.
L’éducation aux médias peut se définir comme la capacité à accéder aux médias, à comprendre et apprécier, avec un sens critique, les différents aspects des médias et de leurs contenus, qui comprend une dimension créative et communicationnelle.
A l’ère du numérique, elle impose de développer tout à la fois l’analyse et la maîtrise des médias. Cela peut être vécu comme une contrainte, ce peut être aussi envisagé comme un formidable laboratoire d’expériences et d’accélération d’innovation pédagogique. La mutation numérique peut et doit accélérer le développement d’une pensée convergente et divergente au sein de l’institution scolaire, stimulant la créativité des élèves, encourageant les apprenants à l’autodidactie, à l’autoformation.
Inscrite au socle commun des connaissances en France depuis 2006, l’éducation aux médias doit envisager une éducation progressive aux médias et à ses enjeux, du premier degré au supérieur.
Pour réussir, la formation des enseignants est primordiale, tant en termes de contenus pédagogiques qu’au regard du positionnement qu’ils ont à adopter, qui doit allier la posture magistrale traditionnelle quand il s’agit d’analyser les médias et celle, plus proche du compagnonnage, lorsqu’il s’agit de produire des médias en contexte scolaire, les deux étant absolument nécessaires pour former les élèves à une éducation aux médias complète et efficace.
C’est un défi sociétal. Le développement du numérique et l’usage d’Internet sont susceptibles d’aider à le relever. Les médias représentent aujourd’hui un savoir médian. L’avantage de travailler l’éducation aux médias par l’analyse critique des médias et la créativité est qu’on travaille une approche systématique, continuelle et concertée.
(1) « J’apprends, donc je suis », deuxième édition, Hélène Trocmé-Fabre, Les Éditions d’organisation, 1994.
(2) « École et savoir dans les banlieues… et ailleurs », Bernard Charlot, Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex, Armand Colin, 1992._
Laurence Corroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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